Histoire maritime. Gaëtan De May corsaire du roi au temps de la Révolution

 

 
 
Le Niçois Gaëtan De May, corsaire du roi au temps de la Révolution
 
 
Michel Bottin
 
 
 
Conférence du samedi 23 mars 2013
 
Cycle « Le patrimoine maritime
Ville de Nice
Direction du patrimoine historique
Théâtre de la photographie et de l’image Charles Nègre
 
 
 
        Gaëtan De May est né en 1759 dans une famille de notables villefranchois dont la noblesse se consolide progressivement au cours du XVIIIe siècle. Charles-Emmanuel II, roi de Sardaigne, a concédé cette noblesse à son ancêtre Benoît en 1649 pour  « avoir toujours noblement vécu comme ses ascendants et incité ses descendants à se vouer toujours aux actes honorables ». La distinction a rejailli sur toute la famille.
        La famille De May est enracinée dans le terroir villefranchois. Elle a ainsi vécu au rythme des transformations de la rade et du port. Celui-ci a beaucoup changé depuis la réunion de la Sardaigne aux Etats de Savoie en 1720. Un nouvel épisode de l’histoire de la cité portuaire a été ouvert. Plusieurs innovations importantes marquent le règne réformateur de Charles Emmanuel III : la vieille base de galères a été transformée en un moderne port de guerre. La darse a été agrandie et un grand bassin couvert de plus de 60 mètres de long permet depuis les années 1730 de construire les galères nécessaires à la petite flotte de la Maison de Savoie. Les années qui suivent voient s’amplifier le débat entre les partisans des galères et ceux de la marine à voile. Les partisans des galères auront assez d'arguments pour défendre leur maintien tant elles étaient efficaces pour assurer la défense des côtes, particulièrement contre les Barbaresques en Sardaigne. On acheta tout de même en Angleterre et en Hollande deux frégates et pour éviter une trop forte dépendance on construisit dans les années 1760, près du Lazaret, un bassin pour la construction de ce type de bâtiment. La création d'une école de marine puis d’une école d'artillerie parachève ces transformations. Il faut noter que ces changements surviennent au moment où l'on creuse à Nice en 1750 un port de commerce. Les activités commerciales quittent Villefranche et celui-ci devient un véritable port de guerre.
        C’est dans cet environnement que grandit Gaëtan. Il est évidemment attiré par la marine. Il est admis à l'âge de 12 ans comme garde-marine de deuxième classe, c’est-à-dire comme cadet, et embarqué sur la frégate San Carlo en 1777. Il ne tarde pas à réussir l’examen de garde-marine de première classe. Sa formation terminée il est versé dans le corps de la Marina, l’arme qui regroupe les fusiliers marins et les artilleurs destinés à servir au service en mer et à la protection des côtes. Une carrière aussi exceptionnelle que mouvementée commence.
         Les bataillons de La Marina sont stationnés dans le Comté de Nice, à Oneglia -une importante enclave de la Maison de Savoie sur la côte Ligure- et en Sardaigne. C’est là, en Sardaigne, que Gaëtan est affecté, comme « lieutenant de bord » commandant une « mezze galere », La Santa Barbara. Le lieutenant De May servira pendant dix ans sur ce type de bâtiment particulièrement adapté pour la chasse aux Barbaresques. La « mezze galere » est un bâtiment d’une trentaine de mètres de long avec 40 rames légères  et un rameur par rame, deux grandes voiles latines, trois canons, huit petites pièces d'artillerie. Son équipage est composé de 250 hommes, rameurs, marins et soldats. Durant toute cette période De May effectue des croisières de surveillance le long de la côte Ouest de l'île, entre l’île San Pietro et Alghero. Il est basé à Porto Conty – Porto Conte- dans une belle baie située à proximité d’Alghero.
