Cinq entrées du Dictionnaire encyclopédique de Finances publiques
 
 

 

Cinq entrées du

Dictionnaire encyclopédique de Finances publiques

sous la direction de Loïc Philip  

 

  Budget (historique et notion politique

Droit budgétaire (formation historique) 

Consentement à l’impôt (histoire du) 

Centimes additionnels 

Cens (droit fiscal et électoral) 

 

 
 
 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Budget (historique et notion politique) », in Dictionnaire encyclopédique de Finances publiques, direction Loïc Philip,2 vol., Economica, Paris, 1991.
 
BUDGET (historique et notion politique). Genèse et développement de l’acte de prévision et d’autorisation des dépenses et des recettes publiques. Ce processus est un des aspects essentiels du perfectionnement des formes étatiques depuis le Moyen Age.
 
                BIBLIOGRAPHIE - Stourm R. : Les finances de l’Ancien Régime et de la Révolution, 2 vol., 1885 - Boscher J.-F. : French Finances. From Business to Bureaucracy. 1770-1795, Cambridge, 1970 - Guery A. : « Les finances de la Monarchie française sous l’Ancien Régime », in Annales Eco. Soc. Civ., 1978 - Morineau M. : « Budgets de l’Etat et gestion des finances royales en France au XVIIIe siècle », in Revue Historique, 1980 - Rigaudière A. : Saint-Flour aux XIVe et XVe siècles. Etude de l’histoire administrative et financière, 1982 - Guery A. : « Le roi dépensier », in Annales Eco. Soc. et Civ., 1984 - Bottin M : « Introduction historique au droit budgétaire et à la comptabilité publique de la période classique », in Histoire du droit des finances publiques, dir. Isaïa et Spindler,1986 - Bottin M. : « Le compte rendu de mars 1788 et la remise en cause de l’emprunt du 19 novembre 1787 », in Actes du colloque Finances et Révolution , Bercy, 1989 - 
 
         1. Le mot budget vient de l’anglais « budget » qui lui-même dérive de l’ancien français, « bouge », « bougette », c’est-à-dire petit sac. Il a pris en Angleterre sa signification financière en évoquant le sac du roi renfermant l’argent nécessaire aux dépenses. Le terme budget n’apparaît pas en France avant le début du XIXe siècle. On en a souvent conclu que si le terme n’existait pas, la pratique, elle aussi, était ignorée. En fait, on trouve dès le Moyen Age, au plan local comme au plan étatique, cette pratique consistant à prévoir des recettes pour acquitter des dépenses prévues et à faire autoriser le tout par un organe considéré comme représentatif.
         Il est vain de rechercher à quel moment précis apparaît cette pratique. Elle est le résultat de perfectionnements apportés de siècle en siècle, soit en matière de technique de prévision, soit en matière de renforcement des procédures d’autorisation. Avant que la notion de budget ne s’épanouisse complètement au XIXe siècle et ne revête la définition juridique qu’elle a aujourd’hui, on peut donc en trouver des éléments, parfois essentiels, au cours des siècles passés, comme autant de couches géologiques.
         Enfin, si la référence anglaise est indispensable pour éclairer l’origine parlementaire du droit budgétaire proprement dit (voir entrée « Droit budgétaire, formation historique »), on peut considérer que la tradition administrative, comptable et gouvernementale de la France offre un terrain très favorable pour l’étude de la formation et du développement du concept budgétaire.
 Une dernière remarque préliminaire : cette pratique ne se limite pas aux seules finances de l’Etat. Elle concerne les autres parties de Finances publiques, en particulier les finances locales. Il convient donc de les distinguer
 
Le budget de l’Etat
 
         2. La gestion prévisionnelle des dépenses et des recettes est pratiquée à des degrés divers de perfectionnement par les royaumes et principautés médiévales. Elle est étroitement liée à l’émergence et à la croissance de l’Etat. Le royaume de France, souvent pionnier en matière de perfectionnement étatique, a été confronté plus que d’autres à cette recherche des moyens propres à assumer les fonctions de l’Etat : dans cette optique, la dépense passe avant la recette. Elle a toujours tendance à être prioritaire. L’Etat emprunte ainsi une démarche budgétaire particulière, inverse de celle d’un bon père de famille : il recense les besoins et s’organise pour trouver les moyens.
 
         3. L’élaboration des prévisions est assurée par l’administration des Finances, surintendant puis contrôleur général. Des documents récapitulatifs particuliers, dits « états du roi », ventilent, branche par branche, les dépenses et assignent à chaque poste un revenu particulier. C’est ce qu’on appelle « l’arrangement des finances », opération délicate qui suppose que le comptable disposera de la somme nécessaire à l’acquittement de la dépense à un moment précis. La technique présente l’avantage de limiter les transferts de fonds. Les sommes non employées remontent au Trésor royal formant les recettes proprement dites au moyen desquelles on paiera les dépenses.
         La pratique des « charges sur recettes » introduit une complexité : il s’agit d’autant de budgets secondaires gérés par les comptables et les ordonnateurs concernés et dont le rythme de gestion n’est pas toujours le même que celui du budget général, d’où l’importance des chevauchements d’exercice et la difficulté à présenter une prévision totalement exacte. Loménie de Brienne, principal ministre de Louis XVI et auteur du « comte rendu au roi » de mars 1788, est le premier à avoir clarifié cette question, en définissant aussi précisément que possible ces charges sur recettes. Son compte rendu peut ainsi être considéré comme le budget, au sens technique du terme, de l’année 1788. C’est là une avancée par rapport à tous les comptes rendus antérieurs, dont celui de Necker en 1781, qui ne sont que des points de situations sur l’état des finances à un moment donné.
         Cet effort de clarification et de précision (le budget de Brienne est un ouvrage de 184 pages) est le produit d’une démarche administrative et comptable. En ce sens, il se situe dans la tradition française. On doit noter qu’en Angleterre les vicissitudes du régime parlementaire n’ont pas encore permis à cette époque-là au Parlement d’imposer une présentation globale et détaillée des recettes et des dépenses.
 
         4. Cet « état général des finances », qu’on appelle de plus en plus souvent à la fin du XVIIIe siècle « aperçu », est discuté et approuvé dans le cadre du Conseil royal des finances. Cette intervention pose le problème de l’autorisation budgétaire : celle-ci n’est pas globale. Le Conseil royal, donc le roi, n’autorise, pour reprendre la terminologie moderne, pleinement que les dépenses. La théorie du consentement à l’impôt, même en pleine monarchie absolue, empêche le roi d’autoriser toutes les recettes fiscales. Les institutions compétentes sont théoriquement les Etats Généraux et les états provinciaux. Mais les premiers ne sont plus réunis après 1614 et la compétence des seconds ne s’étend qu’à environ un tiers du royaume. Toutefois, au XVIIIe siècle, la « théorie de l’interstice » permet au Parlement de Paris d’affirmer sa compétence en matière d’enregistrement de textes fiscaux.
         Le roi n’est maître que d’une petite part de la recette, celle des droits domaniaux. Pour le reste, toute augmentation et, a fortiori, toute création fiscale ne peut être réalisée qu’avec l’accord, soit des états provinciaux, soit des parlements : il faut noter que ces autorisations ne sont pas annuelles mais données soit pour une durée indéterminée, soit pour résoudre une difficulté passagère, le temps d’une guerre par exemple. Chaque contrôleur général des Finances au XVIIIe siècle doit ainsi parvenir, par d’habiles compromis, à augmenter la recette des impôts directs et indirects : accroître le taux des droits d’aides dans telle province, obtenir la création d’une imposition accessoire à la taille, faire créer un second vingtième en sus du premier pour une durée de cinq ans, etc. La place importante des impôts indirects, plus indolores et plus facilement réformables par voie règlementaire, s’explique par la difficulté à innover en matière de recettes fiscales directes. Dans le même ordre d’idées, cette même fiscalité directe est en grande partie basée sur des impositions accessoires. Enfin, la faiblesse relative des revenus fiscaux et leur rigidité, face aux nouveaux besoins de l’Etat -situation qui illustre la formule « un Etat pauvre dans un pays riche » - a conduit à un recours fréquent à l’emprunt, en particulier en période de guerre.
 
