Droit de la mer. Développements XIIe-XIVe siècles en Méditerranée occidentale
 
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             Les développements du droit de la mer en         
                            Méditerranée occidentale                   
                               du XIIe au XIVe siècle                     
 
 
 
 
Michel Bottin
 
Faculté de droit
Université de Nice Sophia Antipolis
Laboratoire ERMES
 
 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Les développements du droit de la mer en Méditerranée occidentale du XIIe au XIVe siècle », in Recueil des mémoires et travaux de la Société d’Histoire du droit des anciens pays de droit écrit, XII, 1983, pp. 11-28, mise en ligne septembre 2012 sur www.michel-bottin.com
 
 
         Pendant longtemps, et au moins jusqu’à se manifestent à partir de 1945 de nouvelles et puissantes prétentions d’appropriation[1], l’histoire du droit de la mer est apparue comme la progression, souvent difficile mais toujours continue, d’un principe dominant, celui de la liberté des mers. La réduction progressive des compétences de l’Etat riverain illustrait cette tendance que rien ne semblait pouvoir inverser : l’avènement de la limitation à la portée du canon, la généralisation de la règle des trois milles, l’affirmation de la liberté de passage, marquaient ainsi la victoire de la liberté sur toutes les entreprises de domination exclusive. Comment dès lors n’aurait-on pas vu dans cette mince bande maritime soumise à la souveraineté de l’Etat riverain une sorte de « résidu de la doctrine du mare clausum »[2], dernière survivance d’une ancienne domination générale ?
         L’hypothèse était séduisante et elle parut pendant longtemps satisfaire la curiosité des auteurs ; nombreux furent ainsi ceux qui continuèrent à voir dans la célèbre controverse Selden-Grotius et ses prolongements immédiats la première affirmation du principe de la liberté des mers et également l’origine de la distinction entre haute mer et mer territoriale[3].
         Les historiens qui au début de notre siècle furent préoccupés par cette question n’eurent guère de difficultés à montrer combien la réalité était différente et combien l’apport des Glossateurs et des Commentateurs à la formation du droit de la mer moderne était décisif[4].
 
Les positions doctrinales
 
         En effet, en dépit de multiples confusions, la résurgence des idées romaines en matière de droit de la mer est réelle dès le XIIe siècle. « Mare communem usum omnium hominibus ut aer »[5], « Mare commune omnium est et litora sicut aer »[6] : la clarté de ces formules et l’autorité de leurs auteurs placeront tous ceux qui cherchaient à s’approprier l’espace maritime comme on s’approprie un territoire dans une position juridiquement contestable. Les exceptions et les aménagements ne manqueront certes jamais, mais le principe de l’usage commun était posé. Restait à savoir à qui en appartenait le contrôle : le droit romain était muet sur ce point, une glose attribua la jurisdictio sur les espaces maritimes à César, c’est-à-dire à l’Empereur[7] du Saint Empire, ce que Balde reprendra plus tard ainsi : « Mare est commune quoad ad usum, sed proprietas nullius sicut aer est commune usu proprietas tamen est nullius, sed jurisdictio est Caesaris »[8]. SI l’attribution de cette jurisdictio à l’Empereur peut être considérée comme une pure fiction[9], on ne peut que souligner l’importance de cette possible extension de jurisdictio –ni dominium ni proprietas[10]- sur l’espace maritime. Au plan théorique l’apport de Commentateurs est sur ce point considérable ; ce changement par rapport au droit romain mérite d’être mis en évidence. En effet, dès le début du XIVe siècle, Bartole, prenant en compte les nouvelles réalités politiques de son temps et considérant que les principautés riveraines détenaient de fait de véritables pouvoirs sur le eaux adjacentes, attribuera cette jurisdictio au riverain : « Mare dicitur illius Domini sub cujus territorio comprehenditur »[11]. La notion de mer territoriale apparaissait ainsi dans la doctrine comme combinée avec le principe de l’usage commun : « La propriété n’est à aucun, l’usage est commun mais la juridiction est au prince »[12]. Reprise de Bartole et de Balde de semblables formules se répandront largement au cours des siècles suivants. Elles serviront de fondement juridique au nouveau droit de la mer ; elle seront également à la source de multiples difficultés quant à l’exacte définition des compétences et à l’étendue de la mer territoriale : celle-ci devait-elle n’avoir pour limites que celles de la jurisdictio maritime de l’Etat voisin, même très éloigné[13], ou bien devait-on la limiter à une certaine distance de la côte ?
         La seconde opinion prévalut ; les auteurs du XVe siècle adopteront progressivement la limitation à 100 milles mesure d’Italie[14], optant ainsi pour une règle uniforme, à leur sens plus pratique que le procédé de la limitation à la vue pratiqué par certaine puissances mais variable en fonction des conditions de temps et du relief littoral[15]. Ainsi apparaissait dans la doctrine la distinction entre eaux adjacentes soumises à juridictio et haute mer libre de toute influence souveraine particulière.
        
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         Face à ces deux apports décisifs à la formation du droit de, la mer moderne que sont d’une part l’affirmation du principe de l’usage commun -et donc de la liberté des mers- et d’autre part la rupture de l’espace juridique maritime entre une mer territoriale et une haute mer, on est tenté de s’interroger, par-delà l’apport doctrinal, sur la part prise par la pratique dans l’affirmation et l’affermissement de ces règles : l’usage commun n’est peut-être qu’un pieux principe, bafoué par la pratique et jamais rappelé par aucune autorité. Les luttes pour la supériorité maritime entre Gênes et Pise aux XIIe et XIIIe siècles peuvent laisser penser qu’il y a loin de l’affirmation du principe à la réalité. La contradiction n’est peut-être pas aussi apparente qu’il y paraît.
         D’autre part, si la rupture juridique de l’espace maritime peut s’expliquer par le simple fait que les juristes des XIVe et XVe siècles ont voulu reconnaître la réalité des pouvoirs exercés par les riverains sur leurs eaux adjacentes, on comprend moins bien qu’ils aient laissé hors de toute juridiction de très importants espaces maritimes. Peut-être auraient-ils pu opter pour une limite supérieure ? A moins que la fixation à 100 milles soit le résultat d’une confrontation d’intérêts, ceux du riverain face à ceux de l’usager. Il faudrait alors, après avoir défini l’attitude des riverains, parvenir à cerner celle des usagers, ceux du grand commerce maritime en particulier ; la constitution de deux espaces juridiques distincts n’a pu les laisser indifférents : ce que le riverain gagnait en prérogatives ils le perdaient en liberté. C’est cette confrontation qu’il convient de mettre en lumière. Peut-être sera-t-il alors possible de mettre en évidence quelques-uns des changements qui conduiront les juristes du XVe siècle à trancher en faveur d’une limitation de juridiction à 100 milles.
         Dans quelle mesure le principe de libre navigation a-t-il été respecté ? Dans quelle mesure les Commentateurs ont-ils tenu compte de la confrontation d’intérêts entre usagers et riverains dans la mise en place d’un double régime juridique maritime ? Les actes de la pratique internationale éclairent ces questions[16].
 
