Louis XVI. Autonomies locales et pouvoir royal. XVIe-XVIIIe. Cours
 
Histoire de l’administration territoriale de la France
XVIe siècle à nos jours
 
Michel Bottin
 
2e année de Licence en droit
Faculté de droit
Université de Nice Sophia Antipolis
 
Le chapitre 1 est présenté ci-dessous sous la forme d’un cours. Mis en ligne en octobre 2010
 

Chapitre 1

Autonomies locales et pouvoir royal (XVIe au XVIII e siècle)

 
         Le Royaume de France forme à l’époque moderne une mosaïque de territoires dont l’administration n’est pas uniforme. Les identités provinciales et urbaines sont fortes. La diversité est la règle. Cette administration est assurée conjointement par des agents royaux exerçant un pouvoir délégué en forme d’office et par des pouvoirs locaux établis au niveau seigneurial, municipal et provincial (Section 1).
         Cette administration est placée sous le contrôle d’agents directs du roi. Ceux-ci, avec le temps, interviennent de plus en plus dans l’administration ordinaire des officiers royaux et des corps et communautés d’habitants (Section 2).
         Cette intervention des agents directs du roi est particulièrement forte dans les « pays d’élections » -une expression particulièrement trompeuse !-. Officiers et pouvoirs locaux sont soumis à une forte tutelle. La situation est plus favorable à l’administration ordinaire dans le « pays d’états ». L’autonomie administrative est encore forte au XVIIIe siècle. La première situation est de plus en plus critiquée au cours du XVIIIe siècle. On vante les qualités de l’administration des « pays d’états ». Les réformateurs réclament une extension de ces pratiques dans les « pays d’élection ». C’est ce que réalise la réforme dite des « assemblées » provinciales » de juin 1788 ( Section 3).
 
 
Les tâches d’administration ordinaire sont assurées, pour l’essentiel, soit par des officiers, soit par des d’élus, soit par des seigneurs.
* Les officiers, agents du roi sont propriétaires de leur charge ; ils doivent répondre, pour faire partie de leur corps à des conditions de capacité. On en trouve en matière de justice (ex. les officiers des cours souveraines), en matière de finances (pour asseoir et percevoir certains impôts), en matière municipale (où les fonctions sont souvent assurées par ce type d’agent), etc.
* Les élus interviennent soit dans le cadre d’états provinciaux, soit dans le cadre des villes et bourgs (en concurrence avec les officiers) et dans les villages.
* Les seigneurs enfin sont titulaires de droits héréditaires.
 
Tous ces agents exercent leurs activités dans des cadres territoriaux différents :
-         au niveau provincial, pour les cours souveraines et les états provinciaux et particuliers ;
-         au niveau local, pour les organes représentatifs des villes et villages et les seigneurs.
 
               
                   Paragraphe 1. Au plan provincial
 
On appelle province une étendue territoriale caractérisée par une civilisation, un ensemble de coutumes, de traditions et de privilèges exprimant une personnalité morale et des intérêts communs. La province est en outre dotée d’organes politiques permettant d’exprimer une volonté commune.
         Au XVIIIème siècle, avant le rattachement de la Lorraine et de la Corse, on dénombrait 58 provinces, du Languedoc (la plus étendue) à la Saintonge ou au Forez (parmi les plus petites).
         Les provinces ne se confondent donc pas avec les gouvernements (12 sous Henri III, 39 sous Louis XVI) ni avec les généralités (27 sous Louis XVI).
         Leur intégration s’est faite très progressivement sur environ six siècles. Fin XVIIIème, le processus est pratiquement terminé.
* Point de départ : le domaine royal des premiers capétiens ; puis par apports successifs :
* Intégration des grandes principautés devenues indépendantes au Xème siècle (Normandie, Flandre, Bourgogne, Languedoc…) mais qui faisaient primitivement partie de la part de Charles le Chauve définie par le Traité de Verdun (843) ; théoriquement ces princes étaient toujours liés au roi de France par l’hommage.
* Intégration des principautés extérieures au Royaume, dites « terres d’Empire » (Provence, Dauphiné, Lorraine, Alsace…), le rattachement posant ici des problèmes juridiques plus complexes.
 
Ces rattachements ont été, de façon plus ou moins nette selon les cas, effectués de façon contractuelle, les provinces promettant la fidélité, le roi promettant la protection des coutumes et des privilèges locaux.
Chaque province a donc en vertu de son acte d’union à la Couronne une personnalité propre ; cette personnalité est plus ou moins affirmée :
         . selon l’époque du rattachement, les plus anciennes ayant une personnalité propre plus estompée ;
         . selon la nature du rattachement, les plus favorisées étant celles qui ont pu pendant longtemps alléguer l’existence d’un véritable contrat d’union ;
         . et surtout selon qu’il existe ou non des organes politiques pour les défendre et les représenter. C’est sur ce plan qu’apparaît la disparité fondamentale :
                   - dans de nombreuses provinces, les organes représentatifs, (« états ») ont disparu ; c’est le cas du centre de la France où dominent les « pays d’élections ». L’expression a, à l’origine, une signification fiscale : la taille était répartie par des élus, commissaires des Etats généraux. Très tôt (1372) ces fonctions devinrent des offices vénaux et héréditaires. Cette administration s’étend à toutes les provinces du centre et parfois au-delà.
Ailleurs existent des assemblées représentatives sous la forme d’ « Etats ».
                  - par contre l’ensemble du territoire est soumis à l’administration des cours     souveraines (parlements principalement).
En l’absence d’ « états », dans les pays d’ « élections », les cours prétendent assumer, en plus de leurs fonctions ordinaires de défense des intérêts locaux (réglementation, réception des lois, tutelle…), les fonctions ordinairement dévolues aux états, c’est-à-dire parler au nom de la province et la représenter.
Les provinces les mieux défendues sont donc celles qui disposent des deux types d’organes, parlement et assemblée d’états, tout simplement parce qu’en pratique les cours souveraines ne peuvent totalement assumer les fonctions des états : percevoir l’impôt, gérer et administrer. Elles ne sont pas faites pour cela.
Dans les provinces sans états, les pays d’élections, l’administration royale a donc eu davantage de possibilités d’intervention.
 
         A. Les cours souveraines.
                   a. Définition et fonction.
Les cours souveraines sont des juridictions supérieures, justement qualifiées de souveraines parce qu’elles jugent en dernier ressort. Leurs attributions ne sont pas seulement judiciaires, mais aussi :
         - politiques, ou plus exactement constitutionnelles : elles enregistrent les lettres patentes (édits, ordonnances, déclarations…), émanant du roi et préparées en Conseil, avec possibilité de s’opposer provisoirement à l’inscription au greffe de la cour, et donc à la publication, en faisant des remontrances.
En cas de conflit durable, le roi a toujours la possibilité de faire céder la cour en tenant un lit de justice, c’est-à-dire en reprenant la délégation accordée à la cour. Par ce moyen les cours pouvaient momentanément s’opposer à la publication d’un texte contraire à la coutume et aux privilèges de la province. Toutes les oppositions ne dégénéraient pas toujours en conflit ; ce pouvait être l’occasion d’un dialogue qui permettait d’aménager le texte.
         - règlementaires : les cours souveraines pouvaient prendre des « arrêts de règlement » ; il s’agissait de décisions rendues solennellement non pour résoudre un litige entre deux parties, mais pour fixer une question de droit privé (interprétation d’un point coutumier par exemple).
         - administratives : les cours pouvaient prendre des « arrêtés », simples mesures administratives (en matière de police générale ou économique par exemple) concurremment avec les autres administrations.
 
         Au moyen de ce quatre pouvoirs les cours souveraines ont les moyens de peser sur la vie administrative des provinces : ainsi en Provence (mais la situation n’est pas très différente ailleurs, surtout en pays d’états) :
         . Le Parlement connaissait des procès des communautés, autorisait les règlements municipaux, assurait la police des emprunts ;
         . La Chambre des comptes connaissait des comptes trésoraires, des baux communaux, du contentieux des impositions et des travaux publics. On a donc affaire à un véritable pouvoir de tutelle des communautés. Ce pouvoir sera concurrencé par l’intendant, mais restera toujours fort, du moins dans les pays d’états, jusqu’en 1789.
 
b. Origine, évolution, typologie.
Les cours de province se multiplient à partir du XVème siècle. Jusque-là le Parlement de Paris, issu de la Cour féodale au XIIIème siècle, était seul compétent ; les parlements de province sont issus pour la plupart des anciennes cours de justice instituées dans les grandes principautés territoriales ; le pouvoir les conserve après le rattachement à la Couronne : au début du XVIème on en compte 6, 13 au XVIIIème siècle, et 4 conseils souverains ayant les mêmes compétences ; par ordre de création :
Paris              Toulouse (1437)    Grenoble (1453)     Bordeaux (1462)
                      Dijon       (1477)     Rouen    (1499)      Aix          (1501)
                      Rennes    (1553)      Pau        (1620       Metz        (1663)
                      Besançon (1676)     Douai    (1686)       Nancy     (1775)
Et 4 Conseils souverains :
                   Alsace à Colmar            (1658)
                      Roussillon à  Perpignan (1660)
                   Artois à Arras                 (1677)
                   Corse à Bastia                 (1768)
Il faut ajouter les cours souveraines spécialisées :
- 12 chambres des Comptes :
Paris, Rouen, Bar Le Duc, Nancy, Metz, Nantes, Dijon, Besançon, Grenoble, Pau, Montpellier, Aix.
- 4 Cours des aides (pour le contentieux fiscal) :
Paris, Clermont-Ferrand, Montauban, Bordeaux.
Les ressorts sont d’importance très inégale :
         . Certaines ont pour ressort une petite province :Alsace ;
         . D’autres ont pour ressort une très vaste province : Languedoc, Bretagne ;
         . D’autres ont pour ressort plusieurs petites provinces : Paris pour tout le centre de la France… et donc la majeure partie des pays d’élections (près d’1/3 de la superficie du Royaume).
 