        Les instructions de campagne portent sur la protection des pêcheries de corail, sur les madragues -pêcheries de thon- ainsi que sur la surveillance des baies les plus propices à la contrebande comme le golfe de Palmas au sud de l'île. Mais la mission essentielle reste la chasse aux Barbaresques ; les incidents sont permanents et les accrochages fréquents. Durant toutes ces années De May partage la surveillance de ces côtes avec une autre demi-galère, La Beata Margarita. Les missions sont parfois communes. Le fait d'armes le plus remarqué de la période est la prise par De May d’une galiote tunisienne après un combat acharné. Le bâtiment était d’une qualité telle qu’il fut intégré dans la marine sarde. En février 1792 De May est nommé capitaine. Il prend le commandement d’une compagnie de Marina et porte toujours le titre de lieutenant de bord.
         Sur le continent la situation politique est bouleversée au mois de septembre 1792 avec l'invasion par les révolutionnaires français d'une part de la Savoie et d'autre part du Comté de Nice. L’objectif des Français est de poursuivre les opérations et d'aboutir à la conquête totale des Etats de Savoie mais ils sont bloqués à Saorge sur la vallée de la Roya. Qu’à cela ne tienne, il reste les enclaves sardes en Ligurie. C’est ainsi qu’ils forment le projet d’annexer Oneglia et sa principauté. Les Français pensent y être accueillis en libérateurs. Ils tentent au mois d'octobre 1792 d'investir la principauté mais ils sont repoussés. En représailles, ils rasent la ville. Une opération semblable est organisée pour s'emparer de Cagliari en Sardaigne au mois de février 1793. Une flotte d'une trentaine de navires avec plusieurs milliers de soldats commandés par l'amiral Truguet attaque la ville. L’attaque est repoussée à deux reprises par l'artillerie de la ville. Dans le même temps la flotte française soutient au nord de l’île une opération réclamée par les Corses. Il s’agit de prendre des îles de La Maddalena dans le détroit de Bonifacio, considérée par les Corses comme corses donc françaises. Il y avait parmi les officiers Corses un certain Napoléon Bonaparte, alors le jeune officier d'artillerie et lieutenant-colonel de la garde nationale d'Ajaccio.
        C’est immédiatement après ces événements que De May revient sur le continent. Il connaît comme tout le monde la situation de l'Armée d'Italie stationnée à Nice. Elle est très nombreuse, apparemment puissante mais elle est très éloignée de ses bases. Elle ne peut durablement se maintenir qu’en s’approvisionnant à Gênes, puissance neutre mais bienveillante envers la France. Couper ces approvisionnements permettrait d'organiser la contre-offensive attendue mais les moyens navals sardes sont totalement insuffisants pour y parvenir. Une autre solution consisterait à accorder des autorisations de course à quelques bâtiments du commerce. Mais cela serait très risqué car cette solution exposerait d'une part Oneglia et d’autre part Loano, l'autre enclave de la Maison de Savoie en Ligurie près de Savone, non seulement aux représailles des Français mais aussi aux protestations de tous les Neutres, Napolitains, Romains, Toscans ou autres qui auraient à souffrir de cette course. Une réunion ministérielle tenue au mois de novembre 1792 a d’ailleurs jugé que l'opération était risquée. L'état-major sarde hésite toujours.
 
