Un commerce parallèle
 
 
J’ai apporté à cette étude publiée en 1977 quelques retouches de forme et supprimé les considérations pénales, introductives et conclusives, qui justifiaient son insertion dans un volume de contributions portant sur la « Criminalité dans le Comté de Nice et en Provence orientale. XVIIe-XVIIIe siècles ». Mon étude était sous-titrée ainsi : « Comportements délictueux et relativité des règlementations douanières ». Tout un programme ! Avec le recul il m’apparaît que c’était encombrer bien inutilement un sujet en lui-même déjà assez complexe.
Comme c’est le cas pour chacune de mes études que je mets en ligne sur ce site, il n’y a aucune mise à jour bibliographique, scientifique ou autre … même si la question est importante. Je pense en particulier à l’étude que j’ai publiée en 1987 dans les « Mélanges Boulvert » sur la rectification de la frontière franco-sarde réalisée en 1760 sous la pression de la Ferme générale parce qu’elle était impossible à contrôler. On peut s’y reporter dans cette rubrique « Douanes-péages ».
 
M.B. mai 2018
 
 
 

Un commerce parallèle 

La contrebande niçoise du XVIIe au milieu du XIXe siècle 

 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Un commerce parallèle. La contrebande niçoise du XVIIe au milieu du XIXe siècle », in Annales Méditerranéennes d’Histoire et d’Ethnologie juridiques, Nice, 1976-1977, pp. 3-36.
 
Sommaire
1 Rareté des sources et complexité des règlementations
I Règlementations et pratiques douanières
 2. Le pays niçois zone franche. 3.  Les douanes françaises et la frontière niçoise. 4. Le pays niçois, marche douanière piémontaise. 5.  Nice-Paris par les Alpes. 6. L’effet « Port franc ». 7. Une frontière trop perméable. 8. Douaniers conciliants … et collaborateurs.
II Trafics et contrebande
 9. Critiques génoises. 10. Nice, marché de Provence… 11. … et entrepôt anglais. 12. Le coupage des huiles. 13. L’impossible réforme du régime douanier niçois. 14. Contrebande maritime vers la Provence. 15. Faux-sel …16… et faux-tabac.
17.Conclusion. Réalité commerciales niçoises
 
 
          
         De façon assez générale on considère la contrebande davantage comme une technique de passage frontalier clandestin que comme un système commercial parallèle dans lequel l’approvisionnement ou la falsification sont aussi importants que la phase de passage. La contrebande dont il est question ici n’est pas en effet un mécanisme simple pouvant entrer dans une définition technique précise, telle celle de l’actuel Code des douanes français[1] ; elle est un système complexe d’opérations diverses étroitement liées à l’économie.
Elle dépend d’une réglementation fiscale ou économique, discriminatoire, compensatoire ou protectrice selon les cas, sécrétée par une autorité étatique qui a pris conscience du rôle joué par l’économique dans l’affermissement de sa puissance. En ce sens elle est étroitement liée à la montée en puissance des Etats-Nations. Elle est une activité commerciale parallèle menée à l’encontre des lois douanières de l’Etat moderne.
Pour se développer à grande échelle, sous la forme d’un véritable commerce parallèle, la contrebande a eu besoin de deux facteurs, une frontière ferme et des taxations à l’importation. C’est à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, que se mettent en place ces deux données, décisives pour la matière, la perception frontalière d’une part, la taxation à l’importation d’autre part[2] ; elles renferment à elles seules les éléments les plus essentiels à une définition de la contrebande pour les deux siècles qui suivent, qu’ils se rapportent au phénomène frontalier étatique ou bien au phénomène économique national.
         L’étude qui suit doit être placée dans ce cadre général. Elle présente l’évolution d’un système douanier provincial, celui du Comté de Nice, et ses conséquences commerciales. Il s’agit d’un régime de franchise à peu près dépourvu de contrôles. Ce système, construit et protégé par les souverains de la Maison de Savoie, prend forme au milieu du XVIIe siècle et conserve ses caractéristiques jusqu’au milieu du XIXe siècle. Turin décide alors de faire entrer la province niçoise dans le droit douanier général.
 
 
 
La présentation de ce régime de franchise passe par une connaissance des systèmes douaniers, celui de la province niçoise mais aussi ceux des territoires environnants, Gênes, Piémont, Monaco et Provence ; elle passe aussi par une connaissance de l’environnement économique et des pratiques commerciales parallèles.
On ne peut dire qu’en ces matières l’histoire locale nous fournisse d’abondantes ressources. Peut-être est-ce d’ailleurs là chose normale en matière de commerce parallèle ? La contrebande, dans ses aspects les plus commerciaux, se présente en effet comme entourée d’un halo d’incertitudes et d’imprécisions ; ce n’est pas le domaine des chiffres rassurants et des statistiques concluantes. Mais cette imprécision s’aggrave encore davantage dans le cas de Nice : la pauvreté des renseignements économiques, le caractère souvent très artificiel des rapports officiels et la rareté des synthèses contemporaines, au moins pour l’Ancien Régime, soulèvent de réelles difficultés[3]. Le rapport entre l’importance de la contrebande et la rareté des sources chiffrées semble d’ailleurs être un signe distinctif du commerce niçois ; c’est là une raison suffisante pour cheminer à l’écart des statistiques inopérantes et des conclusions chiffrées, et pour ne pas chercher à découvrir les secrets comptables de ces commerçants qui ne montraient de leurs activités que ce qu’ils voulaient bien laisser voir.
         A cette délicate approche des problèmes économiques locaux s’ajoutent les difficultés liées à une connaissance souvent imparfaite des systèmes douaniers. Certes les auteurs ont pour la plupart fait ressortir, à juste titre d’ailleurs, la dynamique centrifuge de leur évolution, mais cela n’a pu se faire qu’au détriment de la présentation de certaines situations périphériques dont l’importance, secondaire au plan général, peut parfois apparaître comme déterminante au plan régional. C’est le cas pour la province niçoise. L’approche est délicate car elle doit combiner règles bien établies et pratiques instables ; elle est complexe car elle doit tenir compte des régimes douaniers voisins.  C’est par cette présentation qu’il convient de commencer[4].
 
I Règlementations et pratiques douanières
 
 Le régime douanier d’exception dont bénéficie la province de Nice du XVIe au XVIIe siècle conditionne le développement d’un commerce parallèle.  Pour en comprendre tous les effets il est indispensable d’en tracer les contours, tant au plan des règlementations que des pratiques douanières.
 
 
 
Rien ne facilité autant la fraude que l’opposition des systèmes ; c’est elle qui engendre les tensions fiscales et économiques, et qui fait de la loi douanière une norme relative méconnue ou contestée ; comment ne pas voit dans la multiplication des activités frauduleuses à la frontière provençale du pays niçois l’illustration d’une telle constatation ? D’un côté une zone-franche[5], de l’autre un système très structuré ; le laxisme fiscal le plus évident contre la rigueur parfois la plus tendue. Le pays niçois se présente aux douanes françaises comme un réduit aux activités incontrôlables qui nécessite une surveillance frontalière de tous les instants ; du XVIIe au XIXe siècle[6], le laisser-aller en matière de surveillance y va de pair avec la faiblesse du niveau des impositions, et s’il y a évolution c’est plutôt dans le sens de la disparition des dernières contraintes existantes que vers un durcissement des contrôles. C’est ce mouvement constant, et parfois excessif, d’extension des franchises, qui a conduit un jour un Consul de France, excédé sans doute par le climat de fraude ambiant, à comparer le port-franc de Nice à un monstre, mais « en physique », précisait-t-il, « les monstres sont incapables de reproduction » et le port-franc « en est un bien extraordinaire dans l’ordre politique, moral et judiciaire puisqu’il donne naissance à d’autres effets plus monstrueux »[7]. Cet aspect excessif est une caractéristique supplémentaire du système niçois : marque, consigne des marchandises, contrôles… sont des moyens normaux d’intervention, même en régime de franchise ; le fait que cette infrastructure de contrôle soit pratiquement inexistante ne fera que compliquer la tâche des douanes voisines.
 