         5. A partir de 1789, la Constituante introduit trois modifications majeures : l’approbation annuelle, non seulement celle des recettes mais aussi celle des dépenses ; le principe de l’équilibre sans recours à l’emprunt ; la suppression de toute compétence budgétaire au niveau infra-étatique, type états provinciaux. La réforme complète du système fiscal et la vente des biens du Clergé comme biens nationaux devait, dans l’esprit des Constituants, résorber le déficit existant et assurer l’équilibre budgétaire.
         En fait, le faible rendement de la vente des biens nationaux, la délicate mise en place des nouveaux impôts puis les premières dévaluations d’assignats, interdiront toute régulation du système. On ne trouve, au cours de la période, aucune présentation budgétaire détaillée des dépenses et des recettes. Le ministre des Finances, devenu très vite seulement celui des « Contributions », ne peut guère que proposer au vote de l’Assemblée les grandes masses de recettes et dépenses. Les précisions, voire les corrections, sont apportées par des aperçus trimestriels autorisant les dépenses. Les comités de l’Assemblée -Comité des Impositions et Comité des Finances- ont, au fur et à mesure que le pouvoir de Louis XVI et de Necker recule, de plus en plus de pouvoir sur cette gestion budgétaire au coup par coup.
         Le budget de 1790 est encore dépendant de l’ancienne fiscalité ; celui de 1791 ne peut prévoir avec exactitude le produit des nouveaux impôts ; celui de 1792 est marqué par des difficultés qui affectent l’administration des Finances. Les budgets suivants, jusque sous l’Empire, et quelle que soit la qualité des ministres responsables, seront à la fois peu fidèles aux principes affirmés par la Constituante et en deçà des avancées techniques de la fin du règne de Louis XVI. Cette dégradation a trois causes majeures : le désordre monétaire lié aux assignats jusqu’au Directoire, puis à partir de cette même période la tentation de prélever des revenus sur les pays conquis, enfin, de plus en plus, sous l’Empire, le recours à l’emprunt.
 
         6. Deux progrès décisifs sont accomplis sous la Restauration : le premier en matière d’intervention législative, le second en matière de comptabilité publique.
         La Charte du 4 juin 1814 énonce le principe du consentement à l’impôt -dans la tradition des Etats Généraux- mais est muette sur la question du contrôle des dépenses. Le Baron Louis, ministre des Finances, propose dès le mois de juillet aux Chambres que l’on lie dépenses et recettes et qu’on mette en place un système de contrôle parlementaire des opérations réalisées dans l’année. Ce sont les bases de la procédure dite des « quatre temps alternés » : le ministre des Finances prépare le budget, les Chambres le votent, les ministres exécutent, les Chambres contrôlent.
         Voté au début par ministère, le budget sera présenté en un nombre croissant de divisions (52 sections en 1827). La ventilation des dépenses à l’intérieur de chaque subdivision était assurée par le roi. Les Chambres prenaient connaissance de la totalité des dépenses et des recettes réalisées lors de la loi de règlement, quatrième temps de la procédure.
 
         7. Ce progrès, d’ordre juridique et parlementaire, masque une autre avancée de nature comptable sans laquelle il aurait pu être un leurre politique. Pour que ce budget soit le reflet de la réalité, il fallait, d’abord, que le ministre des Finances maîtrise pleinement l’ensemble de ses services, régies financières, trésorerie, etc., ce qui était loin d’être le cas. Il fallait, ensuite, que les ministres dépensiers se plient à une discipline comptable et acceptent de justifier leurs dépenses, ce qui était, là encore, loin d’être le cas, les ministres ayant pris, depuis l’Empire, le goût des gestions indépendantes.
         C’est Villèle, ministre des Finances de Louis XVIII puis de Charles X, qui impose ces deux perfectionnements : le premier est symbolisé par l’installation des services des Finances rue de Rivoli, le second est réalisé par l’ordonnance du 22 juin 1822 qui impose aux ordonnateurs de délivrer aux comptables les pièces justificatives des dépenses et place ainsi le ministère des Finances en position de coordination et de surveillance. Ainsi, et c’est ce qui intéresse ici, le ministère des Finances dispose des moyens de suivre l’exécution du budget et de collecter l’ensemble des données pour pouvoir, l’année suivante, améliorer son travail de préparation. Le budget soumis aux Chambres n’en sera que plus précis et mieux adapté.
         L’orientation politique et parlementaire de la construction budgétaire a été ainsi durablement consolidée par le perfectionnement des règles de la comptabilité publique. De l’avis de Charles d’Audiffret, maître d’œuvre de toutes les grandes codifications de la comptabilité publique de la Restauration au Second Empire, c’était même ce qui faisait la supériorité des techniques budgétaires et comptables de la France par rapport à ses voisins, y compris l’Angleterre. Dans cette optique, le budget a pour fonction de rassembler l’ensemble des données comptables du pays, y compris celles provenant des collectivités locales, et de donner l’assurance que l’argent des contribuables est bien employé.
 
         8. Les conceptions budgétaires de la Restauration, clarté, équilibre, rigueur, donnent l’orientation de la période 1814-1914. Malgré les difficultés (charges nées de l’occupation en 1814, crise financière de la fin de la Monarchie de Juillet, indemnité de guerre à verser à la Prusse en 1870, etc.) et en dépit d’un certain nombre d’entorses aux principes affirmés sous la Restauration, le budget a été, par excellence, le moyen d’établir ou de restaurer la confiance.
         Cette régularité a été rendue possible par une maîtrise des techniques permettant de moduler ou d’alléger les obligations résultant des emprunts à long terme en tirant parti au mieux des possibilités de la conjoncture économique. Grâce à une politique de l’amortissement de la dette publique et à une pratique appropriée de la conversion des emprunts publics, les ressources n’ont jamais manqué, même dans les moments difficiles et malgré un système fiscal qui, à l’évidence, est, à la fin du XIXe siècle, de plus en plus inadapté.
         Enfin, le XIXe siècle a inauguré avec la Monarchie de Juillet de nouvelles techniques de financement, s’éloignant des attitudes classiques et combinant l’action de l’Etat et celle de compagnies privées : garanties, concessions, etc. Les grandes opérations d’urbanisme parisien et, surtout, la construction des chemins de fer furent réalisées au moyen de ces techniques.
Les budgets locaux
 
         9. La notion de budget au plan local est ancienne. On en trouve, par exemple, des éléments dans les finances communales du Moyen Age. Prévoir des recettes fiscales pour assurer des dépenses, les faire autoriser par une autorité compétente, conseil de Ville, assemblée d’habitants ou autre, est une démarche naturelle, surtout pour des bourgeois préoccupés de gestion. Il ne faut cependant rechercher dans cette approche budgétaire, ni présentation globale, ni autorisation annuelle, ni procédure réglée d’autorisation. La pratique budgétaire reste atrophiée. A l’inverse, le contrôle des comptes faits est une pratique essentielle de l’activité financière de ces villes médiévales. La difficulté de prévision explique l’absence de réel effort budgétaire et encourage une gestion au coup par coup. Les autorités urbaines, libres de leur gestion, ne se l’imposent que dans quelques rares cas.
         Cette liberté de gestion sera limitée à partir du XIIIe siècle en matière de « deniers d’octroi », c’est-à-dire de revenus fiscaux dont la perception est autorisée par le souverain par la ville en vue d’assurer certaines charges. Cette pratique se développe, soit à la demande des autorités urbaines, soit sous la pression du pouvoir royal qui souhaite voir les villes collaborer à des tâches d’intérêt général, routes, fortifications, etc. Dans ces cas-là, le roi estime avoir le droit de surveiller l’emploi des fonds. Il s’agit d’un contrôle comptable mais il suppose qu’on ait préalablement prévu la recette et défini l’affectation.
 