La liberté de navigation
 
         On peut estimer que la liberté de navigation n’existe pas sur les routes maritimes avant le XIe siècle[17]. Comme c’est le cas sur les routes terrestres et fluviales, la circulation par voie maritime est entravée par de multiples difficultés tenant autant à l’insécurité[18] qu’à la taxation arbitraire. Le processus de libération des routes maritimes ira de pair avec l’accroissement des « sauvegardes »[19] et la limitation des taxes. La nature particulière des routes maritimes, mais aussi -et peut-être surtout- la diffusion de la notion romaine de res communis, permettront à la liberté de circulation, de faire des progrès décisifs à partir du XIIe siècle.
         Après 1150 l’Eglise et l’Empire réagissent en effet avec force contre la multiplication des taxes de toutes sortes qui pesaient sur la circulation des marchandises[20]. De nombreux thelonia disparurent ; quelques-uns furent transformés en « taxes d’accompagnement » correspondant à un service de protection[21]. Les créations pures et simples paraissent rares ; dans tous les cas, pour prévenir toute contestation, voire des représailles, il est indispensable d’obtenir une autorisation pontificale[22].   
         L’action de la Papauté -en Méditerranée occidentale du moins- paraît d’ailleurs constante en cette matière : arbitrages[23], autorisations et injonctions se succèdent au long de la période. Toutes les mesures visent à limiter les prétentions des riverains et les tentatives de domination des plus puissantes cités maritimes : les deux lettres adressées en octobre 1169 par le pape Alexandre III à la Commune et à l’archevêque de Gênes sont significatives de cette politique ; le pape y dénonçait les actes de violence commis par les marchands génois contre des Montpelliérains et, de façon plus générale, la volonté d’établir une situation de monopole par la force. Pour appuyer sa critique Alexandre III ajoutait n’avoir lu nulle part que les païens eux-mêmes aient jamais autorisé de telles pratiques. L’atteinte au principe de la liberté d’usage devait être sanctionnée ; l’archevêque de Gênes était chargé de prendre les mesures nécessaires[24]
 
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         L’affaire traitée par Alexandre III n’est pas un cas isolé : croire que le principe de l’usage pacifique et commun ait été partout et à tout moment respecté relèverait de la naïveté. Elle montre néanmoins qu’une haute autorité peut réagir au nom du droit. Mais cela ne suffit évidemment pas pour affirmer que le principe de libre circulation fait l’objet d’une application réelle ; il faut vérifier cette application dans les actes de la pratique internationale, pactes, traités et conventions.
         Au premier abord la contradiction semble totale : la plupart des traités, pactes ou conventions signés de 1150 à 1300 entre les puissances maritimes chrétiennes de Méditerranée occidentale foisonnent de clauses d’interdiction : telle cité s’engage à ne pas recevoir dans son port les navires de telle autre cité venant par la haute mer, « per pelagus[25] » ; ailleurs on limite l’usage des routes de haute mer pour freiner l’expansion d’un concurrent : parfois seules les routes vers l’Orient son concernées ; dans d’autres cas la limitation porte sur tout le bassin occidental[26]. Les exceptions en faveur des navires transportant des pèlerins vers la Palestine sont fréquentes[27].
         Seule la route côtière, dite « terratenus »[28], ne fait guère l’objet d’interdictions ; elle offre trop peu d’intérêt pour le grand commerce. D’ailleurs lorsqu’elle risque de concurrencer les routes per pelagus on n’hésite pas à la limiter à une zone côtière définie[29]. Les interdictions peuvent être assorties de sanctions.
         Les rivalités des cités maritimes constituent le ressort de ce jeu subtil d’interdictions. Il n’est pas question ici d’en analyser les implications diplomatiques et commerciales[30] ; retenons simplement que Gênes maîtrise mieux que les autres cités maritimes du bassin occidental cette pratique d’interdits en les adaptant à chaque situation, qu’il s’agisse d’interdire la navigation hauturière des marchands des ports ligures voisins[31], de fixer une limite à la navigation côtière des Montpelliérains ou encore d’obtenir de Marseille une limitation des importations par les routes de haute mer[32].
         La crainte de voir apparaitre des concurrents sur les routes hauturières, celles du grand commerce international, pousse à la multiplication des traités et à la diversification des clauses ; leur renouvellement périodique forme une trame de contraintes qui hypothèque le développement des cités maritimes d’importance secondaire.
         Ce système d’interdits soigneusement dosés s’inscrit dans le cadre de rapports complexes. La cohabitation pacifique est ainsi fondée sur une base contractuelle. Ainsi le soin pris par les plus puissants pour obtenir de leurs concurrents de telles restrictions montre bien que le principe de libre circulation ne saurait être transgressé par une interdiction unilatérale. La base contractuelle est réelle. L’engagement n’est jamais total, définitif et sans contrepartie. Les nuances ne manquent pas et nulle part, pour la période et l’espace étudiés, n’apparaît d’accord portant sur une interdiction pure et simple de la navigation[33] : la plupart des conventions sont ainsi conclues pour une durée déterminée[34] et les interdits ne concernent qu’un type particulier de navigation -terratenus ou per pelagus- ou qu’une direction -versus orientem[35], versus yspania ou autre- voire qu’une destination particulière.
         Ainsi au plus fort de l’affrontement entre Pise et Gênes, le traité de Portovenere signé en 1169 stipulait que les Pisans ne pourraient désormais plus utiliser dans leur navigation vers l’Espagne et l’Afrique du Nord que la route juxta terram, s’interdisant d’utiliser les routes per pelagus[36]. Une interdiction générale aurait paru illégale à la Papauté, aux docteurs et aux autres cités marchandes. Les Pisans conservaient l’usage de la mer ; ils pouvaient poursuivre leur commerce avec l’Espagne et l’Afrique du Nord. Mais à quel prix ?
         L’obligation de respecter le principe de l’usage commun a ainsi provoqué l’émergence d’un droit international bilatéral propre à encadrer les relations de puissance.
 