3       Les douanes françaises et la frontière niçoise
 
          Ce n’est qu’avec la mise en place des taxes à l’importation au cours du dernier quart du XVIe siècle que le système douanier français se trouve doté de tous ses éléments constitutifs. Les nouvelles impositions vont prendre progressivement une place prépondérante, reléguant au second plan les taxes préexistantes, traites, droits de haut-passage, rêves ou péages de toutes sortes ; par leur nature essentiellement protectionniste, par le haut niveau de leurs droits, elles influeront très nettement sur l’évolution de la contrebande et donneront lieu à des développements frauduleux dépassant largement le cadre restreint des anciennes impositions[8].
La mise en place de ces nouvelles taxes, en l’occurrence les droits de la Douane de Lyon applicables dans les provinces du Sud-est du Royaume, s’est faite de façon très progressive. Elles n’apparaissent à la frontière provençale du Comté de Nice que quelques années avant le milieu du XVIIe siècle, après que, par mesure de précaution et souci de rentabilité, leurs fermiers aient progressivement reculé la ligne des bureaux, de la vallée du Rhône vers les limites du Royaume[9]. L’essor de la contrebande dans le pays niçois est contemporain de ces mesures.
L’évolution n’était pas pour autant terminée car les puissantes résistances provinciales limitèrent encore pendant longtemps le niveau de ces impositions conçues le plus souvent en fonction d’impératifs économiques qui leur étaient étrangers. Les tarifs fixés en 1632 à un niveau relativement modéré [10] subirent toutefois le contrecoup des réformes de Colbert et de leur échec partiel[11] : placée dans la situation de province « réputée étrangère » par rapport au tarif de 1664, la Provence se voyait donc touchée par le tarif de 1667, qui corrigeant le précédent, devait être appliqué aux frontières en combinaison avec les impositions préexistantes -la douane de Lyon pour la Provence- entrainant maintes difficultés et un fort relèvement des droits anciens. Tant que cela leur fut possible l’Assemblée générale des communautés de Provence et le Parlement d’Aix freinèrent l’application de la mesure[12] mais la pression constante de la Ferme générale et les injonctions répétées du pouvoir royal[13] finirent par écarter toute résistance[14]. La contrebande a suivi une évolution parallèle.
         Le mouvement protectionniste, un instant freiné à l’extrême fin de l’Ancien Régime, reprenait sa progression avec une vigueur accrue sous la Révolution et l’Empire ; la loi du 15 mars 1791 qui fixait les impositions douanières à un niveau jamais atteint jusque-là[15] portait déjà en elle les germes des mesures totalitaires qui de 1803 à 1806 devaient conduire au Blocus continental ; manufacturiers et maîtres de forges français s’en accommodèrent assez bien pour que toute option libre-échangiste soit écartée du tarif douanier de 1816. Le protectionnisme, générateur de contrebande, triomphait pour plusieurs décennies, mais enrichi par les expériences révolutionnaires et impériales il avait toutefois changé d’aspect : il s’était adapté aux nécessités économiques et conjoncturelles par le biais de primes à l’exportation, de systèmes d’échelle mobile, de tarifs préférentiels ; ainsi sophistiqué il devenait une source inépuisable de fraudes qu’une armée de douaniers s’efforçait de tarir avec une efficacité nouvelle.
         Il est vrai en effet que depuis 1791, date de la création de la Régie des douanes, les choses avaient bien changé ; la mise en place des contrôles suivait toujours d’assez près la publication des nouvelles mesures, quelques jours ou quelques semaines tout au plus. Les pratiques désordonnées des fermiers d’Ancien Régime, davantage motivés par leurs politiques financières que par les besoins de l’économie, ne pouvaient que contrarier cette volonté de faire du contrôle une certitude propre à décourager le fraudeur. Le nouveau système douanier laissait peu de place à l’incertitude.
      Ce changement fut particulièrement sensible à la frontière provençale du pays niçois. Cette région excentrée est en effet restée pendant longtemps en marge des préoccupations essentielles des traitants français. Il faut attendre 1726 et la constitution définitive de la Ferme générale pour assister à un très net resserrement du dispositif de surveillance, suivi d’ailleurs par de multiples incidents[16]. Puissant facteur de limitation des fraudes, la rationalisation des contrôles restait toutefois très dépendante des variations conjoncturelles qui pouvaient influer tant sur les adjudications que sur les exploitations fermières ; il ne faut quelquefois pas chercher ailleurs les causes de tel ou tel resserrement intempestif des contrôles ou de telle augmentation officieuse cachée derrière un tarif raturé et surchargé[17]. D’une certaine manière on peut dire que le contrebandier avait encore sa chance !
         L’annexion par la France du Comté de Nice pendant l’époque révolutionnaire et impériale entraina la disparition de cette frontière de 1792 à 1814. Sa reconstitution au début de la Restauration permet de souligner les différences avec la situation antérieure à l’annexion de 1792 :  la zone franche niçoise est restaurée mais désormais elle est confrontée à un régime douanier français beaucoup plus efficace tant par le niveau élevé des droits que par la certitude des contrôles. Cette frontière franco-sarde est beaucoup plus infranchissable qu’elle ne l’était avant 1792.
 
4       Le pays niçois, marche douanière piémontaise
 
         Le pays niçois est séparé du Piémont par une ligne douanière parfaitement structurée et fixée sur des obstacles naturels difficilement franchissables. Il est ainsi en situation « d’étranger effectif », selon l’expression utilisée en France sous l’Ancien Régime pour qualifier les parties du territoire bénéficiant d’un régime de franchise douanière. Cette frontière piémontaise n’offre guère de failles aux contrebandiers d’autant plus que le douanier piémontais ne se trouve pas dans la situation inconfortable de son collègue français qui garde la frontière du Var-Estéron ; pour lui le pays niçois n’est pas un réduit aux activités incontrôlables mais une marche douanière protectrice pouvant lui permettre par des contrôles préventifs appropriés de limiter considérablement les fraudes ; d’ailleurs, sur un plan purement technique mieux vaut arder la ligne des crêtes que la frontière du Var-Estéron. Les courants frauduleux qui peuvent naître ici ou là ne sont ainsi que la conséquence de situations passagères que les douanes ont tous les moyens de corriger peu après leur découverte. Ce fut le cas par exemple des fraudes provoquées par l’installation d’entrepôts des douanes dans quelques villages du haut-pays niçois situés au pied des cols : les dépôts avaient attiré la convoitise des contrebandiers et servaient plus à alimenter les fraudes qu’à les limiter. Après leur suppression en 1835, on pouvait estimer que la contrebande avec le Piémont était « réduite à presque rien »[18].
         En fait, depuis le début de la Restauration sarde, la pression frauduleuse s’exerçait surtout à la frontière ligure. Le rattachement du Duché de Gênes au Royaume de Sardaigne en 1814, et donc l’application dans la nouvelle province du régime douanier général sarde ne cessait de poser des problèmes à une administration fiscale qui se trouvait confrontée à des situations, nouvelles pour elle, d’interpénétration frontalière accentuée car aucun tracé frontalier très précis n’avait jamais séparé le pays niçois de la Ligurie occidentale[19] ; d’ailleurs, certaines communautés de la partie la plus orientale du Comté étaient davantage tournées vers les ports de la Rivière de Ponant que vers Nice. Le nouveau tracé frontalier, conçu uniquement en fonction d’obstacles naturel, ne pouvait donc que provoquer des difficultés en portant atteinte à certaines interdépendances[20], mais les brigades des douanes installées dans le Mentonnais et le long de la Roya eurent tôt fait de mettre fin aux infiltrations que la période d’adaptation avait pu favorise[21] : le pays niçois jouait ainsi pleinement son rôle de marche douanière[22]. Il n’y a donc aucune symétrie avec la situation de la frontière franco-sarde. Dans un cas il s’agit d’une frontière d’Etat, dans l’autre d’une frontière intérieure.
 
