Histoire du droit des Finances publiques. Aspects historiographiques récents
 
Quels sont les nouveaux champs de recherche ouverts ou rénovés récemment par les historiens du droit en France ? La question ne saurait laisser aucun chercheur indifférent dans la mesure où elle concerne une discipline qui par nature est gestionnaire d’une puissante mémoire accumulée et sédimentée depuis plus d’un siècle. Comment les historiens du droit pourraient-ils encore trouver la force et le temps d’investir de nouveaux champs de recherches ?
Cette préoccupation a conduit Jacques Krynen et Bernard d’Alteroche à faire le point sur ces nouveautés.  Ceux-ci ont ainsi défini une trentaine de domaines à traiter et ont confié ces thèmes à des historiens du droit chargés de faire la synthèse de notes rédigées par plusieurs spécialistes. L’ ouvrage  est paru en 2014 :  Histoire du droit en France. Nouvelles tendances, nouveaux territoires, sous la direction de Jacques Krynen et Bernard d’Alteroche, Classiques Garnier, Paris, 2014. L’œuvre atteint son but et fait pleinement ressortir la vitalité de la recherche en Histoire du droit.
Cédric Glineur est l’auteur de la synthèse sur « Les finances publiques », pp. 261-281. A cette recherche ont participé, Sophie Delbrel, Florent Garnier, Jérôme Pigeon et moi-même. Cédric Glineur en a fait une belle synthèse et a mis au point une bibliographie. Le travail de recherche des historiens du droit en Histoire des Finances publiques y est parfaitement mis en valeur. Sans doute ce domaine de recherches est-il en partie investi par des chercheurs qui ne sont pas historiens du droit. Cédric Glineur souligne ainsi la forte présence d’historiens, de publicistes et de fonctionnaires sur tout le champ de recherches. Mais la synthèse très complète et très nuancée qu’il livre, du moyen âge au XIXe siècle, montre tout de même que les historiens du droit occupent une place très intéressante dans tout le champ d’étude.
Je publie ci-après la note que j’ai adressée à l’époque à Cédric Glineur pour réaliser sa synthèse, non afin de reprendre ici ce qu’il expose très bien dans son étude, mais parce que ma note cherche moins à mettre en valeur la recherche menée par les historiens du droit qu’à identifier les chercheurs et organismes qui sont intéressés par une approche juridique des Finances publiques. Ma note se place ainsi comme en contrepoint des préoccupations des auteurs de l’Histoire du droit en France. Elle cherche à identifier ceux qui participent à la construction d’une histoire juridique des Finances publiques, quelle que soit leur appartenance scientifique ou professionnelle. Le champ de recherches qu’offre l’Histoire du droit des Finances publiques est un bon exemple de territoire partagé. L’historien du droit y a certainement toute sa place et peut-être même lui revient-il d’apporter une identité scientifique propre à éclairer le domaine de recherches.
 
 
M.B. Mise en ligne novembre 2017
 

 

 Histoire du droit et Finances publiques 

Aspects historiographiques récents

 

 
Pour citer : Michel Bottin, « Histoire du droit et Finances publiques. Aspects historiographiques récents », note pour Cédric Glineur, auteur de la rubrique « Histoire des Finances publiques » dans l’ouvrage collectif dirigé par J. Krynen et B. d’Alteroche, L’Histoire du droit en France. Nouvelles tendances, nouveaux territoires, Classiques Garnier, Paris, 2014. Mise en ligne de mon rapport Décembre 2017.
 
 
 