Haute mer et mer territoriale
 
         Rien dans la doctrine des XIIe et XIIIe siècles ne permet de distinguer une quelconque rupture juridique de l’espace maritime : les concessions qui peuvent ici et là être accordées sur la mer ne sauraient fonder une quelconque division. L’unité de la jurisdictio maritime de l’Empereur sur la mer demeure le fondement de l’ordre public maritime.
         En pratique il en va autrement. Le morcellement seigneurial a fait son œuvre. Les seigneurs riverains ont multiplié les regalia[37] sur le rivage et sur la mer. Il faudra aux papes et aux empereurs beaucoup de constance pour les faire reculer. Et c’est au moment où les empereurs Hohenstaufen paraissent l’emporter que le morcellement politique reprend à la fin du XIIIe siècle, cette fois sous la forme d’organisations politiques pré-étatiques.
         Telle est la situation à laquelle sont confrontés les Commentateurs. Les rêves d’unité impériale s’éloignent et le rôle politique des nouveaux princes s’affirme. Le droit de la mer doit s’adapter et faire une place au riverain. Ainsi émerge la notion de mer territoriale soumise à la jurisdictio[38] du riverain par opposition à une haute mer libre de contraintes. Aborder la genèse de cet espace maritime sous le seul aspect de la reconnaissance des droits du riverain ne rend cependant pas complètement compte du processus de formation d’une haute mer libre[39]. La distinction fréquente dans les traités des XIIe et XIIIe siècles entre une navigation terratenus et une navigation hauturière per pelagus[40] est riche d’enseignements ; elle montre que le riverain n’est pas seul concerné dans la formation et dans la délimitation d’une mer territoriale. Il convient de tenir compte également de la position des utilisateurs de la haute mer.
         La route terratenus suit la côte, on utilise parfois aussi les expressions juxta terram[41] ou per riperiam[42]. Sa largeur n’est jamais définie -à la différence, on l’a vu, des pratiques de l’Europe septentrionale- et dépend en pratique des conditions de temps et de lieu. Pour le marin elle constitue pourtant un espace relativement bien défini : celui où il peut bénéficier des brises littorale, naviguer en sécurité sans perdre la côte de vue et accoster chaque fois qu’il veut faire quelque négoce. Les bâtiments sont de petite taille et l’accostage à la nuit tombée est une précaution élémentaire[43]. Cette voie côtière est en Méditerranée -davantage qu’ailleurs peut-être- plus pratique que les routes terrestres : une quantité considérable de petits bâtiments l’emprunte quotidiennement. Fernand Braudel, parlant de cette navigation côtière, a dit que la mer en Méditerranée « est un peu une rivière »[44].
         Cette navigation, en raison de sa densité est une proie bien tentante, tant pour le riverain qui peut la contrôler à son gré que pour le pirate embusqué dans les replis de la côte. Elle supporte des contraintes maxima d’autant plus qu’elle est fractionnée en nombreuses dominations particulière et juxtaposées et que les usages maritimes varient selon les « riviere »[45].
         La navigation per pelagus est par nature libérée de ces contraintes : elle permet d’éviter les détours, la multiplication des taxes, les embûches de la côte. Elle n’a au demeurant besoin d’aucune protection. Sur d’immenses espaces la mer est vide et les mauvaises rencontres sont rares. D’ailleurs les navires qui utilisent ces routes, les « naves », sont des bâtiments de haut bord, bien armés ; les attaquer serait risqué d’autant plus que bien souvent ils naviguent « de conserve »[46].
         On conviendra cependant de dire que si distinguer deux types de navigation permet d’opposer deux sortes d’intérêts, et peut-être deux régimes juridiques, cela ne suffit peut-être pas pour donner un fondement géographique précis à la délimitation. Celle-ci peut en effet dépendre d’autres facteurs : pour le riverain n’est pas qu’une voie de circulation, elle est aussi un réservoir de richesses, piscicoles principalement. Or certaine zones de pêche sont parfois situées très loin des côtes et peuvent provoquer une extension considérable de leurs prérogatives.
         Rappelons enfin que la zone de navigation terratenus dépend en grande partie de la visibilité de la côte par le marin ; par temps clair une côte montagneuse peut être visible à plus de cent milles
[47]. La dilatation de la zone terratenus se produit de la même façon là où se trouvent de larges baies facilement délimitables par le riverain même au-delà de la visibilité. C’est sans doute pour tenir compte de toutes ces particularités que les commentateurs ont adopté la limite de 100 milles ; Déjà en 1327 le roi d’Aragon fixait la limite des regalia concédés à la cité de Cagliari à 100 milles « intus mare »[48]. C’était une solution extrême qu’on ne retrouve pas ailleurs à la même époque.
 
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         Cette conception très favorable à l’extension des droits régaliens ne faisait guère l’affaire des grandes cités marchandes. La règle des 100 milles était particulièrement favorable à l’Aragon. Ce royaume ibérique était en effet au XIIIe siècle maître des Baléares, de la Sardaigne et de la Sicile. Il devenait une sorte d’empire maritime en Méditerranée occidentale[49]. De façon plus générale on constate qu’à la même époque se développe la pratique de donner aux espaces maritimes le nom du territoire riverain, comme si à l’instar des territoires terrestres tous les espaces maritimes pouvaient être délimités[50] ; on parle ainsi de « mare Massalium [51]» ou de « mare Provincium[52] ». Tous les riverains ne prétendaient d’ailleurs pas à une extension de leur jurisdictio à 100 milles. Le plus souvent ils bornent leurs prétentions à la limite extrême de la zone maritime fréquentée par tous ceux qui naviguent de cap à cap et ne veulent pas perdre la côte de vue trop longtemps, soit approximativement une cinquantaine de milles pour les côtes les plus montagneuses. Ainsi le comte de Barcelone promettait protection à tous les bâtiments jusqu’à 12 lieues « infra mare[53] » et dans le cas de la Provence la « mer royale » s’étendait à 50 milles[54].
         Le début du XIVe siècle est l’époque où s’affermissent ces domaines maritimes [55]: l’application de la règle des 100 milles entrainera souvent l’extension des mers territoriales existantes, moins étendues pour la plupart. Cela plaçait la plupart des routes per pelagus  sous la protection, mais aussi sous le contrôle des riverains.
         Des réactions apparurent contre ces extensions jugées trop importantes : pour l’usager des routes hauturières cela revenait en fait à étendre jusqu’à 100 milles des contraintes juridiques qui ne portaient auparavant que sur la navigation terratenus.
          Certains docteurs proposèrent alors de limiter la portée de la mer territoriale à la vue[56]. Le critère, trop imprécis, fut écarté par la majorité des auteurs. Gênes de son côté proposa une limitation très précise : déjà en 1208 dans un traité passé avec Ancône elle avait accepté de ne se livrer à aucune intervention dans une zone de 20 milles au large d’Ancône et de sa zone d’influence[57]. C’était déjà là la preuve que la République n’entendait pas accepter une extension démesurée de la zone de contrôle du riverain.
          En 1378, alors que l’idée d’une délimitation à 100 milles progresse peu à peu dans la doctrine et dans la jurisprudence des docteurs, Gênes prend même le contrepied des Aragonais en obtenant du roi d’Aragon à propos de la Sardaigne que la zone de non intervention soit limitée à cinq milles. La République se réservait le droit d’intervenir librement au-delà[58]. C’était dans ce cas réduire au minimum la juridiction du riverain. On remarquera que cette position correspond à la réalité : au-delà de 5 milles les moyens de contrôle du riverain perdent beaucoup en efficacité à moins qu’il ne dispose d’importants moyens navals.
         La délimitation à 5 milles fut une nouvelle fois reprise par les Génois dans un traité signé avec Florence : les Génois promettaient de ne pas attaquer les marchands florentins qui commerceraient avec des puissances en guerre contre la République de Gênes au large des côtes de ces mêmes principautés dans une zone de 5 milles[59]. Ce qui revenait à ne pas reconnaître les délimitations supérieures que ces principauté auraient pu établir.
         On le voit, la limitation à 100 milles est encore âprement discutée au début du XVe siècle. Elle ne sera acceptée de façon générale que fort tard.
          Néanmoins la controverse qui apparaît au début du XIVe siècle sur la limitation -100 milles ou 5 milles si on s’en tient aux positions extrêmes, celles avancées par l’Aragon et Gênes- montre bien que dans l’esprit des contemporains il existe deux espaces juridiques bien distincts : celui où le riverain a le droit d’intervenir, la mer territoriale, et celui où l’usager est libre, la haute mer, liberum mare[60]. On avait pu opposer aux XIIe et XIIIe siècles de la même façon les contraintes de la zone terratenus et la liberté des routes per pelagus.
 