         B. Les états provinciaux.
Un certain nombre de provinces conservent jusqu’à la Révolution des assemblées représentatives des trois ordres qu’on appelle états provinciaux.
         a. Origine.
Au Moyen Age le roi convoque fréquemment (surtout pendant la Guerre de Cent ans) des assemblées représentant les trois ordres d’une province. Certaines de ces assemblées réussiront à obtenir la périodicité et divers avantages ; d’autres au contraire ne se réuniront plus que très épisodiquement.
Au début du XVIème siècle, quinze grandes provinces disposent d’états, avec parfois à l’intérieur une ou plusieurs assemblées particulières.
         b. Fonction.
Les états représentent la province, rédigent et réforment ses coutumes, présentent des doléances, informent le roi, peuvent à l’occasion faire des remontrances, votent et répartissent les impôts de la province et enfin surveillent l’emploi des fonds après avoir âprement discuté avec l’administration royale.
Leur pouvoir administratif est très important en matière économique et de grands travaux.
         c. Fonctionnement.
Très différent selon les états. La réunion se fait en principe sur ordre du roi, mais la périodicité est acquise par plusieurs.
Il s’agit toujours d’une réunion des trois ordres, mais les procédures électorales sont très variables, de même que les procédures de vote. On trouve souvent des membres de droit (évêques, abbés, certains seigneurs, maires ou consuls) auxquels se joignent des élus. Il est habituel qu’une commission intermédiaire siège entre les réunions d’états ; c’est là en fait que réside la réalité du pouvoir.
         d. Nombre et évolution.
Plusieurs états disparaissent de fait au XVème siècle : Limousin, Marche, Anjou, Guyenne.
Au XVIème siècle et au début XVIIème siècle les états du centre de la France ne sont plus convoqués : Maine, Orléanais, Touraine, Berry, Haute Auvergne, Périgord voient disparaître leurs assemblées représentatives.
Richelieu tentera d’étendre le système des élections pour percevoir les impôts ; le système paraît plus avantageux pour le pouvoir royal ; les élus, officiers du roi (ils ne sont plus élus depuis le XIVème siècle) posent en effet moins de difficultés que les états. Le roi réussit en Dauphiné qui perd ses états en 1628, mais échoue en Bourgogne, Languedoc et en Provence où les édits de 1629 provoquent des émeutes.
Le mouvement se poursuit : les Etats de Normandie ne sont plus convoqués après 1655 ; ceux de Provence sont remplacés en 1639 par une « Assemblée des Communautés », c’est-à-dire par une réunion des députés des villes et bourgs, augmentée de deux prélats et de deux gentilshommes, présidée par l’archevêque d’Aix.
Enfin pendant le gouvernement personnel de Louis XIV, entre 1661 et 1715, cessent d’être convoqués les états de Basse-Auvergne, Quercy, Rouergue, Alsace et Franche-Comté.
Restent au XVIIIème siècle comme états périodiques :
         4 grands pays d’états : Bourgogne, Bretagne, Provence, Languedoc,
         plus de 16 petits pays d’états répartis en quatre zones : Nord (Artois, Cambrésis, Flandre vallonne), confins bourguignons (Bresse, Bugey, Mâconnais), pays pyrénéens (Béarn, Foix, Bigorre, Labour, Marsan, Basse Navarre, Nebouzan, Quatre-Vallées, Soule), Corse.
Cependant il subsiste partout des états non périodiques, parfois très épisodiquement réunis : pour des questions importantes.
C’est là un aspect important de l’administration provinciale ; il est encore mal connu et préfigure la réforme de 1787 sur la généralisation des assemblées représentatives permanentes dans les provinces dépourvues d’états.
 
         Paragraphe 2. Au plan local.
 
Davantage encore que pour les provinces la diversité des régimes juridiques est ici la règle :
         . Selon les provinces : le régime juridique varie selon qu’il s’agit de pays d’élections ou d’états et selon la localisation (les particularismes régionaux sont importants).
         . Selon la dimension : il faut distinguer entre villes et « bourgs murés » d’une part et villages d’autre part.
Les variations concernent :
-        le degré d’autonomie vis-à-vis du pouvoir ;
-        l’organisation administrative interne ;
-        l’étendue des fonctions.
Cette variété de statuts s’explique par :
         . l’ancienneté de la formation : villes et « bourgs murés » sont souvent juridiquement organisés dès le moyen âge ; pour les villages il faut attendre les XVIème-XVIIème siècle ;
         . la résistance des structures seigneuriales : elle est plus forte dans le Nord que dans le Midi, dans les campagnes que dans les villes ;
         . les interventions du pouvoir royal, dont les objectifs et les intérêts varient selon les époques et les provinces :
-        d’une part le pouvoir royal veut éviter que les autonomies municipales, très réelles à la fin du moyen âge, n’entravent son action ou ne portent préjudice aux populations concernées : il s’agira alors soit de corriger une mauvaise gestion soit de prévenir des troubles ; ces motivations concernent essentiellement les villes et les bourgs murés importants.
-        d’autre part le roi veut affaiblir le pouvoir seigneurial, toujours très présent dans la vie des campagnes. Il accepte, progressivement, de reconnaître l’existence juridique des communautés d’habitants, leur permettant d’acquérir un pouvoir d’administration propre.
C’est à partir de cette distinction qu’il convient de présenter l’évolution administrative des villes, bourgs et villages.
         x Villes et bourgs ont des structures anciennes, une autonomie parfois très forte et une organisation particulière ; le pouvoir royal désire étendre sa tutelle et unifier au moins sommairement les statuts ;
         x Les villages ont des structures plus récentes ; leur personnalité juridique ne s’affirme que très progressivement après le moyen âge… dans le même temps où recule le pouvoir des seigneurs. Cette évolution est le trait distinctif de l’administration des communautés d’habitants jusqu’au XVIIIème siècle.
 