L’entrée en course
 
        C’est De May qui intervient de façon décisive dans ce débat à la fin du mois de janvier 1793, au moment où l'Angleterre s'apprête à rentrer dans la guerre à la suite de l'invasion française en Hollande. De May suggère à la commission de généraux chargés d'examiner les possibilités d'entrer en course d'autoriser l'armement de quatre bâtiments de 60 à 80 hommes chacun à Oneglia ou à Loano. Il se propose de son côté de trouver les associés nécessaires pour financer l'opération ; il demande seulement au gouvernement des armes et des munitions et aussi quelques militaires aguerris pour encadrer les équipages. De May obtient l'autorisation … mais pas l’argent. Il arme donc à ses frais une bonne felouque, La Caroline. Dès le 5 mars il prend une felouque française, La Sainte-Anne, qu'il arme immédiatement en course. Ce succès encourage deux de ses amis, tous deux officiers de marine, le Niçois Erménégilde de Fougassières et le Savoyard Chevillard de Marlioz, à entrer en course.
         La réputation du trio est telle que bientôt ce sont 10 puis 20 puis 30 patrons et capitaines qui arment en course : six d’Oneglia, trois de Villefranche, trois de Nice, cinq de Loano, un sarde, deux Piémontais, un Napolitain, etc. … mais il n'y a aucun Génois. Les succès s'accumulent. Plus aucun bâtiment français ne s’aventure dans ces parages. Et pourtant le commerce continue. Il se fait maintenant sous pavillon neutre. Il devient impossible d’exercer le droit de prise. Aucune juridiction maritime n’accepterait de juger bonne une prise faite dans ces conditions. Que ce soit à Gênes, à Livourne ou ailleurs. Les corsaires ne peuvent pas non plus compter sur la juridiction des prises de la Maison de Savoie, le Consulat de mer de Nice. Celle-ci après l’invasion du Comté de Nice s’est repliée d’abord à Bourg-Saint-Dalmas puis à Carmagnola près de Turin. Elle ne semble pas prête à transgresser le droit existant. L’affaire est donc mal engagée : plus de prises, plus de butin, plus de corsaires.
 
Neutres droit des prises
 
        De May a bien compris l'enjeu. Le corsaire devient avocat. Il multiplie les démarches auprès de la juridiction des prises. Les juges sont confrontés à un dilemme : soit ils adoptent un comportement patriotique et leurs décisions seront farouchement contestées par les armateurs, soit ils appliquent le droit et ils facilitent indirectement les entreprises de l’armée française contre Tende et Saorge. De May insiste. La situation est totalement nouvelle. Il s’agit d’une guerre révolutionnaire. Il faut pouvoir prendre les Neutres lorsqu’ils transportent des marchandises ennemies ou lorsqu’ils naviguent à destination d’un port ennemi. Il faut tout simplement changer de droit. Ce qui n’est pas facile.
        Le droit des Neutres s’est en effet considérablement renforcé depuis la dernière guerre, restrictivement nommée guerre d’Amérique. Il s’agit en fait d’une guerre engagée sur toutes les mers du globe. La France a fait cette guerre au nom du droit des Neutres contre les prétentions  britanniques de domination des mers. Sa victoire en 1783 fonde un nouveau droit international et donc d'un nouveau droit des prises. Mais ces changements sont-ils encore d’actualité ? Les Anglais n’ont pas changé de position et les Français eux-mêmes, explique De May, ont déjà commencé à modifier leurs procédures. De May cite plusieurs exemples de ce changement comme la prise d’un bâtiment génois près de Porto Maurizio chargé de marchandises génoises à destination de l’Espagne, pays ennemi. Mais la juridiction des prises hésite toujours. C’est finalement Fougassières qui franchit le pas avec la prise d’un Génois le 23 mars 1793. La juridiction la considère finalement comme bonne. Les corsaires peuvent poursuivre leur activité. Dix prises de Neutres suivent au cours du mois suivant.
 
Les événements navals
 
        La victoire juridique encourage les corsaires. D’autant plus qu’on annonce au mois d’avril l’arrivée prochaine de la flotte anglaise en Méditerranée. Les flottes anglo-espagnoles font jonction devant Marseille à la fin du mois de mai 1793 et elles deviennent maîtresses de l'ensemble de la Méditerranée vers la mi-juin : 48 voiles espagnoles et napolitaines croisent devant Oneglia à la mi-juin ; le 28 juin cette flotte rencontre 40 vaisseaux anglais en route vers ces parages ; le 13 juillet la flotte espagnole fait voile vers Toulon et on signale le 20 juillet, 40 bâtiments anglais vers Antibes ; le 1er août l'amiral Hood passe devant Nice et menace ville de destruction.
         La situation des Français est donc particulièrement périlleuse. Ceux-ci, affaiblis par la défaite en Sardaigne, n’ont jamais été en mesure de réagir efficacement pour contrôler la côte ligure. Leurs actions son sporadiques : à la mi-mars on annonce à Nice qu’une intervention se prépare contre De May ; le 22 mars De May doit abandonner le combat face à une tartane française armée guerre et plus puissante ; le 9 avril le bruit court qu’on prépare une flottille pour attaquer Oneglia ; le 5 mai, trois bâtiments français bombardent Oneglia, etc. etc. Mais rien n’y fait. L’activité des corsaires est évoquée à Paris devant le Comité de Salut public et devant le Conseil exécutif. On décide de mener une opération d’envergure contre Oneglia, le nid de corsaires. L’ordre est transmis à Toulon par Albarède, le ministre de la Marine. Mais il faut plus d’un mois pour l’organiser. Le 22 juillet une flotte de 14 bâtiments bombarde Oneglia. C’est la dernière attaque française.
        Entretemps les corsaires se sont organisés. Ils coordonnent leurs activités avec la flotte anglaise. De May a rencontré en ce sens l’amiral Hood au large d’Oneglia le 16 juin.
 