         10. S’agissant de revenus et de dépenses de nature patrimoniale, le contrôle du pouvoir royal est plus difficile. Il s’exerce d’abord de façon comptable, mais l’absence de contrainte budgétaire interdit toute intervention au niveau de la prévision.
         Cette volonté de contrôle se précise au début du XVIIe siècle lorsque l’Etat commence à s’intéresser de plus près aux dettes des villes et des communautés d’habitants et aux aliénations inconsidérées de biens patrimoniaux. La tutelle royale sur les villes et les communautés se renforce au moyen des intendants. Cette évolution aboutit dans l’édit d’avril 1683 pris à l’instigation de Colbert : le but recherché est de restreindre la liberté des villes, mais aussi de facto des simples communautés d’habitants, en matière d’endettement et d’aliénation de biens patrimoniaux. Les responsables, maires, échevins, jurats, devaient remettre à l’intendant l’état de leurs dettes et les comptes des dernières années. L’intendant, au vu de ces documents, dressait un état des dépenses ordinaires. Les revenus patrimoniaux devaient y être affectés en priorité. En cas de besoin, les communes pouvaient avoir recours à des dépenses extraordinaires à condition de prévoir leur financement, après accord de l’intendant, soit en empruntant, soit en aliénant un bien, soit en établissant un impôt. Cette mesure connue surtout pour avoir renforcé le pouvoir de tutelle de l’intendant, intéresse aussi l’histoire du budget parce qu’elle généralise, au niveau municipal, l’obligation de se plier à un cadre budgétaire.
 
         11. La notion de budget peut également être éclairée par les pratiques administratives fiscales et financières des états provinciaux. Organisées à partir du XIVe siècle par la monarchie pour obtenir des subsides supplémentaires, certaines réunions provinciales des trois états, Clergé, Noblesse et Tiers-Etat, se sont institutionnalisées et ont ajouté à leurs attributions fiscales originelles des compétences administratives. C’est là un aspect essentiel de l’auto-administration locale sous l’ancienne monarchie.
         L’intendant a en face de lui une organisation puissante, souvent dotée d’un organisme permanent et bénéficiant de prérogatives fiscales considérables : on notera, en particulier, la possibilité de fixer, en accord avec le pouvoir, l’impôt dû par la province, -le « don gratuit » -, de le répartir et de bénéficier de délégations fiscales : perception pour le compte de la province d’un impôt direct ou indirect avec l’obligation d’en employer le revenu à des tâches précises.
         Ces prérogatives fiscales -le forfait et la délégation- produisaient des recettes considérables de l’ordre de plusieurs millions de livres par province. Véritables finances autonomes, gérées sous la tutelle des commissaires royaux, elles nécessitaient des frais (coût de perceptions, procès, entretien d’agents, etc.) et permettaient, en cas de bonne gestion, d’accumuler des revenus d’une année sur l’autre. C’est par ce moyen que les états provinciaux -ceux de Languedoc en particulier- sont parvenus à procéder à des interventions directes, par exemple en matière de travaux publics. C’est là un système d’organisation complexe nécessitant une prévision, parfois à moyen terme et une autorisation par les états des dépenses et des recettes.
         L’extension, avec plusieurs restrictions importantes, de ce système d’auto-administration aux provinces dépourvues d’états -les « pays d’élection » - sera réalisée par l’édit de juin 1787 qui établit des assemblées provinciales dans ces provinces. Elles bénéficieront d’une partie de l’impôt royal et de taxes ou impositions locales, une partie étant affectée à des dépenses obligatoires, un autre étant à l’appréciation de l’assemblée provinciale.
 
         12. L’administration locale a été complètement réformée par les lois des 14 et 22 décembre 1789 relatives aux communes, districts et départements. L’optique unitaire des constituants a prévalu : ces administrations, élues et aux compétences étendues, ne sont que des administrations de l’Etat au plan local ; réserve faite des communes -qui bénéficient toujours de revenus patrimoniaux- districts et départements sont placés dans une dépendance financière totale. Leurs dépenses et les recettes qui s’y rapportent, sont directement réglées par l’Assemblée, au coup par coup.
         Toutefois, au printemps 1791, l’établissement de centimes additionnels et l’apparition de la notion de « dépenses des départements » laissent entrevoir la formation de budgets départementaux, sur le modèle voisin de celui des assemblées provinciales de 1787. Mais le retour à une conception stricte du principe unitaire, celui de l’unité-indivisibilité, sous la Convention, va retarder la formation de véritables budgets locaux.
         La notion de budget local réapparaît timidement sous le Directoire, puis plus nettement avec la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) réformant l’administration locale : les revenus des communes et des départements sont définis : centimes communaux, revenus patrimoniaux et octrois pour les premières, centimes additionnels pour les seconds. L’arrondissement, simple échelon administratif, est dépourvu de budget.
         L’emploi des fonds est sévèrement contrôlé par le préfet : au plan communal, un arrêté du 4 thermidor an X impose aux communes l’obligation de prévoir recettes et dépenses et de soumettre le budget au préfet. Au plan départemental, la dépendance est encore plus grande puisque les recettes sont affectées à des dépenses obligatoires, soit fixes, soit variables. En outre, c’est le préfet qui prépare le budget et qui l’exécute. Une relative liberté est introduite en 1805 avec la notion de dépenses facultatives destinées à des dépenses locales. Les cadres généraux, ceux d’une centralisation stricte, subsisteront jusqu’en 1838.
 
         13. Sous la Monarchie de Juillet l’extension des pouvoirs des assemblées locales suscite un vaste débat. Il s’agit de dépenses d’intérêt local. La loi du 10 mai 1837 -qui reconnaît implicitement la personnalité morale du département- réorganise le budget départemental dans un nouveau cadre (6 sections cloisonnées) et limite les pouvoirs du préfet sur les dépenses facultatives approuvées par le conseil général. Sous le Second Empire la loi du 18 juillet 1866 accroît les pouvoirs de ce conseil en matière de dépenses locales mais aussi de recettes, centimes extraordinaires ou emprunts. Elle modernise la présentation budgétaire en distinguant budget ordinaire et budget extraordinaire.
         Enfin la loi du 10 août 1871 réaffirme ce pouvoir des conseils généraux en matière de dépenses et de recettes d’intérêt local, en donnant à l’assemblée départementale les moyens de mieux organiser son travail budgétaire (allongement de la session, création d’une commission départementale, communication préalable des documents par le préfet...). Cette loi fixe pour plus d’un siècle, jusqu’à la réforme de 1982-83, les principes de base régissant le budget départemental. Les décrets-lois du 5 novembre 1926 et, surtout, l’ordonnance et le décret du 5 janvier 1959 atténueront la centralisation initiale.
 
         14. La notion de budget local doit, enfin, être éclairée par la distinction entre ressources propres et ressources fiscales sous forme de centimes additionnels. Le budget communal, composé en très grande partie par des revenus propres, est peu affecté par les centimes communaux. En revanche, les revenus départementaux sont exclusivement composés de centimes. Ces centimes communaux et départementaux font partie, jusqu’en 1892, du budget de l’Etat. Ces recettes y sont comptées « pour ordre ». Ces fonds sont répartis entre les ministères concernés pour être mis à la disposition des préfets. Ils font l’objet d’un vote des Chambres comme les autres parties du budget. Tout ceci amoindrit considérablement la portée des autorisations accordées par les conseils généraux. Leur budget reste lié à celui de l’Etat par une sorte de cordon ombilical. La loi du 18 juillet 1892 y met un terme : elle exclut du budget de l’Etat les impositions perçues au profit des communes et des départements et les dépenses s’y rapportant, réalisant ainsi l’autonomie juridique du budget départemental.
 
