Eglise de Saint-Martin. Acte de 1028
 
 
La donation de l’église Saint-Martin, près du Var,
à l’Abbaye de Saint-Pons au début du XIe siècle
 
 Texte et commentaire
 
 
Pour citer : Michel Bottin, La donation de l’église Saint-Martin, près du Var, à l’Abbaye de Saint-Pons au début du XIe siècle. Texte et commentaire, www.michel-bottin.com, mise en ligne mars 2011.
 
c. 1028
         jubet enim auctoritas ecclesiastica et in lege consistit romana, ut qui rem suam tranfundere vuluerit in qualicumque potestate, per paginam testamenti eam infundat, ut omni tempore soluta, quieta permaneat. quapropter ego gisbernus et uxor mea adalaixi et fratres mei johannes, bermundus presbiter, et petrus, et uxor sua et filii eorum, cogitamus de animabus nostris, ut mereamur illam vocem benignam quam dominus dicturus est : « venite benedicti patris mei, percipite regnum quod vobis paratum est ab origine mundi » ; et ut gloriosissimus christi martir pontius intercedat pro nobis ad dominum domimum nostrum, ut nobis dominus ampliare dignetur honores ; et com de hac vita migraturi erimus, suscipi mereamur inter angelos et omnes fideles, pro ipso amore donamus domino deo et ad sacrum monasterium sancti poncii martiris, qui fuit constructus a piissimo karolo rege francorum ac longobardorum, seu patricio romanorum, in comitiatu niciensi, juxta antiqua urbe chimella super fluvium pallionis, donamus ad supratictum monasterium ecclesiam sancti martini qui est subtus castrum qui nominant rocheta, juxta fluvium varis, cum omnibus sibi pertinentibus, in terris, campis, silvis, vineis, pratis, pascuis, arboribus fructiferis et infructiferis, molendinis, aquarumque cum decursibus eorum, et quocumque ibidem pertinere legitime et esse videtur, sicut antea non donatores dicemus et terminavimus. sane, si quis forte ulla persona contra hanc donationem ulla calumnia inferre voluerit, non vindicet, sed in ira  dei omnipotentis incurrat, et cum datan et abiron et juda traditore sit damnatus et sepultus in infernum ; et postea hec donatio recte et honorifice etiam permaneat in sempiternum. facta carta helemosinaria ista in ista ecclesia sancti martini episcopi, ubi dominus bertrannus abbas esse preveditur.
 
Traduction
 
         L’autorité ecclésiastique ordonne et la loi romaine établit que celui qui veut transmettre son bien à un quelconque pouvoir doit le faire par testament afin que, le temps passant, la sûreté soit assurée. C’est pourquoi, moi Gisbernus et mon épouse Adalaixe ainsi que mes frères, Jean, Bermond, prêtre, et Pierre, ainsi que son épouse et leurs fils, tous préoccupés par le salut de nos âmes et afin que nous méritions d’accueillir cette parole généreuse de notre Seigneur : « Venez les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé depuis l’origine du monde » ; et afin que Pons, le très glorieux martyr du Christ, intercède pour nous auprès de notre Seigneur et que nous soyons jugés dignes par le Seigneur d’exercer des fonctions  plus importantes; et afin que lorsque nous quitterons cette vie nous méritions d’être élevés parmi les anges et les fidèles pour l’amour que nous avons donné  à notre Dieu et au sacré monastère de saint Pons martyr, établi par le très pieux Charles, roi des Francs et des Lombards et patrice des Romains, dans le comté de Nice, à côté de l’antique cité de Cimiez située au dessus du fleuve Paillon, nous donnons audit monastère l’église de Saint-Martin, qui est située au dessous du château qu’on nomme La Roquette, près du fleuve Var, avec toutes ses dépendances en terres, champs, forêts, vignes, près, pâturages, arbres fruitiers et autres arbres, moulins avec leurs adductions d’eau, et tout ce qui peut paraître légitimement appartenir à cette église de façon à ce que nous n’ayons pas à définir ni à déterminer ce qui ne l’a pas été jusque là. En tout état de cause, si d’aventure quelqu’un soulevait une opposition calomnieuse contre cette donation, ce ne serait pas l’affaire du juge, mais il encourrait la colère de Dieu et comme Datan, Abiron et le traître Judas, qu’il soit damné et jeté en enfer. Et qu’ainsi cette donation demeure pour toujours. Cet acte de bienfaisance a été passé dans cette même église de saint Martin évêque où l’abbé Bertrannus a déjà donné son consentement.
 
