Notice Jacques Vidal

 

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Paru dans le Journal de l’AHFD, juillet 2022, N° 15.

Jacques VIDAL  (15/11/1925- 13/02/2022)

            Profondément attaché aux territoires de son Languedoc natal, Jacques Vidal naît et décède à Montblanc dans l’Hérault. C’est à Montpellier qu’il accomplit son cursus juridique et littéraire (licencié en droit et en lettres en 1951). D’abord  chercheur au CNRS (1955-1957) sous la direction de Pierre Petot (1887-1966), il devient assistant puis chargé de cours à Montpellier (1958-1963).

Ses maîtres montpelliérains le biterrois Pierre Tisset (1898-1978) et le cannois Roger Aubenas (1903-1989) l’avaient en effet, incité à poursuivre en doctorat, se spécialisant dans une de nos disciplines encore rare à l’époque : l’histoire des finances publiques. Il choisit une thématique proposée par P. Tisset portant sur L’Équivalent des aides en Languedoc (Montpellier, Dehan, 1963, 491 p.). Cette thèse d’histoire du droit fiscal soutenue en 1960 devant Lucien Guenoun (1887-1964) et Francis Garrisson était pionnière. Dans cette étude novatrice appuyée sur des masses archivistiques dans l’ensemble de la grande province méridionale (de Toulouse à Carcassonne, de Cordes à Béziers..), J. Vidal analyse cette contribution perçue sur toutes les marchandises et denrées à la vente et à l'achat, devenue alors une contribution annuelle fixe dont la province assure elle-même la perception, l'objectif étant de faciliter le commerce de gros. Il montre que bien des règles posées au XVe siècle (1443) périodiquement refondues, sont encore en vigueur dans les dernières années de l’Ancien Régime. Dans le contexte de la mise en place des aides, il s’agissait de créer un régime particulier d’impositions indirectes portant sur différents biens de consommation et propre à ne pas porter préjudice aux intérêts de la province. L’impôt devait « équivaloir » aux aides générales. Les Etats avaient le pouvoir de réglementer cette fiscalité indirecte et d’en organiser la perception avec un contentieux affiné. A la fin de l’Ancien régime l’équivalent rapportait près de 1 400 000 livres, soit la majeure partie des revenus de la province. Là encore les Etats décidaient de l’emploi des fonds : don gratuit, indemnités, travaux publics routiers et portuaires, etc… Notre maître et collègue explore dans cette analyse un large secteur de l’administration financière des Etats de Languedoc au travers de cet impôt devenu permanent. Sa thèse est indéniablement une thèse de Finances publiques mais elle a toujours été d’abord considérée comme un travail d’histoire de l’administration territoriale. Or, c’était la première fois qu’un impôt indirect était étudié sur une période aussi longue et de manière aussi approfondie. Toutes les ressources de l’analyse fiscale y ont été employées. C’était aussi une des toutes premières fois que la question de l’emploi des fonds était abordée de manière budgétaire. Cette thèse se trouve ainsi placée à la jonction des anciennes études de Finances publiques, celles de Marcel Marion, Gustave Dupont-Ferrier, Edmond Meynial et autres, et des travaux récents qui se multiplieront à partir des années 1970.

 

Jacques Vidal n’a pas poursuivi, hormis de façon ponctuelle dans le cadre de congrès de sociétés savantes méridionales (sur l’application narbonnaise de l’équivalent des aides en 1968, sur les deniers d’octroi et les libertés municipales à Narbonne en 1970 dans les Mélanges Pierre Tisset), ses recherches dans cette voie des Finances publiques. L’agrégation, obtenue en 1963, le conduit jusqu’en 1965 à être détaché sur une chaire d’histoire économique et démographie à la Faculté de droit et des sciences économiques d’Alger. Il revient à Montpellier (1965). Sa nomination comme professeur titulaire  à titre personnel à Nice, sur invitation de Roger Aubenas,  en 1967  marque un tournant dans ses préoccupations de chercheur. Il s’intéresse alors au Moyen Age niçois et dispense sur cette question un cours de DES, puis publie dans les Mélanges Roger Aubenas une étude sur une seigneurie foncière corse. Son intérêt scientifique et sa pratique pédagogique se fixent alors sur l’histoire des faits économiques et sociaux : l’histoire du travail, en particulier rural -ayant une prédilection constante (et une certaine nostalgie) pour le documentaire languedocien de Georges Rouquier Farrebique (1946)-, l’histoire agraire et l’ethnologie juridique avec l’étude des procès de sorcellerie, ressourçant les classiques dont les travaux de l’historien américain Henry Charles Lea (1825-1909) sur l’inquisition dont il recommandait la lecture. Il s’attache dans les Hommages à Gérard Boulvert (1987) à la répression de la sorcellerie par le parlement de Toulouse au milieu du XVIIe siècle. Son ultime travail publié (1993) porte sur « L’arbitraire du juge en matière de sorcellerie », il y montre que « ce produit de la doctrine juridique médiévale, repose à la fois sur le droit romano-canonique et la théologie morale, notamment Thomas d’Aquin … même le Marteau des sorcières maintient la tradition canonique de l’admission à la pénitence si les sorcières abjurent, et limite ainsi le recours au bras séculier. »

 

   Il tint pendant sa carrière niçoise à continuer à dispenser « aux jeunes esprits » avec sa personnalité toujours bienveillante le « grand cours formateur de premier année de DEUG droit d’histoire du droit ». A ses assistants dont Jean-Yves Coppolani, « il laissait une entière liberté mais les incitait à former des étudiants à l'esprit d'analyse plus qu'à la mémorisation servile des cours. Les commentaires de textes qu'il proposait lors des épreuves d'examens étaient faits pour distinguer ceux qui ne savaient que réciter un cours et ceux qui étaient capables de réflexion.. »

 

Il dirigea quelques travaux académiques sur des sujets neufs (Le maintien de l’ordre à l’époque contemporaine ; l’action urbanistique à Monaco sous le règne de Charles III).

Nous retiendrons sa personnalité subtilement campée en 1973 par le doyen de la Faculté de droit de Nice  le privatiste Pierre Julien : « Le professeur Vidal est un enseignant dont la discrétion et la modestie n’ont d’égales que la culture et la conscience professionnelle. Vivant loin des agitations du monde, il se consacre entièrement à sa tâche d’enseignant et de chercheur. Ses cours sont suivis avec fruit et intérêt par les étudiants qui apprécient en leur maître des qualités de fond et de forme auxquelles ils sont extrêmement sensibles…»

            Retourné en 1990 dans son Languedoc avec Madame Juliette Vidal, ses dernières années furent profondément marquées par le souvenir de leur fils Claude (1956-1978) tragiquement disparu lors d’un accident de montagne dans les Alpes-Maritimes.

 

Olivier Vernier avec le concours de  Michel Bottin (Université Côte d’Azur) et Jean-Yves Coppolani (Université de Corse-Pascal-Paoli)

Salima Saadi (Service des ressources humaines de la Faculté de droit de Nice)

 
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