Corrélats : Aides - Centimes additionnels - Communes (Finances des -) - Comptabilité publique (historique) - Consentement à l’impôt (Histoire du -) - Contrôle budgétaire - Décentralisation (Départements -Finances des -) -Droit budgétaire (formation historique) -Ferme générale - Gabelle - Ministère des Finances (Organisation) - Revenu (Histoire de l’impôt sur le -jusqu’en 1959) - Trésor public (Histoire du -).
 
                                                                            Michel Bottin
 

 

Droit budgétaire, formation historique

 

 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Droit budgétaire (formation historique) », in Dictionnaire encyclopédique de Finances publiques, direction Loïc Philip,2 vol., Economica, Paris, 1991.
 
DROIT BUDGETAIRE (formation historique) - Processus d’accumulation et de consolidation des principes de base du droit budgétaire. Dans le cas français on fait communément remonter cette mise en place à la période de la Restauration.
 
BIBLIOGRAPHIE - Bonnafons J. : La loi des comptes sous la Restauration, thèse, Aix-en-Provence, 1947 - Bottin M. : « Introduction historique au droit budgétaire et à la comptabilité publique de la période classique », in Histoire du droit des Finances publiques, t. 1, Paris, 1986 - Bottin, M. : « L’autorisation budgétaire », in Histoire du droit des finances publiques, dir. H. Isaïa et J. Spindler, vol. 3, Les finances locales, Economica,  1988, pp. 97-125 - Bottin, M. : « Villèle et le contrôle des dépenses publiques. L’ordonnance du 14 septembre 1822 », in La comptabilité publique, continuité et modernité, Bercy, Paris, 1995 -
 
 
 
 
 
 
         1. Droit budgétaire français et droit budgétaire anglais. Le droit budgétaire français contemporain est une construction juridique complexe dont les fondements ont été mis en place, pour la plupart, au siècle passé. Cette construction originale, rigoureuse et équilibrée, trouve son expression, dans les principes « classiques » du droit budgétaire dégagés à partir de la Restauration, en rupture avec les pratiques antérieures. Toutefois, le droit budgétaire français est très fortement marqué, dès cette époque, par des traditions administratives, gouvernementales et surtout comptables dont la plupart remontent à l’ancienne Monarchie. Cette tradition explique les différences, parfois profondes, existant entre le droit budgétaire français et le droit budgétaire anglais. Elle rend difficile, sinon inexacte, toute présentation qui privilégierait la filiation budgétaire anglaise. L’un et l’autre droit ont un processus de développement largement autonome. Le droit anglais, plus ancien, conserve longtemps ses archaïsmes, le droit français, plus récent, apparaît rapidement mieux construit et plus rationnel.
 
La formation du droit budgétaire anglais
 
         2. Le développement du droit budgétaire en Angleterre est parallèle à celui du régime parlementaire. Les historiens font remonter cette double évolution au Moyen Age et, plus précisément, à la Grande Charte de 1215 par laquelle les barons anglais imposèrent au roi Jean de n’établir aucune taxe sans leur autorisation. Au cours des siècles suivants, les souverains anglais -comme d’ailleurs les rois de France- tenteront, non sans succès, de s’affranchir de cette obligation. Mais au XVIe siècle, l’ambitieuse politique des Tudor en faveur de la consolidation d’un Etat national -celle d’Henri VIII contre Rome, celle d’Elisabeth contre l’Espagne- conduira à s’appuyer sur le Parlement pour soutenir leur politique et obtenir des subsides. Cependant, plus d’une fois en cas d’opposition, Henri VIII et Elisabeth passeront outre en créant, d’une façon détournée, de nouvelles ressources fiscales.
 
         3. Avec l’avènement de Jacques I Stuart en 1603, s’affirme, en opposition avec le principe du consentement à l’impôt, le principe du droit royal d’imposer. Celui-ci marque la politique des Stuart, Jacques I puis Charles I, jusqu’en 1649 et la victoire de Cromwell : les différents Parlements convoqués au cours de cette période tenteront de résister au pouvoir royal : d’une part, en affirmant leur pouvoir d’autoriser les recettes fiscales, d’autre part, en évitant de pratiquer une politique systématique de refus.
         Cette période, essentielle pour la formation du droit budgétaire anglais, est marquée par trois innovations. En 1626, Charles I, après avoir dissous en 1625 un premier Parlement qui ne lui avait pas accordé les subsides demandés, convoque un second Parlement qui les lui accorde, mais sous réserve de sanctionner toutes les dépenses autorisées antérieurement par le roi. C’est l’« Appropriation Act ». On voit ainsi apparaître l’idée d’une autorisation provisoire, sanctionnée en fin d’exercice.
         En 1628, Charles I, à court de ressources, réunit un troisième Parlement qui n’accorde de subsides qu’après avoir obtenu la « Petition of Rights », confirmation de la Grande Charte, qui impose définitivement au roi le recours au Parlement pour tout subside, taxe ou impôt. Néanmoins, l’année suivante, lorsqu’un quatrième Parlement prétend renouveler l’autorisation pour divers impôts afin d’en affirmer le caractère temporaire, Charles I décide de le dissoudre. Il ne convoquera plus de Parlement jusqu’en 1640.
         Durant cette période le roi crée divers impôts, dont une taxe sur les vaisseaux destinée à affranchir l’Angleterre de la dépendance des transporteurs hollandais et à créer une flotte commerciale. Ce « Ship money » devient le symbole de la résistance au droit royal d’imposer. Bientôt à court de ressources et d’expédients financiers, le roi décide de convoquer un cinquième Parlement en 1640. Puis, n’ayant rien obtenu, il convoque une sixième assemblée quelques mois plus tard : celle-ci engage des poursuites immédiates contre les agents du roi qui ont accepté de lever au cours des années passées les impositions non autorisées. Strafford, ministre tenu pour responsable, est exécuté en 1641. La guerre civile commence. Elle aboutira à la décapitation du roi en 1649 et à la victoire d’Olivier Cromwell.
 
         4. Avec l’avènement de Guillaume III d’Orange, après la Révolution de 1688, s’instaurent deux nouvelles pratiques budgétaires : la première introduit une séparation absolue entre la fortune particulière du roi et celle de la nation. C’est l’origine de la « liste civile ». A ce fonds, le parlement joint un ensemble de dépenses à peu près invariables, intérêts de la dette publique, dotations, traitement d’agents. Le tout, voté une fois pour toutes, prend le nom de « fonds consolidé ». Toutes les autres dépenses publiques font désormais l’objet d’un vote annuel.
         La seconde transformation concerne la régularité des réunions du parlement. Leur durée est, selon le « Septennial Act » de 1715, fixée à six ans, avec dissolution automatique la septième année et dissolution possible en cours de législature. Les principes de base du droit budgétaire britannique sont ainsi dégagés alors que ceux du régime parlementaire proprement dit (responsabilité des ministres devant le Parlement) sont encore en gestation, comme le font apparaître les pratiques des ministères de Lord North, et même de Pitt et de ses successeurs jusqu’en 1832, date à laquelle le rôle prédominant passe au Cabinet.
 
         5. L’affirmation du pouvoir parlementaire au début du XIXe siècle n’a pas réduit complètement le rôle de l’exécutif en matière budgétaire. Le rôle de la Trésorerie, de son premier lord et du chancelier de l’Echiquier, reste considérable au niveau de la préparation. La chambre des Communes n’y participe pas. Elle ne prend connaissance du projet de budget qu’à l’occasion de sa présentation par le chancelier de l’Echiquier. Les Communes sont alors appelées à voter un premier « Bill », celui des « subsides ». L’adoption de ce Bill ne permet au Gouvernement que d’effectuer certaines dépenses, mais pas de lever les impôts nécessaires.
         Un second Bill dit des « voies et moyens » fixe les ressources affectées au paiement des dépenses autorisées. Ces deux Bills ne sont pas transmis à la Chambre des Lords.
         Enfin un « Bill d’approbation » complète, en fin de session, les deux précédents : il arrête définitivement le chiffre des crédits ouverts pour les dépenses comprises dans chacun des articles du budget, il interdit, sauf circonstance imprévue, de détourner de leur emploi spécial les sommes votées et il fixe les moyens de trésorerie. Il est transmis à la Chambre des lords qui peut adopter ou rejeter, mais pas amender.
         En matière d’exécution, l’exécutif détient une réelle liberté d’action, d’une part, en raison d’une répartition des crédits en un petit nombre de chapitres, d’autre part, du fait de règles de comptabilité peu contraignantes (comparativement à celles en usage en France, à la même époque). La Trésorerie exerce une mission générale de surveillance.
         Enfin, jusqu’au milieu du XIXe siècle, le Parlement ne dispose d’aucun moyen de contrôle sur l’exécution du budget. La situation évolue à partir des années 1860 : en 1861, les Communes établissent en leur sein une commission restreinte spécialisée, le « Public Accounts Commitee », et en 1888 « l’Exchequer and Audit Département Act » crée l’office de contrôleur et auditeur général. Nommé par le roi, cet officier aidé par des agents, est chargé d’assister la Chambre dans son contrôle de l’exécution du budget : vérification des comptes publics et respect de « l’Appropriation Act ».
                  