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         Reste à savoir de quelles contraintes et de quelle liberté il s’agit. Sur ce plan si la réception des idées romaines en matière de libre usage est une réalité en Méditerranée occidentale, du moins à partir du XIIe siècle, on ne peut pas dire que ce soit en toute clarté.
         Pour le riverain, percevoir une taxe ne constitue pas une atteinte à la liberté d’usage. Et pourtant, il existe des protections oppressantes et parfaitement superflues.
         Pour l’usager, faire signer à son concurrent une disposition d’abandon de jouissance de cette liberté ne porte pas atteinte au principe lui-même. Et pourtant derrière le biais de certaines clauses se cache la tentative de monopole.
         L’apparition d’un double régime juridique haute mer-mer territoriale était donc grosse de risques puisqu’elle mêlait le prétentions encore mal définies des riverains et les aspirations à une liberté sans contrôle des marchands. Bartole, Balde et d’autres docteurs moins connus œuvreront en faveur d’une définition des compétences propres à définir les droits de chacun.
         Mais l’équilibre était impossible à tenir. Les pratiques du mare clausum reprenaient le dessus. Dès le XV siècle les prétentions des principautés et des Etats sur leurs mers adjacentes grandissent de façon démesurée jusqu’au partage d’immensités maritimes. Le XVIIe siècle marque l’aboutissement de ce processus. Il marque aussi ce tournant qui voit décliner les prétentions d’appropriation de l’espace maritime et renaître les concurrences commerciales entre les nations. Un nouveau cycle de la dialectique mare clausum-mare liberum commençait.
 
 
 