5       Nice-Paris par les Alpes
 
         Du côté français, toutes les conditions paraissaient donc réunies pour faire du pays niçois un centre de contrebande extrêmement actif ; l’idée, maintes fois répétées, selon laquelle « il n’y a pas de douanes à Nice », la faiblesse bien connue des effectifs de surveillance, les appels publicitaires des édits du port-franc, l’accueil très large des étrangers, l’influence commerciale anglaise, tout cela a contribué à développer à Nice un actif commerce de redistribution et de contrebande. La politique des souverains de Savoie, davantage orientée vers la mise en valeur de la route internationale du col de Tende vers le Piémont, que vers le développement d’activités locales de transformation, ne fit qu’accentuer le processus ; le littoral était essentiellement un centre de redistribution, qui prospérait sous le couvert des franchises, et dont l’influence profitait à toute la province qui trouvait dans ces activités le palliatif d’une économie agricole difficile. A cela s’ajoutaient les avantages, infiniment appréciables pour un contrebandier, d’une frontière extrêmement perméable : résultat de la sécession du pays niçois en 1388, son tracé, découpé à l’extrême, tranche dans la Provence orientale sans faire grand cas des obstacles les plus naturels ; rien n’est plus facile à traverser ni difficile à surveiller.
         Mais ces avantages comptent peu à côté du handicap considérable résultant de l’éloignement des grands centres de consommation. Que l’influence de la contrebande niçoise se fasse sentir en Ligurie et en Provence ne fait guère de doute, mais la faiblesse de certaines impositions en Provence -« province réputée étrangère » et pays de « petite gabelle »- et les faibles contraintes fiscales des Rivières de Gênes, limitent à la fois les tensions sur les prix et les débouchés. La zone d’influence peut difficilement s’étendre au-delà ; Livourne d’un côté a, en matière de contrebande, une réputation telle que sous certains aspects Nice apparaît parfois comme sa succursale[23] ; de l’autre, la difficulté vient moins d’une concurrence de Marseille -car les fermes veillent à ce que l’édit du port-franc marseillais ne soit pas interprété de façon laxiste- que de la distance qui sépare Nice des grands centres de consommation, Lyon et Paris. La distance est en outre aggravée par une interminable succession de péages qui entravent la circulation dans la vallée du Rhône. Il y a même en plus ces bureaux « obliques » de la douane de Lyon ou de celle de Valence qui forment une trame serrée de contrôles jusqu’à Lyon : le marchand le plus en règle qui se puisse être n’est même pas assuré de n’y rencontrer aucun ennui et de passer sans payer la douane une seconde fois[24].
         Pourtant, le meilleur débouché, celui qui fit la fortune des contrebandiers de Savoie et du Jura, c’est bien « l’Etendue », cette zone de libre-échange grande comme plusieurs provinces et au centre de laquelle se trouve Paris, un lieu exceptionnel de consommation de produits de luxe. Les avantages contrebandiers des enclaves savoyardes et surtout du pays de Gex sont incomparablement plus évidents que ceux du pays niçois ; le phénomène Mandrin est étroitement lié à ces conditions juridiques et géographiques favorables : seule « l’Etendue », par sa superficie et par son haut niveau d’imposition douanière, pouvait favoriser de tels développements d’activités frauduleuses. Trop éloigné, le pays niçois ne peut guère servir en que de refuge à des bandes pourchassées par les gardes des fermes françaises ou bien revenant d’expédition par des chemins détournés. Le resserrement de la surveillance à la frontière savoyarde après les premiers exploits de Mandrin et de ses hommes obligea ainsi certaines expéditions à revenir par le Comté de Nice, provoquant immédiatement la mise en place de très lourds dispositifs de contrôle et de poursuite : telle cette chasse à laquelle se livrèrent, à la mi-avril 1755, 80 gardes des fermes françaises qui parcourent en tous sens la partie orientale du Comté pour tenter d’arrêter Mandrin, « Il Mandrino », précisait non sans emphase le rédacteur du procès-verbal de violation de frontière[25]. Certains penseront que c’est peut-être par-là que le pays niçois entre dans la grande histoire de la contrebande.
         Mais pour ces contrebandiers savoyards, Nice n’est pas seulement une position de repli. Son port peut servir le lieu d’approvisionnement non seulement à destination du Piémont et de la Savoie, mais aussi de la Suisse, du Milanais, de l’Autriche, et pour ce qui nous intéresse ici, de Paris.
         La structure complexe des systèmes douaniers d’Ancien-Régime impose en effet le dépassement des apparences géographiques les plus évidentes ; le décloisonnement du pays niçois par le col de Tende est ainsi trop souvent considéré sous son seul aspect routier ; les difficultés de circulation paraissent alors supérieures à toutes les autres considérations. Mais si on combine ces difficultés géographiques à la faible imposition douanière des marchandises provenant de Nice, le résultat est tout autre ; autant les obstacles péagers et douaniers abondent de Marseille à Lyon, autant les formalités ont été simplifiées pour celui qui se rend de Nice en Suisse, en Autriche ou en France. Les inconvénients pratiques du double franchissement des Alpes -cols de Tende et du Montcenis dans le cas de la France- sont ainsi compensés, par des faveurs fiscales étendues[26]. L’aménagement systématique des cumuls d’imposition modifie donc les données de la circulation internationale des marchandises dans cette partie de l’Europe. Même mineur le phénomène mérite d’être signalé car ce moyen commode d’éviter les dispositions contraignantes du port-franc de Marseille et les péages rhodaniens, principalement la douane de Valence, a parfois pu tenter certains commerçants en produits de luxe fortement taxés ou bien prohibés. Cette route alpine offrait ainsi à une contrebande, au premier abord limitée aux régions immédiatement voisines, un champ d’action beaucoup plus vaste.
 
6       L’effet « Port franc »
 
         Rien ne paraît plus constant que la notion de faute en matière de contrebande. Pourtant s’en tenir à une telle apparence conduirait à négliger ce fait déterminant qu’est sous l’Ancien Régime le décalage existant entre l’autorité concédante et l’autorité exploitante ; on ne fraude pas les droits du roi mais les droits du fermier et « quand il serait vrai que l’avidité du fermier tournât au profit du roi, il est certain au moins que l’insolence de cette multitude de commis qui inonde les provinces lui est absolument inutile »[27]. C’est ce décalage qui nuit à l’autorité de la règlementation, profite au contrebandier et contribue à discréditer gabellous et gapians. Il influe non seulement sur la portée de la faute mais même sur sa nature.
         A ces constatations générales vérifiables partout sous l’Ancien Régime, il faut ajouter quelques considérations particulières au pays niçois : l’état d’esprit favorise la contrebande et on est frappé de constater combien certains peuvent en parler ouvertement ; tels ces marchands de Nice qui, menacés dans les avantages commerciaux qu’ils tiraient d’une politique laxiste de franchises n’hésitaient même pas à faire remarquer dans un rapport tout à fait officiel que, « Nice se trouvant entre la France et les Etats de Gênes, cela produit un négoce considérable de marchandises de contrebande… qui a cessé pour une bonne part parce qu’en marquant lesdites marchandises à l’entrée et en les consignant à la sortie, il se peut que la connaissance en vienne aux invigilateurs »[28]. Il est difficile de frauder avec autant d’innocence ! Le fait est que les réglementations locales n’incitent guère à prendre conscience d’une quelconque culpabilité ; d’ailleurs le Port-franc de Nice-Villefranche, avec son sauf-conduit général, généreusement accordé, est le pourvoyeur constant du commerce niçois en personnages au passé commercialement chargé et à l’avenir incertain. Les critères de la juridiction chargée de surveiller les admissions, le Consulat de Mer, sont trop larges et ses renseignements sur l’impétrant toujours insuffisants.
         Le Consulat de Mer aurait peut-être pu tirer quelque profit des critiques des consuls de France en poste à Nice ; souvent bien renseignés, ils avaient la possibilité de connaître le motif de l’installation à Nice de tel ou tel failli frauduleux ou banqueroutier habituel. Les positions trop tranchées des deux autorités interdirent tout dialogue. Comment d’ailleurs accorder un crédit quelconque aux propos de ce consul de France, Le Seurre en l’occurrence, qui demandait si ce n’était pas « ouvrir la porte à toutes les irrégularités dans la navigation et aux infractions les plus révoltantes de la part des capitaines et des équipages, à l’insubordination la plus caractérisée conséquemment au trouble, à la confusion dans le commerce que de promettre l’impunité à tous capitaines, patrons, gens de mer ? ». Pour le consul de France cet abus de protection était non seulement nuisible au commerce mais aussi « odieux » pour les puissances voisines quand on l’ « étend implicitement à des cas dont le dangereux effet reflue chez elle-même, quand elle tend à y favoriser le mépris des lois, l’impunité des coupables, à exciter la désertion, l’infidélité, le libertinage, enfin tous les genres de crimes que l’Edit (du port-franc) ne proscrit pas comme vol, vol domestique, recèlement, incendie volontaire, rapt, viol, inceste, débordement le plus affreux des mœurs, concussion, stellionat, prévarication, crime de faux, impiété, rébellion en justice, félonie, en un mot tous les attentats qui sont source de troubles dans les autres pays deviennent des titres pour prétendre au bénéfice du port-franc »[29]. Emporté par son indignation le consul en oubliait même de parler de la contrebande. Il est vrai que les consuls de France du XVIIIe siècle se montrent toujours très discrets sur cette question bien qu’ils en sachent quelquefois très long. La collaboration constante et étroite de leurs successeurs, après 1814, avec l’administration des douanes ne fait que mieux ressortit leur discrétion en ce domaine.
         Quoiqu’il en soit les propos du consul mettaient en évidence un problème crucial dont les conséquences sur les méthodes commerciales pouvaient être déterminantes. Rares étaient les Niçois qui sous l’Ancien Régime en avaient conscience et l’administration de Turin tarda à réagir. Les propositions très claires portant sur le contrôle des admissions qu’avait autrefois faites le général des Finances Truchi étaient restées lettre morte[30]. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que l’on prit des mesures contre ces excès, plus d’ailleurs pour préserver l’ordre public, la religion et les mœurs que pour lutter contre la contrebande ; et lorsque Cessole se félicitait en 1835 de la réduction du champ d’application du droit d’asile, il s’attachait davantage à l’aspect moral proprement dit qu’au problème commercial[31]. D’ailleurs si les excès du droit d’asile avaient pu autrefois favoriser le lancement de certaines activités frauduleuses, il y avait bien longtemps que la contrebande était considérée en certains milieux commerçants comme une activité compatible avec la morale commerciale ambiante et de plus, indispensable à la bonne marche de l’économie.
 
7       Une frontière trop perméable
 
Phénomène indispensable sinon naturel, la contrebande l’est également le long de la frontière : les liens étroits, économiques, humains existants entre les communautés frontalières et la perméabilité de la ligne douanière en font une activité quotidienne. On fait sur cette frontière provençale « journellement de la contrebande » constate un magistrat de Draguignan[32]. L’imposition et le contrôle sont considérés par les communautés comme des pratiques si contraires à l’ordre normal des choses que leur première réaction contre toute mesure pouvant freiner leur commerce réciproque est de demander réparation pour le préjudice subi. On en jugera par cette démarche de la communauté provençale du Broc qui mit en question en 1728 l’assiette de son affouagement pour la raison que sa foire de 8 jours au mois d’octobre -« d’un revenu considérable »- souffrait beaucoup de la « prohibition d’entrer et de sortir aucune marchandise ou denrée allant du pays étranger ou qui en viennent sans les billets à caution qu’on prend à prix d’argent au bureau des fermes, règle qu’on est obligé de suivre hors le temps mesme de la foire, ce qui ruine entièrement le commerce et le trafic des denrées »[33]. Il n’y a pas l’ombre d’un sentiment de culpabilité dans cette réclamation.
 