La formation du droit budgétaire français
 
         6. La déclaration du 23 juin 1789 par laquelle le roi accorde aux Etats généraux le vote des impôts, la répartition des deniers par ministère et le contrôle des dépenses, introduit pour la première fois en droit français les principes de base du droit budgétaire. Réaffirmés par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et par la Constitution de 1791, ces principes n’ont cependant pas fondé une pratique durable et stricte : la conjoncture financière, les difficultés politiques et plus encore l’absence de volonté de l’Assemblée et de ses comités de régulariser les finances de la France dans un cadre budgétaire strict, expliquent cet échec. Aucun des régimes suivants, Convention, Directoire, Consulat et Empire, n’a pu, ou voulu, établir des règles budgétaires claires et les respecter. La facilité des expédients et des financements extraordinaires fut pendant toute la période la meilleure arme de l’arbitraire des comités puis des ministres.
 
         7. C’est à partir de 1814, et en particulier sous la Restauration, que se fixent les règles de base du droit budgétaire français. La Charte de 1814 se borne à poser un principe : celui du consentement à l’impôt « par les deux chambres et sanctionné par le roi » (art. 48). Elle ne dit rien des dépenses. Elle reste, sur ce plan, bien en deçà de la Constitution de 1791 qui prévoyait le vote des dépenses et des recettes. Cependant, le contexte politique et l’action des hommes vont s’avérer déterminants. Le nouveau régime doit faire un pari sur la confiance s’il veut pouvoir apurer le passif diplomatique et financier des guerres de la Révolution et de l’Empire.
         L’action du Baron Louis, ministre des Finances, s’avère déterminante : dès le 22 juillet 1814, il pose la règle qu’on appellera plus tard des « quatre temps alternés » : le Gouvernement prépare le budget en présentant « l’évaluation la plus exacte possible » ; les Chambres le votent en fixant l’étendue des besoins et en déterminant les moyens à affecter à chaque département ministériel ; le Gouvernement exécute, chaque ministère étant « garant de l’emploi régulier des fonds mis à sa disposition » ; les Chambres vérifient les budgets réalisés. Cette déclaration d’intention soulève deux difficultés : la première, politique, concerne les partisans de la prérogative royale, limitée d’une part par l’intervention des Chambres et d’autre part par l’appui apporté par le roi aux positions du Baron Louis. La seconde difficulté est d’ordre technique : est-il possible de disposer, après des années de gestion non régulée, de l’ensemble des données chiffrées, en recettes mais plus encore en dépenses ? Faute de cela le contrôle parlementaire risquait de n’être qu’un trompe-l’œil.
 
         8. En ce qui concerne la prérogative royale : elle reste importante dans la mesure où les crédits sont alloués par ministère et où le roi peut par ordonnance, « dans les cas extraordinaires et urgents », décider de l’attribution de crédits additionnels. Les Chambres doivent être saisies lors de la session suivante (loi du 25 mars 1817). Cette prérogative gouvernementale sera, avec quelques aménagements, maintenue au cours des régimes suivants, sous la Monarchie de Juillet, le Second Empire et la IIIe République. L’ensemble des modifications apportées après coup au budget sera regroupé en 1866 dans un « budget rectificatif ».
 
         9. En ce qui concerne le contrôle parlementaire : il prend la forme d’un contrôle a posteriori de l’ensemble des comptes du budget par les Chambres : c’est la « loi de règlement des comptes » ou « loi des comptes » (loi de finances du 15 mai 1818). Il suppose que les Chambres disposent de l’ensemble des comptes réalisés : d’une part, ceux des ministres et d’autre part, pour comparaison, ceux de la Cour des comptes. C’est ce qu’établit la loi des comptes du 27 juin 1819 qui impose la transmission de « l’état de situation des travaux de la Cour des comptes » au premier septembre de chaque année. Malgré cela, le contrôle reste inefficace car ni les comptes des ministres, ni ceux de la cour ne sont complets et exacts.
         La clarification passe par un préalable : l’obligation pour chaque ministre de justifier ses dépenses en imposant la transmission de l’ordonnancement au comptable chargé de l’exécuter. C’est la disposition centrale de l’ordonnance du 14 septembre 1822 (art. 10) prise à l’instigation de Villèle, ministre des Finances de Louis XVIII. Elle met un terme à la pratique ancienne des ordonnateurs qui conservaient les justifications de leurs actes. Elle réduit l’indépendance des ministres, mais au profit du ministre des Finances. Villèle, par cette mesure, écarte tout contrôle direct des ministres par une commission parlementaire. Une fois cette clarification opérée, la Cour des comptes dispose de données assez exactes et précises pour effectuer une comparaison entre les comptes des agents du Trésor, les comptes d’exercice des ministres et les résumés généraux du ministère des Finances. Le tout était transmis aux Chambres (Ordonnance au 9 juillet 1826).
         Cette loi des comptes sera votée avec diligence sous la Restauration (environ un an et demi après la clôture du compte), remplissant ainsi pleinement son rôle de correctif. Puis, à partir de la Monarchie de Juillet elle sera votée avec un retard croissant, avoisinant 10 ans au début de la IIIe République. C’est là le signe d’une certaine démission parlementaire... au moment où en Grande-Bretagne se consolide le contrôle du Parlement sur les comptes réalisés.
 
         10. Les principes généraux du droit budgétaire ne peuvent être appliqués que si les données budgétaires sont soumises à des règles de présentation claires et homogènes. Celles-ci apparaissent également sous la Restauration et se développent par la suite : ce sont les quatre règles plus tard qualifiées de « classiques », d’annualité, de spécialité, d’universalité et d’unité.
         La règle de l’annualité, simple au premier abord, buta sur la question de savoir si l’autorisation budgétaire expirait avec la fin de l’année (formule de la gestion) ou bien si elle pouvait produire des effets au-delà (formule de l’exercice). Louis penchait pour la première solution, Corvetto, un successeur de Louis, pour la seconde et c’est Villèle qui dans l’ordonnance du 14 septembre 1822 (art.1er et 20) introduira la solution classique : les crédits demeurent affectés à l’exécution pendant une période complémentaire de neuf mois.
         Plus grave fut la question des autorisations partielles provisoires parce qu’elle traduisait on l’a vu un empiètement partiel de l’exécutif au niveau de l’autorisation : fondée sur l’article 152 de la loi du 25 mars 1817 qui permettait d’accorder par ordonnance royale des crédits de ratification postérieure par les Chambres, la pratique s’étend pourtant à une bonne partie du XIXe siècle ; elle manifeste une réelle prééminence gouvernementale, et il faudra attendre la loi du 14 décembre 1879 article 1er pour qu’il soit bien établi qu’on ne pouvait accorder « de crédits supplémentaires qu’en vertu d’une loi ».
 
