L’Eglise de Nice. 1860-1905 

présentation de 

Nice Historique, 2005, n°3, L’Eglise de Nice. 1860-1905

 

 
 
Un survol des questions de séparation de l’Eglise et de l’Etat dans le Diocèse de Nice pour la présentation d’un numéro de Nice Historique sur L’Eglise de Nice. 1860-1905
 
Le débat sur la loi de séparation de 1905 présente à Nice de fortes particularités liées aux conséquences de l’annexion à la France en 1860 et en particulier à la francisation du clergé local. Dans les années 1860 celui-ci est favorable au mouvement « séparatiste » -au sens strictement politique- qui milite pour une remise en question de l’annexion. Comment ce clergé et cette Eglise de Nice abordent-ils les débats qui annoncent la loi de séparation de 1905 ?
Voici deux présentations. C’est la seconde qui a été retenue par le comité de rédaction de Nice Historique. La première accordait trop d’importance à la politique anti religieuse sarde des années 1850, question finalement hors sujet au regard des contributions réunies dans la publication.
 
 

 

                              De Cavour à Combes

 

 
Pour citer : Michel Bottin, De Cavour à Combes, 2005, mis en ligne sur Michel-Bottin.com, 2008
 
         Le 17 juillet 1855 des agents du Domaine se présentaient au monastère des Carmes de Laghet afin d’en prendre possession au profit de la Caisse ecclésiastique créée par la loi du 29 mai précédent. Cette mesure, dite « loi d’incamération », retirait la personnalité juridique aux congrégations ne présentant pas d’utilité sociale, c’est-à-dire ne se consacrant pas à la prédication, l’éducation ou l’assistance. Leurs biens devaient être vendus et affectés à une caisse spéciale servant à améliorer les revenus du clergé séculier. « Nous supprimons les plus riches qui sont les moins utiles » commentait Cavour[1].
         La mesure fit grand bruit. On parla de « loi de spoliation ». Les procédures d’inventaire furent parfois accompagnées de résistances mais la satisfaction que cette loi procurait au clergé séculier limita les protestations. C’est ainsi que les opérations se déroulèrent à Nice où pourtant quelques établissements renommés étaient concernés. On trouvait aux côtés du monastère des Carmes de Laghet, l’Abbaye de Saint-Pons, le Couvent des Capucins de Saint-Barthélemy et celui des Franciscains de Cimiez.
         Ces mesures n’avaient certes rien de comparable avec celles prises au temps de la Révolution française ni même avec celles des lois anti congréganistes que fera voter Combes. Elles n’en illustrent pas moins très bien la politique anticléricale que conduisait Cavour dans les Etats de Savoie et que mettait en œuvre Rattazzi son ministre de la Justice puis de l’Intérieur, chef du Centre gauche. Cette loi pouvait parfaitement être considérée par les plus pessimistes, sinon les plus réalistes, comme une étape annonciatrice de dispositions encore plus radicales. Elle s’inscrivait d’ailleurs dans une logique initiée avec les lois Siccardi de 1850 et la suppression du privilège de juridiction des ecclésiastiques[2]. La résistance semblait vaine voire dangereuse. Le souvenir des événements qui accompagnèrent l’expulsion des Jésuites en mars1848 était dans tous les esprits : des curés avaient été insultés, Monseigneur Galvano, l’évêque de Nice, avait été pris à partie à la Chambre des députés et traité de « vrai prélat du moyen âge ». Recommencer pour défendre des religieux critiqués pour leur oisiveté ne sembla pas raisonnable. L’hostilité et les pressions d’une partie de la presse locale n’y changèrent rien.
         C’est dans ce climat difficile que Pierre Sola succéda à Monseigneur Galvano en 1858. Mais très vite la probabilité d’un rattachement du circondario de Nice à la France modifiera la situation. Elle faisait espérer au clergé niçois, surtout au clergé séculier, l’espoir d’une meilleure condition grâce aux avantages du régime concordataire français. C’est donc sans difficulté que Monseigneur Sola se ralliera au parti français et demandera à ses curés, dans une lettre pastorale retentissante du 9 avril 1860, d’appeler à voter oui au plébiscite.
         Le choix était bon. Dans un contexte politique de plus en plus favorable, de Napoléon III à la présidence de Mac-Mahon, Sola multiplie les œuvres de charité et les initiatives d’évangélisation. La construction de l’église Notre-Dame, Avenue du Prince Impérial, au moment même où le chemin de fer arrive à Nice en est une belle illustration.