[1]          Déclaration Truman de 1946 sur les ressources du plateau continental, initiatives latino-américaines en faveur d’une zone de pêche de 200 milles, extension progressive de la mer territoriale à 12 milles, apparition de zones économiques exclusives à 200 milles, etc.
            L’ONU a tenté de freiner ce mouvement et de sortir de l’alternative liberté-exclusivité en 1970 avec la résolution 2749 (XXV) sur le concept de « patrimoine commun de l’humanité ». Cf. R.J. Dupuy, « Droit de la mer et communauté internationale » in Mélanges Paul Reuter, Pedone, Paris, 1981, pp. 221-241 et du même auteur, L’océan partagé, Pedone, Paris, 1971.
[2]          Gilbert Gidel, Le droit international public de la mer, Sirey, Paris, 1934, p. 25.
[3]          La place occupée par les controverses des XVIIe et XVIIIe siècles est en effet telle que toute recherche sur les périodes antérieures relèverait d’une sorte de paléo-histoire sans grand intérêt. « Trop souvent on commet l’erreur qui consiste à identifier l’histoire du droit international et l’histoire des idées sur ce droit » analyse P. Bierznek, « Sur les origines du droit de la guerre et de la paix » in Revue historique de droit français et étranger, 1960, p.121. Cette opinion vaut assurément aussi pour le droit de la mer.
            C’est sans détour d’ailleurs que Antoine Pillet critiquait au début du siècle les effets négatifs de ce blocage : « Le droit des gens en tant que doctrine scientifique n’est pas un fruit dû au progrès de notre époque, pas davantage un produit de la Révolution française ou de la réforme religieuse du XVIe siècle [ … ], il faut au moins si l’on est juste en repousser l’origine jusqu’aux temps les plus reculés du Moyen Age. Comme tant d’autres j’ai été dupe des opinions courantes et il a fallu qu’une circonstance fortuite m’obligeât à me plonger dans un certain nombre d’in folio théologiques pour voir se dissiper mon erreur. Quel ne fut pas mon étonnement quand je reconnus sous la plume de ces canonistes que l’on ignore à peu près complètement et que Grotius lui-même sacrifiait bien légèrement à la gloire d’historiens, de philosophes et de poètes étrangers à notre science, les idées les plus fines et les plus profondes sur les droits réciproques des Etats »,  Antoine Pillet, «Introduction », in Les fondateurs du droit international, Paris, 1904, pp. VII et VIII.
[4]          Arnold Raestad, La mer territoriale ; études historiques et juridiques, Pedone, Paris, 1913, 212 p. (L’ouvrage reprend et complète celui publié en norvégien l’année précédente : Kongens Strömme. Historiske og folkeretslige undersökelser angaaende sjöterritoriet) et Percy-Thomas Fenn, The Origin of the right of fishery in territorial waters, Cambridge, Massachusetts, 1926,  “Origins of the theory of territorial waters” in American Journal of international Law, T. 20, 1926, pp. 565-482, accordent d’importants développements à ces apports.
[5]          Celse dans Digeste 43.8.3.1
[6]          Ulpien dans Digeste 47.10.13.7.
            Sur la question de la mer en droit romain : Costa, « Il mare e le sue rive nell diritto romano », in Rivista di diritto romano, T.V, 1916, pp. 337-354 ; P.T. Fenn, The origins, op.cit., pp. 3-32 complété par « Justinian and the Freedom of the sea » in American Journal of international Law, 1925, pp. 716-727 ; Biondo Biondi, « La condizione giuridica del mare e del litus maris » in Studi Perrozzi, Palerme, 1925, pp. 271280.
[7]          Le droit romain classique ne mentionnait que la possibilité d’un pouvoir sur le rivage : « Litora in quae Populus romanus imperium habet, Populi romani esse arbitror », Digeste 43.8.3 (Celse) ; Fenn, The origins…, op.cit., p. 38.
[8]          Fenn, The origins…, op.cit., p. 109.
[9]          Sur la permanence de cette fiction en certaine régions d’Europe septentrionale, cf. infra, note 39.
[10]         Cf. infra note 38.
[11]         Gemma legalium. Opera omnia, Venetiis, 1602, cité par Fenn, The origins…, op.cit., p. 101. La conception de l’ « unum jus, unum imperium » encore dominante chez les Glossateurs, évolue dès le début du XIVe siècle. Pour Bartole comme pour Balde, l’Empereur est toujours « dominus totius mundi » mais il s’agit là d’une fiction. Sur l’Empire, Carlyle, History of medieval political theory in the West, T.3, pp. 171 sq, T.5, pp. 141 sq, T.6, pp. 76 et sq. et pp. 111 sq.
            Sur la question de la souveraineté chez les Glossateurs et les Commentateurs, David, “Le contenu de l’hégémonie impériale dans la doctrine de Bartole” in Bartolo da Sassoferrato. Studi e document per il VI centenario, Giuffré, Milano, 1962, pp. 201-216 ; Guggenheim, « La souveraineté dans l’histoire du droit des gens. La conception des glossateurs et des commentateurs » in Mélanges Henri Rollin, Pedone, Paris, 1964, pp. 134-146 ; Francesco Calasso, Medio evo del diritto, Milano, 1954.
[12]         Le comte de Maistre, président du Sénat de Chambéry, commentant en 1724 la formule de Balde de Ubaldis, Commentarium prima par in Digestum, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città e contado di Nizza, Diritto di Villafranca, Mazzo 8, liasse 11.
[13]         Cette conception aurait abouti à découper les espaces maritimes selon le principe de la « ligne médiane ». Cette règle existe avant le XIIIe siècle dans la jurisprudence de plusieurs pays baignés par la Mer du Nord (Norvège, Ecosse, Angleterre), Raestad , La mer territoriale, op.cit., pp. 30-33.
            Cette pratique semble exceptionnelle en Méditerranée. Un traité de partage de la Provence signé en 1125 entre Raimond Béranger III, comte de Barcelone, et Ildefonse comte de Toulouse, fait par exemple état d’une telle situation : « Et Durencia in monte jani nascitur et ipse mons per fines Italiae descendit ad ipsam Turbiam in mare et usque in medium maris, ut ipsa Durencia vadit in Rodanum, et ipse Rodanus sicut dictum est descendit in mare et usque in medium maris, cum civitatibus et castellis omnium », Claude de Vic et Joseph Vaissette, Histoire générale de Languedoc, Toulouse, 1841 et sq., au T.4 p. 396. On n’a pas trouvé de mention semblables dans la période postérieure.
            Au XVe siècle Angelus de Perusio estimait qu’un crime commis sur mer devait être puni par les autorités de la principauté la plus proche, même si le lieu était très éloigné de la terre. Cette opinion sera considérée comme la seule alternative à la position de Bartole, Raestad, La mer territoriale, op. cit., p. 18.
[14]         Le mille italien est de 1478 mètres. La règle des « cent milles » peut paraître excessive ; elle correspond toutefois pour certaines côtes méditerranéennes à la limite de la vue de la côte à partir de la mer dans des conditions optimales de relief et de météorologie. Cf. ci-après note 15.
            Cette opinion se retrouve par la suite chez de nombreux auteurs comme Paulus Castrensis ou Bartolomeus Caepola. Jean Bodin estime que « les droits de la mer n’appartiennent qu’au Prince souverain qui peut imposer charges jusqu’à XXX lieues de la terre s’il n’y a Prince souverain plus près qui l’empesche », Les six livres de la République, Paris, 1576, L.1, ch. 10. Ce courant doctrinal était encore très représenté à la fin du XVIIIe siècle ; cf. D.A. Azuni, Dizionario della giurisprudenza mercantile, Nizza, 1786, T.3, n°13 et sq.
            Noter que les opinions et les applications contraires ne manquent pas : certains royaumes, comme celui de Norvège, n’ont jamais cessé de revendiquer de très larges domaines maritimes ; d’autres comme le Portugal et l’Espagne ont obtenu d’immenses concessions au cours de la seconde moitié du XVe siècle. Plowden en 1575, dans l’ argumentation du « Sir John Constable case » , estimait que la domination de l’Angleterre s’étendait selon les cas soit à la ligne médiane soit au rivage le plus proche : « To the middle of the sea adjoining which surround the realm ; but the Queen has all the jurisdiction of the sea between France and this realm by reason of the tittle of France, and so it is of Ireland ; but in other places, as toward Spain she has only the moiety”, Fenn, The origins, op.cit., p. 129.
[15]         Le critère de la « vue » est d’une utilisation difficile : il importe en effet de savoir s’il s’agit de la vue de la côte vers la mer ou bien de la distance à partir de laquelle le marin peut voir la côte. Un juriste de Syracuse du début du XVe siècle estimait que la mer appartient au seigneur riverain aussi loin qu’on peut voir dans la direction de la mer, Raestad, La mer territoriale, op.cit., p. 18. Ce qui peut faire beaucoup pour peu qu’on se place sur une hauteur ! Pour le marin par contre la vue est une réalité plus contraignante : l’obligation de ne pas perdre la côte de vue concerne une quantité considérable de petits bâtiments et fait de cette zone un lieu de passage très fréquenté. Ceci explique qu’au-delà de la simple terminologies nautique, la vue ait pu au Moyen Age servir de critère pour fixer l’étendue des droits du riverain.