         11. On constate la même résistance gouvernementale à propos du principe de spécialité. La loi du 25 mars 1817 dans son article 151 avait permis aux Chambres de voter le budget par ministère et non plus en bloc, laissant au roi la ventilation des dépenses par ordonnance. Mécontents, les libéraux demandèrent un vote plus détaillé... puisque le découpage existait déjà dans le projet gouvernemental. L’ordonnance du 1er septembre 1827 leur donne satisfaction (52 subdivisions budgétaires) ; la Monarchie de Juillet organisera le vote par chapitres (loi du 29 janvier 1931) augmentant nettement le nombre de subdivisions (164 puis bientôt 338) ... mais le vote par sections réapparaîtra en 1861 et par chapitres en 1869.
 
         12. Le développement du principe d’universalité résulte par contre autant de l’initiative des Chambres que du ministre des Finances. Les administrations, financières en particulier, pratiquaient la règle du produit net. Cela interdisait toute évaluation des coûts de perception. Il fallait clarifier. La loi du 15 mai 1818 crée ainsi un précédent en insérant dans le budget des recettes le montant brut du produit des impôts. Le ministre des Finances pouvait être satisfait de cette disposition qui permettait à terme de briser les velléités d’autonomie de ses propres services. Il restait à perfectionner le système en interdisant aux ministres d’accroître par quelque moyen que ce soit, vente, perception de droits, etc., le montant des crédits affectés à leur service. C’est ce que précisera l’ordonnance du 14 septembre 1822 dans son article 3.
 
         13. Enfin, le problème de l’unité budgétaire est dominé par la distinction entre finances ordinaires et extraordinaires.
         La distinction est ancienne et vise tout naturellement à éviter de financer des dépenses extraordinaires par des revenus ordinaires et de se servir de ressources extraordinaires pour financer des dépenses ordinaires. L’ancienne monarchie procédait ainsi, la Révolution et l’Empire conservèrent cette commodité. La Restauration adopta pourtant l’unité budgétaire dans un souci de clarté, mais dès la Monarchie de Juillet, les budgets extraordinaires destinés à financer les grandes opérations de travaux publics réapparaissent. En fait, le Gouvernement retrouvait avec ces budgets extraordinaires une liberté de manœuvre qu’il avait perdue. Le Second Empire en fera un usage constant. La IIIe République supprimera ce qu’il pouvait y avoir de trop avantageux pour le Gouvernement dans cette pratique pour ne garder que l’indispensable, c’est-à-dire les dépenses qu’on ne peut réellement pas ranger dans le budget ordinaire.
 
         14. L’impulsion donnée par la Restauration au droit budgétaire a été assez forte pour que la construction classique dure jusqu’au début du XXe siècle, et ceci malgré la forte instabilité politique. Même les régimes apparemment les moins favorables à une trop forte contrainte budgétaire ont apporté des améliorations. C’est en particulier le cas du Second Empire avec le décret du 31 mai 1862 « portant règlement général sur la comptabilité publique ». Décidée par Achille Fould, ministre des Finances, et élaborée sous la direction de Charles d’Audiffret, maître d’œuvre de toutes les réformes de la comptabilité publique depuis la Restauration, la réforme est en fait dans sa partie « comptabilité législative » une véritable codification du droit budgétaire classique. En introduisant « l’uniformité dans les projets de budgets ministériels », ainsi que le souligne d’Audiffret, la réforme parachève l’œuvre d’unité et de clarté entreprise en 1814.
 
         15. Cette construction « classique » a cependant mal résisté au séisme financier provoqué par la Grande Guerre. Les principes budgétaires ont été malmenés, en particulier par la pratique des comptes spéciaux du Trésor. Facilitée par les excès du régime parlementaire, l’opacité budgétaire a gagné du terrain jusqu’à la IVe République. L’ordre budgétaire sera rétabli d’abord par le décret du 19 juin 1956 puis par l’ordonnance du 2 janvier 1959, véritable « constitution budgétaire » de la nouvelle République.
         Le comptabilité publique, soubassement du droit budgétaire, a par contre mieux résisté. Les bases classiques, particulièrement celles établies par l’Ordonnance du 14 septembre 1822, reprises dans le décret de 1862, ont favorisé dans l’administration l’essor de nouvelles pratiques comptables. La mise en place dans les années 1890 d’un contrôle des engagements financiers en est la manifestation la plus remarquable.
 
CORRELATS : Autorisation budgétaire (Principe d’) - Budget (notion juridique) - Comptabilité publique (historique) - Consentement à l’impôt (Histoire du -) - Cour des comptes - Finances publiques (notions générales) - Histoire des politiques financières - Loi de règlement - Principes budgétaires - Trésor public (Histoire du).
 
                                                                            Michel Bottin
 

 

Consentement à l’impôt, histoire

 

 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Consentement à l’impôt (histoire du) », in Dictionnaire encyclopédique de Finances publiques, direction Loïc Philip,2 vol., Economica, Paris, 1991.
 
CONSENTEMENT A L’IMPOT (Histoire du -) - Processus de formation des principes commandant la participation des contribuables à l’établissement et à la perception de l’impôt. Le développement de la théorie du consentement à l’impôt a été, depuis le Moyen Age, un obstacle majeur à la toute-puissance de l’Etat.
 
BIBLIOGRAPHIE -Thomas Y. : Essai sur le consentement à l’impôt aux derniers siècles de l’Ancien Régime (XVe - XVIIIe), th., Paris II, 1974 - Sueur Ph. : Histoire du droit public français, PUF, 1989 -
 
         1. Pendant longtemps, le pouvoir royal ne dispose que des ressources provenant de son domaine. Aux revenus de ses seigneuries d’Ile-de-France, le roi ajoute progressivement ceux des principautés qui passent sous sa domination. Malgré leur importance, ces revenus s’avèrent bientôt insuffisants pour faire face aux charges croissantes qu’impose la mise en place d’un Etat aux multiples fonctions. Le tournant est pris à la fin de la guerre de Cent Ans. Aux ressources domaniales qualifiées de « finances ordinaires », s’ajoutent d’autres revenus, produits par la fiscalité, et perçus pour faire face à des circonstances difficiles, les « finances extraordinaires ».
         C’est à propos de ces finances extraordinaires, impôts directs comme la taille ou impôts indirects comme les aides, les traites ou la gabelle, que se pose le problème du consentement à l’impôt par les populations concernées.
 
         2. La levée de subsides exceptionnels n’est possible que s’il existe une instance de concertation entre le roi et ses sujets : c’est le rôle des Etats Généraux, assemblée réunissant des représentants des trois ordres de la nation, clergé, noblesse et Tiers Etat pour la représentation des bourgeois. Ces assemblées épisodiques, parfois partielles, parfois même limitées à un ou deux ordres, sont convoquées par le roi en cas de besoin extrême : les premières remontent à Philippe le Bel. Ces assemblées se multiplient pendant la guerre de Cent Ans : en 1355 pour établir la gabelle du sel, en 1356, 1357, 1358, 1359 pour délibérer les subsides nécessaires à la poursuite de la guerre et au paiement de la rançon du roi Jean II, etc. Tous les impôts consentis par ces Etats sont provisoires et fixés pour une durée déterminée.
         Au milieu du XVe siècle se produit une évolution décisive : les Etats réunis à Tours en 1435 acceptent les aides (droits sur la consommation) permanentes, puis, en 1439, la taille octroyée pour entretenir une armée permanente en temps de paix devient, elle aussi, permanente du fait même de son objet. La tendance est maintenant à la consolidation des autorisations. Les Etats n’ont pu conserver la prérogative de consentir les subsides, et encore moins obtenir le droit de se réunir périodiquement pour le faire. La revendication des Etats de 1483 à consentir l’impôt restera sans suite. La victoire du pouvoir royal est nette. Elle se manifeste dès Charles VII dans la doctrine du « droit royal d’imposer ».
 