         Mais tous ces avantages avaient une contrepartie : le gouvernement impérial comptait sur l’évêque pour faire progresser l’influence française à Nice. Dans une ville où le maire lui-même, Auguste Raynaud, était soupçonné de sympathies séparatistes, son action pouvait être déterminante. Mais Monseigneur Sola, Piémontais, voyait les choses autrement. Pourquoi risquer de briser l’unité du clergé local par des initiatives irréfléchies de francisation ? Il fit ainsi tout son possible pour éviter l’arrivée en 1866 des Pères Lazaristes appelés à diriger le Petit et le Grand Séminaire et ne céda que sur l’ordre du gouvernement. Courège, le supérieur lazariste du Petit Séminaire rappellera quelques années plus tard l’importance de l’enjeu : « Le petit séminaire était alors un misérable collège où la réaction contre la France et l’annexion se faisait sentir au point qu’il n’était guère possible aux élèves étrangers de parler français ou de se dire français »[3]. A l’inverse c’est avec enthousiasme qu’il demanda en 1774 à Don Bosco de venir à Nice pour y développer son œuvre[4].
         Monseigneur Sola démissionna en 1877 âgé de 86 ans. Son départ ouvrait une perspective au gouvernement français toujours soucieux de franciser le clergé niçois. Le choix se porta sur Mathieu-Victor Balaïn alors supérieur du Grand Séminaire de Fréjus. La raison du choix apparut très vite au grand jour. Elle s’inscrivait dans le projet de détacher l’arrondissement de Grasse du Diocèse de Fréjus et de le rattacher à celui de Nice. Les résistances furent fortes tant du côté de Monseigneur Terris évêque de Fréjus que de son clergé. Il fallut attendre la vacance du siège de Fréjus et la nomination d’un nouvel évêque favorable à l’opération pour réaliser le transfert. Monseigneur Balaïn resta 18 ans en poste pour tenter de réparer ce qui était pour les uns une déchirure et pour les autres une intrusion mal acceptée[5].
         La nomination de Henri-Louis Chapon comme évêque de Nice en 1896 s’inscrit dans un nouveau contexte politique marqué par le Ralliement. Le nouvel évêque, précédé d’une solide réputation de prédicateur, appartenait à la fraction la plus modérée et conciliante de l’Episcopat. Il était proche de Monseigneur Dupanloup et lui dédiera un ouvrage, Monseigneur Dupanloup et la liberté religieuse, « critique érudite des théories ultramontaines »[6].
         Ce républicain patriote dut dès le début de ses fonctions affronter à deux reprises la montée des positions anticléricales de la nouvelle majorité radicale. D’abord contre les mesures anti congréganistes. Il protesta avec vigueur, particulièrement à propos de l’expulsion des Lazaristes. Il explique dans une lettre à Waldeck-Rousseau du 24 juillet 1902 que cette mesure « était pour l’avenir du Diocèse un véritable péril et que confier l’éducation des séminaristes au clergé du Comté, imbu de l’esprit séparatiste, serait reculer de quarante années et compromettre l’avenir ». Sa résistance résolue lui fit signer une pétition sévère. Il fut sanctionné par la perte du traitement.
 
         Sa seconde bataille fut menée un an plus tard face aux promoteurs de la loi de séparation. Il tenta d’influencer la rédaction de la loi, sans succès. Celle-ci fut votée sous la Présidence du Conseil du sénateur des Alpes-Maritimes Maurice Rouvier, successeur de Combes affaibli par l’affaire des fiches. Monseigneur Chapon choisit alors le camp de la modération. Peut-être était-ce par prudence politique, afin de ne pas provoquer par une trop forte résistance un regain séparatiste ? Mais plus sûrement parce que Henri-Louis Chapon pensait profondément qu’une interprétation ouverte de la loi, particulièrement à propos des associations cultuelles était possible. La condamnation par le pape de ces associations mit un terme à ses projets ». Pour un temps seulement. Ses propositions connaîtront le succès après la Grande Guerre avec la reconnaissance des associations diocésaines.
 
Et voici la présentation retenue :
 

 

Séparatisme et séparation 

 

 
Pour citer : Michel Bottin, « Séparatisme et séparation », Présentation de Nice Historique, 2005, n°3, L’Eglise de Nice. 1860-1905.
 