            Raestad, La mer territoriale, op. cit., p. 47 en présente plusieurs exemples qui concernent presque tous la mer du Nord et dont les appellations expriment la reconnaissance (ken) ou le fleuve (strom) :le « ken » anglais était de 21 milles, le « landkenning » écossais de 14 milles ; aux Pays-Bas le « kennis » était converti en cinq lieues ; pour la Flandre, E.M. Meijers, « Des graven Stroom » in Etudes d’histoire du droit, Leyde, 1973, p. 127, précise qu’au XVe siècle la mer territoriale du comte de Flandre s’étendait à une « kenesse » soit à environ 20 kilomètres. En dehors de ces différences, l’incertitude apparaît encore plus nettement dans le fait qu’on fait souvent la distinction entre « grande vue » et « petite vue » : Meijers, « Des graven Stroom, op.cit., p. 127, note 143. Cf. aussi dans la présente étude la note 47.
[16]         Il s’agit essentiellement des actes internationaux organisant les relations politiques, maritimes et commerciales des cité et principautés maritimes du bassin occidental de la Méditerranée du début du XIe siècle au début du XVe. Le droit maritime (coutumes, usages, contrats, etc.) présente moins d’intérêt.
[17]         C’est vers 850 que les grandes routes terrestres et fluviales perdent leur caractère international (M.A. Daviso di Charvensod, I pedagi delle Alpi occidentali nel Medio Evo, Torino, 1961, p. 25). La rupture paraît encore plus marquée en ce qui concerne les routes maritimes. Le recul du commerce maritime international, des armements et des arsenaux en Occident est très net dès le Ve siècle. La navigation est réduite au cabotage (J. Rougé, « Quelques aspects de la navigation en Méditerranée au Ve siècle et dans la première moitié du VIe » in Cahiers d’histoire, 1961, pp. 129-154) … d’autant plus que, ainsi que le précise Zeno, Storia del diritto maritimo, Milano, 1946, p. 99, les Barbares n’étaient pas des navigateurs.
[18]         Aux XIIe et XIIIe siècles les promesses de sécurité faites par les riverains sont encore le plus souvent très sélectives ; la protection résulte d’un accord et reste limitée à un groupe de personnes. En voici trois exemples :
             Traité de 1127 entre Gênes et Barcelone : « …quod januensis populus quiete habet transitum et stare comitis et comitissae terram ad faciendam pacem et guerram cum voluerit Sarracenis et similiter homines comitis et comitissae habeant transitum quiete et stare quando voluerint in januensi terra… », L. Valle, « Di due documenti che riguardano le relazioni di Genova con la Catalogna nel sec. XII » in Il Liceo Gennasio C. Colombo di Genova, Genova, 1935, pp.32-33.
            Traité de 1143 entre Gênes, Pise et Montpellier : les navires génois venant à Montpellier n’avaient pas à « querere securitatem, sed secure intrabunt », Germain, Histoire du commerce de Montpellier, 1861, T.1, p. 94.
            Traité de 1177 entre Pise et Montpellier : « omnes vero homines Montepessulani … cum omnibus rebus suis in hunc modum securos facimus infra civitatem pisanum et extra civitatem pisanum in toto posse civium pisanorum… », Germain, Histoire de la commune de Montpellier, 1866, T.2, pp. 417-419.
            Le riverain offre parfois une protection générale : c’est le cas à la fin du XIe siècle avec l’article 58 des Usages de Barcelone : « Omnes quippe naves Barchinoniam venientes vel inde recedentes per omnes dies et noctes sint in pace et treuga et sub defensione barchinonensis principes », Poumarède, Les Usages de Barcelone, Toulouse, 1920.
            C’est le cas également dans de nombreux traités signés avec les princes musulmans : exemple le traité de 1181 entre Gênes et Abou Ibrahim Ishak, roi de Majorque, Louis de Mas Latrie, Traités concernant les relations des Chrétiens avec les Arabes d’Afrique septentrionale au Moyen Age, Paris, 1866, T.2, p. 110.
[19]         « C’est du côté des sauvegardes que la sécurité a tout d’abord été recherchée » : L.A. Boiteux, La fortune de mer. Le besoin de sécurité et les débuts de l’assurance maritime, SEVPEN, Paris, 1968, p. 21.
[20]         La réaction concerne toutes les grandes routes internationales, Meijers, « Des graven Stroom », op.cit., p. 98, mentionne les tentatives de Frédéric Barberousse pour faire du Rhin une « regia et libera strata ». La Papauté de son côté multiplie les interventions dans le prolongement des interdictions édictées par le premier concile de Latran (1123) : Ludolf Fiesel, « Woher stammt das Zollgeleit ? » in Vierteljahrschrift für Sozial und Wirtschaftsgeschichte, XIX, 1926, p. 401. Ainsi en 1249 une bulle d’Innocent IV s’opposait l’établissement de nova pedagia sur la côte languedocienne sans une autorisation du Saint-Siège sous peine d’excommunication : Germain, Histoire du commerce de Montpelier, op. cit., p. 204.
[21]         C’est au début du XIIe siècle que le terme pedagium se substitue progressivement à celui de theloneum, Daviso di Charvensod, I pedagi, op. cit., p. 23. La transformation se serait réalisée par évolution vers la taxe d’accompagnement, le « pedagium conductum », Ludolf Fiesel, « Zur Entstehungsgeschichte des Zollgeleits » in Vierteljahrschrift für Sozial und Wirtschaftsgeschichte, XV, pp. 466-498. On en trouve un premier exemple d’application dans un traité conclu entre Raimond-Béranger III et les Génois en 1127 : la protection du comte de Provence était réservée à ceux qui payaient la taxe d’accompagnement ; ceux qui ne l’avaient pas acquittée ou qui naviguaient en pleine mer, « per pelagus », n’étaient pas couverts : A. Schaube, Storia del commercio dei popoli latini del Mediterraneo sino alla fine delle Crociate, Torino, 1915, p. 659. 
[22]         L’autorisation n’empêche d’ailleurs pas les protestations ! C’est le cas à Aigues-Mortes où le pape avait autorisé en 1266 le roi de France à établir une taxe d’un denier par livre sur tous les bâtiments passant en vue de la tour de Constance ; le péage, présenté comme « moderatum vectigal, nunquam augmentabile », devait subvenir au frais de construction et de garde du port. Un bâtiment de garde veillait à assurer le paiement du droit. : Célestin Port, Histoire du commerce maritime de Narbonne, Paris, 1854, p. 164. Les marchands supportent mal de telles taxes d’autant plus qu’elles supposent un accostage pas forcément prévu ni même souhaité. C’est par exemple le cas devant Monaco où un droit de même nature est perçu au début du XIVe siècle, Gustave Saige, Documents historiques antérieurs au XVe siècle relatifs à la Seigneurie de Monaco, Monaco, 1905, pp. 203, 242 et 268.
[23]         Comme cette bulle de Clément III par laquelle il confirme la paix établie entre Pise et Gênes concernant la Sardaigne, Codex diplomaticus Sardinae, Historiae Patriae monumenta, Turin, 1861, T.1, p. 263.
[24]         Jules Valéry, « Alexandre III et la liberté des mers » in Revue générale de droit international public, 1907, pp. 240-251.
            C’est ce même Alexandre III qui aurait remis en 1177 au doge de Venise un anneau d’or en signe de domination sur la mer ; une telle position paraît en totale contradiction avec celle adoptée en 1169 contre Gênes. La question mériterait une analyse approfondie tenant compte des subtilités politiques et juridiques. Il faut rappeler qu’Alexandre III est un juriste renommé. En fait il semble que les propos du pape aient été très habilement détournés par les Vénitiens. Cf. Valéry, op.cit., p. 249, notes 1 et 2.
            Par contre les bulles concédées aux rois de Portugal entre 1454 et 1481 pour confirmer leurs positions d’Asie et d’Afrique comprenaient les « maria adjacentia » et le partage réalisé par Alexandre VI entre l’Espagne et le Portugal (bulle du 4 mai 1493) portait lui aussi sur les terres et les espaces maritimes, Raestad, La mer territoriale, op. cit., p. 26.
[25]         La clause est relativement fréquente ; elle s’étend parfois à tous les navires venant par la haute mer : « Navibus venientibus de pelago non dabunt securitatem nec eas recipient » (Traité de 1143 entre Gênes et Montpelier, Liber jurium reipublicae Januae, Historiae Patriae monumenta, Turin, 1895, T.1, col. 87-88) ; même disposition dans le cadre d’une offre de protection faite par l’archevêque d’Arles aux Génois en 1155, Liber jurium, op.cit., T.2, col. 5. La clause vise le plus souvent une cité précise : « Non recipimus Pisanum aliquem venientem de pelago aut rem ejus nec Januensem aut rem ejus sine licentia consulum communis Januae » (traité de 1166 entre Gênes et Narbonne, Histoire générale de Languedoc, op. cit., T.4, pp. 518-519 ; clause identique assortie de la réciprocité dans deux traités entre Gênes et Marseille en 1229 et 1251 : Gênes n’accueillait pas les Marseillais venant per pelagus ; Marseille agissait de même pour les Génois (Liber jurium, op.cit., T.1, col. 853 et sq. et col. 1124 et sq.).