         A. Les villes et « bourgs murés ».
Les villes ont été mises en tutelle au XVème siècle ; Charles VII et Louis XI sont intervenus à tout propos dans leur vie administrative, sans trop se soucier des traditions et des droits qui limitaient ceux du souverain. On peut néanmoins se demander si le renforcement de la tutelle royale est constant jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. A cet égard le XVIème siècle apparaît comme un temps d’arrêt ; les autonomies communales reprennent vigueur sous la double influence :
         . d’une part de l’avènement d’une bourgeoisie riche avec laquelle pouvoir royal doit compter ;
         . d’autre part des difficultés politiques provoquée par la guerre civile ( guerres de Religion).
La mise en tutelle efficace et définitive ne date donc que de Louis XIII. Néanmoins les villes et bourgs murés continuent de remplir de multiples et importantes fonctions ; elles disposent toujours d’organes de décision et le pouvoir royal se contentera longtemps d’un simple droit de regard ; ce n’est qu’au milieu du XVIIIème siècle que l’uniformisation des statuts sera à l’ordre du jour.
                   a. Les pouvoirs.
Ces pouvoirs sont réels, du moins pour les villes et bourgs qui avaient réussi à s’affranchir de la tutelle seigneuriale au cours du Moyen Age.
Il y a à cela deux raisons :
-         leurs revenus peuvent être importants et dans bien des cas suffire au fonctionnement des services communs. Villes et bourgs murés disposent ainsi de ressources fournies par :
                   . les deniers patrimoniaux provenant pour une part
                            des propriétés municipales : immeuble, terres….
                            de l’affermage de services municipaux : activités placées sous monopole municipal, fours, moulins, étaux de boucherie, débits de boissons, selon les cas.     
                            de droits d’origine seigneuriale (la ville étant bien souvent son propre seigneur) : justice, amendes, droits de foire et marché …
                   . les aides municipales, votées par les habitants : taxes imposées sur les vivres, le vin, le bétail, le poisson….
                   . les deniers d’octroi, dont la perception est autorisée par le roi pour des travaux d’intérêt général ; il s’agit soit d’aides (c’est-à-dire de taxes sur la consommation) soit de « crues » ajoutées à la gabelle ou à la taille.
Le choix et la répartition des taxes (surtout les deniers d’octroi) étaient toujours l’occasion de conflits entre propriétaires et riches marchands favorables aux aides et le petit peuple qui préférait les taxations sur la richesse.
-         l’étendue de leurs compétences, même grignotées par le pouvoir royal, reste très importante en matière :
                   . d’ordre public : la ville assure sa propre sécurité, règlement en matière d’hygiène…
                   . de justice, surtout là où l’autorité seigneuriale a décliné et là où la ville est son propre seigneur.
                   . d’urbanisme et de travaux publics.
                   . d’enseignement : depuis l’enseignement primaire jusqu’aux collèges et parfois les universités ; les villes subventionnent, choisissent les maîtres, l’Eglise s’effaçant progressivement au cours du XVIème siècle.
                   . d’assistance : réglementation de la mendicité, œuvres d’assistance, monts de piété.
                            b.  La tutelle.
Le pouvoir royal intervient en contrôlant les actes des administrations municipales :
                   x d’abord parce qu’il estime devoir défendre les habitants contre les abus possibles (impositions abusives, mauvaises gestions, etc.) des autorités municipales.
                  x ensuite parce qu’il confie aux municipalités des tâches de collaboration avec l’administration royale et qu’il ne peut les laisser agir à leur gré.
Les interventions concernent :
                            - d’abord la justice : les pouvoirs de justice sont d’abord affaiblis par le moyen de l’appel, de la prévention et par l’application de la théorie des cas royaux : de plus en plus d’affaires sont ainsi soumises à une possible rectification par les justices royales : en 1536 l’édit de Crémieu attribue au bailli royal les causes des nobles ; en 1561, l’ordonnance d’Orléans supprime la juridiction municipale dans les villes où il existe une juridiction royale et surtout en 1566 l’ordonnance de Moulins leur retire la juridiction civile, ne leur laissant qu’une simple compétence pénale réduite du type « simple police ».
Néanmoins les dérogations sont nombreuses et il faudra attendre un siècle pour assister au déclin définitif des justices urbaines. Mais le pouvoir royal avait des raisons des se méfier  de ces justices (personnel de compétence parfois limitée, procédures mal réglées, archaïsmes, etc.). Il en avait moins  en ce qui concerne la police. Celle-ci reste un domaine privilégié de l’action municipale, d’autant mieux que l’ordonnance de  Moulins n’y avait apporté aucune restriction.
                            - ensuite l’armée.
Comme toute seigneurie, les villes et bourgs murés avaient la possibilité de lever des troupes. Celles-ci pouvaient à l’occasion être appelées dans le cadre du service féodal d’ « ost » pour former l’armée royale. Ces milices urbaines participèrent avec efficacité à quelques grandes batailles. Après le XVe siècle, et avec la mise en place d’une armée permanente, les villes furent encore associées à des tâches de défense :
                   . Les milices urbaines sont ainsi employées au service de garde et sont parfois appelées à renforcer les forces royales. Elles sont composées d’habitants et de mercenaires. Il s’agit de troupes parfois importantes que le roi fait solder par les villes. Senlis pouvait ainsi solder une garnison de 630 hommes en 1589. Ces milices disposent d’armes modernes dont l’entretien pèse sur le budget municipal. Le pouvoir royal qui participe également à  l’entretien de ces troupes ne peut laisser de pareilles forces en dehors de son contrôle.
L’activité des milices fut importante au cours du XVIe siècle… et parfois source de difficultés pour le pouvoir royal. L’action, parfois incontrôlable, de ces milices urbaines contribua ainsi à alimenter les désordres politiques des règnes de Charles IX, François II et Henri III.
                   La pratique était assez répandue pour que le pouvoir royal soit un jour conduit à accorder aux protestants places de sûreté et garnisons : alors que l’édit de Nantes (avril 1598) avait ordonné la dissolution de toutes les forces militaires, un brevet royal publié le 30 avril accordait aux protestants, là où ils étaient assez nombreux, des places de sûretés : à la fin du règne d’Henri IV les protestants avaient 84 places… et autant de garnisons. Cette organisation militaire fut abattue en 1629. Le rôle des milices urbaines se réduisit progressivement au cours du XVIIème siècle jusqu’à devenir de simples troupes d’apparat.
                   . les municipalités collaboraient également à des tâches d’entretien et d’extension des fortifications : elles étaient certes justifiées par l’extension des faubourgs, mais entraient dans un plan de rénovation général des fortifications nécessité par les transformations militaires du XVIème siècle (artillerie). Pour les villes situées dans les zones frontières les sollicitations royales resteront constantes….à peine équilibrées par la présence de garnisons désormais placées de plus en plus complètement sous commandement royal et soldées par le roi.
                            - enfin, les finances.
Dans bien des cas l’autonomie financière municipale a conduit à des abus : dès le XIIIe siècle le roi a imposé aux villes une reddition annuelle de comptes devant la Chambre des comptes. Le roi voulait ainsi éviter les mauvaises gestions et les  impositions municipales  supplémentaires… concurrentes des impositions royales. L’importance des « deniers d’octroi » justifiait ces interventions. L’édit de Crémieu attribua aux baillis l’examen de comptes municipaux et l’ordonnance d’Orléans (1561) laissa aux baillis l’examen des comptes patrimoniaux, des deniers d’octroi étant en principe réservés aux chambres des comptes.
Le système définitif est mis en place en 1683 : le rôle des chambres des comptes est confirmé mais le pouvoir de tutelle de l’intendant, l’agent du roi, est accentué. L’intendant approuve le budget, peut imposer l’inscription de certaines dépenses, autoriser les aliénations, contrôle l’emploi des fonds, habilite les villes et bourgs à agir en justice.
En dehors des contrôles financiers de plus en plus accentués, le pouvoir royal disposait de trois moyens exceptionnels d’intervention :
                   x les contributions exceptionnelles… qui pouvaient se transformer en impôts réguliers ;
                   x les créations d’offices municipaux (l’administration municipale est composée soit d’élus soit d’officiers détenteurs de leur charge) que les municipalités sont obligées d’acheter… pour éviter d’abandonner à de simples particuliers des fonctions municipales. C’est un véritable impôt déguisé, le pouvoir sachant parfaitement que les charges créées seront rachetées par la municipalité.
                   x les emprunts : le roi est à peu près dépourvu de tout crédit personnel. Il lui est difficile d’emprunter ; il ne peut le faire que par des institutions intermédiaires disposant d’un bon crédit : Assemblée du Clergé, états provinciaux et surtout les villes.
Le mécanisme est le suivant : le roi concède à une ville des revenus inaliénables ou qu’on ne désire pas vendre et avec lesquels on peut emprunter. La ville est chargée de collecter cet emprunt en le plaçant au détail auprès du public ; comme c’est la ville qui doit assurer son remboursement, capital et intérêts, les bourgeois prêtent plus volontiers. Sur la base du contrat conclu avec le roi, la ville verse au Trésor royal, avant même la fin du placement complet, la totalité de l’emprunt. La ville court donc tous les risques : celui d’un placement incomplet ; celui d’un remboursement peut-être difficile, soit en raison d’une conjoncture économique défavorable, soit en raison d’un mauvais rapport des revenus concédés par le roi ; celui d’un endettement accru. Plus la ville est florissante, plus ses bourgeois ont de crédit et plus le roi demande. C’est ce qu’on appelle les « rentes sur l’Hôtel de ville », instrument privilégié du crédit public.
                   La première expérience fut tentée à Paris en 1522 par le chancelier Duprat. Sa réussite incita à la renouveler fréquemment surtout entre 1550 et 1585 .
                            b. L’organisation.
Au moyen âge, à la base de toute organisation municipale était la bourgeoisie. Ce statut qui était anciennement facile à définir lorsqu’il s’appliquait aux bourgeois prêtant serment échappe désormais à toute définition. Le corps des bourgeois comprenait en général les habitants résidant depuis un certain temps dans la ville et soumis aux obligations communes. Ces bourgeois forment une assemblée délibérante qui élit les organes exécutifs. Si la ville reste partiellement ou entièrement soumise à l’autorité seigneuriale, un agent du seigneur se superpose à cette administration.
-         Les assemblées délibérantes.
Elles sont théoriquement composées de tous les bourgeois, mais en pratique elles ne comportent plus qu’un petit nombre de notables censés représenter « la meilleure et la plus saine partie » des habitants. Parfois même ces notables sont désignés par les organes exécutifs.
Ces assemblées n’intervenaient plus guère que pour la nomination des magistrats municipaux, fort peu pour délibérer des affaires. Leur forme était très variable, mais l’édit de Crémieu demandait qu’elles soient dirigées par un agent du roi le bailli ou son lieutenant.
Dans les villes les plus importantes,  cette assemblée était doublée d’un Conseil de Ville, organe délibérant, plus restreint et efficace, comprenant les magistrats en charge ou sortis de charge et quelques notables élus.
-         Les organes exécutifs.
                   . Il s’agit d’abord du maire ou de son équivalent lorsqu’il y en a un ; les appellations sont très diverses : maire, maïeur, prévôt, prévôt des marchands (Paris), capitaine de ville…
                   . Il s’agit ensuite des conseillers, qui détiennent le plus souvent la réalité du pouvoir exécutif : consuls dans le Midi, échevins dans le Nord et dans le Centre, mais avec de multiples exceptions : gouverneurs à Senlis, jurats à Bordeaux, capitouls à Toulouse…
L’effectif est très variable : deux dans les villes peu importantes, 4 à Paris, 8 à Toulouse, 12 à Lyon ou à Orléans…
                   . Il s’agit enfin des conseillers ou jurés, adjoints des consuls ou échevins, chargés de se répartir diverses fonctions d’administration (24 à Paris, 32 à Bourges…). Tous étaient élus selon des procédures parfois très diverses (intervention du roi ou du seigneur, proposition des candidats par les magistrats sortants…) et pour une durée limitée (2, 3 ou 4 ans).
L’ensemble formait le « corps de ville », organe exécutif municipal.
-         Les agents extérieurs.
Si la ville n’est pas elle-même une seigneurie, elle reste soumise à l’autorité d’un seigneur ; celui-ci es représenté par un agent : bailli, vicomte, châtelain, prévôt… Ces officiers président l’assemblée, les élections et disposent d’un pouvoir réglementaire étendu. Ils rendent la justice, surveillent la rentrée des impositions, contrôlent la milice urbaine.
A partir du XIVe siècle les officiers royaux éliminent progressivement les agents seigneuriaux.
La variété des organisations municipales a toujours été considérée par le pouvoir comme un défaut : il faudra attendre Henri IV pour qu’apparaissent les premières tentatives de rationalisation.
                            c. Les personnels.
Les responsables municipaux, tant ceux du corps de ville, que les receveurs, contrôleurs des comptes etc… sont élus. C’est là un principe souvent affirmé… et toujours contourné par les procédures de vote qui permettent aux magistrats en place de se coopter. Prétextant les brigues et les cabales accompagnant les élections de magistrats un édit de 1692 créait des offices de maires et d’assesseurs. D’autres créations suivirent en 1701 et 1704. En 1706 on imagina de créer des offices de maires et lieutenants de maires alternatifs et triennaux pour faire face à la multiplication des tâches ; ce sont du moins les justifications fournies par le pouvoir.
En dépit de tous les prétextes invoqués, ces créations n’avaient pour but que de faire de l’argent en vendant aux particuliers des charges municipales. Le pouvoir espérait d’ailleurs que les corps de ville rachèteraient ces charges… pour les éteindre ou les faire pourvoir par élection.
A partir de la Régence, la création et la suppression de charges municipales est un procédé régulier : on crée les charges dans les moments de difficulté et on les supprime dès que possible en les remboursant, quitte à les recréer… toujours sous les mêmes prétextes : mettre fin aux cabales électorales.
                            d. La réforme municipale du contrôleur général L’Averdy (1764-1765).
Les édits d’août 1764 et de mai 1765 cherchent à régulariser, améliorer et uniformiser, autant que possible l’organisation municipale en spécifiant, le premier les formes sous lesquelles les villes pourraient emprunter et aliéner, le second en définissant la composition des organes municipaux. Elle ne concernait que les villes et bourgs répartis en trois catégories :
-         plus de 4500 habitants ;
-         de 2000 à 4500 habitants ;
-         moins de 2000 habitants.
                   . La réforme généralise l’élection (art. 5 de l’édit de 1765).
Les maires et autres officiers municipaux sont élus par une assemblée de notables, selon des procédures écartant les procédés de cooptation. L’assemblée des notables était également élue selon un scrutin à deux degrés par les corps de métiers. Les fonctions devaient être remplies selon un cursus : notable, conseiller, échevin, maire.
Les officiers municipaux sont supprimés.
                   . La réforme uniformise l’administration.
                            x L’assemblée des notables devenait l’organe essentiel : élection des magistrats, délibération des affaires importantes, contrôle des magistrats. Elle se compose du maire, des échevins, des conseillers de ville et de représentants des différents ordres et métiers de la ville (le nombre varie selon l’importance de la ville).
                            x Le corps de ville est l’exécutif de l’assemblée : il se compose du maire, d’échevins, de conseillers de ville, d’un syndic-receveur et d’un greffier-secrétaire (12 en tout dans les villes de plus de 4500 habitants).
                            x  Le maire est désigné par le roi (ou par un seigneur si la ville dépend d’une seigneurie) parmi trois candidats élus par l’assemblée de notables.
                   . La réforme modifie la tutelle sur les villes.
L’Averdy était l’homme des parlements : la réforme allège quelque peu les contrôles de l’intendant, très critiqué à cette époque ; il pouvait auparavant sans difficulté intervenir dans les affaires municipales.
La réforme augmente le pouvoir des officiers de justice royaux qui devaient régulièrement être appelés aux assemblées de notables. Les aliénations, acquisitions, emprunts devait être homologués par les cours royales. Enfin les comptes des deniers d’octroi devaient être présentés devant les chambres des comptes et de façon générale les comptes des receveurs devaient être transmis au procureur du roi du tribunal voisin. Tout devait aboutir aux cours des aides, aux cours des comptes et aux parlements. L’intendant devait également être tenu au courant de tout pour pouvoir informer le roi.
                   . La réforme reste largement inappliquée.
La réforme ne fut pas appliquée dans toutes les provinces : les villes du Midi conservèrent leurs administrations, sans doute parce qu’elles ne présentaient pas les défauts dénoncés par L’Averdy : les offices municipaux avaient été régulièrement rachetés par les villes et pourvus par élection ; la vie politique locale y était souvent plus intense.
Enfin en 1771, le contrôleur général Terray, pressé par des besoins d’argent et estimant que la réforme affaiblissait le pouvoir du roi tout en faisant le jeu des parlements, supprime les édits de 1764-65. Des offices furent alors mis en vente… même dans les provinces, comme la Provence, où l’édit de 1765 n’avait pas été appliqué ! La confusion était totale à la fin du règne de Louis XV ; elle explique les réformes du règne suivant.
 