Commentaire
 
         Ce texte est extrait du chartrier de l’Abbaye de Saint-Pons hors les murs de Nice, publié par Eugène Caïs de Pierlas en 1903.  Daté de 1028, il est un des plus anciens documents du haut moyen âge dans la région niçoise.
         Il s’agit de la donation de l’église de Saint-Martin située au bord du Var, au dessous du « castrum » de La Roquette, par une puissante famille de la région : Gisbernus et son épouse Adalaixe, ses frères, Jean, Bermond, prêtre, et Pierre, ainsi que l’épouse de ce dernier et leurs fils. La donation est faite à l’abbaye de Saint-Pons, en présence de son abbé Bertrand. On y rappelle la fondation de l’abbaye par Charlemagne, « rege Francorum ac Longobardorum, seu patricio Romanorum ».
        Ce qu’on ne précise pas, c’est que les biens de cette abbaye, puissamment et richement dotée, ont été usurpés par les pouvoirs laïcs au Xe siècle dans le contexte des troubles qui accompagnent les incursions des Sarrasins, puis récupérés à la fin de ce siècle par les fidèles du comte de Provence, Guillaume I dit le Libérateur, victorieux de ces envahisseurs et restaurateur de l’ordre public. Cette situation nouvelle permet de refonder l’abbaye dans ses fonctions et dans ses moyens. Cela passe par une restitution des biens sous forme de donations. Celle-ci est une des premières. D’autres suivront. Il apparaît clairement à ces puissants que leurs possessions sont souvent des biens usurpés et qu’il convient de les restituer, surtout lorsqu’ils ont une nature ecclésiastique. Il y va, ainsi que les donateurs le disent dans l’acte, du salut de leur âme. Les commentateurs modernes de ce type de donation expliquent l’attitude des donateurs par les craintes de fin du monde suscitées par l’an Mille. Mais on est ici près de trente ans après et rien dans le texte ne permet de soutenir cette explication. Voyons plutôt dans cette attitude une conséquence d’un regain de la foi et d’un essor des ordres monastiques décidés à écarter la puissance des laïcs dans l’église. Nous sommes, il ne faut pas l’oublier, au début de cette révolution spirituelle qu’on appelle la « réforme grégorienne ».
         Cette donation porte sur une église placée sous la protection de saint Martin évêque de Tours, mort en 397 et considéré comme « l’apôtre des Gaules » en raison de son activité en faveur de l’évangélisation des campagnes. Il est impossible de dire si cette église est une création de l’Abbaye de Saint-Pons, donc postérieure au IXe siècle, ou antérieure à cette abbaye. Cette église est située au bord du Var, « juxta fluvium Varis ». Il ne s’agit pas de l’église actuelle placée sous le patronage de saint Roch. Celle-ci a été construite au milieu du XVIIIe siècle en remplacement de l’église dont il est question ici, détruite, ou très fortement endommagée, par une série de crues du Var. Le plan de Cantu et Durieu de 1759 la situe à proximité de l’actuel hôtel de ville.
         La donation porte également sur les dépendances de l’église. L’acte ne fournit aucune localisation ni inventaire précis. Les donateurs sont dans l’impossibilité de fournir des documents. On le comprend. Les pillages des Sarrasins et de leurs complices ont duré plusieurs années. Il ne reste plus un seul document dans les archives. Le premier acte du chartrier de Saint-Pons est de 999. Cette incertitude peut évidement donner lieu à des contestations. Les donateurs en sont conscients. C’est pourquoi ils promettent les pires châtiments à ceux qui tenteraient de remettre en cause la donation. Pas ceux de la justice de hommes, mais celui que la justice divine a réservé à Datan et Abiron, ces prêtres orgueilleux engloutis par Dieu dans les entrailles de la terre.
          Les dépendances de l’église ne sont donc pas précisées. Il s’agit de vignes, de près, de vergers, de champs, de bois et aussi de moulins avec les canaux de conduite d’eau. De toute évidence Ces biens sont eux aussi situés au bord du fleuve et probablement contigus à l’église. Il peut s’agir du domaine aménagé au bord du Var, dont parlent plusieurs documents postérieurs, et emporté par les crues du XVIIIe siècle. On notera qu’il s’agit de biens fonciers et non de droits, redevances, taxes ou autres prérogatives.
         Enfin le document mentionne l’existence au dessus de cette église du château de La Roquette. L’acte n’établit aucun lien juridique entre l’église et ce « castrum », ce qui laisse penser que le fief, en tant que structure politico-administrative, n’est pas encore constitué et qu’on n’a pas encore tiré toutes les conséquences du pouvoir que le « castrum » exerce sur le territoire qu’il protège. La construction du château est récente et s’inscrit dans le mouvement de rétablissement de l’ordre public qui suit la victoire de Guillaume le Libérateur après la victoire de Tourtour en 973. Il n’a pas vocation à accueillir une population mais une défense. Antérieurement, durant les périodes d’insécurité la population se retirait sur les hauteurs, vers Castelviel. Elle y trouvait un espace suffisant pour pratiquer une agriculture de survie. Voir ici
 
Sources et bibliographie
 
Chartrier de l’Abbaye de Saint-Pons hors les murs de Nice, publié par ordre de S.A.S. le Prince Albert I de Monaco par E. Caïs de Pierlas et continué par Gustave Saige, Imprimerie de Monaco, 1903.
 
Bonaventure Salvetti, L’Abbaye de Saint-Pons hors les murs de Nice. Essai historique, 1925, réedition par Serre Editeur, Nice, 2003.
 
Jesn-Pierre Poly, La Provence et la société féodale. 879-1166, Bordas, Paris, 1976.

 

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