         3. Le « droit royal d’imposer » peut faire l’objet de délégations, au profit des villes et des états provinciaux. Une part très importante de la fiscalité royale est concernée par cette délégation. Dans la limite des contraintes imposées par le roi, villes et états particuliers voient leurs pouvoirs fiscaux s’étendre au XVIe siècle. C’est en particulier le cas pour les pays d’états qui obtiennent d’importantes prérogatives fiscales. Tel par exemple l’édit du 13 novembre 1547 qui reconnaît aux états de Languedoc le droit de s’imposer. Le principe du consentement s’est déplacé du niveau national au niveau local.
         On retrouve une évolution identique pour l’ordre du Clergé. Entre 1561 (Colloque de Poissy) et 1586, il met au point avec les représentants du roi les modalités de l’aide apporter au Trésor royal (décimes et « dons gratuits ») avec pour contrepartie la liberté de recouvrir ces sommes, et même au-delà, pour les besoins de l’ordre, sur les biens et les membres du Clergé. Ces sommes ne sont pas levées d’autorité par le pouvoir royal.
         A la différence des Etats Généraux, et plus nettement que les états provinciaux, le Clergé s’est réservé le droit de discuter du montant de ces subsides accordés pour une durée de dix ans. L’Assemblée générale du clergé, organe représentatif de l’ordre, assure cette fonction.
         Pour le roi les avantages de ces délégations fiscales sont évidents : ils évitent un recours trop fréquent et trop pressant aux Etats généraux. Le fractionnement fiscal, logique au demeurant dans une France composée de provinces et d’ordres juxtaposés sous l’autorité du roi, explique, au moins en partie, l’échec des Etas généraux à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe. A l’inverse cette pratique a pour inconvénient de cristalliser les concessions et d’en faire des privilèges. Avec le temps, ces concessions, même débattues régulièrement et rénovées, répondront de moins en moins bien aux besoins de Trésor royal. A la fin du XVIIe siècle se pose à nouveau le problème de la recherche de nouvelles ressource fiscales.
 
         4. La question fiscale est un problème majeur du XVIIIe siècle. L’impôt (direct et indirect) est insuffisant pour subvenir aux nouveaux besoins de l’Etat. Il faut rénover les impôts existants et en créer de nouveaux. La marge de manœuvre dont dispose le roi est étroite : le droit royal d’imposer, même s’il est toujours affirmé, ne peut, pas plus qu’au XVIe siècle, permettre l’établissement d’impôts durables et respectés. D’autre part, l’appui des états provinciaux, toujours possible, n’a qu’une portée limitée. Enfin, le recours aux Etats Généraux, plus convoqués depuis 1614, ne semble pas politiquement envisageable. Seuls les parlements peuvent, en raison de leur autorité, soutenir efficacement le roi dans sa recherche de ressources fiscales.
         Les parlements -de Paris et de province- cours de justice, ont dans l’ordre politique et constitutionnel l’importante prérogative d’enregistrer les lois, lettres patentes édits ou autres, du roi. Leur « vérification » porte sur la légalité de l’acte, non sur l’opportunité, mais la frontière est souvent imprécise. Cette fonction fait de ces parlements des interlocuteurs politiques indispensables. En outre, leur indépendance, due à l’inamovibilité de leurs magistrats, leur confère une puissance propre à contrecarrer l’action royale. Louis XIV, instruit par la Fronde, les avait politiquement soumis, ce qui lui avait permis d’obtenir, entre autres, l’enregistrement d’un nouvel impôt, la capitation (1695 et 1701) justifié par l’état de guerre ;
         A sa mort, et avec la réaction parlementaire qui s’affirme avec la Régence, les parlements recouvrent tous leurs pouvoirs. Ils exercent alors, tant sous Louis XV que sous Louis XVI, un contrôle constant.
 
         5. Les parlements n’ont pas, traditionnellement, de pouvoir propre en matière fiscale. Mais il leur appartient d’enregistrer les mesures prises par le roi, y compris de nature fiscale. A cette occasion, ils peuvent contester la légalité de sa décision tout simplement parce qu’il n’y a pas eu de consentement des populations concernées. Leur opposition croissante au XVIIIe siècle menace de déboucher sur une impasse... et sur une convocation, non souhaitée ni par eux ni par le roi, des Etats Généraux. C’est pour éviter d’en venir à ce qu’on considère comme une extrémité, que les milieux parlementaires mettent au point la théorie de « l’interstice » qui permet de considérer qu’en l’absence d’Etats Généraux, les parlements suppléent et jouent le rôle d’une sorte de commission intermédiaire dont les décisions seraient soumises à une réunion ultérieure d’Etats. Les parlements deviennent ainsi dépositaires du droit de consentir l’impôt. On passe du contrôle de légalité au contrôle d’opportunité. C’est sur cette base juridique, plus large que celle permise par le simple enregistrement, qu’ils délibèreront sur tous les textes fiscaux et leurs applications règlementaires. Les vingtièmes feront l’objet d’âpres discussions et d’un marchandage permanent.
         Enfin, c’est l’action des parlements qui brise la réforme fiscale de l’été 1787. Leur capacité traditionnelle à défendre les droits individuels et collectifs et à conserver les privilèges ne leur a pas permis de s’engager dans une réforme qui, par nature, aurait bousculé l’ordre établi. A ce titre la théorie de l’interstice, masquant le consentement réel des populations, a été un échec.
 
         6. Dans son refus des réformes fiscales, le Parlement de Paris, réuni en « Cour des pairs », reprend au début du mois d’août 1787 le thème de l’incompétence générale des parlements en matière fiscale et affirme la nécessité de recourir aux Etats Généraux. Leur convocation est promise pour 1792, le 19 novembre 1787 à l’occasion de l’enregistrement par le Parlement de Paris-Cour des pairs d’un important emprunt quinquennal destiné à résoudre la question du déficit. On espère entretemps assainir les finances de l’Etat et rénover les procédures de convocation. Mais les événements du printemps 1788 conduiront le roi à précipiter leur convocation pour le mois de mai 1789, renouant ainsi après plus de deux siècles d’interruption, avec les pratiques anciennes de consentement par les Etats. Ceux-ci, devenus Assemblée nationale, prendront dès le 17 juin la décision de « consentir provisoirement pour la nation » aux impôts existants.
         Sauf quelques rares exceptions -tel l’établissement du monopole des tabacs par décret le 29 décembre 1810, ou encore la création par le décret du 11 novembre 1813 de 30 centimes additionnels- le vote de l’impôt restera une prérogative exclusive d’assemblées élues, soit au niveau national, soit au niveau local.
 
CORRELATS : Aides - Dîme - Droit budgétaire (formation historique) - Gabelle - Taille royale.
 
                                                                            Michel Bottin
 
 
 

Centimes additionnels

 

 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Centimes additionnels », in Dictionnaire encyclopédique de Finances publiques, direction Loïc Philip,2 vol., Economica, Paris, 1991.
 
CENTIMES ADDITIONNELS - Supplément d’imposition rattaché au principal, fictif ou réel, d’un impôt.
 
         1. Les suppléments d’imposition sont une pratique essentielle de la fiscalité d’Ancien Régime. Ils permettent d’accroître le produit fiscal d’impôts -directs principalement- dont le montant est définitivement fixé ou bien difficile à modifier. Le supplément d’imposition peut être versé soit directement au Trésor royal, au même titre que le principal, soit employé à des dépenses locales. La taille est ainsi complétée par de nombreuses impositions accessoires : certaines sont générales et stables (taillon, fonds des maréchaussées, fonds des étapes), d’autres, en nombre important, servent à financer des charges extraordinaires ou locales. Les nouveaux impôts mis en place à partir de la fin du XVIIe siècle -capitation, dixième et vingtième - ont également été augmentés de « sols pour livre ».
 
         2. L’assemblée constituante réforme le système fiscal au cours de l’hiver 1790-1791 en créant trois contributions générales, la foncière, la mobilière et la patente. Liée à l’ancienne fiscalité, la pratique des « sous additionnels » semble alors abandonnée. Elle est rétablie au printemps 1791 en raison d’une augmentation rapide et imprévue des dépenses publiques. La loi du 10 avril 1791 ajoute ainsi un sou additionnel au principal de la contribution foncière pour former un fonds de non-valeurs et quatre sous aux contributions foncière, mobilière et personnelle pour pourvoir aux dépenses des départements et des districts.
 