Addendum mai 2018 : ce paragraphe est très sommaire. Il y a beaucoup plus à dire sur la frontière franco-sarde du Comté de Nice. Cette étude passe à côté de la question. C’est ce qu’il apparaît dans une étude réalisée dix ans plus tard, en 1987. La pression contrebandière sur cette frontière était tellement forte que la Ferme générale de France a réclamé, et obtenu, une rectification de frontière supprimant les enclaves et les situations partiellement enclavées ! Michel Bottin, « Pressions douanières et affermissement frontalier. Les limites de la Provence et du Comté de Nice du XVIe au XIXe siècle », in Hommages Gérard Boulvert, Centre d’Histoire du droit, Université de Nice, 1987, pp. 85-107.
Seconde remarque : la contrebande par voie de terre entre les possessions de la Maison de Savoie et la République de Gênes est presque absente de cette étude. Cette frontière est constituée de très nombreux territoires enclavés. Elle n’est manifestement pas contrôlable. Et les incidents frontaliers sont très nombreux. Une étude serait bienvenue. Fin de l’addendum.
 
8       Douaniers conciliants … et collaborateurs
 
         La force de l’habitude est, pour beaucoup, plus forte que le sentiment de la fraude, et du contact quotidien avec le douanier naissent des habitudes qui émoussent la sévérité du contrôle. La complaisance, bonhomme ou vénale, est le pendant de la fraude ; d’ailleurs l’organisation fermière s’en accommode par nature ; le respect du règlement y apparaît en effet comme une valeur moindre que l’impératif financier. Les valeurs sont inversées dans le cas d’une régie : le respect du règlement en tant que tel devient essentiel, perception et contrôle se veulent plus précis, plus stricts, plus égaux et les facilités ne sont plus de mise. Mais au-delà de cette constatation très général, il y a le tissu des réalités, fait de multiples habitudes et conceptions enracinées. Par-delà les réformes de la Révolution, les mentalités de certaines catégories du personnel douanier semblent être restées telles qu’elles étaient sous l’Ancien Régime ; mais le problème apparaît autrement plus grave car l’imposition douanière est devenue une pièce, parmi les plus importantes, du dispositif de protection nationale ; la faute prend une autre signification.
         Accentuées par les nouvelles possibilités offertes par les nouveaux tarifs ultra-protectionnistes, les malversations continuèrent sous la Révolution et l’Empire, par la voie littorale du moins puisque la frontière terrestre entre la France et la province niçoise avait été effacée par l’annexion de 1792. En 1803, le directeur des douanes à Nice déplorait ainsi que la « fraude n’avait jamais eu tant de moyens d’exécution, ni d’auxiliaires que depuis quelques années ». Des officiers des douanes se trouvaient impliqués dans ces fraudes ; « il fallait d’urgence », fulminait le directeur des douanes, « désigner ceux sur lesquels il y aura le plus de motifs de frapper ces premiers coups en leur faisant subir, ainsi qu’aux préposés, une déportation méritée ». Le remède sera parfois pire que le mal car il était fréquent que ces douaniers destitués changent de camp et dirigent eux-mêmes les manœuvres des bâtiments contrebandiers « avec plus d’avantage que ceux qui sont absolument étrangers à la partie des douanes » ; d’ailleurs, précisait ce même directeur, « les relations qu’ils conservent dans les brigades les rendent d’autant plus dangereux qu’ils s’en servent à corrompre les préposés »[34]. Le problème, ainsi qu’on le soulignait l’année suivante n’était absolument pas particulier au pays niçois puisqu’il se retrouvait en bien d’autres lieux et devenait de plus en plus aigu, à mesure que les règlementations devenaient plus protectionnistes[35] ; le phénomène devait également se révéler continu, puisqu’en 1834 le directeur des douanes de Digne, déplorant une fâcheuse extension des fraudes, faisait encore état de rumeurs mettant en cause certains préposés de la douane d’Antibes[36].
 
II Trafics et contrebande
 
Il n’est pas rare que l’on éprouve quelques difficultés à séparer dans le commerce niçois les activités normales des opérations frauduleuses ; les risques encourus par le marchand sur la place locale, tant sur le plan pénal que sur celui de la réputation sont trop faibles pour qu’apparaisse l’intérêt d’une dissimulation totale des marchandises aux investigations des agents locaux. Le chef contrebandier, organisateur et exécutant de la fraude, passe au second plan ; le chef de bande s’efface devant le trafiquant, comme d’ailleurs aussi devant le patron, commerçant ou pêcheur, qui de port en plage et de plage en port, échange, négocie, trafique, tirant profit de toutes ces facilités de transport et de circulation qui font par nature de la route maritime un lieu privilégié de la liberté commerciale.
 
9       Critiques génoises
 
« Nice est un atelier de contrebande et un repaire de fraudeurs »[37] ; cette accusation portée par des commerçants génois et maintes fois répétée pose en dépit de son caractère outrancier le problème des rapports existants entre la fraude et le commerce. Même si l’on fait la part de ce qu’elle peut exprimer de ressentiments et d’oppositions séculaires[38], on ne peut que constater cette attirance permanente exercée par les franchises niçoises sur une partie du commerce des Rivières de Gênes. Ce qui est contesté, ce n’est pas la violation d’un système douanier précis, mais la confusion des opérations et la méconnaissance des règles commerciales les plus généralement acceptées ailleurs. La fraude consiste moins en un franchissement clandestin de frontière qu’en une série d’opérations intermédiaires plus ou moins suspectes aboutissant à l’élaboration de ce que l’on appelle très fréquemment « la marchandise de contrebande », expression aussi imprécise que lourde de sens car elle laisse transparaître au-delà de l’aspect objectif de la fraude, antérieure ou postérieure à l’opération commerciale, une forte idée de potentialité frauduleuse ; la réputation du commerce niçois se ressentira beaucoup de ces multiples accusations.
Il est délicat de faire la part de la rumeur et celle de la réalité, mais comment minimiser l’importance du circuit commercial parallèle engendré par les prohibitions du port franc de Gênes à l’encontre de toutes les marchandises en provenance de Nice ?[39]Que les négociants de la Rivière de Ponant, de Porto-Maurizio, d’Alassio, ou de Bordighera aient cherché à venir s’approvisionner à Nice en produits introuvables à Gênes à des conditions aussi favorables, est chose tout à fait compréhensible ; toutefois interpréter cette interdiction du port-franc de Gênes uniquement en fonction de mobiles concurrentiels conduirait à passer sous silence les raisons que l’on pouvait avoir du côté génois de se méfier des marchandises en provenance de Nice. Au-delà de ces présomptions, il y a d’ailleurs des faits qui ne trompent pas : rien n’est plus révélateur de l’importance de ce commerce parallèle que le rétablissement d’un contrôle sur les réexportations de Nice vers Gênes dans les années 1720 ; il n’est qu’à lire les plaintes adressées en 1731 par les marchands de Nice à l’administration provinciale pour en être persuadé : rétablir les contrôles revient à ruiner le commerce local[40].
 
10     Nice, marché de Provence …
 
Du côté français, le ton change ; la frontière servant de révélateur, on passe de l’accusation nuancée de malveillance à la constations unanimement reconnue, tant par les autochtones niçois ou provençaux qui trouvent cette situation parfaitement normale, que par les observateurs étrangers les plus attentifs de la vie locale qui s’accordent tous pour en souligner l’importance : tel l’écrivain écossais Tobias Smollett qui écrit en 1764 dans une de ses Lettres de  Nice sur Nice « que le principal commerce de cette localité est un trafic de contrebande pratiqué au détriment de la France »[41] ; tel le genevois Le Clerc qui en 1787 expliquait l’importance des fraudes par le fait que Nice se trouvait être « la place la plus marchande » qui se puisse trouver « d’ici à Marseille et renfermant d’ailleurs un grand nombre d’articles prohibés en France »[42], ; tel encore le consul de France Candolles qui rapporte au début de la Restauration, que « la plus grande ressource de la ville de Nice est dans la contrebande qu’elle fait sur nos frontières »[43].
         La contrebande est trop liée au commerce pour ne pas suivre d’assez près les grandes fluctuations commerciales ; elle a ainsi suivi le mouvement progressif de renversement des débouchés commerciaux niçois qui depuis le début du XVIIIe siècle s’orientent davantage vers Marseille et la Provence que vers Gênes et la Ligurie. A la fin du XVIIIe siècle les avantages du marché niçois paraissaient tels aux particuliers provençaux que Charles-François Bouche peut affirmer que Nice avait « enlevé à la Provence orientale une partie de son commerce et à la ville d’Antibes celui qu’elle faisait »[44]. Les 22 ans de présence française de 1792 à 1814, en accroissant l’interdépendance, devaient accélérer le processus sans d’ailleurs que les nouvelles méthodes de surveillance douanière paraissent beaucoup en gêner le développement : un directeur des douanes à Dignes précisait à ce propos que « la ligne des douanes du Var était fort mal administrée »[45]. Le comte de Cessole note en 1838 que c’est à la franchise que l’on doit cette « affluence des étrangers… car beaucoup sont attirés à Nice par le bas prix des vivres et de ce qui est d’un commun usage et l’on sait que nombre d’entre eux, surtout des provençaux viennent souvent exprès pour s’approvisionner de mouchoirs, de linge, de chapeaux et se vêtir à bon marché de la tête aux pieds »[46].
         A la douane de Saint-Laurent-du-Var, les subterfuges les plus variés sont utilisés pour ne pas attirer l’attention du douanier, mais les achats sont parfois si importants qu’il n’est guère possible aux particuliers de les passer eux-mêmes en fraude ; on fait alors appel à des passeurs professionnels ; « il y a même une maison de commerce qui pour 6% se charge de l’expédition » précise-t-on du côté français[47] ! La maison de commerce se présente toujours comme un rouage essentiel. Comment par exemple expliquer le mécanisme des fraudes portant sur des marchandises françaises ayant bénéficié de primes à l’exportation autrement que par la participation d’une ou plusieurs maisons de commerce de Nice et de Marseille ? Le fabriquant ne peut bénéficier de la prime que pour autant qu’il vende sa marchandise à un grossiste étranger. Le rôle du contrebandier qui repasse ensuite la marchandise en fraude et la vend à un prix inférieur à celui du marché intérieur, tout décisif qu’il puisse être, ne doit pas cacher l’importance du rôle de la maison qui l’approvisionne surtout lorsque la fraude porte, comme cela fut par exemple le cas pour les sucres, sur des quantités si considérables qu’elle eut pour conséquence un effondrement des prix dans l’arrondissement de Grasse. Le directeur des douanes de Digne qui rapporte l’affaire fait remarquer que l’on n’a soupçonné la fraude qu’après avoir recherché les causes de cette baisse des prix. Il précise par ailleurs que sur 1414 tonnes exportées au cours de l’année à Nice, 136 avaient été réintroduites en Provence par les soins d’une “entreprise” qui se chargeait du regroupement et du passage. Une « guinguette » du petit port de pêche de Carras, tout proche de la frontière, servait de lieu de rendez-vous à des passeurs qui pour une pièce de 5 francs portaient de nuit, « les chausses enveloppées de paille ou de foin », une charge sur la rive gauche du Var où les attendaient des comparses[48].
 