                   B. Les villages.
C’est dans les campagnes que la présence de la structure seigneuriale se fait sentir le plus longtemps. Même lorsqu’on se trouve dans une région où cette structure seigneuriale est affaiblie, le fief reste jusqu’à la fin de l’Ancien Régime un cadre important de l’administration territoriale. Mais à l’intérieur de ce cadre, appuyée sur la paroisse, entité religieuse et aussi administrative, la communauté rurale s’émancipe progressivement. Cependant si cette communauté dispose comme les villes d’une réelle autonomie d’action et des organes de direction, elle doit aussi subir contrôles et tutelle.
                            a. L’émancipation par la paroisse.
L’émancipation vis-à-vis du seigneur se fait progressivement. Depuis le moyen âge les habitants se réunissent pour régler les problèmes les plus importants de la vie communautaire : il s’agit le plus souvent d’obtenir de la part du seigneur des aménagements de droits féodaux ou seigneuriaux : abonnements de taxes, usage des terres incultes et des bois, etc.
La paroisse sert souvent de structure d’accueil à ces rassemblements : on y traite de questions religieuses mais aussi d’administration. L’assemblée générale de la paroisse (le « général ») composée des chefs de feu se réunit ainsi à la sortie de la messe dominicale chaque fois qu’elle le juge bon pour discuter de l’entretien des édifices du culte, du cimetière, de l’assistance aux pauvres, de l’instruction des enfants mais aussi des difficultés soulevées par l’administration seigneuriale ou la gestion des bois et pâturages communaux.
Pour faire exécuter ses décisions, l’assemblée désigne procureurs et syndics. Mais la paroisse ne forme pas corps, c’est-à-dire qu’elle n’a pas la personnalité morale ; elle ne peut agir collectivement. On tourne la difficulté en faisant désigner le même procureur par tous les membres de l’assemblée.. ce qui suppose l’unanimité ou tout au moins que les opposants s’en tiennent à une simple abstention. Ce n’est que lorsque la personnalité juridique sera reconnue (c’est le cas au XVIIème siècle pour presque toutes) que les communautés pourront avoir l’indispensable liberté d’action : les procureurs seront alors les mandataires de la collectivité, représentants élus par la majorité non plus seulement pour une opération déterminée mais pour une durée de un ou deux ans comme de véritables magistrats municipaux.
                                      b. L’intervention du pouvoir royal.
Désireux d’affaiblir le pouvoir seigneurial et d’étendre son influence dans les campagnes le pouvoir royal va très tôt se préoccuper des communautés rurales.
                   . D’abord en se servant de ces organisations comme support administratif : une ordonnance de 1379 avait ainsi prescrit que la taille serait perçue par les habitants : le système sera appliqué jusqu’en 1789 et le pouvoir échouera dans ses tentatives de transformer ces fonctions en office. Les communautés devaient donc élire chaque année des « assesseurs » pour repartir l’impôt et des collecteurs pour le percevoir. Henri III réunira ces fonctions délicates. De même en matière militaire les communautés furent chargées d’équiper les francs-archers créés par Charles VII et plus tard d’assurer le recrutement de la milice (réserve des troupes de ligne professionnelles) créée par Louis XIV en élisant les miliciens ; une ordonnance de 1691 substituera à l’élection le tirage au sort.
                  . Ensuite en faisant tout pour généraliser l’élection afin de pouvoir contrer l’influence seigneuriale ; la pratique de l’élection sera assez enracinée pour que le pouvoir ne puisse jamais parvenir à créer des charges d’officiers municipaux : le paysans n’achèteront ainsi pas celles établies par l’édit de 1702 et le pouvoir n’insistera pas.
                   . Pendant longtemps l’administration royale se désintéresse de la gestion du patrimoine et des ressources de la communauté : la communauté est libre de se ruiner. L’administration n’intervient que lorsqu’on lui demande de percevoir une imposition extraordinaire additionnelle à la taille : elle le fait en délivrant des lettres d’assiette. Pour le reste la liberté est compète : aliéner, transiger avec le seigneur, confondre les biens de la paroisse et ceux de la communauté dans une même masse…
                  . La tutelle administrative qui apparaît dans les villes au XVIème siècle ne se manifeste dans les villages qu’au XVIIème siècle, les mauvaises gestions incitent alors le pouvoir à intervenir. L’intendant devient le protecteur des communautés contre elles-mêmes ; la déclaration du 22 juin 1659 les réputait d’ailleurs « mineures ». Cette déclaration de 1659 limitait les possibilités d’aliénation qui faisaient courir les plus grands risques aux communautés en dilapidant le plus souvent à bas prix, des biens indispensables à l’économie communautaire (bois, pâturages…) ; le même texte aménageait les remboursements des dettes contractées.
                   . L’ édit d’avril 1683 définit ainsi la tutelle de l’intendant : contrôle des budgets par l’intendant, avec autorisation pour certaines dépenses ; approbation des impositions supplémentaires par addition à la taille ou par octroi sur la circulation des marchandises ; autorisation des emprunts délibérés par l’assemblée des habitants ; habilitation des syndics et procureurs pour agir en justice.
                   Cette tutelle n’empêche pas les communautés de voir leur rôle croître tout au long du XVIIIème siècle. La différence de nature juridique qui existait entre les villages et les gros bourgs, se réduit progressivement ; cette évolution des communautés rurales au XVIIIème siècle est un événement majeur de l’histoire de l’administration locale. L’édit de juin 1787 consacrera ces transformations.
 
                   C. Les seigneuries.
Au moyen âge le Royaume est divisé en une mosaïque de principautés certaines minuscules d’autres immenses. Sur ces territoires le seigneur détient les attributs de la souveraineté : lever l’armée, frapper les monnaies, rendre la justice, règlementer les activités… Des hiérarchies relient ces seigneuries : les plus petites sont « tenues » de seigneur plus importants (c’est-à-dire concédées), elles-mêmes pouvant être tenues de princes territoriaux très puissants ou du roi. C’est ce qu’on appelle la hiérarchie féodale qui repose sur l’existence de chaînes de fidélité et la prestation de l’hommage. Ces liens de fidélité introduisent donc un facteur d’unité dans ce qui aurait pu être un morcellement totalement anarchique en distinguant plusieurs niveaux de seigneuries.
                   L’évolution du pouvoir au moyen âge est marqué par le couronnement au profit du roi de toutes les hiérarchies féodales (le roi devient le « grand fieffeux du Royaume », celui dont dépendent tous les fiefs) et par le transfert progressif des prérogatives seigneuriales vers l’administration royale.
                   Le processus a été favorisé par la crise des institutions seigneuriales au cours de la guerre de Cent Ans mais la seigneurie subsiste jusqu’à la fin de l’ancien régime, détentrice de prérogatives de plus en plus résiduelles.
                            a. La crise des institutions seigneuriales.
Cette crise présente deux aspects :
-         Economique : L’affaiblissement des seigneuries est lié aux pertes militaires de la guerre de Cent Ans et plus encore à la dépression démographique du XIVème siècle (Peste Noire surtout). Tous les groupes sociaux en ont souffert mais la désorganisation sociale qui en a résulté (baisse du nombre, désertification de certains terroirs) a  miné les seigneuries et ruiné leurs détenteurs. Une bonne partie de l’ancienne noblesse a disparu. Il faut la reconstituer à l’aide de bourgeois enrichis. L’état d’esprit changera inévitablement.
-         Politique : l’affaiblissement est aussi lié à la volonté royale de limiter les pouvoirs seigneuriaux : il confisque les fiefs des seigneurs qui s’étaient engagés du côté anglais au cours de la guerre de Cent Ans, il supprime les droits seigneuriaux les plus contraires à sa souveraineté, il établit des droits en concurrence avec ceux des seigneurs, il écarte la haute noblesse de ses conseils. Louis XI surtout mènera en cette matière une politique constante.
-         Les résultats de cette politique :
                   . Au plan financier : le roi parvient à lever des impôts ; Charles VII en organisant cet impôt (la taille royale) décide par là même la suppression de la taille seigneuriale (1439).
                   . Au plan judiciaire : le roi réussit à faire admettre qu’il est souverain ; sans chercher à éliminer la justice seigneuriale il la contrôle par le moyen de l’appel, de la prévention (intervention directe du roi dans le procès) et des cas royaux (juridiction royale directement en certains cas).
                   . Au plan militaire : le roi étend sa protection à des groupes de plus en plus importants limitant progressivement le droit de guerre privée. D’autre part la constitution d’une armée royale permanente permet au roi de se passer de plus en plus de l’arme féodale levée à partir des cadres seigneuriaux.
                   . A plan monétaire : à partir du XIVème siècle les légistes soutiennent que seul le roi peut battre monnaie. L’interdiction définitive date du règne de Louis XI.
                            b. Résistances et persistances.
Même ainsi affaiblie et concurrencée la Noblesse reste puissante ; les événements politiques des guerres dites « de Religion » lui fourniront l’occasion de faire revivre certaines pratiques médiévales. Quoiqu’il en soit, s’il est de l’intérêt du roi d’encadrer la Noblesse et d’éviter les excès du pouvoir seigneurial il n’est pas de son intérêt de la briser ; la Noblesse reste un support du pouvoir royal et jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. La seigneurie reste un cadre administratif.
Sans entrer dans le détail, on peut dire que le seigneur d’ancien régime dispose des prérogatives suivantes :
                   . La justice seigneuriale, haute moyenne ou basse, en première ou deuxième instance, le tout selon l’importance de sa seigneurie et sous réserve d’appel aux juridictions royales. Le seigneur choisit le juge (sous réserve de conditions de capacité et d’approbation) et tout le personnel nécessaire au fonctionnement de sa juridiction. La faible étendue de beaucoup de seigneurie fait que cette juridiction ne peut fonctionner qu’à perte.
                   . Un pouvoir règlementaire, sur la base du droit de ban, qui permet au seigneur de règlementer les activités : agriculture, circulation, approvisionnement, fêtes, etc. Tout cela dans le respect des lois du roi évidement.
                   . Les droits rattachés à la justice : droits de pêche, de chasse, droit de préemption en cas de vente d’immeuble, etc. Tout cela dépend de l’ampleur de ses droits et de la vitalité de la communauté d‘habitants. Souvent tous ces droits sont aménagés sur une base contractuelle.
                   . Des pouvoirs en matière municipale : intervention dans le choix des responsables municipaux, présidence par l’intermédiaire de son représentant de l’assemblée des habitants.
                   . Des pouvoirs en matière religieuse : choix du curé et des desservants possible en certains cas.
Tout cela est très variable mais montre que le seigneur reste un personnage important de la vie administrative locale. Il est bien davantage qu’un notable ; maints privilèges honorifiques en témoignent et son pouvoir ne se limite pas à ses seuls bien fonciers (d’étendue fort variable d’ailleurs). Là encore la réforme de 1787 consacrera la place officielle du seigneur dans son village.
 
 
         L’étendue des fonctions assumées par les corps permet quasiment au Royaume de s’auto-administrer. Le roi ne saurait cependant se désintéresser de cette administration ; il doit pour le moins s’informer et surveiller le fonctionnement de ces administrations ; il doit également si le besoin s’en fait sentir coordonner leurs actions et même en cas de déficience substituer le pouvoir de ses propres agents à l’administration des corps ; il doit enfin dans certaines matières mettant en cause l’unité du royaume (affaires militaires) ou nécessitant des interventions d’intérêt national (circulation, commerce extérieur) avoir la possibilité d’intervenir directement. Telles sont les différentes fonctions que les agents du roi auront à accomplir : inspection, information, coordination, arbitrage, intervention subsidiaire et générale
                   De telles fonctions ne peuvent être accomplies que par des agents entièrement dépendants du roi. Les officiers, inamovibles depuis Louis XI, sont trop indépendants pour accomplir de telles fonctions. Le roi confie donc ces fonctions à des commissaires, révocables à volonté et pourvus de lettres de commission définissant l’étendue de leur pouvoir.
L’utilisation de ce procédé a soulevé deux problèmes majeurs :
                   x l’inamovibilité de fait est toujours possible, surtout sous les règnes faibles et en période trouble. (Le cas s’était déjà présenté au cours de l’époque franque avec les comtes, agents du roi… qu’il avait fallu faire contrôler par des « missi dominici »).
                   x le pouvoir de ces commissaires, surtout lorsqu’il dépasse la simple coordination, paraît très vite insupportable aux officiers ; les heurts seront constants du XVème au XVIIIème siècle.
         Ces organes de contrôle ou d’intervention sont créés en fonction des besoins. Ils ne présentent pas les caractères de stabilité des corps : un parlement du XVIème siècle ressemble à peu de choses près à un parlement du XVIIIème siècle. Ici la transformation est la règle et sous une même dénomination on peut en fait retrouver des pratiques très différentes selon les époques. Il faudra donc dans les développements qui suivent mettre en valeur ces transformations.
                  On rencontre déjà ce type de transformation au moyen âge avec les baillis et les sénéchaux : ces agents étaient chargés de faire des tournées pour surveiller les administrateurs royaux locaux ; d’itinérants ils devinrent sédentaires ; ils deviennent alors les principaux personnages de leur circonscription : ils représentent le roi, font respecter son autorité et interviennent surtout en matière financière et militaire ; puis le roi estimant que leur pouvoir s’accroissait trop nettement et qu’il devenait de plus en plus difficile de les muter, favorise l’ascension à côté du bailli d’agents spécialisés (receveurs en matière financière, lieutenants en matière judiciaire)… et multiplie les tournées de commssaires-enquêteurs. Les difficultés de la guerre de Cent Ans vont bientôt montrer la nécessité d’installer des agents plus efficaces pour coordonner l’administration de plusieurs provinces, surtout en matière militaire ; c’est ainsi qu’apparaissent les gouverneurs, personnages essentiels de la vie provinciale jusqu’au XVIème siècle (Paragraphe 1).
                   Mais leurs velléités d’indépendance et l’inadaptation de leurs fonctions aux nouvelles nécessitées de l’administration conduiront bientôt le roi à travailler au moyen d’un nouveau type de commissaire, l’intendant (Paragraphe 2).
 