La gestion des prises
 
        Les corsaires semblent avoir gagné partie. Mais ils doivent maintenir la pression et plusieurs difficultés demeurent. Elles sont d’ordre juridique. Comment les prises sont-elles gérées ? Le produit des prises rentre mal. Il y a là un risque de découragement des capitaines et des marins.
        La neutralité, plutôt malveillante, des Génois réduit en effet considérablement le développement de la course. Les corsaires ne peuvent pas compter sur la juridiction génoise des prises. Trois prises conduites à Gênes au cours du mois de mai montrent rapidement la difficulté. Les complications diplomatiques sont trop fortes. Or Gênes serait un port commode pour accueillir des prises. Il y a assez de place et des entrepôts bien équipés. Ce qui n’est ni le cas d’Oneglia ni celui de Loano, qui n’est d’ailleurs qu’un simple port de pêche.
        Les corsaires doivent donc se contenter de ces deux ports. Mais il faut au moins un minimum d’organisation. Cela suppose que le Consulat de mer nomme à Loano et à Oneglia deux commissaires chargés d'instruire les affaires, de prendre les mesures conservatoires et d'exécuter les jugements. Ce que l’on fait. Mais très vite il apparaît que le commissaire de Loano, l'avocat Muzio, a trop de prises à gérer. Les corsaires en effet préfèrent conduire leurs prises à Loano parce que ce petit port est plus près de Gênes et de Savone, leurs zones de patrouille. Et le commissaire connaît mal le droit des prises. De May proteste. On remplace Muzio par l’avocat Berardi, vice-juge d’Oneglia apparemment plus compétent. Cette fois c’est Chevillard qui se plaint ; dans une lettre du 19 juin il explique au Consulat de mer que « la lenteur naturelle de l'avocat Berardi, augmentée par son défaut d'usage et d’instructions dans ces matières procure aux armateurs des garde-côtes de graves dangers ». Les procès de prises se chevauchent. Tout est compliqué. Les entrepôts sont mal gardés. Plusieurs corsaires sont ainsi obligés de rester à Loano pour surveiller leur prise au lieu d’aller en mer.
        La dernière difficulté concerne les défauts de l’instruction : la légèreté des mesures conservatoires et les lenteurs de la procédure. La juridiction des prises est en effet précautionneuse. Elle prend son temps, refuse de juger selon la procédure commerciale habituelle, « a la mercantile », plus rapide, surtout s'il y a trop d'enjeux commerciaux. Elle veut entendre les armateurs, les assureurs, les capitaines, enquêter, démêler les intérêts en présence. Il faut au moins trois mois pour juger une affaire simple. Les dossiers s’accumulent et les corsaires ne perçoivent toujours pas leur part de prise. Les marins ne sont pas payés. Il y a de qui décourager les corsaires. D’autant plus que leurs investissements sont particulièrement lourds.  De May s’en émeut. Il proteste, se déplace jusqu’à Bourg-Saint-Dalmas, multiplie les interventions pour lui-même et pour ses compagnons. Il faut que le Consulat de mer soit plus rapide, qu’il abandonne sa jurisprudence trop soucieuse de ménager le voisin génois. Et enfin il faut qu’il comprenne que le commerce à destination de Nice se poursuit par des moyens plus discrets.
 