11     … et entrepôt anglais
 
Les avantages consentis à plusieurs reprises aux commerçants et marins anglais avaient en effet eu pour conséquence de faire de Nice à la fin du XVIIIe siècle un véritable entrepôt de marchandises anglaises officiellement destinées au Piémont. Une correspondance consulaire française du 15 avril 1755 affirme que Nice est l’« entrepôt de tous les draps d’Angleterre qui se consomment en Piémont. Il en passe beaucoup en France par bâtiments espagnols ou français ». [49]. Ces importations portaient essentiellement sur des produits manufacturés, en règle générale fortement taxés par les douanes françaises ; le tarif variait entre 5 et 10% pour les cuirs, les sucres, les draperies, les quincailleries, mais s’élevait à 20 ou 25% pour certains textiles comme les indiennes, sans parler des marchandises prohibées. L’attraction de la fraude fut très forte et donna naissance à une contrebande continue que le développement du commerce niçois au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle rendait encore plus prospère[50]. C’est à cette époque que Smollett rapporte que parmi les marchands de Nice « qui passent pour être à l’aise », il en connaît un « qui fait des affaires importantes et qui se rend à Londres deux fois par an pour suivre les ventes de la Compagnie des Indes orientales. Il achète une très grande quantité de mousselines et autres produits des Indes et affrète un navire sur la Tamise pour les envoyer à Villefranche ». Une partie de ces produits est envoyée en Suisse, mais à son avis « la plus grande partie passe en France par contrebande grâce à des cachets contrefaits dont on se sert ici sans la moindre gêne »[51].
         Cette contrebande que les tarifs très élevés des règlementations consulaires et impériales avaient porté à un niveau considérable, se poursuivit en 1815 dans le cadre géographique et politique restauré. Le consul de France notait qu’il se faisait toujours « un dépôt considérable de marchandises anglaises venues de Mahon et destinées à être introduites en France »[52]. Mais le rattachement de Gênes au Royaume de Sardaigne, provoquant par la suite une chute du commerce de transit par le col de Tende, entraîna un certain déplacement du circuit commercial en faveur de Gênes : Nice perdant certains de ses avantages, son port-franc devenait de plus en plus un relai commercial de celui de Gênes ; le commerce parallèle devait évidemment souffrir de cette nouvelle situation. 
 
12     Le coupage des huiles
 
         La complexité croissante des tarifs douaniers français au XIXe siècle et leurs difficultés d’application donnèrent naissance à plusieurs cas de trafic frauduleux ; on a vu l’exemple des sucres mais le plus significatif, et aussi le plus considérable, fut celui des huiles d’olive. La culture de l’olivier est à la fin du XVIIIe et XIXe siècle le fondent le plus solide de l’économie agricole locale. Non seulement elle entre pour une part importante dans la consommation, mais encore elle permet de dégager des excédents considérables qui procurent à de nombreuses familles quelques revenus et fondent la prospérité des grossistes de l’« oli » de la place de Nice. La puissance incontestable de certaines de ces maisons avait commencé à attirer à Nice, au XVIIIe siècle, une partie du commerce d’huile de la Ligurie occidentale. Au début du XIXe siècle Nice avait acquis une place enviable sur le marché international de ce produit. C’est alors que fut prise la décision d’établie un tarif préférentiel sur l’importation des huiles sardes en France[53]. Son application devait poser des problèmes insoupçonnés ; l’ordonnance du roi des Français prévoyait que les huiles sardes ne seraient taxées qu’à 25 francs le quintal alors que pour les autres huiles on devrait acquitter 28 francs. La différence était minime mais la mesure qui concernant annuellement plusieurs centaines de quintaux d’huile niçoise et ligure fut accueillie avec un grand contentement par les grossistes de l’« oli ». Ils ne se doutaient guère des difficultés d’application qui allaient en résulter car derrière le tarif préférentiel se dessinait le certificat d’origine.
Au début, le Consulat de France, mal préparé pour appliquer la mesure, délivra directement les certificats sans contrôle approfondi[54]. L’administration des douanes protesta et le consul se défendit en alléguant que tout contrôle d’origine était impossible : il expliquant que les opérations de production étaient très dispersées à travers tous le Comté et qu’il n’était pas question de surveiller tous les moulins à huile du pays ; les opérations de stockage des grossistes n’étaient, elles aussi, pas plus contrôlables[55] : aucune limite portuaire ne permettait d’éviter la confusion entre la production locale et les huiles étrangères, or celles-ci étaient débarquées en quantités considérables et les professionnels s’en servaient pour divers mélanges. Seuls des experts pouvaient, par dégustation, faire la distinction.
Le Consulat de France mit donc en place une commission de dégustation. Mais le service resta improvisé pendant 10 ans ; certains dégustateurs affirmaient pouvoir distinguer l’huile étrangère et l’huile de Nice, mais pas les mélanges bien dosés, d’autres étaient des « fripons » qui délivraient des certificats sans dégustation[56]. En 1848 un arrêt consulaire règlementait enfin ce service et nommait deux experts appointés quel que soit le résultat de l’analyse[57]. Le caractère incontestable de l’expertise n’en était d’ailleurs pas prouvé pour autant ; comme pour s’en excuser le consul précisait à son ministre que si le mélange était mal fait on le découvrait et on refusait le certificat et que s’il était bien faut, on l’accordait, et que dans ce cas, il n’y avait aucun mal à le faire[58].
         Le mélange restait néanmoins pour les douanes françaises une fraude punissable. Les critiques de commerçants génois qui, selon l’opinion d’un consul, rencontraient « depuis plusieurs années sur les marchés étrangers la concurrence active et intelligente des niçois » et « voulaient se dissimuler à eux-mêmes la vraie cause du succès de cette concurrence », envenimaient la question. Alertant sans répit le fisc français, les Génois prétendaient que l’introduction en France d’huiles de Naples avec certificat d’origine d’huile de Nice se faisait sur « une vaste échelle »[59] et leurs doléances firent beaucoup pour affermir la mauvaise réputation de certains milieux commerçants niçois[60].
         Il n’est pas du tout certain que le tarif préférentiel ait beaucoup contribué à développer une pratique qui existait déjà depuis longtemps ; les importations d’huiles étrangères ne datent pas de 1835 et le coupage des huiles d’arrière-saison servant à ces mélanges apparaît difficile à éviter. La nouvelle règlementation avait simplement fait ressortir l’opération, comme d’ailleurs la complexité croissante des tarifs douaniers devait faire ressortir toujours davantage l’ambigüité de ces privilèges fiscaux niçois qui, à en croire leurs défenseurs, étaient supérieurs à tout aménagement particulier même prévu par un traité : si la clause était désavantageuse, on en annulait les effets en alléguant l’existence d’une franchise, et si elle pouvait entrainer des avantages sous réserve que certaines conditions soient remplies, comme cela était le cas pour l’huile, on fraudait sur l’obtention des conditions. C’est ce contre quoi protestait un consul de France, à propos plus précisément du respect d’un traité de commerce et de navigation signé entre la France et la Sardaigne en 1848 et appliqué par les Niçois dans la mesure où il était compatible avec le règlement du Port-franc : « Il n’y a pas de douanes à Nice » et dès lors peu importe « aux négociants de cette ville des modifications faites à une loi fiscale qui ne les régit pas », constatait amèrement le consul[61].
 