            Les limitations générales d’accueil, routes de haute mer et mer côtière, sont rares ; elles sont liées à un état de belligérance : ainsi en 1171 Saint-Gilles s’engageait envers Gênes à ne pas recevoir de navires pisans quelle que soit la provenance, pendant la durée de la guerre entre Pise et Gênes ; après la paix le refus d’accueil ne concernait que les routes per pelagus : André Dupont, Les relations commerciales entre les cités maritimes de Languedoc et les cités méditerranéennes d’Espagne et d’Italie du Xe au XVe siècle, Nîmes, 1942, p. 103.
[26]         Les interdictions portent sur de vastes espaces ; en 1143 les Montpelliérains s’engageaient par traité avec Gênes à ne pas aller « versus orientem » sauf par la route côtière ; dans le bassin occidental, la route per pelagus leur restait ouverte, Liber jurium, op.cit., T.1, col .87-88.
            En 1169 les Pisans, par le traité de Portovenere signé avec Gênes, se voyaient interdire toutes les routes per pelagus du large de Savone au large de Tarragone en Espagne, Liber jurium, op.cit., T.1, col. 271.
            En 1155, dans le cadre d’un accord avec Gênes, Arles s’interdisait d’utiliser les routes per pelagus « exceptis navibus arelatensium per pelagus in Yspania euntium et inde redeuntium », Liber jurium, op.cit., T.2, col. 5.
            En 1181, un pacte conclu entre Savone et Gênes interdisait aux marchands de Savone d’aller «  in pelagus ultra Sardineam aut Barchinoni nisi prius venit in portum Januae », Liber jurium, op.cit., T.1, col. 316. On rapprochera de cette situation le traité signé entre Pise et Gênes en 1299 interdisant aux Pisans l’usage des routes per pelagus au-delà de Naples vers l’Orient, au-delà de la Sardaigne vers le sud et au-delà d’Aigues-Mortes vers l’occident, Liber jurium, op.cit., T.2,, col. 382.
            Il peut arriver que l’interdiction soit générale : en 1174 Raimond V de Toulouse promettait aux Génois d’interdire aux marchands habitant les terres sous sa domination d’ « ire vel mittere negociandi causa per pelagus sine licentia consulum communis Januae », Germain, Histoire du commerce, op.cit., T.2, p. 420.
[27]         En 1143, Montpellier s’engageait ainsi envers Gênes à ne pas accueillir de bâtiments venant per pelagus, « exceptis navibus peregrinorum ultra mare euntium vel redeuntium », Liber jurium, op. cit., T.1, col. 8781. On est parfois plus restrictif : en 1168 Narbonne s’engageait à ne pas utiliser de routes per pelagus, « exceptis peregrinis quos possumus portare in navi una per annum quae tamen non sit Hospitalis vel Templi et qui peregrinis non sint de Montepessulano, vel santo Aegidio aut a Rhodano usque a Nicium », Histoire générale du Languedoc, op. cit., T.4, pp. 518-519.
[28]          Pour Albert Blaise, Lexicon Latinitatis Medii Aevi, 1975, « terratenus » suppose l’existence d’un lien avec la terre : « à terre », «  jusqu’à terre », « coucher à même la terre ». L’auteur ne mentionne pas l’emploi du terme dans le sens nautique. Du Cange, Glossarium mediae et infimae Latinitatis, ne donne aucun renseignement sur le terme.
[29]         Le traité de 1143 entre Gênes et Montpellier autorisait la navigation terrarenus des Montpelliérains vers l’est jusqu’à Gênes «  sed si aliquocasu pelagus intrarent, quod meditatum non fiet, vel si ultra Janua irent impulsi aliqua maris servitia, vel aloquo alio modo bona fide … redibunt Januam », Liber jurium, op. cit., T.1, col. 87-88. Même disposition dans un traité de 1155, Liber jurium, op. cit., T.1, col. 182.
[30]         Pour les aspects diplomatiques et commerciaux, Schaube, Storia del commercio, op. cit., ; Dupont, Les relations commerciales, op.cit., ; Geo Pistarino, « Genova e l’Occitania nel secolo XII », in Actes du 1er Congrès historique Provence-Ligurie, Aix-Marseille-Bordighera, 1966, pp. 65-130.
[31]         Plusieurs conventions entre Gênes et le ports des « riviere » de ponant et de levant interdisent à ceux-ci de naviguer par pelagus « ultra Sardineam aut Barchinoniam » sans au préalable s’être arrêtés à Gênes (1181 avec Savone, 1199 avec Albenga, 1202 avec Naula, etc.), Liber jurium, op. cit., T.1, col. 316, 436, 475, 478, etc.
[32]         Traités de 1225 et de 1251, Liber jurium, op. cit., T.1, col. 763 et sq, 1124 et sq.
[33]         Il en va autrement ailleurs : en Mer noire –Mare Majus- par exemple, où une disposition de 1261 réserve unilatéralement la navigation aux seuls Pisans et Génois à l’exception de tout autre marchand latin : « Quod non permitetet ire de cetero negociatum intra Majus mare aliquem latinum nisi Januenses et Pisanos », Liber jurium, op. cit., T.1, col. 1353. Raestad, La mer territoriale, op. cit., cite plusieurs cas semblables comme le monopole de navigation établi au XIIIe siècle au profit de la Norvège vers l’Islande et le Groenland (p. 60).
[34]         Le traité de 1169 entre Gênes et Raimond V était conclu pour une durée de 29 ans, Dupont, les relations, op. cit. p. 103 : celui de 1225 entre Gênes et Marseille pour 34 ans, Liber jurium, op. cit., T.1, col. 763, etc.
[35]        Cf. supra, note 26.
[36]         Dupont, Les relations, op. cit., pp. 100-101.
[37]         Fenn, The origin of the right of fishery, op. cit., 64 sq. Cf. par exemple l’étude de Roger Aubenas, « L’origine et les débuts du droit de pêche de l’Abbaye de Lérins » in Annales de la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, 1951, pp. 70-78.                                  
[38]         La doctrine du XIVe siècle rejette l’idée d’une continuité territoriale en mer. La mer n’est pas « territorium » mais seulement « districtus » et les droits du riverain relèvent d’un pouvoir de « jurisdictio » ; ils ne peuvent s’appréhender en termes de « dominium » ou de « proprietas ». Parlant de Balde, le plus célèbre artisan de cette transformation avec Bartole, Fenn, The origin, op. cit. p. 17 dit qu’il «  injects the theory of adjacent sea into feudal law ».
[39]         On a parfois qualifié la haute mer d’ « eaux de l’Empereur ». Raestad, La mer territoriale, op. cit., p. 45 en cite un exemple tardif (1552) à propos d’un naufrage survenu au large des côtes norvégiennes. On n’a trouvé aucune mention de ce type dans la documentation utilisée pour cette étude sur la Méditerranée occidentale.
[40]         Cf. supra.
[41]         Traité de Portovenere entre Gênes et Pise (1169), Dupont, Les relations, op. cit., pp. 100-101.
[42]         Traité de 1251 entre Gênes et Marseille, Liber jurium, op. cit., T.1, col. 1129.
[43]         Jean Rougé, Recherches sur l’organisation du commerce maritime en Méditerranée au temps de l’Empire romain, Imprimerie nationale, Paris, 1966, apporte sur cette spécificité contraignante de la mer côtière des renseignements fort utiles ; le champ d’application de ses conclusions peut sans grandes difficultés être étendu jusqu’au XIIIe siècle, époque où apparaissent de grandes transformations dans les techniques nautiques et les procédés de navigation ( gouvernail d’étambot, boussole, cartes marines, etc.). La navigation  en droiture  en sera beaucoup facilitée : Charles-Emmanuel Dufourcq, La vie quotidienne dans les ports méditerranéens au moyen âge, Hachette, Paris, 1975, p. 78.
[44]         Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Colin, paris, 1949, p. 74.
[45]         Le terme « riviera » définit une zone côtière centrée autour d’un port d’une certaine importance (« riviere » de Gênes et de Pise pour la haute Tyrrhénienne, d’Amalfi et Messine pour la basse Tyrrhénienne, de Barcelone pour la Catalogne, de Trani pour l’Adriatique, etc.) : Zeno, Storia del diritto marttimo nel Mediterraneo, Milano, 1946 p. 87 et NovissimoDigesto italiano, art. « Statuti e consuetudine marittime ». Cette idée de rivière, de fleuve, de courant se retrouve en Europe septentrionale (« Stroom » en flamand, « estrum » en français, Meijers, « Des Graven », op. cit. p. 98) ; « Kongens strömme » en danois et norvégien, « king’s stremme » ou «  king’s river » en anglais (Raestad, La mer territoriale, op. cit., p. 50). La langue juridique utilise parfois en Europe du nord la terme « fluctus », Meijers, op. cit., p. 98.
[46]         La pratique du « conservagium » semble moins fréquente dans le bassin méditerranéen occidental que dans le bassin oriental. L’individualisme des patrons y paraît plus fort, Dufourq, La vie quotidienne dans les ports, op. cit., p. 80.