La destination fictive
 
        Les corsaires ont en effet remarqué que les Neutres, au départ de Gênes, ou même de Livourne, conduisaient leurs cargaisons dans des ports génois situés entre Oneglia et la frontière française, à Porto Maurizio, à San Remo et à Vintimille. A partir de ces entrepôts il est possible de transborder les marchandises, soit immédiatement soit après stockage, sur de petits bâtiments qui vont naviguer le long de la côte, le plus souvent de nuit, à destination de Nice. Ces barques sont hors d’atteinte des corsaires qui ne peuvent pas intervenir dans la mer territoriale de Gênes, c’est à dire dans un espace limité à la portée du canon, environ trois milles. Il faut donc prendre ces Neutres avant qu’ils n’atteignent ces ports. Mais comment plaider de telles prises devant le Consulat de mer ? Bâtiment neutre, cargaison neutre destination neutre. La prise n’a aucune chance d’être déclarée bonne, sauf à prouver la fausse destination. Une nouvelle bataille juridique s’engage.
        Les corsaires connaissent bien les milieux et les pratiques maritimes de la région pour ne pas avoir une idée exacte de l'identité des commerçants concernés. Toute enquête est cependant impossible. Il n’est pas question de solliciter l’aide des autorités génoises. Les corsaires sont donc démunis. Ils n’ont d’autre solution que de convaincre la juridiction d’accepter de considérer que certaines pratiques constituent des présomptions de fraude. Les corsaires vont donc faire les prises et mettre en place un ensemble de présomptions de preuves susceptible de convaincre la juridiction : le passage de nuit devant Oneglia ; la livraison de quantités de marchandises excédant les besoins de la population du lieu ; la mauvaise qualité des grains qui interdit toute conservation et nécessite  une consommation rapide, etc. On compte de juillet 1793 à mars 1794 23 prises entrant dans cette catégorie, dont huit à destination de San Remo, cinq pour Bordighera, quatre pour Vintimille. Il n’y en a pas pour Porto Maurizio. Le lieu, trop proche d’Oneglia, n’est pas assez discret. Les deux villes ne sont en effet séparées que par l’Impero, un petit cours d’eau facile à traverser.
        La République de Gênes proteste avec véhémence contre ces arrestations. Elle finit par obtenir qu'on relâche plusieurs bâtiments. Le Consulat de mer est bien embarrassé. Mais les corsaires ont atteint leur but. Les armateurs et leurs capitaines sont obligés de réduire leurs transbordements et de multiplier les précautions. Mais il leur reste une solution ! Puisque le transit par des entrepôts devient de plus en plus difficile il reste la possibilité de pratiquer les transbordements dans des lieux discrets. La crique de la Madonna della Ruota, est la plus fréquentée. C’est là entre Bordighera et Vintimille, à quelques kilomètres de la frontière, que se font presque chaque nuit les transbordements. Plusieurs barques y attendent leur cargaison pour la porter à Nice.
 