                   Paragraphe 1. Le gouverneur
 
Apparus avec la guerre de Cent Ans à des fins essentiellement militaires les gouverneurs deviennent rapidement des chefs d’administration régionale au-dessus des baillis. Contrôlés par des rois forts comme Charles VII ou Louis XI, ils exercent une administration efficace.
Après la mort de Louis XI (1483), leur indépendance de fait s’accroît ; le pouvoir royal fait son possible pour réduire les attributions et briser les dynasties locales de gouverneurs. En vain, car avec la mort d’Henri II (1559)  et avec les guerres dites « de Religion » les gouverneurs acquièrent une indépendance qu’ils n’avaient jamais eue auparavant.
Il faudra attendre Richelieu pour que leur puissance soit définitivement abaissée. On peut donc distinguer quatre périodes :
        
                            a. De la guerre de Cent Ans à la mort de Louis XI.
Le roi prend l’habitude de regrouper plusieurs bailliages sous l’autorité d’un gouverneur chargé d’assurer les pouvoirs militaires. Mais bientôt ces hauts personnages (ils sont souvent choisis dans la haute Noblesse) obtiennent l’extension de leurs pouvoirs au domaine civil. Ils apparaissent alors comme des vice-rois que le souverain contrôle mal lorsqu’il est faible (Charles VI) et utilise avec efficacité lorsqu’il est fort (Charles VII) et Louis XI) : à la fin de la guerre ils apparaissent comme des administrateurs efficaces surplombant les baillis et leurs agents, organisant les levées d’impôts, délivrant des lettres d’anoblissement ou commandant les troupes royales, le tout à l’aide d’une administration déjà rodée.
                            b. De la régence d’Anne de Beaujeu (minorité de Charles VIII) aux guerres de Religion.
                   La régence qui s’ouvre est l’occasion pour les gouverneurs de distendre leurs attaches avec le pouvoir central. Et surtout pour éviter un conflit avec la très haute noblesse libérée par la mort de Louis XI, la régente attribue quelques charges de gouverneurs à de très hauts personnages : le gouvernement d’Ile de France au duc d’Orléans, premier prince du sang, celui du Dauphiné à Dunois (qui participa autrefois à la prise d’Orléans contre les anglais aux côtés de Jeanne d’Arc, mais qui finit par s’opposer à Louis XI au sein de la ligne féodale dite du « Bien public »).
                   Mais au cours des règnes suivants plusieurs mesures, pas toujours efficaces tendirent à restreindre leurs pouvoirs : l’ordonnance de Blois (1499) prohibe ainsi tout ce qui paraît empiéter directement sur les pouvoirs du roi : il ne leur était plus possible d’anoblir, de juger souverainement et d’imposer de leur propre autorité ; ils devaient se borner à assurer la sécurité et à faire exécuter les sentences judiciaires.
                   Plus grave est l’inamovibilité de fait de certains gouverneurs ; François Ier chercha à retrouver la liberté de nomination. En 1542 il révoqua toutes les commissions de  gouverneurs … pour rétablir peu de temps après la plupart des gouverneurs destitués. Tous virent ainsi la différence existant entre une commission, toujours révocable, et un office permanent.
                   Au cours de cette période leur autorité recule progressivement : François Ier essaie de limiter les gouvernements aux provinces frontières et insiste sur leurs pouvoirs avant tout militaires ; Henri II en 1547 place au-dessus des gouvernements quatre super gouvernement confiés à des maréchaux investis de larges attributions militaires et d’ordre public ; enfin le nombre des gouvernements est fixé à 12 en 1559.
                            c. Des guerres de Religion à Richelieu.
                   Les guerres civiles rendirent aux gouverneurs leur ancienne indépendance. Ils parviennent à négocier l’étendue et le renouvellement de leurs fonctions. Ainsi se multiplient les dynasties de gouverneurs ; avec les troubles et l’insécurité politique parisienne, ces gouverneurs résident de plus en plus dans leur province, multiplient les attaches politiques dans leurs gouvernements, obtiennent la collaboration des forces politiques locales. Ce ne sont plus des vice-rois mais parfois de véritables souverains provinciaux qui se transmettent leurs pouvoirs d’une génération à l’autre : les Montmorency en Languedoc, les Condé en Picardie, les Guise en Bourgogne, etc. Assistés de conseils, ils publient des ordonnances, nomment les commandants des places fortes, renouvellent les municipalités, créent des juridictions… et même négocient avec les souverains étrangers.
                   Henri IV freinera ces abus mais ne pourra abattre les dynasties de gouverneurs. A la mort d’Henri IV, les oppositions reprennent pendant la régence de Marie de Médicis et même après la proclamation de majorité de Louis XIII. Sous les ministères Concini (1610-1617) et Luynes (1617-1621) une partie de la haute Noblesse s’insurge ; elle est défaite à la bataille de Ponts-de-Cé en 1620. Dans le même temps le marquis de La Force, gouverneur de Navarre-Béarn, véritable vice-roi depuis 1593 dans le Royaume d’Henri IV, mécontent de ce que Louis XIII (« roi de France et de Navarre ») prétendait réformer les deux cours souveraines locales, part en guerre contre le roi à la tête d’une armée protestante ; vaincu il est décapité à Bordeaux en 1621.
                   Richelieu entré au Conseil en 1624 parachèvera le travail.
                            d. De Richelieu à 1789.
A partir de Richelieu et surtout à partir du gouvernement personnel de Louis XIV (1661), les gouverneurs sont systématiquement abaissés.
. Ils sont concurrencés par les intendants dans toutes les matières administratives ;
. Ils sont assistés et contrôlés par des lieutenants généraux nommés par le roi ;
. le commandement des troupes leur échappe et passe à des commandants en chef.
Leurs charges sont devenues des sinécures ; le roi les attire à la cour. Ils représentent davantage la majesté que l’autorité royale.
 
                   Paragraphe 2. L’intendant
 
La nécessité d’inspecter les agents locaux devient urgente au XVIe siècle : l’inamovibilité des charges publiques limite les possibilités de choix des agents par le roi. Les gouverneurs ne sont pas assez dociles pour prendre cette responsabilité et leurs circonscriptions mal adaptées aux besoins modernes. Il faut confier cette fonction à d’autres agents, les intendants. Les erreurs commises avec les gouverneurs ont servi de leçon :
. Les commissions des intendants seront précises en ne donneront que des pouvoirs limités. Les intendants ne seront jamais des vice-rois.
.Les changements de poste seront fréquents afin d’éviter les constitutions de dynasties locales.
On peu distinguer six périodes.
 
                   A. Des origines à 1630
L’origine des intendants se trouve dans les tournées d’inspection des maîtres des requêtes. Ceux-ci servaient par quartiers, tantôt aux requêtes de l’hôtel du roi, tantôt au Conseil du roi, tantôt en chevauchée.
Voici leurs attributions telles qu’elles sont définies par un édit d’Henri II en 1553 :
. Attributions de justice : s’enquérir du zèle des officiers, recevoir les plaintes portées contre eux, enquêter sur les défauts de l’administration judiciaire.
. Attributions de police : s’enquérir sur le comportement des gens de guerre envers la population ; enquêter sur l’activité des prévôts des maréchaux en matière de criminalité des vagabonds, déserteurs ou autres « gens sans aveu ».
. Attributions financières : contrôler les finances des villes ; enquêter sur le comportement des collecteurs d’impôts et des fermiers des droits indirects.
. Attributions administratives : collaborer avec les responsables municipaux pour financer les opérations les plus coûteuses en matière de fortifications ou de voirie.
. Et parfois attributions militaires : logement, réquisitions, intendance.
Les grandes ordonnances de la fin du XVIe siècle insistent sur le caractère d’inspection (Moulins 1566, Blois 1579, etc.).
Mais il arrive que la commission générale d’inspection soit doublée par une commission particulière pour  effectuer une opération précise : faire enregistrer des lettres patentes, faire exécuter un arrêt du Conseil ou obliger les trésoriers de France à faire percevoir un impôt. C’est à ce type de commission que semble être attaché le terme d’intendant. Le terme a une forte connotation de gestion et de responsabilité : « intendant de justice », « intendant de finances », « intendant de justice à la suite des armées », etc. Le titre est variable. Il apparaît pour la première fois dans  la commission de Pierre Panisse, président de la Cour des aides de Montpellier, « chargé de l’intendance de la justice en l’isle de Corse ».
Les tournées d’inspection se poursuivent pendant une bonne partie du XVIe siècle. Le plus souvent il s’agit de commissions d’exécution étendues à des pans entiers  de l’administration mais jamais à cette époque à toute l’administration. Les parlements s’y opposeraient et la puissance des gouverneurs, encore forte à cette époque, l’empêcherait.
Ainsi  en 1625-1630 :
. On ne trouve pas des intendants partout ;
. Leur commission les autorise à enquêter et parfois à décider ;
. Ils n’interviennent que dans des domaines limités ;
. Ils sont fréquemment changés de poste.
 
                   B. Sous Richelieu et Mazarin
Sous le ministériat de Richelieu se produit une innovation capitale. Le gouvernement a besoin d’argent pour mener à bien une ambitieuse politique européenne. Or les impôts rentrent mal. La faute en est imputée à l’administration de Finances. Les officiers de finances, trésoriers de France, élus, receveurs généraux et particuliers, sont jugés inefficaces voire prévaricateurs : ils répartissent injustement et détournent les fonds. Plus généralement on leur reproche un respect excessif des formes et des procédures.
                   Pour remédier à ces défauts le gouvernement envoie en 1633 des commissaires dans les provinces pour « régaler », c’est-à-dire pour répartir également les impôts directs. Ces commissaires ne devaient plus seulement surveiller les officiers mais refaire leur travail. La mesure était exceptionnelle. Elle fut reprise en 1637 pour répartir un emprunt forcé sur les villes. Enfin un règlement du 22 août 1642 confie aux intendants l’essentiel de la répartition et de la surveillance de la taille et des « crues » avec ordre de taxer d’office les officiers, les « coqs de village » et les fermiers des seigneurs, c’est-à-dire les notables locaux. Les officiers de finances étaient réduits aux formalités.
         Les cours souveraines tentèrent de profiter de la mort de Louis XIII, la même année et de Richelieu l’année précédente, pour supprimer cette nouvelle administration des finances. Rien n’y fit et jusqu’à la Fronde Mazarin conserve le système.
         Une nouvelle administration était née : l’intendant n’est plus seulement inspecteur, contrôleur, redresseur et occasionnellement administrateur ; il est avant tout administrateur. Les pouvoirs de l’intendant sont de moins en moins fragmentaires et rassemblent de plus en plus souvent les pouvoirs compris dans les trois rubriques classiques de « justice », de « police » et de « finances » exercés concurremment avec les officiers ordinaires de justice, police et finances ; mais on a vu comment cette concurrence s’exerçait en matière de finances.
         Les compagnies d’officiers réagirent dans le cadre de la Fronde parlementaire : l’assemblée de la Chambre Saint-Louis tenue à Paris par les députés des cours souveraines en 1648 proposa la révocation de toutes les commissions non enregistrées et de ne maintenir les intendants que dans les provinces frontières. L’échec de la Fronde et le retour de Mazarin affermiront l’institution des intendants. En 1659 il y en avait à peu près partout. Mais on évita d’employer le titre d’intendant et Fouquet proposa celui de « commissaire départi pour l’exécution des ordres du roi ».
 