[47]         La visibilité de la côte par temps clair dépend de trois facteurs : la hauteur de l’observateur sur l’eau (relativement négligeable) ; la hauteur du relief observé ; la courbure de la Terre. La distance (D) est donnée par la formule D= 2( H  h), h étant la hauteur de l’œil, H la hauteur du relief (ou de la construction) observé ; les auteurs sont exprimées en mètres, la distance obtenue s’exprime en milles marins, c’est-à-dire en nautiques (un nautique= 1852 mètres).
            Ainsi une falaise ou une construction de 25 mètres est visible, avec un observateur au niveau de la mer, à environ 10 nautiques ; une hauteur de 900 mètres commence à « sortir «  de l’horizon à 60 nautiques (c’est une situation assez fréquente en Méditerranée) ; une montagne de 2500 mètres commence à être visible, pour ses points culminants, à 100 nautiques (Roussillon, Mercantour, Sierra Nevada) ; quelques sommets élevés situés à proximité de la côte présentent pour le marin un intérêt plus grand encore (Monte Cinto en Corse à 2710mètres, Etna à 3274 mètres).
            Ces distances peuvent être accrues dans des conditions optimales de beau temps par la réfraction. La côte observée se trouve en quelque sorte « rehaussée » sur l’horizon. Ainsi alors que des collines niçoises le Monte Cinto devrait, le matin par beau temps, à peine dépasser de l’horizon, on peut voir par réfraction une bonne partie de l’île (180 kilomètres séparent la Corse de Nice).
[48]         Codex sardinae, op. cit., T.1, p. 687 ; en 1288 un traité passé entre Gênes et Pise ne faisait état que d’une concession limitée au Golfe de Cagliari : « Item totum gulfum Kalaritanum videlicet a capite de carbonaria usque ad caput de capite terre ipsis locis comprehendis et cum tota et omnia jurisdictione dicti gulfi », Liber jurium, op. cit. ,T.2, col. 128 ; on notera l’extension considérable de prétentions.
[49]         L’obligation imposée en 1334 par le roi d’Aragon Don Pietro à tous les pêcheurs de corail d’une zone comprise entre Naples et l’île d’Asinaria (nord de la Sardaigne) de faire escale à Alghero ( ouest de la Sardaigne) est significative de cette domination : « Statuimus et ordinamus quod de caetero omnes barchae perquirentes seu trahentes corallum a maribus del cap de Napolis usque a la Linayre (Asinaria) habeant et teneantur degege et facere portum suum in villa Alguerii », Codex Sardinae, op. cit., T.1, p. 915.
            Un amiral chrétien, paraphrasant Ibn Khaldoun, aurait dit parlant de la puissance aragonaise : « Maintenant même un poisson n’ose pas plus qu’une galère ni nulle autre embarcation, se risquer sur les flots sans un sauf-conduit du roi d’Aragon », Dufourcq, op. cit., p. 100.
[50] Comme le « Gulfum Veneciarum » par exemple, Liber jurium, op.cit., T.2, col. 348 (1299), col. 624 (1355), etc.
            Les prétentions de Venise sur la mer Adriatique sont un lieu commun de l’histoire du droit de la mer : Venise est maîtresse de la mer Adriatique ; présentée sous cette forme, la revendication ne paraît guère être antérieure au XVIe siècle. Antonius Pellegrinus affirmait au début du XVIIe siècle que les Vénitiens «  per inveteram consuetudinem praaescripserunt et aquierunt sibi proprietatem maris Adriatici », Fenn, The origins, op.cit., p. 225. Il faut en effet distinguer le Golfe de Venise et la Mer Adriatique.
            On ne peut en effet pas assimiler le Golfe de Venise -seul mentionné au Moyen age- et la mer Adriatique. Le Golfe de Venise n'est que l’extrémité nord de la mer Adriatique de Pola à Ravenne, soit un peu plus de 100 kilomètres de profondeur. Les Vénitiens ont soutenu que ce Golfe était plus étendu : les Statuts de 1255 font ainsi état d’une profondeur de 200 milles, jusqu’à Ancône, ce qui n’est qu’une partie de l’Adriatique, Pardessus, Collection des lois maritimes, Paris, 1828-1845, voir Statuts maritimes de 1255, art. LXXV.
[51]         17 décembre 1317, mandement du sénéchal de Provence contre les pirates « qui multa mala in mare Massalie tunc temporis commitebant », Mas-Latrie, op. cit., T.2, p. 101.
[52]         Saige, Documents, op.cit., T.1, p. 58, avril 1300.
[53]         Art. 61 des Usages de Barcelone, Ch. Poumarède, Les Usages, op. cit. Cet auteur, p. 210 et sq , estime que ces Usages ont été rédigés, pour leur partie la plus ancienne (art. 1 à 140), sous le règne de Raimond- Béranger, entre 1053 et 1071. D’abadal y Vnyals, Textes de Drety Catala, Barcelone, 1913 cité par Ch. Poumarède, p. 213, considère que les articles 61 à 66 sont les chapitres d’une paix inconnue.
[54]         6 janvier 1330, convention passée entre le sénéchal de Provence et les habitants de Monaco précisant les limites de la mer royale «  de capite dicti castri de Monacho versus occidentem usque ad gradum antiqui Rodani …. Et quantum protenditur infra dictos limites in via pelagi seu meridiei per quinquaginta milliaria », Arch. municipales de Nice, AA n° 35.
[55]         Saige, Documents, op. cit., T.1, p. 58. La pratique semble plus marquée en Europe du nord : ainsi en 1304 dans une protestation adressée par l’ « admiral de la mer d’Angleterre » contre les entreprises de Rainier Grimaldi, amiral de France, on affirme la «  sovereigne seigneurie de la mer d’Engleterre et des iles esteans en y celle », Saige, Documents, op. cit., pp. 103-104.
[56]         Cf. supra.
[57]         « Similiter quod non debent Januenses aliquem offendere infra hos terminos a Senegagia (Senigallia) usque ad numanam ( Numana) nec in mari nec in terra nec infra mare per spacium milliarium viginti » : pacte entre les consuls de Gênes et less légats d’Ancône, 16 avril 1208, Liber jurium, op. cit., T.1, col. 536 et 2 avril 1220, Liber jurium, op. cit., T.1, col. 648.
[58]         « Item procurator dicti domini duci et commune Januae promitit ad ipsum dominum ducem et commune obligat quod gentes Bonifacii et alli districtuales dicti communi Januae non intrabunt cum mercibus nec alias nec accedent ad terras Sardinae rebelles domino regi et si contrarium fecerint possint puniri et damnaficari in bonis, vasis et mercibus per gentes domini regis si per reperti fuerint infra spacium quinque milliarum eundo ad dictos terras prohibitas vel inde redeundo », Liber jurium, op. cit., T.2, col. 841.
[59]         « Et quod omnes et singule mecancie et res florentinorum et suorum subditorum que portarentur per quecumque navigia et quascumque fustas possint deferi et pertari per mare in quibuscumque locis et portibus atque mondi partibus nec possint vel debeant ullo modo capi vel arestari, detineri vel inquietari aut impediri vel derobari per Januenses vel eorum subditos, ita tamen quoid mercancie et res florentinorum que invenirentur prope littora inimicorum communis Januae declaratarum per quatuor menses ante per quinque milliaria aut minus capi et arrestari possint per Januenses et ipsorum subditos », Liber jurium, op. cit., T.2, col. 1424.
[60]         L’expression est utilisée en 1285 par le Conseil de Lübeck dans une lettre adressée au roi d’Angleterre Edouard I : le conseil se plaignait que des marchands lübeckois aient été pillés « in libero mari », Raestad, La mer territoriale, op. cit., p. 49.
            On ne retrouve pas d’expression équivalente en Méditerranée pour la raison –déjà observée précédemment- que la doctrine proclame cette liberté et qu’il n’est pas besoin de la revendiquer, du moins de cette façon-là. La Hanse –à la différence des marchands méditerranéens a dû à partir du XIIe siècle se frayer un passage à travers des domaines maritimes exclusifs, ceux du Danemark en mer Baltique et ceux de la Norvège en mer du Nord en particulier. Comme l’écrit Raestad, La mer territoriale, op. cit., p. 33, « la jurisprudence septentrionale n’avait pas à lutter contre la fiction d’une mer sans maître abandonnée à l’usage de tout le monde … cette jurisprudence pouvait donc procéder sans scrupules à une délimitation de zones juridictionnelles sur mer ».
            Les marchands de la Hanse tenteront de faire reculer ces droits au maximum, si possible jusqu’à la « vue », en faisant valoir les droits élémentaires de libre passage, par ailleurs défendus par l’Eglise et l’Empire. En ce sens la mer territoriale peut en Europe septentrionale apparaître comme un « résidu » d’une domination antérieure. Le processus de formation de cette mer territoriale est différent en Méditerranée occidentale, presque inverse. La mer territoriale -surtout dans son avancée à 100 milles- y apparaît plutôt comme une avancée des droits des riverains dans un espace sans maître.
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