La guerre continue
 
        Le sort des armes jusque-là défavorable aux Français se retourne au début de l’hiver 1793. Toulon est repris en décembre. Mais comment passer le verrou de Saorge ? Or le temps presse. L’Armée d’Italie, trop loin de ses bases manque de tout. Elle est isolée et ne peut plus compter sur les approvisionnements maritimes. Une contre-attaque peut lui être fatale. Il faut détruire le nid de corsaires, Oneglia, et tenter un passage en Piémont. C’est ce que fait le général Dumerbion, secondé par Bonaparte et Masséna, au mois d’avril 1794. Il passe outre la neutralité, et l’amitié, génoise. L’armée française envahit la République de Gênes par Dolceaqua et Vintimille, s’empare d’Oneglia, remonte vers le col de Nava et prend Orméa. Elle est alors bloquée par les sardes.
        La guerre qui commence contre les austro-sardes va durer deux ans. Elle se termine par les défaites de Montenotte, Mondovi et Millesimo en avril 1796 puis par l’armistice de Cherasco. La paix est signée à Paris entre le Directoire exécutif et les représentants de Victor-Amédée III le 15 mai. Celui-ci cède à la France Nice et la Savoie et autorise la libre circulation des troupes françaises en Piémont.
        Gaëtan De May met donc un terme à ses activités maritimes. Mais le soldat est fidèle. Il poursuit la guerre dans les Alpes comme major d’infanterie pendant deux ans. Le 27 mars 1796 il est promu colonel d’infanterie pour son zèle, son intelligence et sa valeur. Entretemps il continue à se rendre à Carmagnola où se trouve toujours le Consulat de mer, pour défendre la validité de plusieurs prises contestées. Il y défend aussi les intérêts d’autres corsaires.
        Après l’armistice de Cherasco, De May est sans affectation. Il habite Turin et suit toujours ses affaires de prises. Cette inactivité dure un an. Au mois d’août 1797 il apprend qu’il est nommé en Sardaigne pour y commander le bataillon de La Marina. L’île a connu depuis deux ans d’importants troubles. Le nouveau roi Charles-Emmanuel IV a décidé d’y restaurer son autorité. Après la proclamation de la République piémontaise par les Français en 1798 il devra d’ailleurs s’installer à Cagliari avec toute sa cour.
        De May va servir en Sardaigne jusqu’en 1814. Le royaume est neutre mais il doit faire face aux attaques constantes des Barbaresques et aux pressions britanniques. Gaëtan travaille sans relâche à la défense de l’île. Parfois il paye même de sa personne comme ce 28 juillet 1811 où il met en déroute avec deux demi-galères une flottille tunisienne dans le sud de l’île. Il est accueilli en héros à Cagliari. Cela lui vaut une double promotion : il est nommé brigadier d’infanterie, c’est-à-dire général, et capitaine de vaisseau.
        A la chute de Napoléon en 1814, Gaëtan pense obtenir une affectation à Villefranche mais c’est à Gênes qu’il est nommé. La République de Gênes qui vient d’être rattachée au royaume de Sardaigne est en pleine réorganisation militaire. De May doit y former un régiment d’artillerie de Marina. Il y rencontrera des difficultés pour amalgamer les soldats et les officiers fidèles au roi et les recrues génoises travaillées par le carbonarisme. De May découragé demande sa mutation en 1820. De May était lucide. Ce régiment fut un de ceux qui prendront part à l’insurrection contre Victor-Emmanuel I en 1821.
        De May est alors nommé à Monaco comme lieutenant des armes pour le roi de Sardaigne. La Principauté est alors un protectorat du royaume de Sardaigne. Gaëtan s’y installe avec sa famille. Il y exercera ses fonctions jusqu’à sa mort en 1827. Du haut du rocher il peut à loisir méditer sur cette mer, théâtre de ses exploits. De May a cessé de naviguer. Il n’embarque plus sauf pour aller à Villefranche, chez lui. Il y possède une maison et quelques terres. Il y retrouve son frère. Ce retour, il en rêvait depuis quarante ans, depuis ses premières affectations en Sardaigne dans les années 1780. La guerre avait ensuite imposé d’autres choix. De May aura servi sans discontinuer la Maison de Savoie pendant plus de cinquante ans, sous cinq souverains, de Charles Emmanuel III à Charles Félix. Un exemple rare de fidélité.
 
 
 
                                          Pour aller plus loin 
 
Michel Bottin : « La course sous pavillon de Savoie dans le Golfe de Gênes en 1793 », in Rivista di Storia del diritto italiano, 1993, pp. 75-107. Une version abrégée a été publiée dans Nice Historique 1992, pp. 138-143 ; voir aussi « Le général Gaëtan De May, corsaire du Reale Marina 1757-1827 », in Actes du Colloque Destins niçois, Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine, Université de Nice, 1996. Cahiers de la Méditerranée, Nice, 1997, pp. 1-6. Sur la famille de Gaëtan De May : « Chronique militaire et domestique de la famille De May des années 1780 aux années 1850 » in Vive la France. Regards croisés sur l’union du Comté de Nice à la France, 1860-1947, Serre Editeur, Nice, 2010, pp. 123-137.
 
 
     
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