Nice Historique se devait d’apporter une contribution à la commémoration du Centenaire de la loi de séparation de 1905. Le but recherché ici est moins d’ajouter une approche locale de plus à une liste déjà riche de travaux et de recherches que d’éclairer une autre histoire, plus particulière voire paradoxale, celle d’un diocèse qui change de souveraineté en 1860 et qui doit à la foi s’adapter au contexte religieux français et affronter les tempêtes politico-religieuses de la période.
         Il y a là deux histoires entremêlées. La première se déroule sur le front du séparatisme et de l’annexion de 1860. Le clergé niçois conservera pendant longtemps une assez forte identité pour laisser penser à certains qu’il pouvait servir les intérêts d’une remise en cause de l’Annexion. Il avait pourtant appelé à voter oui au plébiscite de 1860. Il est vrai que Monseigneur Sola, un Piémontais en poste depuis 1858, avait résolument choisi le camp pro-français. Mais cela ne changeait guère les choses. Qu’il soit sous la souveraineté sarde ou française ce clergé restait niçois. Et Monseigneur Sola y tenait fermement, au point par exemple de protester vivement contre l’envoi dans son diocèse en 1866 de Pères Lazaristes pour remplacer le personnel du Petit et du Grand Séminaire jugé trop peu francophile. Il ne cèdera que sur injonction du gouvernement. Il préférait satisfaire autrement aux besoins pastoraux d’une ville en pleine expansion. Par exemple en accueillant un prédicateur jésuite renommé, le Père Lavigne, pour œuvrer au sein de la communauté française et bâtir l’église dont elle avait besoin. Ou encore en demandant avec insistance à Don Bosco, un Turinois comme lui, de venir à Nice pour y développer son œuvre[7]. Mais confier la formation des prêtres à une congrégation française, qui plus est spécialisée dans les missions étrangères, voilà qui lui paraissait inacceptable.
         Les soupçons séparatistes seront en tout cas assez forts pour que le gouvernement français juge indispensable de renforcer la politique de francisation en détachant l’arrondissement de Grasse du diocèse de Fréjus pour le rattacher à celui de Nice. L’entreprise était osée, risquée même, tant elle déplaisait à l’évêque du lieu et au clergé grassois. Monseigneur Balaïn, qui succède à Pierre Sola en 1877, fut nommé pour mener à bien cette opération[8]. Il avait été précédemment supérieur du Grand Séminaire de Fréjus et connaissait bien tous les prêtres de l’arrondissement. Lui seul pouvait réussir. Dire que l’entreprise aboutit rapidement à la fusion des deux clergés serait très excessif.
La séparation était encore visible avant la seconde guerre mondiale.
         Avec le temps la revendication séparatiste s’atténua. La classe politique unanime multiplia, dans la voie tracée par le maire de Nice Borriglionne, les proclamations de fidélité à la République et à la France. Mais le soupçon persistait au point que Monseigneur Chapon, successeur de Monseigneur Balaïn en 1896, n’hésita pas à mettre en avant les risques de regain séparatiste que faisaient courir les mesures anti-congréganistes. Il écrivit le 24 juillet 1902 à Waldeck-Rousseau une lettre dans laquelle il expliquait que l’expulsion des Lazaristes « était pour l’avenir du Diocèse un véritable péril et que confier l’éducation des séminaristes au clergé du Comté, imbu de l’esprit séparatiste, serait reculer de quarante années et compromettre l’avenir »[9]. Sa résistance résolue lui fit signer une pétition sévère. Il fut sanctionné par la perte du traitement.
 