            L’histoire des Finances publiques est, parmi toutes les disciplines juridiques, une de celles qui a le moins intéressé les historiens du droit[1]. L’affirmation doit évidemment être nuancée dans la mesure où il faut souligner plusieurs apports importants dus aux historiens du droit, anciens (R. Besnier, R. Villers, J. Vidal, H. Legohérel) ou plus récents (A. Rigaudière, F. Garnier, G. Leyte, K. Deharbe et d’autres).  Mais une constatation s’impose : historiquement le terrain des Finances publiques n’est pas tenu par les historiens du droit : Stourm, Schnerb, Marion autrefois ; Favier, Dessert, Contamine, Antoine,  Durand, Bayard, Bouvier, Touzery, Bruguière, Claeys, et bien d’autres dans une période récente. La liste est longue. L’approche de la discipline en a été marquée. Cette histoire des Finances publiques présente ainsi quatre caractéristiques : les approches institutionnelles, sociologiques, prosopographiques et financières ont pris le pas sur l’histoire juridique ; les orientations fiscales sont très marquées ; les approches modernistes y dominent au détriment de la période contemporaine[2] ; enfin, cette histoire est française et peu ouverte sur les pratiques étrangères.
            La présentation qui est ainsi faite ne recouvre toutefois pas toute la recherche historique en Finances publiques. Il y a en effet, depuis longtemps, une autre histoire des Finances publiques, plus juridique et plus contemporaine. Elle est faite par des fonctionnaires, tel J. Magnier, et quelques publicistes intéressés par l’histoire comme P. M. Gaudemet, R. Ludwig ou L. Philip. On la trouve dans des revues telles que La revue du Trésor ou la Revue française de finances publiques. Dans quelques ouvrages aussi. C’est le collectif publié en 1984 par la Cour des Comptes, La Cour des Comptes. Histoire de l'administration française, CNRS, -formidable ouvrage de plus de mille pages ! - qui illustre le mieux cette autre histoire des Finances publiques.
            Il apparaît ainsi, après cette présentation sommaire, que même si les historiens du droit sont peu présents dans l’histoire des Finances publiques il y a tout de même une place pour une histoire juridique des Finances publiques. Cette constatation est-elle encore pertinente aujourd’hui ? On peut éclairer la question à la lumière des quatre initiatives scientifiques et historiographiques qui ont renouvelé la problématique de l’histoire des Finances publiques depuis une vingtaine d’années.
 
1  L’Histoire « du droit » des Finances publiques d’Isaïa et Spindler, 1986-1988
 
            Cette Histoire du droit des Finances publiques dirigée par Henri Isaia et Jacques Spindler, à l’époque maîtres de conférences[3] à l’Université de Nice, introduit plusieurs éléments nouveaux dans l’étude de la formation du système français de Finances publiques : elle s’écarte des approches traditionnelles financières et fiscales pour aborder cette histoire de façon résolument juridique. L’expression «histoire du droit des Finances publiques» caractérise cette position ; elle se présente comme une histoire des Finances publiques contemporaines et réussit à mettre en perspective historique les évolutions les plus récentes de la Ve République. Cette histoire a été publiée en trois volumes[4]. Le premier est sans doute le plus innovant parce qu’il met en place les éléments d’une histoire budgétaire et comptable contemporaine. Mon Histoire des Finances publiques, Economica, 1997, est issue de cette collaboration
 