                  C. Du début du règne personnel de Louis XIV (1661) aux années difficiles 1679-1689.
Dès la fin de son ministériat Mazarin (et Colbert reprendra cette idée) voulait éviter de faire des « commissaires départis » des agents tout puissants ; on prend des précautions tout en rationalisant le système :
                   . Le cadre d’action de l’intendant est la généralité, circonscription financière. Les pouvoirs de l’intendant en cette matière expliquent le choix de cette division : plus importante que le bailliage, plus petite que le gouvernement, de la taille de deux ou trois départements actuels elle permet une administration efficace.
En 1789 on comptera :
                                      21 généralités en pays d’élection ;
                                         6        «              «      d’états ;
                                         9         «              «      d’imposition (provinces conquises)
                   . L’intendant reste peu en poste. Mazarin puis Colbert renonceront aux intendants tournants. En 1663 un projet voulait que chaque intendant fasse au cours de sa carrière le tour des généralités (25 à l’époque). Les intendants de la première moitié du règne de Louis XIV restent en poste :
                            4 ans 6 mois en pays d’élection ;
                            6 ans 9 mois pour les provinces nouvellement rattachées ;
                            9 ans 5 mois pour les pays d’états.
                   . Le roi ne veut pas d’une administration lourde : les intendants ne peuvent avoir que des agents (« subdélégués ») occasionnels et approuvés par le Conseil.
                   . Le roi enfin veut que les intendants évitent d’administrer à la place des officiers : ils doivent d’une part inspecter, contrôler et informer ; d’autre part stimuler les corps, compagnies, officiers, états et communautés. C’est la conception de Colbert et de Louvois.
Cependant à partir de 1688-1690 les difficultés de la politique européenne (Ligue d’Augsbourg et Succession d’Espagne) obligent à garder une forte armée sur pied de guerre ; les intendants sont de plus en plus chargés d’user de pouvoirs d’exécution.
 
                   D. De la fin du règne de Louis XIV à la mort de Fleury.
                            a. Les innovations
A partir de 1688-90 :
                   . La durée des commissions s’accroît :
                            5 ans 2 mois pour les généralités de pays d’élection ;
                            8 ans 3 mois pour les généralités de pays d’impositions ;
                             13 ans 3 mois pour les généralités de pays d’états.
- Le recrutement, relativement diversifié jusque-là est de plus en plus limité aux maîtres des requêtes.
- Les intendances s’organisent avec archives (jusque là, celles-ci étaient considérées comme papiers personnels) et bureaux. En 1710 l’intendance d’Alsace emploie :
                            1 secrétaire particulier pour la correspondance avec la Cour ;
                            1 secrétaire général pour les subsistances ;
                            3 commis spécialisés : 1 pour les requêtes, 1 pour la correspondance avec les baillis, 1 pour celle avec les villes, plus quelques dizaines de collaborateurs occasionnels.
- Les subdélégations se multiplient. Ces agents, les subdélégués, sont choisis par l’intendant qui délivre la lettre de commission. On en trouve de trois sortes :
                   . des subdélégués spéciaux et temporaires pour s’informer sur une affaire particulière et parfois pour juger ; c’est un officier judiciaire pour une instruction civile ou criminelle, un entrepreneur pour la réparation d’un pont, etc.
                   . des subdélégués « généraux », résidents et permanents, installés dans le cadre d’un bailliage ou d’une élection ; vers 1700 il y en a une trentaine dans la généralité de Moulins, une soixantaine dans celle de Bretagne ; ces subdélégués sont des magistrats, des lieutenants de bailliage ou de présidial, des conseillers au bailliage des prévôts, des élus, des receveurs des tailles, des notaires royaux, etc.
                   . des « subdélégués généraux en l’absence », remplaçant l’intendant contraint à de trop longues tournées d’inspection. La rémunération des subdélégués n’est pas prévue ; pas de problèmes pour les subdélégations temporaires payées à la vacation ; mais les subdélégués permanents finiront par se fatiguer d’autant que leurs fonctions sont très stables ; leurs fonctions seront érigées en office en 1704. Ces subdélégués deviennent en quelque sorte des vice-intendants mais l’intendant conservait la décision. Ces offices seront supprimés en 1715.
-         Leurs compétences s’affermissent.
                            b. Les compétences de l’intendant
Il faut distinguer selon les pays d’élection, d’état ou d’imposition.
                   - En pays d’élection :
Le principe est le suivant : tout ce qui concerne les finances et la justice ordinaire reste du ressort des officiers ; l’intendant ne peut agir qu’en cas de défaillance. Par contre s’il s’agit d’une matière extraordinaire (impôt nouveau, application de l’édit de Fontainebleau sur les protestants, création de manufactures, etc.) il est seul compétent. De même en cas de circonstances extraordinaires (révolte, disette, épidémie…) sous réserve de rendre compte au Conseil.
Soit comme administrateur, soit comme autorité de tutelle il peut donc intervenir partout :
. En matière de finances : l’intendant prépare la répartition de la taille et surveille sa perception ; de même pour la capitation, le dixième et le vingtième. S’il s’agit d’impôts indirects, affermés pour la plupart, il surveille l’administration des Fermes, au besoin l’aide ou la sanctionne, fait respecter les règlements établis en Conseil.
. En matière militaire, il surveille le recrutement, règle le passage des troupes (logement et vivres), exerce la police militaire, fait indemniser les victimes.
. En matière judiciaire il s’informe de l’état des sièges et de la situation des officiers ; surveille les gens du roi (procureurs et avocats généraux), veille sur les tarifs d’épices, etc. Il veille particulièrement à empêcher les cours de se saisir d’affaires pouvant mettre en cause l’autorité royale en matière d’administration générale (résistance aux arrêts du Conseil en matière de justice et de finance) ou d’ordre public (haute police) : dans ces cas il juge directement entouré d’un conseil.
. En matière de police, il veille à la sécurité et à la salubrité, surveille vagabonds et gens sans aveu, hôpitaux et prisons, règlemente en matière de fêtes.
         . Enfin en matière d’administration générale il reste l’organe d’impulsion de l’administration royale : circulation (voirie, postes, messageries), économie (manufactures, agriculture….). Dans tous ces domaines il est un agent d’information (enquêtes et statistiques).
                   -En pays d’état, l’intendant s’occupe surtout des affaires extraordinaires. Il arrive même qu’il fasse passer les affaires extraordinaires aux états (ex. la capitation en Bretagne). Il n’intervient que si les circonstances sont exceptionnelles.
                   -En pays d’imposition (provinces nouvellement rattachées) : l’intendant se borne à surveiller le fonctionnement des institutions en place et à ne pas heurter les particularismes. Par contre sa tâche en matière militaire est absorbante.
 
Ces caractéristiques qui apparaissent dans les années 1688-90 ne subissent guère de modifications jusqu’au milieu du XVIIIème siècle. D’un côté on veut éviter, autant que possible d’empiéter sur les fonctions des officiers, mais d’autre part l’accroissement de la nouvelle fiscalité (capitation, dixième, vingtième) et la grande puissance de la Ferme générale font de l’intendant en pays d’élection l’homme à tout faire de la province.
A partir de 1740-1750, l’institution subit plusieurs transformations.
 
                   E. Du milieu du XVIIIème siècle à 1789.
Ces transformations sont réalisées sous l’effet :
                   . De la critique des officiers et surtout des cours souveraines : ces critiques sont déjà anciennes mais elles se sont atténuées sous Louis XIV ; elles reprennent vigueur sous la Régence et s’accroissent tout au long du règne de Louis XV. La critique des commissaires n’est qu’un aspect particulier de la critique de l’exercice absolutiste du pouvoir.
                   . De la surcharge d’activités des intendants (surtout en pays d’élection) : nouveaux impôts, multiplication des travaux publics, interventions économiques, etc. Elles ont pour conséquences :
-         la consolidation et la multiplication des subdélégations (65 par exemple en Provence entre 1770 et 1790) ;
-         le développement des bureaux, désormais très hiérarchisés et spécialisés. Les fonctions sont bien rémunérées et très recherchées ;
-         et surtout il semblerait que de plus en plus, à la différence de l’époque précédente, l’intendant distingue le service du roi et celui de la province. L’intendant plaide de plus en plus les intérêts de sa province, sollicite l’intervention des forces politiques provinciales (cours, corps de métiers…), comme Tourny intendant à Bordeaux, et engage de grandes politiques de travaux publics, comme Turgot intendant en Limousin.
-         Tout cela est devenu possible parce que l’intendant s’est enraciné. La fonction est devenue stable : ainsi sur les 68 intendants du règne de Louis XVI :
                            29 restèrent au même poste moins de 10 ans
                            24    «                  «                plus   de 20 ans
                            13    «                   «               plus   de 25 ans
                              7    «                   «                              30 ans
                              2     «                   «                             40 ans
En outre il y a dans certains cas hérédité de fait : 15 intendants étaient fils d’intendants.
         Des dynasties d’intendants sont en voie de formation : ainsi les Bertier de Sauvigny à Paris, les Rouillé d’Orfeuil à Châlons, etc. Enfin il n’est pas rare que l’intendant de la province soit originaire d’une famille de cette province comme Gallois de la Tour, intendant de Provence, successeur de son père, et descendant d’une ancienne famille provençale. C’est à propos d’une telle situation que l’archevêque d’Aix était fondé à dire lors de l’ouverture des Etats de Provence le 31 décembre 1787 : « L’homme du roi est devenu celui de la province ».
La remontée des pouvoirs locaux tout au long du règne de Louis XV explique ce changement d’attitude. Là encore la réforme de 1787 prendra acte de ces transformations.
 