         La seconde histoire est celle de la séparation. Elle commence un peu avant l’Annexion, avec la mise en œuvre de la politique anti cléricale de Cavour et de Rattazzi. Plusieurs mesures marqueront alors le recul des positions de l’Eglise dans le Royaume sarde. La plus remarquée fut la loi d’incamération du 29 mai 1855. Elle retirait la personnalité juridique aux congrégations ne présentant pas d’utilité sociale, c’est-à-dire ne se consacrant pas à la prédication, l’éducation ou l’assistance. Leurs biens devaient être vendus et affectés à une caisse spéciale servant à améliorer les revenus du clergé séculier. « Nous supprimons les plus riches qui sont les moins utiles » commentait Cavour[10].
La mesure fit grand bruit. On parla de « loi de spoliation ». Les procédures d’inventaires furent parfois accompagnées de résistances mais la satisfaction que cette loi procurait au clergé séculier limita les protestations. C’est ainsi que les opérations se déroulèrent à Nice où pourtant quelques établissements renommés étaient concernés. On trouvait aux côtés du Monastère des Carmes de Laghet, l’Abbaye de Saint-Pons, le Couvent des Capucins de Saint-Barthélemy et celui des Franciscains de Cimiez.
La loi, au-delà de ses effets directs, montrait en tout cas que le gouvernement de Turin éprouvait les plus grandes difficultés pour mettre en place un véritable budget des cultes. On était loin des avantages du régime concordataire français. L’argument fut sans doute décisif dans le choix de Monseigneur Sola.
Le Diocèse a su tirer parti de ces avantages, particulièrement pendant l’Empire et la Présidence de Mac Mahon, période au cours de laquelle le jeu concordataire se développe harmonieusement. Sola avait vu juste. Les relations s’altèreront progressivement par la suite. Il en restera toutefois assez d’avantages pour que Monseigneur Chapon dispose de toutes les facilités pour affirmer fortement la présence de l’Eglise au sein de la Cité. Au point que certains esprits acides le qualifieront de « prélat mondain ».
La politique religieuse des Radicaux lui donnera l’occasion de prendre des positions dont l’écho se fera entendre bien au-delà du diocèse. Chapon, nommé dans le nouveau contexte du Ralliement, agira en adversaire résolu de la suppression des congrégations puis multipliera les démarches pour encourager les parlementaires à s’opposer au processus de séparation.
La loi une fois votée Chapon s’engagera avec quelques confrères dans la recherche d’un compromis. Etait-ce une attitude de prudence politique destinée à ne pas provoquer par une trop forte résistance un regain séparatiste et un déchirement politique dans son diocèse ? Peut-être. Mais on peut voir les choses autrement et considérer que Monseigneur Chapon pensait profondément qu’une interprétation ouverte de la loi, particulièrement à propos des associations cultuelles, était possible. La condamnation par Rome de ces associations mit un terme à ses projets. Pour un temps seulement. Ses propositions connaîtront le succès après la Grande Guerre avec la reconnaissance des associations diocésaines.   
 


[1] Paul-Louis Malausséna,« Les congrégations religieuses du Comté de Nice et la loi d’incamération », in Nice au XIXe siècle, Centre d’Histoire du droit, Nice, 1985, pp. 121-134.

[2]  Silvio Ferrari, « La politica ecclesiastica subalpina e le leggi Siccardi », Giuseppe Siccardi, magistrato, ministro nel bicentenario della nascita, a cura di Giuseppe Griseri e Gian Savino Pene Vidari, Sociétà per le studi storici, archeologici ed artistici della Provincia di Cuneo, Cuneo, 2005, pp. 65-81.

[3] Denis Ghiraldi « Le rattachement ecclésiastique de l’arrondissement de Grasse au Diocèse de Nice en 1886», in Les Alpes-Maritimes 1860 à 1914. Intégration et particularismes. Ed. Serre, Nice, 1988, p. 76.

[4] Francis Desramaut, Don Bosco à Nice, Paris, Apostolat des Editions, 1980, 397 p.

[5] Denis Ghiraldi « Le rattachement ecclésiastique de l’arrondissement de Grasse au Diocèse de Nice en 1886», op. cit. , pp. 77-96.

[6] Dictionnaire biographique des Alpes-Maritimes et de la Principauté de Monaco, Paris, Ernest Flammarion Editeur, SD, p. 124.

[7] Francis Desramaut, Don Bosco à Nice, Paris, Apostolat des Editions, 1980, 397 p.

[8] Denis Ghiraldi « Le rattachement ecclésiastique de l’arrondissement de Grasse au Diocèse de Nice en 1886», op. cit. , pp. 77-96.

[9] Denis Ghiraldi « Le rattachement ecclésiastique de l’arrondissement de Grasse au Diocèse de Nice en 1886», op. cit., p. 85.

[10] Paul-Louis Malausséna, « Les congrégations religieuses du Comté de Nice et la loi d’incamération », Nice au XIXe siècle. Intégration et particularismes, Centre d’Histoire du droit, Nice, 1985, pp. 121-134.

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