13     L’impossible réforme du régime douanier niçois
 
         Que la contrebande commerciale ait été pendant longtemps un des fondements les plus constants d’une certaine prospérité économique, cela ne fait guère de doute. Ceci explique que les propositions faites à diverses reprises pour la limiter en contrôlant les opérations des marchands se soient toutes soldées par des échecs. Le projet élaboré en 1672 par Giambattista Trucchi, général des Finances du duc de Savoie, en est un bon exemple. Trucchi avait été séduit par les aspects très positifs du nouveau Port franc de Marseille établi par Colbert et était convaincu que le régime de franchise n’allait pas forcément de pair avec la multiplication des abus ; il projetait de relancer le commerce niçois en rétablissant les contrôles d’entrée, de sortie et de marque[62]. La chute brutale de commerce niçois à partir de cette époque -cela était d’ailleurs une conséquence directe du renouveau marseillais- empêcha toute réforme du Port franc de Nice-Villefranche. Le régime de franchises s’en trouva conforté.
La moindre entrave à la liberté de commercer était devenue insupportable. On a l’a vu à propos de l’établissement des contrôles sur le commerce de réexportation de 1720 à 1731. La mesure fut très mal accueillie par les milieux commerçants niçois[63]. La contrebande engendrait une certaine prospérité ; le système français d’imposition douanière et les règlements du Port franc de Marseille avaient donné naissance à un circuit commercial parallèle dont Nice tirait trop parti pour que les bénéficiaires aient la moindre volonté d’en changer. D’ailleurs les projets de réforme ultérieurs, tel celui de Gastaudet publié en 1777 « pour le bon ordre et règlement du port de Lympia -le nouveau port de Nice- et pour obvier aux fraudes »[64], ne furent pris en considération que dans la mesure où ils ne portaient pas atteinte aux transactions commerciales les plus nécessaires … tout en procurant au fisc royal quelques petits revenus provenant d’une perception plus exacte de taxes diverses, entrepôt, ancrage, poids public, droit de 2% de Villefranche ou autres. Mais l’aspect fiscal apparaît toujours secondaire ; le manque à gagner fiscal ne compense pas les gains commerciaux. Cet auteur anonyme d’un Mémoire sur le commerce de Nice adressé au roi de Sardaigne en 1747[65], qui exposait que les finances royales perdaient annuellement plus de 40.000 livres pour défaut de perception de taxes diverses, rien qu’à cause de la contrebande qui se faisait vers Menton et Monaco, oubliait de préciser le lien qui existait entre l’absence de taxes et de contrôle et le volume des transactions.
 
14     Contrebande maritime vers la Provence
 
         L’introduction de marchandises de contrebande en République de Gênes ou en Provence se fait par voie de terre autant que par voie maritime. Voici quelques éléments qui éclairent les techniques de passage par mer vers la Provence. La proximité de la frontière provençale fait en effet des ports et abris de la côte du Comté des lieux très pratiques d’attente et de transbordement. Les fraudeurs peuvent y préparer leur affaire en toute tranquillité, choisissant le meilleur moment pour déjouer la vigilance des garde-côtes français. Ils peuvent même revenir s’y abriter en cas d’échec.
Le consul de France Canclaux expose en 1834 le mécanisme de la fraude la plus fréquente. Il explique que celle-ci trouve son origine dans la « franchise de cette localité » car chacun « peut y charger à toute heure ce qui lui convient sans être assujetti à la moindre formalité ni à aucune visite préalable. Tout arrive à bord sans être visité, c’est sur le simple rapport au manifeste du capitaine que l’on prend connaissance de son chargement ». A partir d’une telle situation toutes les fraudes sont possibles ; il suffit que le capitaine mette trois ou quatre matelots dans la confidence pour organiser un passage clandestin à l’aide d’un bateau de pêche ou mieux encore à l’aide de la chaloupe du navire, car le bateau de pêche risquerait d’attirer « beaucoup plus que la chaloupe, la vigilance des gardes de terre »[66]. Le même consul précisait par ailleurs qu’il existait même une organisation spécialisée qui faisait ce genre de transit à partir du port de pêche de Carras, près de l’embouchure du Var. Le trafic se faisait de nuit à l’aide de deux petits bâtiments montés pas sept hommes. « On n’a fini par découvrir la fraude que parce que la manœuvre de ces barques ne nécessitait pas la présence d’autant de personnes »[67].
         Un mémoire du milieu du XVIIIe siècle éclaire une pratique différente et à plus grande échelle. Il fait état d’une contrebande considérable « occasionnée en Provence par le voisinage du Comté de Nice » et précise qu’il était fréquent, lorsque le mauvais temps ne permettait pas le débarquement des marchandises en des lieux isolés de la côte provençale, que certains patrons tentent directement de les passer en fraude à Marseille. L’opération était à cette époque-là possible, car le règlement du port franc de Marseille prévoyait que les patrons avaient 24 heures pour remettre leur manifeste aux agents du port franc ; le délai favorisait la fraude. Il suffisait pour cela que les marchandises soient déclarées en transit, par exemple pour Barcelone, et que l’on s’assure quelques complicités ; « les gardes des fermiers sont ordinairement d’intelligence avec les patrons » précise le mémoire. On pouvait alors débarquer au cours de la première nuit les marchandises de contrebande. Si l’opération n’avait pu être terminée ou bien avait échoué, les marchandises étaient retournées à Nice « pour acquit à caution, pour être à nouveau renvoyées à Marseille dans l’espérance qu’on sera plus heureux une autre fois »[68].
 
15     Faux-sel …
 
         Il n’est jamais possible d’assimiler la contrebande du sel et du tabac à celle des autres marchandises : monopoles d’approvisionnement, de distribution, obligations de toutes sortes, répression exceptionnelle sont autant de traits qui donnent à cette fraude un aspect très particulier. La situation du pays niçois n’est sur ce plan pas différente de celle des régions voisines[69]. Les régimes d’imposition et de répression peuvent y apparaître moins rigoureux, mais le principe de taxation et de monopole n’est guère différent. Les franchises n’ont qu’une portée réduite en ce domaine et n’influent favorablement que sur le prix du sel, fixé relativement bas en vertu d’anciens privilèges. Ce n’est en tout cas pas là une condition suffisante pour qu’apparaisse un mouvement de fraude avec le Piémont ou surtout avec la Provence qui bénéficie elle aussi de son côté d’un régime d’imposition favorable. D’ailleurs les gabelles ducales contraintes de s’approvisionner à l’étranger ne pouvaient guère fournir que les quantités strictement nécessaires à la population.
         Tout va changer à partir de 1713 : le souverain savoyard devient roi de Sicile -titre qu’on lui demandera quatre ans plus tard d’échanger contre celui de roi de Sardaigne-. Cela signifie que les gabelles ne devront plus nécessairement acheter le sel à l’étranger car la Sicile, puis la Sardaigne, peuvent le produire en quantités suffisantes. Le prix baisse et on profite alors des nouvelles facilités d’approvisionnement pour en fournir des quantités considérables aux populations. Le pays niçois où passait depuis le Moyen Age la route du sel destiné au Piémont voyait croître dans des proportions considérables son rôle d’entrepôt. Les conditions pour qu’apparaisse une active contrebande sont alors réunies, d’autant plus que parallèlement le prix du sel provençal augmente régulièrement pendant tout le XVIIIe siècle[70].
         Dès 1718 un consul de France note à propos de ce sel que le roi de Sardaigne « en fait faire des magasins considérables », et qu’on oblige les communautés niçoises situées à la frontière provençale à en prendre de grandes quantités moyennant une réduction tarifaire. Celles-ci contraintes d’en payer le prix tous les mois n’ont donc d’autre ressource que d’introduire ce sel en fraude en France d’où on va le vendre jusqu’à Grenoble[71]. L’administration des gabelles du Comté et certains agents du droit de Villefranche semblent d’ailleurs tirer un grand avantage de cette situation d’entrepôt ; le consul de France parle d’« un charroi perpétuel du port de Villefranche aux baies et ports provençaux » et affirme que « les muletiers de la haute Provence viennent également charger aux greniers de Nice »[72].
Mais la contrebande de faux-sel a pris parfois des dimensions plus considérables. Un important trafic organisé par des agents du droit de 2% de Villefranche en liaison avec l’administration des gabelles fut découvert quelques années plus tard par les fermes françaises : le bâtiment de garde du fermier du droit de 2%, qui servait occasionnellement à transporter du sel de Sardaigne au port de Villefranche pour le compte de l’administration des gabelles, fut surpris en pleine nuit par des douaniers français, alors qu’il déchargeait sa cargaison de sel sur une petite plage d’Agay sur la côte de l’Estérel. Seuls les occupants de la chaloupe furent pris. L’affaire fit grand bruit. L’enquête révéla que le bâtiment avait préalablement accosté près de Cannes où des comparses avaient indiqué le lieu exact du déchargement[73]. L’organisation laissait penser que ce n’était pas la première opération de faux-saunage menée par ce bâtiment. L’administration sarde avait pour une fois l’occasion de se manifester dans une importante affaire de contrebande ; elle obtint, non sans difficultés, l’extradition des fraudeurs arrêtés à la condition expresse qu’une sentence exemplaire soit prononcée contre tous les marins, y compris ceux qui étaient en fuite[74]. En fait la justice sarde, adoptant dans cette affaire une attitude très complaisante, -elle ne s’en départira d’ailleurs plus, même à l’époque de Mandrin- ne condamna sévèrement que le capitaine, contumax comme la plupart des membres de son équipage, à 5 ans de galères, et encore l’était-il non pour contrebande mais pour « malversation en office » et « abus de patentes de capitaine » ! Les marins furent acquittés[75]. Du côté français la mesures fut accueillie avec stupéfaction.
         Il ne faut pas pour autant mettre sur le compte de la mansuétude cette décision de la justice sarde, car lorsque pour une raison quelconque le sens de la contrebande s’inverse et se fait au détriment du monopole des gabelles sardes, elle se montre d’une sévérité exemplaire et expéditive. Ainsi lorsqu’au cours des années 1715-1725, le grenier à sel du prince de Monaco, grâce aux prix très bas qu’il pratiquait alors, se mit à bénéficier d’un actif courant de contrebande vers la France, l’administration des gabelles du Comté, pour qui il s’agissant d’une sorte de concurrence, fut la première à dénoncer la fraude[76] ; et lorsqu’en 1724 cette contrebande toucha directement le Comté, elle obtint la mise en œuvre de moyens exceptionnels pour y mettre fin ; les particuliers des villages frontaliers de la Principauté de Monaco reçurent même à cette occasion l’autorisation valable pour un mois de porter une arme pour arrêter les fraudeurs[77]. Sous l’Ancien Régime de tels renversements du sens du trafic de contrebande restent exceptionnels. Puis sous la Restauration la diminution progressive du prix du sel en France, vendu à son prix marchand, et à partir de 1847, la suppression des tarifs préférentiels dont bénéficiaient les Niçois[78], provoquèrent un déséquilibre de prix tel qu’une très active contrebande apparut en sens inverse, de Provence vers Nice ; les gardes des gabelles sardes firent alors parfois preuve d’une sévérité extrême[79].
 