 
                   Elle est connue sous l’appellation de « réforme des assemblées provinciales » ; elle porte en fait sur la réorganisation de toute l’administration territoriale, des communes aux provinces. L’édit porte la date de son enregistrement au Parlement de Paris : juin 1787, plus précisément 22 juin. Les autres parlements enregistrent , sauf quelques uns qui restent hostiles, dans les semaines qui suivent.
                   Il s’agit d’une réforme mal connue, victime du préjugé général qui consiste à faire commencer l’histoire à 1789.
                   C’est en fait une réforme fondamentale parce que :
                            . Elle apparaît comme une refonte de l’administration traditionnelle réalisée à partir des matériaux fournis par le droit public de la France depuis le moyen âge ;
                            . Les réformes qui suivent lui sont directement rattachées ;
                            . Elle permet de comprendre un des mécanismes essentiels du processus révolutionnaire.
Il s’agit donc d’une réformation profonde de l’administration territoriale ; on veut :
                   * établir des représentations locales là où il n’y a pas ou plus d’états provinciaux.
                   * reconnaître dans le cadre d’une réforme de grande ampleur, le mouvement d’émancipation des communautés rurales.
La réforme se trouve ainsi à la convergence de plusieurs lignes de force :
-         volonté de rationaliser l’administration territoriale et de mettre fin à la complexité traditionnelle ;
-         volonté de généraliser les procédures de représentation ;
-         volonté de régénérer l’administration territoriale en renouant de façon moderne, avec les principes de la monarchie médiévale.
                   Plusieurs courants de pensée sous-tendent la genèse de la réforme :
                   . Un courant régionaliste ou provincialisant qui vise à défendre les privilèges des provinces ; il est très vif dans les provinces à forte personnalité ; c’est pour celles-ci l’occasion, à partir de 1750-70, d’affirmer encore davantage leur personnalité.
                   . Un courant rationaliste qui déplore la complexité de l’administration traditionnelle. Ces préoccupations d’harmonisations sont présentes dès 1730-1740 chez le marquis d’Argenson (« Considérations sur le gouvernement de la France ») ou dans la réforme municipale du contrôleur général L’Averdy (1764) ou encore dans la réforme de Maupeou sur le découpage des ressorts des Parlements (1770) ;
                   . Un courant participatif qui voudrait généraliser les organes de représentation à tous les niveaux. Il est représenté par Dupont de Nemours et Turgot qui rédigent en 1775 un « Mémoire sur les Municipalités », terme générique emprunté à l’administration romaine et suggérant la participation des citoyens à la chose publique à tous les niveaux (« munera capere » = prendre en charge) : à la base on trouve des municipalités de village ou de ville, élues sur une base censitaire (cf. physiocrates), puis des municipalités de districts, ou d’élection, ou d’arrondissement, composées de délégués du degré inférieur, puis des municipalités de province composées de députés du degré inférieur. Au sommet une « municipalité générale du Royaume » remplacerait les Etats généraux.
                   . Un courant politique qui désire contrebalancer le pouvoir des parlements en généralisant les pouvoirs de représentation, et en mettant fin au blocage parlementaire. Ce courant politique préfère également généraliser les représentations plutôt que de convoquer les Etats généraux, vieille machinerie plus convoquée depuis 1614, mal représentative et très grippée. L’importance de ce courant, représentée par Louis XVI et par Loménie de Brienne, le promoteur de la réforme, fera la décision.
 
                   Ces assemblées locales apparaissent donc comme la généralisation de certaines pratiques représentatives plus ou moins nettes qu’on peut trouver dans quelques pays d’états et aussi comme le produit d’une large innovation. La réforme se contente de définir les lignes générales :
                            Etagement des structures ;
                            Autonomie des compétences ;
                            Tutelle du pouvoir ;
                            Election au suffrage direct à la base ;
                            Respect de la tripartition par ordres (Noblesse, Clergé, Tiers-État).
Des règlements particuliers pour chaque province et chaque ville aménagent les cadres généraux. (Paragraphe 1. L’organisation générale).
                   Leur mise en place sera laborieuse (de l’été 87 à l’été 88). C’est là un aspect essentiel de la partie politique que joue le pouvoir dans l’application des réformes administratives et fiscales.
Deux conséquences :
                   x blocages des parlements et crispation accrue de la vie politique ;
                   x effervescence politique à l’occasion de l’installation des nouvelles assemblées et politisation accrue.
Alors que le gouvernement pensait que la réforme débloquerait l’action réformatrice et permettrait de faire une « révolution » à froid, la transformation va au contraire considérablement échauffer le climat politique.
Le départ de Loménie de Brienne et l’arrivée de Necker (août 1788) correspondent à un changement de politique : la mise en œuvre de la réforme est arrêtée ; il faut faire des choix à court terme ; les Etats généraux sont convoqués. Désormais c’est là-dessus que se reporte toute la vie politique. (Paragraphe 2. Les interférences prérévolutionnaires).
 
                  Paragraphe 1. L’organisation générale.
 
Dominée par le double souci de rationaliser l’organisation territoriale et de généraliser les représentations, la réforme emprunte autant :        aux pratiques traditionnelles,
                                                                           qu’aux innovations récentes.
                   x S’agissant des pratiques traditionnelles : elles donnent à certaines provinces la possibilité de gérer directement l’essentiel de leurs affaires et de participer à l’établissement des impôts (pays d’états). L’exemple du Languedoc considéré à ce titre comme province modèle montrait jusqu’où on pouvait aller dans le sens des pouvoirs provinciaux et de l’autonomie.
                   x S’agissant des innovations récentes :
En 1778, Louis XVI avait demandé à Necker d’installer à titre expérimental une assemblée provinciale en Berry (province préférée pour Louis XVI qui était resté duc de Berry jusqu’en 1774).
Quelques autres expériences suivirent, d’ailleurs pas toutes couronnées de succès (opposition du Parlement de Paris et des intendants concernés).
Mais ces expériences sont importantes car la réforme reprendra beaucoup de traits de ces assemblées : étagement des structures de la paroisse à la province, élection, doublement du Tiers Etat.  
                                                                          
                   A. Les structures.
Caractéristique générale : système d’assemblées élémentaires les unes des autres : à la base, la paroisse ou la ville, au sommet la province, entre les deux un degré intermédiaire variable selon les provinces. Le choix des administrateurs se fait par élection (b).
Mais si la volonté de rationaliser est évidente, la réforme de 1787 ne procède pas à un découpage nouveau des circonscriptions territoriales ; elle ne concerne pas non plus les pays d’états. Il faut donc d’abord voir comment est conçu l’aménagement territorial (a).
                   a. L’aménagement territorial.
La réforme concerne donc avant tout les pays d’élections ou certains pays d’états ayant perdu leurs représentations depuis longtemps :
. La création porte sur environ 25 assemblées provinciales. La règle : une assemblée par province, ce qui donne des circonscriptions parfois très différentes (grandes comme la Champagne, le Dauphiné ou la Gascogne, petites comme le Lyonnais). Exceptionnellement certaines regroupent deux provinces.
La province se définissant avant tout par une unité coutumière en diverses matières, elle constitue donc une unité territoriale réelle. La réforme ne fait que prendre en compte cette réalité dans les pays sans états.
. Au niveau intermédiaire les circonscriptions varient selon les provinces, les unes correspondent à nos arrondissements les autres à nos départements. La terminologie n’est pas uniforme : « arrondissements », « districts », « élections », « départements ».
. A la base, paroisses et villes, correspondent (sauf rares exceptions) aux circonscriptions actuelles.
Au total un découpage qui prend en compte les réalités territoriales.
En mai 1788 sont en place 28 assemblées provinciales ( 10 assemblées d’états).
 
                   b. L’organisation des pouvoirs.
Voyons pour chaque niveau :
                   * A la base.
                            - Les villes et bourgs murés conservent leur administration traditionnelle ; ils sont peu concernés par la réforme.
                            - Par contre au niveau paroissial, pour les communautés rurales, l’apport est immense. Il met un point final à la lente émancipation de ces communautés en établissant une assemblée représentative pour tous les villages n’en n’ayant aucune (reconnue officiellement et réglée s’entend).
Le système : une assemblée composée du seigneur, du curé et de délégués élus (forcément originaires du Tiers Etat). Le respect de la représentation des ordres est limité à la présence du seigneur et du curé.
La présence du curé est liée à l’ascension progressive du personnage au sein de la communauté rurale, celle-ci résultant de la mise en place pendant tout le XVIIème siècle des réformes du Concile de Trente (surveillance épiscopale, formation théologique…). Elle aurait été encore impensable au début du XVIIIème siècle.
La réforme contribue en outre à abaisser le seigneur en reconnaissant officiellement la communauté villageoise.
Un agent d’exécution des décisions est prévu : le syndic. Il est pris normalement parmi les membres élus (donc du Tiers).
Ce niveau assure donc une très nette prééminence au Tiers, mais le seigneur est président de droit (Rotation annuelle en cas de coseigneurie).
                   * Au niveau intermédiaire.
. Membres élus par les assemblées de ville et de paroisse et choisis en leur sein ;
. Distinction des trois ordres ;
.Mais doublement du Tiers et vote par tête ;
. Mise en place d’une « Commission intermédiaire » entre les sessions pour appliquer les décisions prises par l’assemblée pendant ses sessions. L’exécution appartient à deux syndics élus : un privilégié et un du Tiers.
                   * Au niveau provincial.
Les membres sont élus parmi les membres des assemblées intermédiaires. Ces assemblées provinciales fonctionnent sur les mêmes principes que les assemblées intermédiaires : doublement du Tiers, commission intermédiaire, etc.
Enfin, l’application du système électif est partiellement reportée. En 1787-88 l’élection ne jouera que pour les assemblées de village. Les assemblées intermédiaires et provinciales seront en partie nommées par le roi et en parties cooptées.
 
                   B. Les compétences.
Elles sont considérables tant en matière fiscale qu’en ce qui concerne l’emploi des fonds collectés : maîtresses de leurs finances, ces assemblées peuvent donc faire ce qu’elles estiment nécessaire à leur communauté ou à leur province.
Ainsi l’autonomie est nettement affirmée (a) : mais les risques de mauvaise gestion et de sécession sont prévenus par deux moyens : le contrôle de l’assemblée supérieure sur l’assemblée inférieure et la présence de l’intendant (b).
                   a. Le principe de l’autonomie.
Les administrations locales assurent deux fonctions :
-         une fonction de proposition (« doléances ») ;
-         une fonction de consentement à l’impôt et de contrôle de l’emploi des fonds.
(Ce sont traditionnellement les attributions de toute assemblée représentative nationale ou provinciale).
La seconde fonction nous intéresse davantage que la première : les assemblées locales assurent de proche en proche la répartition des impôts et surveillent l’emploi des fonds : article 2. de l’édit de juin 1787 : « Les dites assemblées provinciales seront par elles-mêmes, ou par les assemblées ou commissions intermédiaires qui leurs seront subordonnées, chargées, sous notre autorité et celle de notre Conseil, de la répartition et assiette de toutes les impositions foncières et personnelles, tant de celles dont le produit doit être porté au Trésor royal que de celles qui auront lieu pour chemins, ouvrages publics, indemnités, encouragements, réparations d’églises et de presbytères, et autres dépenses quelconques, propres audites provinces, ou aux districts et communautés qui en dépendent .
Voulons que lesdites dépenses, soit qu’elles soient communes aux provinces, soit particulières aux districts ou communautés, soient suivant leur nature, délibérées ou suivies, approuvées ou surveillées par les assemblées provinciales ou par les assemblées qui leur seront subordonnées, leur attribuant, sous notre autorité et surveillance ainsi qu’il sera par nous déterminé tous les pouvoirs nécessaires ».
Autrement dit :
L’assemblée provinciale définit l’assiette de l’impôt et le répartit entre les assemblées du degré intermédiaire, qui répartissent entre les communautés ; celles-ci assurent la perception, gardent une partie de l’impôt, donnent le reste au degré intermédiaire, qui fait de même et transmet le reste à l’assemblée provinciale. Celle-ci en conserve une partie et donne le reste au Trésor selon le système du « don gratuit ».  Les fonds peuvent être employés :
                   . pour les travaux publics ;
                   . pour les dépenses de fonctionnement des assemblées ;
                   . pour les indemnités à verser aux agents, pensionnés…
Les assemblées contrôlent l’emploi des fonds. En bref c’est le système des états provinciaux étendu à la France entière :
-         retrait de l’administration royale de quelques domaines, où elle s’était très avancée depuis deux siècles.
-         maintien des compétences locales en matière d’intérêts locaux.
 