 2 Le « Comité pour l'histoire économique et financière de la France ». CHEFF
 
            La création en 1986 du Comité pour l'histoire économique et financière de la France (CHEFF) marque un tournant majeur de l’histoire des Finances publiques de la France. Ce Comité a pour mission de contribuer à une meilleure connaissance de l'histoire de l'État et de son rôle en matière économique, monétaire, financière et industrielle depuis le Moyen Âge jusqu'à nos jours. Il est rattaché depuis 2006 à l'IGPDE (Institut de la Gestion Publique et du Développement Économique). Le Comité a publié ou mis en ligne depuis sa création plus de 150 ouvrages d'histoire économique et financière, répartis dans sept collections : « Animation de la recherche », « Études générales », « Mémoire », « Sources », « Recueils de documents », « Études et documents », « Recherche, études, veille ». Il a organisé 45 colloques, journées d'études et séminaires destinés à faire avancer la recherche et à favoriser le dialogue entre l'administration et l'université. La belle collection des 12 volumes d’Etudes et documents, 1989-2000, porte à elle seule témoignage de cette œuvre scientifique[5].
            Les historiens du droit y tiennent peu de place : G. Antonetti et A. Rigaudière siègent ou ont siégé au Comité scientifique ; quelques publications d’ouvrages : les mémoires d’Audiffret publiés par V. Goutal-Arnal, le dictionnaire biographique des ministres des Finances de G. Antonetti, la thèse de K. Deharbe sur le Bureau des finances de Lyon.  Les interventions des historiens du droit, tant dans les colloques que dans la revue sont plutôt rares. Les médiévistes, les modernistes et, de plus en plus, les contemporanéistes sont eux très présents, y  compris sur des thèmes a priori proches de l’histoire du droit tel cet ouvrage collectif dirigé par D. Le Page sur les chambres des comptes[6]
            Pourtant, les approches juridiques et administratives ne sont pas pour autant négligées ainsi qu’en témoigne la forte présence des fonctionnaires des Finances dans toutes ces publications. L’histoire contemporaine est, on le comprend, la mieux servie. C’est sans doute la publication dirigée par Loïc Philip -un professeur de droit public- sur La Comptabilité publique. Continuité et modernité, 1995, qui illustre le mieux l’apport du CHEFF à une histoire juridique des Finances publiques ; mais les juristes universitaires y étaient en nette minorité : sur les 50 contributeurs, on ne compte que six publicistes et un historien du droit. Les autres étaient pour la plupart des agents du ministère du Budget et des magistrats de la Cour des Comptes. Cet ouvrage marque une étape dans l’histoire des Finances publiques. Il laisse entrevoir le lien qui existe avec une problématique plus large, budgétaire, administrative et comptable, celle de la « gestion des  finances publiques ».
 
3 L’ « invention » de l’histoire de la gestion publique,  2005-2012
 
            Le « Séminaire pour l'histoire de la gestion des Finances publiques de 1815 à nos jours » qui a été réuni dans le cadre de l’IGPDE de 2005 à 2010 marque une étape importante dans l’histoire des Finances publiques. Animé par Philippe Masquelier, ce séminaire a tenu plus de 50 séances de travail. Il a renouvelé l’histoire contemporaine des Finances publiques de la France en plaçant la discipline dans une perspective de régulation et de gestion. La LOLF était passée par là ! L’actualité de cette réforme incitait les chercheurs à vérifier leurs problématiques et à découvrir dans le passé des approches jusque-là enfouies. Les premières contributions de ce séminaire ont donné lieu à une publication : Élaborations et pratiques du droit budgétaire et comptable au XIXe siècle (1815-1914), 2010, sous la direction de P. Bezes, F. Descamps, S. Kott, L. Tallineau[7]. L’ouvrage rassemble vingt contributions présentées dans le cadre de ce séminaire et renouvelle notre approche du droit budgétaire et comptable de la France du XIXe siècle.
            La revue du Trésor a elle aussi accompagné le mouvement de réforme administrative, celui initié par la LOLF mais surtout celui qui en 2008  fusionne la direction générale de la comptabilité publique à celle des impôts dans une direction unique des Finances publiques (DGFIP). Elle change de nom et devient  Gestion et finances publiques. La Revue. On remarque parmi les rédacteurs adjoints la présence de deux universitaires, deux publicistes, Jean-Luc Pissaloux et surtout Stéphanie Flizot, par ailleurs historienne des Finances publiques. Le numéro spécial consacré en 2012 à la suppression des trésoriers généraux montre que cette revue souhaite conserver ses orientations historiques : 24 contributions dont une moitié revient à d’anciens TPG et l’autre à des universitaires, surtout historiens[8]. C’est aussi par-là que passe l’histoire du droit des Finances publiques.
 
4   Le programme ANR « Les grandes réformes de la comptabilité publique » autour de Marie-Laure Legay
 
            Cette dernière évolution de l’histoire des Finances publiques est née de la collaboration de quelques historiens modernistes et de juristes autour de Marie-Laure Legay et Anne Dubet.  Elle présente deux caractéristiques. Elle élargit la problématique juridique au moyen âge et surtout à l’ancien régime ; elle introduit l’étude des Finances publiques des pays étrangers.
            Cette recherche a débouché sur deux publications : d’une part La Comptabilité publique en Europe, 1500-1850, 2011, direction A-M. Legay et A. Dubet, rassemblant 17 contributeurs, dont seulement quatre juristes[9] ; d’autre part le  Dictionnaire historique de la comptabilité publique, 1500-1850, 2010 dir. Legay. Parmi les huit co-auteurs on ne trouve qu’un juriste, Sébastien Kott, maître de conférences HDR en droit public[10]. Ces ouvrages, en mettant en évidence la construction d'un savoir autonome, placent l’histoire de la comptabilité au centre de la problématique de l’histoire de Finances publiques. On appréciera également la dimension européenne de cette histoire. Cette aventure scientifique a trouvé depuis  deux ans un prolongement avec une publication périodique, Comptabilité(s). Revue d’histoire de comptabilités[11].
 