16     … et faux-tabac
 
         La situation se présente de façon différente pour le tabac, car la plus grande partie des feuilles traitées par les deux manufactures niçoises étaient importées de Marseille. Les gabelles sardes, clientes des importateurs marseillais, n’avaient qu’un intérêt très limité à acheter davantage de tabac pour le lasser réintroduire en fraude en Provence. D’autre part les gabelles françaises, contrôlant les envois, avaient évidemment la possibilité de les contingenter en cas de consommation manifestement trop importante. L’incurie et l’inorganisation devaient pourtant aboutir à une multiplication des fraudes au cours des années 1713-1718. Un consul de France signale ainsi qu’après le contrôle d’entrée des tabacs venant de Marseille et avant que la marchandise soit entreposée « plusieurs contrebandeurs de cette ville et de Provence transportent ces tabacs en Provence de manière que la plus grande partie des tabacs qui viennent de ce pays (y) repartent en fraude »[80]. Les contraintes que pouvaient faire peser les Français sur l’approvisionnement, l’égal intérêt des gabelles sardes et françaises[81] et certainement aussi à partir de 1721 l’accroissement des peines prévues par la législation française pour le trafic de faux-tabac, désormais assimilé à celui du faux-sel, paraissent avoir limité cette contrebande à des opérations de petite envergure menées par des particuliers. On signalait encore au milieu du XVIIIe siècle une petite contrebande de faux-tabac qui se faisait par voie de terre[82].
         Comment d’ailleurs une telle contrebande aurait-elle pu se développer sur une grande échelle quand on connaît l’audace des gardes des fermes françaises s’agissant de ce genre de fraude ? L’appât de la prime peut conduire à bien des solutions extrêmes et il peut se révéler très dangereux de se livrer à une telle fraude. La mésaventure survenue à ce petit patron de Saint-Tropez qui transportait une balle de tabac et qui, fuyant le garde-côte d’Antibes, pensait avoir trouvé refuge dans le port de Nice est certes exceptionnelle mais néanmoins significative : la felouque garde-côte française entra directement dans le port de Nice et prit la petite barque à l’abordage malgré l’opposition des marins des bâtiments voisins et des gardes sardes accourus à la rescousse. L’objet du délit était victorieusement transporté à Antibes, mais l’opération avait tout de même coûté un incident diplomatique ![83]
 
 
 
         Que l’ombre de Gênes et de Marseille ait empêché le commerce niçois de s’épanouir, c’est l’évidence même ; que la puissance combinée des deux cités voisines ait poussé ce commerce à vivre de retombées plus ou moins directes est une constatation générale qu’il n’est pas inutile de faire. Le lien existant entre la contrebande et l’état du commerce n’en est pas pour autant résolu. Cause ou conséquence de la situation commerciale ? Conséquence diront certains qui donneront pour preuve les multiples tentatives des princes de la Maison de Savoie pour désenclaver et promouvoir le commerce local : il est des contraintes qui interdisent tout espoir et la plus vigoureuse des mesures ne peut rien au fait que le pays niçois est entouré de montagnes et soumis à la très forte concurrence de ses voisins. La contrebande est une activité nécessaire. Mais n’est-ce pas prendre l’effet pour la cause ? Comment ne pas tenir compte du poids de la contrebande pesant sur les ressorts de l’économie, hypothéquant les opérations les plus saines, engloutissant les disponibilités financières dans des circuits parallèles de distribution et portant préjudice aux activités les plus vigoureuses ? La contrebande représente l’image d’une prospérité facile que trop de rigueur aurait fait disparaître et que rien ne pouvait apparemment remplacer. Le Port franc, ou plutôt la zone franche, et ouverte, a peut-être hypothéqué l’essor du commerce niçois.
En dehors de ces considérations de morale économique, cette contrebande, ce commerce parallèle pour mieux dire, apparaît assurément comme une donnée économique indispensable pour apprécier l’importance du commerce local, particulièrement sous son aspect maritime. Mais elle est par sa nature même impossible à quantifier. En outre, en dehors de ces pratiques c’est l’ensemble des activités commerciales qui est concerné. On a bien vu que si ce commerce parallèle est possible c’est parce qu’il n’y a pas de contrôles. Autrement dit c’est tout le commerce maritime de Nice qui est marqué par cette absence de visibilité. Cette constatation invalide une bonne part des analyses sur l’état du commerce local. Comment porter une appréciation sur l’état économique local quand tant de données nous échappent ? D’autant plus qu’il s’agit le plus souvent d’activités de transit. Les activités de contrebande présentées au long de ces pages ne sont que la partie immergée d’un courant commercial beaucoup plus important que l’historien peine à prendre en compte.
 
        


[1] La « contrebande », s’y limite aux infractions « en dehors des bureaux » (art. 417 et sq.), et s’oppose aux infractions de bureau, « importations et exportations sans déclaration » (art. 423 et sq.).

[2] A propos de ces très importantes questions, on doit avant tout faire référence à l’étude de Gaston ZELLER, « Aux origines de notre système douanier. Les premières taxes à l’importation au XVIe siècle » in Mélanges, pp. 165-217, Les Belles Lettres, Paris 1947.

[3] Pour les XVIIe et XVIIIe siècles les données statistiques sont très rares et fragmentaires : pour la fin du XVIIe siècle, cf. Arch. dép. A-M, Porto Villafranca. Mazzo 1, L 16, P. 18, ainsi que les données fournies par l’intendant Pierre MELLAREDE dans son Sommaire de l’histoire de Provence pour l’éclaircissement de celle du Comté de Nice, 2 vol., manuscrit, 1703. Bibliothèque de Cessole, Musée Masséna, Nice et Arch. dép. des A-M, Citta Contado. Mazzo 3, L 1. ; pour le milieu du XVIIIe siècle, la statistique de l’intendant Joanini, E. HILDESHEIMER, « Nice au milieu du XVIIIe siècle » in Nice Historique, 1968 ; pour la fin du XVIIIe siècle : Arch. dép. des A-M, Fiume Varo, Mazzo 4, L. 24 (1787), repris par L. BONIFACE, « Le passage du Var et le commerce entre Nice et Provence à la fin de l’Ancien Régime », in Actes du 81e Congrès des sociétés savantes, Rouen-Caen, 1956, pp. 207-214 et Arch. dép. des A-M, C. Consulat de France, 3015 (1719). Les rapports non statistiques (situations, projets, propositions…) sont très nettement plus nombreux mais le plus souvent inexploités hormis la présentation par DEMOUGEOT d’un « Mémoire sur le commerce de Nice. 1747. 1749 » (aux Arch. dép. A-M, Citta Contado. Mazzo 2 ad., L 4, P 3.) in Recherches régionales. 1969 n°2. pp. 15-31 ; on pourra également se reporter à J.M BESSI, Le port-franc de Nice-Villefranche-St-Hospice aux XVIIe et XVIIIe siècles, Mémoire de Maîtrise Lettres, Nice, 1971. On consultera enfin avec intérêt les développements consacrés, non plus seulement aux activités commerciales de Nice et Villefranche mais à tout le pays niçois à partir de documents communaux, par H. COSTAMAGNA, « La région de Nice au XVIIIe siècle » in Nice et sa région, direction Paul Castela, Nice, Ciais imprimeurs, 1974. Pour la période révolutionnaire, cf. outre DEMOUGEOT, Histoire de la Révolution française à Nice. 1789-1795, 4 Vol. Manuscrit, Arch. dép. A-M,1957-1958 ; TRESSE R., « Le commerce entre Gênes et Nice de 1792 à 1795 » in Actes 1er Congrès Historique Provence-Ligurie, Aix-Marseille-Bordighera, 1966, pp. 253-271 et CARLIN M-L., Un commerce de détail à Nice sous la Révolution : la maison Colombo. La pensée universitaire, Aix, 1965. Données nettement plus abondantes et complètes au XIXe siècle à partir surtout des rapports des préfets impériaux et des consuls de France à Nice (W. CARUCHET, Relations économiques du Comté de Nice avec la France entre 1814 et 1860 d’après la correspondance des consuls de France, Thèse Droit, Nice, 1961 ; cf. également : COMBET, « La vie économique à Nice sous le Consulat et l’Empire » in Nice Historique, 1924 ; LATOUCHE R., « La situation économique et politique du Comté de Nice pendant les premières années de la Restauration sarde, 1814-1823 », in Nice Historique, 1926 ; TRESSE R., « Les raisons du marasme économique du port de Nice. 1815. 1821 », in Revue d’histoire économique et sociale, 1966, pp. 183-195.