Il faut enfin bien noter qu’il s’agit uniquement des fonctions des assemblées représentatives : protester, consentir l’impôt, employer les fonds… en bref administrer, mais pas règlementer. Ce pouvoir qui appartient au roi est délégué à d’autres autorités : cours de justice, tribunaux, seigneurs, officiers et commissaires.
                   b. La mesure de l’autonomie.
Des pouvoirs aussi considérables ne peuvent être assurés sans contrôle. Trois organes peuvent intervenir :
                   * L’assemblée provinciale a la charge de surveiller les actions des assemblées subordonnées, puisque apparemment c’est elle qui définit les grandes options.
                   * L’intendant est toujours présent. Les textes n’en parlent pas ; il est certain que ces créations limitent considérablement se possibilités d’intervention. Sa situation se rapproche désormais de celle des intendants des pays d’état ; son intervention peut apparaître alors exceptionnelle. Il lui suffit de le faire auprès de l’assemblée provinciale.
                   * Que devient la cour souveraine dont dépend la province ? Elle peut intervenir par voie règlementaire ou judiciaire et obliger les assemblées à l’écouter… à la réserve près que les assemblées étant élues, elles risquent d’avoir l’appui de l’opinion locale. C’est ce que les parlements craignent. Dans les pays d’Etat, le « modus vivendi » était trouvé depuis longtemps : représentation et fiscalité pour les assemblées, justice et réglementation pour les cours. Les nouvelles créations, dans des ressorts où les parlements avaient pris l’habitude de tout faire, représenter, se plaindre, juger, règlementer, apparaissaient comme des pouvoir concurrents.
 
                   Paragraphe 2. Les interférences pré-révolutionnaires
 
Dans l’ensemble de réformes lancées à partir de 1760-1770 pour réorganiser la fiscalité et l’administration, l’édit de juin 87 occupe une place importante.
La réussite de la réforme devait en effet permettre d’une part la mise en œuvre de la réforme fiscale (impôt de quotité fondé sur le revenu foncier) et d’autre part de contrebalancer le pouvoir des parlements. Dans l’esprit des promoteurs de la réforme, les assemblées provinciales auraient pu même servir de base à une régénération de la représentation nationale (Les projets du pouvoir A).
Mais la mise en place des nouvelles structures se fit dans un climat politique troublé. Elle servit à alimenter la surenchère des cours qui défendaient les privilèges traditionnels des provinces et craignaient de se voir retirer leurs compétences en matière fiscale. Mais l’application aurait été menée à son terme si des événements décisifs survenus en mai et juin 1788 n’en avaient décidé autrement (Les difficultés du pouvoir B).
                   A. Les projets du pouvoir.
Pour le pouvoir il ne s’agit pas seulement de raviver la vie politique (dans les pays d’élection surtout) par la généralisation des représentations (a). Le pouvoir poursuit également deux objectifs politiques ; la réforme est un moyen pour y parvenir.
. Le premier de ces objectifs est très visible : il vise à terme à réformer entièrement les mécanismes de convocation des Etats généraux et à établir une représentation nationale sur la base des assemblées provinciales (b).
 
                   a. La réactivation des représentations locales.
On estimait généralement au XVIIIème siècle que l’administration territoriale du Royaume comportait deux défauts majeurs :
                            * L’un tenait à la toute puissance des parlements qui cumulaient très souvent les fonctions de « défense » et de « représentation ». Or cette « aristocratie de magistrats » (Noblesse de grande robe) compétente pour vérifier les lois et protéger la constitution coutumière, la fonction de « défense » était mal placée pour bien assurer la seconde fonction, la fonction de « représentation ».
                            * L’autre tenait à la toute puissance des intendants, agents du pouvoir à qui on demande non seulement d’intervenir au nom du roi, mais encore de représenter les intérêts de la province. Ce sont là deux réalités complémentaires, non exclusives l’une de l’autre.
La fonction de représentation se trouve donc largement sclérosée :
. soit assurée par des organes dont les procédures de nomination ne sont pas propres à leur permettre d’assurer cette fonction (Parlements).
. soit assurée en pays d’états, par des assembles peu représentatives de la province, réunies en ordres (la distinction en ordres reste une base fondamentale du droit public) ; parfois on y sur représente les deux premiers ordres, parfois on y on sur représente le Tiers (Provence). Dans tous les cas les procédures électorales sont diverses, complexes et sclérosées.
Ce mauvais fonctionnement de la fonction de représentation facilite toutes les oppositions. Il y a toujours un intérêt qui pousse au blocage : c’est très net en matière fiscale.
Le magistrat confond ses intérêts de corps avec ceux de la Nation ou de la province. Le bourgeois du Tiers confond ses intérêts de Notable avec ceux de son ordre etc…
 
                   La réforme des représentations locales peut aboutir à terme à faciliter l’application des réformes en général et à décharger les pouvoirs de plusieurs fonctions. C’est du moins ce qu’il espère.
                            b. La régénération de la représentation nationale.
La dernière convocation des Etats généraux remonte à 1614. C’est-à-dire une époque où la structure organique de la Nation était encore proche de ses origines médiévales et encore très vivantes (ordres ou corps). Or n’oublions pas que « représenter » revient à défendre des intérêts de groupe, de corps (métiers, villes, ordres…) ; la représentation nationale est à l’époque une juxtaposition de ces représentations d’intérêts particuliers (mais pas individuels).
A la fin du XVIIIème siècle personne ne pense qu’on puisse réunir les Etats généraux sur les bases de ceux de 1614 ; trop de choses ont évolué ; deux solutions se présentent :
                   * soit réformer les procédures en les réadaptant aux nouvelles réalités des corps et ordres (doubler le Tiers par exemple) ; c’est ce qui se fera ;
                   * soit régénérer la représentation en changeant complètement la procédure.
C’est l’idée déjà développée par quelques physiocrates (Dupont de Nemours, Turgot…) qui voulaient généraliser les représentations locales et les couronner par une représentation générale.
Un auteur anonyme disait parlant de cette possibilité : « Les assemblées provinciales devenues les états de chaque province et les Etats généraux devenus périodiques deviendront dans l’ordre de l’administration ce que les parlement sont dans l’ordre de la législation ».
Loménie de Brienne, promoteur de la réforme –c’est pour cela qu’il a été appelé au ministère au printemps 1788- partage ce point de vue, mais de façon plus politique :
Il est d’abord défavorable à une convocation rapprochée des Etats : « Cette résolution, explique t-il, sera l’époque d’une dissension dans les trois ordres et d’un trouble sans remède dans tout l’Etat ». Il convient donc de préparer les conditions d’une réunion fructueuse ; les assemblées provinciales en sont un élément important ; il projetait la « constitution d’une chambre basse composée de députés propriétaires élus par les assemblées provinciales quand les administrateurs des Etats de province auraient opéré l’éducation politique d’un peuple jusque-là étranger aux affaires publiques ».
Tel est donc le premier élément de ce projet capital.
Le second élément (la chambre haute) sera mis en place par l’édit de mai 1788 « rétablissement de la Cour plénière » : il s’agissait de rassembler dans un super parlement, l’ensemble des magistrats de la Grand Chambre du Parlement de Paris (40 membres environ), des représentants des cours de province (une vingtaine de députés), les princes du sang et les pairs de France (au nombre d’une quarantaine) tous membres de droit et enfin une quarantaine de membres choisis par le roi parmi les conseillers d’Etat, les maréchaux, les maîtres des requêtes, etc. Le roi présidait ; les membres étaient inamovibles. La cour avait pour fonction d’enregistrer les lois et de juger les magistrats des cours (en bref les fonctions des parlements transférées à une cour unique).
                            B. Les difficultés du pouvoir.
 
Elles tournent toutes autour des résistances parlementaires au mouvement de réforme administrative, fiscale et judiciaire et des mouvements d’opinion qu’elle suscite.
Mais il faut distinguer deux étapes :
         . de juin 87 à mai 88 le ministère Loménie de Brienne met progressivement en place les assemblées provinciales dans un climat de relative collaboration avec les parlements ; seules certaines provinces soulèveront quelques difficultés (L’accueil de la Réforme : a).
. à partir de mai 1788, la position des parlements se durcit soudainement, à l’annonce de la refonte du système judiciaire et surtout de la création de la Cour plénière, chargée de l’enregistrement unique des lois générales et de la surveillance des parlements. La conjoncture politique devient alors très défavorable ; Louis XVI renvoie Loménie de Brienne et appelle Necker pour faire une autre politique (Le changement de politique : b).
                   a. L’accueil de la réforme.
Le Parlement de Paris a enregistré l’édit dès le 22 juin. Sa réaction a été positive et a créé un climat favorable. L’accueil est bon, sinon excellent, dans les milieux intellectuels et réformistes… dont Loménie de Brienne faisait partie. L’ opinion publique elle aussi paraît favorable. Les ordres privilégiés sont partagés.
         Des élections ont alors lieu dans les communautés rurales.
Le pouvoir choisit la moitié des représentants des assemblées provinciales ; le reste est coopté. Elections, cooptations, nominations suscitent peu de remous. Les assemblées provinciales commencent à fonctionner ; les commissions intermédiaires se mettent en place.
Mais les courants les plus provincialistes veillent : ils vont faire la critique de ces institutions accusées de faire peu de cas des privilèges locaux. Plusieurs parlements, réticents ou méfiants, refusent d’enregistrer. Loménie de Brienne trouve un compromis en promettant qu’on ne toucherait pas aux privilèges des pays d’états et qu’on se contenterait de proroger les impôts existants (vingtièmes) sans refonte totale.
                   b. Le changement de politique.
Le changement de politique en matière d’administration territoriale provient non pas des difficultés de la réforme des assemblées provinciales elle-même mais de la dégradation du climat politique qui suit la publication des édits de mai 1788.
Cette fois-ci Brienne va éprouver les pires difficultés à implanter les grands bailliages créés par cette réforme judiciaire (cours d’appel entre présidiaux et parlements) et à former la Cour plénière.
Après des échauffourées à Rennes et à Grenoble (Journée des tuiles) l’échec des édits de mai paraît évident dès le mois de juillet ; fin août Necker remplace Brienne, choisi pour faire une autre politique désormais toute entière tournée vers une convocation rapprochée des Etats généraux.
Face à la résistance, des cours et de certains privilégiés, Louis XVI choisit en effet de changer de tactique et de convoquer les Etats généraux pour le printemps 89 afin de faire avaliser l’ensemble des réformes. Necker déjà ministre au début du règne a assez de crédit pour y parvenir.
Mais la tâche est telle que dans l’attente tout remous doit être évité :
                   *premier aspect. Les réformes sont suspendues ; les assemblées provinciales sont mises en sommeil ; on ne cherchera pas à les utiliser comme intermédiaire pour former les Etats généraux ; mais, alors que dans les réunions précédentes d’Etats généraux, les états provinciaux pouvaient députer directement (ces députés siégeaient comme mandataires des états de leur province), le règlement électoral du 24 janvier 1789 écarte cette possibilité.
                   * second aspect. Le règlement électoral du 24 janvier 1789 transforme les procédures traditionnelles de convocation en individualisant le droit de suffrage. Le mécanisme est le suivant :
Circonscription de base : le bailliage (la province n’est pas prise en compte), aucune assemblée particulière ne députant directement.
Les élections dans les bailliages sont très largement individualisées et représentatives : en d’autres termes on est mandaté par les électeurs de tel ordre de tel bailliage alors qu’autrefois on était mandaté par les électeurs de tel métier, telle ville, telle province, tel ordre.
En résumé : le règlement du 24 janvier ne prend plus directement en compte les réalités organiques du Royaume mais considère que la Nation est une juxtaposition d’individus regroupés dans trois ordres différents. En ce sens le règlement électoral est déjà une révolution qu’il suffira de poursuivre par la suppression des ordres.
 
Pour conclure : ce règlement électoral exclut toute représentation organique, particulièrement provinciale, comme cela était pratiqué antérieurement. Il scelle la fin des provinces et porte en germe le principe d’unité et d’indivisibilité du territoire qui triomphera quelques mois plus tard.

 

 

 

 

                       

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 -