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            Cette note n’a d’autre objet que d’éclairer la place occupée par les historiens du droit, et par là, celle de leur discipline, dans les évolutions récentes de l’histoire des Finances publiques. Elle fait l’impasse sur les thèses parce que l’appréciation de la production des thèses d’histoire du droit devrait être faite en rapport avec les thèses d’histoire et de droit public soutenues sur des thèmes similaires. C’est un travail important qui ne trouve pas sa place ici. Quoiqu’il en soit, les conclusions qu’on peut tirer de cette note sont éclairantes. Il existe, on l’a bien vu, un fort besoin d’histoire du droit pour éclairer l’histoire des Finances publiques. Celui-ci paraît même s’amplifier. Les historiens du droit, peu nombreux, et peut-être pas très intéressés, n’y subviennent pas. D’autres, historiens, publicistes, fonctionnaires, assurent la très grande part de la production scientifique. Le champ scientifique « Histoire du droit des Finances publiques », parfaitement identifiable, est ainsi un lieu de rencontre entre professionnels et universitaires, ceux-ci provenant de trois sections CNU, Histoire, Droit public et Histoire du droit. Cette rencontre est certainement très positive. Elle le serait même davantage si les historiens du droit y participaient plus nombreux.
 
 
 


[1] Identifiés ici comme appartenant à la 3e section CNU

[2] Contra, par exemple, les études de P. F. Pinaud.

[3] Jacques Spindler est économiste, Henri Isaïa est publiciste. Mais sa thèse comporte une bonne part d’histoire : La personnalisation de l'impôt sur le revenu, Thèse Droit, Nice, 1973.

[4] Vol.1  Histoire du droit des finances publiques, Les grands textes commentés du droit budgétaire et de la comptabilité publique, dir. H. Isaïa et J. Spindler, Economica, 1986, 443 p. Vol. 2   Histoire du droit des Finances publiques. Les grandes étapes de la fiscalité d’Etat. Textes à l’appui, dir. H. Isaïa et J. Spindler, Economica, 1987, 690 p. Vol 3    Histoire du droit des finances publiques. Les grands thèmes des Finances locales, dir. H. Isaïa et J. Spindler, Economica, 1988, 599 p.

[5] Les articles parus dans Etudes et documents du I au XII : La liste

[6] Contrôler les finances sous l'ancien régime: regards d'aujourd'hui sur les Chambres des comptes, dir. Dominique Le Page, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 2011, Table des matières

[7] Un chargé de recherche CNRS, une historienne et deux publicistes.

[8] Mais seulement deux juristes ! Stéphanie Flizot et moi-même.

[9] Deux publicistes, S. Kott et S. Flizot et deux historiens du droit, C. Glineur et M. Bottin. http://nomodos.blogspot.fr/2011/04/dubet-et-m-l-legay-dir-la-comptabilite.html 

[10] Sous la direction scientifique de Marie-Laure Legay, professeur à l'Université Charles-de-Gaulle-Lille III,Co-auteurs Anne Dubet, professeur à l'Université de Clermont-Ferrand, Joël Félix, professeur à l'Université de Reading, Jean-Claude Hocquet, directeur de recherches émérite, CNRS, Université Charles-de-Gaulle-Lille III, Sébastien Kott, maître de conférences HDR à l'Université de Paris Ouest-Nanterre La Défense, Yannick Lemarchand, professeur à l'Université de Nantes, Bernard Lutun, docteur en histoire, Ministère de la Défense, Natalia Platonova, docteur en histoire, EHESS.

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