         3. La pratique est commode même si elle n’est pas techniquement sans défaut. Mais c’est là un enjeu qui dépasse le cadre de la fiscalité locale et qui, jusqu’à l’établissement de l’impôt sur le revenu en 1917 permet, au plan local, la survie des centimes additionnels : ils sont désormais calculés par rapport à un « principal fictif » toujours basé sur les « quatre vieilles ».
 
         4. La réforme des finances locales, annoncée par l’ordonnance du 7 janvier 1959, a substitué au système des centimes additionnels celui de l’impôt local, indépendant de l’impôt d’Etat (taxes foncières, taxe d’habitation et taxe professionnelle) mais sans remettre en cause le caractère indiciaire et réel. L’application en sera rendue difficile en raison des indispensables révisions et réactualisations. Ces taxes représentaient en 1986, 80% des recettes fiscales des collectivités locales.
 
CORRELATS : Aides - Budget historique et notion politique) - Collectivités locales et établissement publics (Budgets des -) - Communes (Finances des -) - Impôts locaux - Portes et fenêtres (Contribution sur les -) - Revenu (Histoire de l’impôt sur le revenu jusqu’en 1959) - Taille royale.
                                                                                     Michel Bottin
 
 

Cens, droit fiscal et électoral

 

 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Cens (droit fiscal et électoral) », in Dictionnaire encyclopédique de Finances publiques, direction Loïc Philip,2 vol., Economica, Paris, 1991.
 
CENS (droit fiscal et électoral) - Quotité d’imposition nécessaire pour être électeur ou éligible ou pour exercer certains droits politiques.
 
BIBLIOGRAPHIE - Ponteil F. : Les institutions de la France de 1781 à 1870, PUF, 1966 - Godechot J . : Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, PUF, 1968 - Bury J.-L. : Genèse de la notion moderne de représentation politique, aspects juridiques et politiques de la réforme électorale du 24 janvier 1789, th., Lille II, 1976 - Coppolani J.-Y. : Les élections en France sous le Consulat et l’Empire, Albatros, 1980 - Humbert M. : Institutions politiques et sociales de l’Antiquité, Dalloz, 1984.
 
         1. La pratique de classer les citoyens et de définir leurs droits politiques en fonction de leur richesse remonte à l’Antiquité gréco-latine. Elle a une origine militaire. Elle a pour but de classer les citoyens en fonction de leur capacité à disposer d’un armement (cavalier, fantassin lourd, fantassin léger...) et donc à combattre. La distinction finit par glisser au plan politique et à servir de cadre électoral. Solon procède à Athènes, à la fin du VIIe siècle avant J.-C., à une telle réforme en définissant un seuil de fortune pour l’éligibilité aux magistratures. Mais c’est à Rome, sous la République, que le système politique censitaire connaît le développement le plus net : les citoyens, rassemblés dans le cadre de l’assemblée centuriate, sont divisés en cinq classes, plus une hors-classe, qui ne requiert aucune condition de cens. Ce classement est effectué tous les cinq ans par un magistrat chargé de procéder à l’estimation (latin « censere ») des fortunes, le censeur : il conditionne la fonction militaire, le montant de l’impôt (le « tributum ») et les droits politiques.
 
          2. Du Moyen Age au XVIIIe siècle, l’usage de lier l’étendue des droits politiques et civiques à la propriété et, par voie de conséquence, à la fiscalité, est très répandu en particulier en matière urbaine. Il est lié au statut de « bourgeoisie ». Les élections des députés aux Etats Généraux ou provinciaux sont affectées par de semblables restrictions. Elles ont pour objet, au minimum, de lier l’exercice des droits politiques au domicile.
        
         3. La pratique « censitaire », au sens électoral et fiscal, est poursuivie, généralisée et rationalisée par la Révolution française. Elle est renforcée par les références antiquisantes de la période. Le terme « cens » réapparaît dans sa signification romaine de classement des citoyens à partir, non plus de la fortune, mais de l’impôt. Il prend ainsi sa pleine signification fiscale. En 1789-91 est établie la distinction entre citoyens « actifs » et citoyens « passifs ». Seuls les premiers, payant une contribution égale au moins à trois journées de travail, votent. Dans les élections à deux degrés, celles des membres de l’assemblée législative, ce cens requis est assez élevé pour réduire le corps électoral à quelques dizaines de milliers de personnes.
         La Constitution de l’an I, non appliquée, abolit le cens, celle de l’an III le rétablit avec l’inscription sur les registres électoraux de tout citoyen payant une contribution foncière, mobilière ou personnelle. La pratique est poursuivie sous l’Empire pour faire partie des collèges électoraux d’arrondissement et de département. Pour les collèges électoraux cantonaux, aucun cens n’était requis.
 
         4. A partir de 1814, le problème du cens devient un enjeu politique majeur.  Sous la Restauration, il est élevé (300 F pour être électeur, 1 000 F pour être éligible) ; il est favorable aux propriétaires fonciers et pratique la sous-estimation d’impôts, plus urbains, comme la mobilière, les portes et fenêtres et la patente.
         Sous la Monarchie de Juillet, le cens est abaissé à 200 F (500 F pour l’éligibilité), ce qui donne un corps électoral d’environ 250 000 personnes dont 20 000 éligibles. En outre, pour répondre à l’attente des milieux bourgeois, soutiens du nouveau régime, on procède à une révision des bases d’imposition de la patente. Enfin, s’il ne se trouve pas 150 électeurs dans l’arrondissement, on fait appel aux citoyens les plus imposés au-dessous de 200 F. Un mécanisme analogue est appliqué en matière d’élections municipales à partir de 1831 : s’il ne se trouve pas un nombre suffisant de citoyens remplissant les conditions de cens, la liste est complétée par des citoyens payant moins de 200 F d’impôts jusqu’à ce qu’on atteigne le nombre d’électeurs requis par la loi pour la catégorie de commune concernée ; n outre les personnes accomplissant certaines fonctions considérées comme « notables » (magistrats, officiers, avoués, notaires, etc.) sont au titre des « capacités », électeurs dans la commune, même s’ils n’y ont pas toutes les propriétés déterminant leur cens.
 
         5. De 1814 à 1848, la question du cens électoral fait l’objet d’une jurisprudence considérable tant pour définir les impôts concernés pour l’établissement du cens que pour en fixer le montant. En contestant une faible imposition, le contribuable défend, en fait, son droit de vote. Parmi les impôts les plus contestés, on trouve la taxe sur les poids et mesures, les contributions coloniales, certaines catégories de centimes additionnels et même la contribution des portes et fenêtres. La loi du 19 avril 1831 précise la question : sont pris en compte les quatre contributions de base (foncière, personnelle-mobilière, patente, portes et fenêtres), les redevances des mines et les centimes additionnels de toute nature. Les relevés des impôts destinés à justifier la qualité d’électeur sont dressés par les contrôleurs des contributions directes certifiés par les maires.
         Le cens sera supprimé par la Constitution du 4 novembre 1848. La loi du 31 mai 1849 le rétablit en exigeant parmi les justifications du domicile électoral, l’inscription au rôle de l’imposition personnelle, ou à celui des prestations en nature pour chemins vicinaux, et un domicile continu de trois ans. La mesure eut pour conséquence de réduire le corps électoral de 9 millions à moins de six millions. Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, en demanda en vain la suppression à l’Assemblée en novembre 1851 ? Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 force la décision. Le suffrage censitaire était ainsi définitivement écarté en France, alors dans les autres pays européens, y compris l’Angleterre, il se maintiendra, selon des modalités diverses, jusqu’à la fin du siècle.
 
CORRELATS : Centimes additionnels - Consentement à l’impôt (Histoire du) - Impôts locaux.                                                  
 
                                                                                     Michel Bottin      
 
 
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