[4] Les monographies concernant la contrebande sont nombreuses mais la matière reste toujours écrasée par le personnage de Mandrin et les problèmes posés par l’application du Blocus continental. (P. BEQUET, Contrebande et contrebandiers, PUF, Que sais-je ? 1972). On consultera avec intérêt M-H BOURQUIN, « Le procès de Mandrin et la contrebande au XVIIIe siècle » et E. HEPP, « La contrebande du tabac au XVIIIe siècle », in Aspects de la contrebande au XVIIIe siècle, PUF, 1969, pour leur approche du phénomène contrebandier et leurs développements sur les aspects répressifs, aspects que notre matière, limitée au pays niçois, ne nous permettra pas de mettre souvent en évidence, faute de sources. En ce qui concerne la région étudiée, René TRESSE, « La contrebande maritime du port de Nice au début du XIXe siècle », in Annales Eco. Soc. Civ, 1964. pp. 225-236, a mis en lumière certaines techniques de passage clandestin sur lesquelles nous ne reviendrons que très brièvement.  

[5] Nous renvoyons sur ce point à notre analyse du système douanier niçois, « Port-franc et zone franche : les franchises douanières du pays niçois », in Recherches régionales (Côte d’Azur et contrées limitrophes), 1976 n°1, pp. 1-22.

[6] Afin de garder une certaine unité à notre étude, nous avons préféré laisser de côté la période de présence française à Nice (1792-1814) : l’entrée du pays niçois dans l’ensemble français bouleversant en effet toutes les données économiques, fiscales et frontalières, modifiait totalement les conditions de la contrebande. Celle-ci prend d’ailleurs une forme générale que l’on peut retrouver ailleurs aux frontières de l’Empire. Nous n’y reviendrons qu’accessoirement. Les modifications radicales du système douanier niçois intervenues en 1851 (suppression du port franc) et en 1854 (report de la ligne douanière piémontaise de la crête des Alpes sur le Var), marqueront, pour les mêmes raisons, la limite extrême de cette étude. Pendant six ans (1854-1860) le pays niçois se trouvera ainsi soumis au régime général des Etats sardes, perdant ainsi tous ses caractères particuliers. Il en ira de même après le rattachement à la France en 1860, le pays niçois se trouvant évidemment compris dans le système français sans exception ni privilège.

[7] Mémoire du Consul de France Le Seurre. 22 févr. 1775. Arch. dép. A-M, C. 3017.

[8] On fait essentiellement état au début du XVIIe siècle de difficultés de perception (Arch. dép. des A-M, Fiume Varo. Mazzo 1, L 19 et 22. Et ROUX P., Les fermes d’impôts sous l’Ancien Régime, Thèse droit Paris, 1916, pp. 120 et 171) consécutives à une plus grande rigueur des fermiers de la foraine de Provence-Languedoc. On peut constater en outre un déplacement des bureaux de la traite, de l’intérieur vers la frontière, à partir de 1621 (H.G. de CORIOLIS, Traité sur l’administration du Comté de Provence. Aix, 3 Vol. 1786-1787).

[9] Arch. dép. A-M, Fiume Varo. Mazzo 4, L 6. p. 179. (1645).

[10] H.G. de CORIOLIS, op. cit, vol.2, p. 211. M. MARION, Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris. Picard. 1969. p. 188, réimpression de l’édition de 1923.

[11] Sur cette réforme capitale on consultera par exemple M. MARION, Histoire financière de la France depuis 1715, Paris, Rousseau, 1927, T1., non sans tenir compte des situations très particulières et différenciées dans lesquelles pouvaient se trouver les provinces non intégrées, vis-à-vis de l’ « Etendue des Cinq grosses fermes », et même vis-à-vis du tarif général de 1667.

[12] H.G. de CORIOLIS, op. cit., vol.2, p. 211.

[13] Publication en 1671 d’un nouveau tarif uniforme, arrêts du conseil etc… Arch. Nat. AD 1 13. Registre Ass. Notables, 1787, Imp. Royale, pp. 144 sq.

[14] C’est par exemple ce que constate en 1774 l’auteur d’un mémoire sur Entrevaux in Atlas contenant les plans dessins, mémoire et états demandés par lettre du Ministère de la guerre, Arch. dép. A-M, R. (Af. Mil.). Ancien-Régime.

[15] Les opinions concernant le niveau des nouvelles impositions sont très discordantes. Pour P. BEQUET, op. cit.,  la politique de la Constituante est « libérale », les droits n’excédant pas 20% en 1790, et étant fixés en 1791 entre 5 et 15%, outre les prohibitions. Même opinion chez BERR et TREMEAU, Le droit douanier, Paris, LGDJ, 1975, p. 15. Par contre STOURM, Les finances de l’Ancien-Régime et de la Révolution. Origines du système financier actuel, Paris, Guillaumin, 1885, T.2, p. 65 met l’accent sur le nombre des prohibitions établies par la Constituante (30 à l’entrée et 34 à la sortie) et sur le niveau moyen peu élevé des tarifs d’Ancien Régime (6 à 10%). Il est vrai que parlant des tarifs de 1790-91 on fait généralement référence aux réglementations ultra-protectionnistes ultérieures sans beaucoup chercher à les comparer aux précédentes.  

[16] Arch. dép. des A-M, Fiume Varo, Mazzo 4, L 9, P. 202-203-204 et série B. 28 (1735), B. 26. (1736). Noter l’arrogance de certains douaniers comme celui-ci qui, accusé d’avoir violé la frontière sarde, répondit que s’il l’avait fallu il aurait poursuivi son suspect jusque « sur le grand chemin de Nice ». Fiume Varo. Mazzo 4, L16, P. 224 (1734).

[17] Arch. dép. des A-M, Fiume Varo, Mazzo 5, L 2, P. 349; H.G. de Coriolis, op. cit., T 2, p. 194 signale une protestation adressée par le Parlement d’Aix en 1761 au sujet de ces augmentations.

[18] H. de CESSOLE, Réflexions sur le port-franc de Nice, Nice. Soc. Typographique, 1850, p. 22.

[19] Multiples affaires de bornage pendant tout le XVIIIe siècle. Arch. dép. des A-M, Série B. 28 à 48.

[20] Editti e Manifesti par F.A. DUBOIN, Année 1818, Règlement du 14 mars 1818, Art. 10 relatif à la nouvelle frontière douanière (Garavan, cours de La Roya, ligne des crêtes).

[21] Multiplication des brigades le long de la rive gauche de La Roya pour limiter les fraudes : cf. par exemple. Arch. dép. des A-M, Fonds Sarde, 284. I, P 5, 6 et 7. Lettres du 22 mai au 5 juin 1826.

[22] Dans sa défense des privilèges douaniers niçois en 1835, H. de CESSOLE, op. cit., p.23, notait l’efficacité de cette prévention, d’autant plus nécessaire que la frontière provençale pouvait difficilement être gardée sans moyens très importants.

[23] Arch. dép. des A-M, Z 19, f° 364. Rapport du 31 janv. 1850. A propos des contrefaçons en matière littéraire.

[24] H.G. de CORIOLIS, op. cit., vol. 2 p.13, s’est fait l’écho des protestations de l’Assemblée générale des communautés de Provence à propos de ces perceptions de la douane de Lyon.

[25] Arch. dép. A-M, Fiume Varo, Mazzo 5, L1, P. 265. Mandrin fut arrêté en Savoie le 10 mai. Cf. F. FUNK-BRENTANO, Mandrin, capitaine général des contrebandiers de France, Hachette, 1908.

[26] On paye soit le Dace de Suse, dans les Alpes du Nord, soit le droit de Villefranche, dans les Alpes du Sud, - soit environ 2% ad valorem -. Sur cet aménagement et ses aspects techniques nous nous permettons de renvoyer à notre étude Le droit de Villefranche, Thèse Droit Nice, 1974.

[27] In Mémoires pour servir à l’histoire du Droit public de la France en matière d’impôts ou recueil de ce qui s’est passé de plus intéressant à la Cour des Aides depuis 1756 jusqu’en juin 1775 », Bruxelles, (Paris), 1779, p. 635.

[28] Arch. dép. des A-M, Dritto di Villafranca, Mazzo 1. ad, p. 847. (1731).

[29] Arch. dép. des A-M, C. 3017.

[30] Discours sur le commerce de Villefranche, 1672, Arch. dép. A-M, Porto Villafranca. Mazzo 3, L 8. (40 pages).

[31] Voir les tentatives de limitation, très relatives d’ailleurs, de l’administration turinoise à la fin du XVIIIe siècle in F.A. DUBOIN, Raccolta… delle leggi, editti, patenti… Torino 1826, Vol. 17, pp. 405 et sq. Noter l’opposition manifestée au début du XIXe siècle aux faveurs nuisibles du droit d’asile. H. de CESSOLE, op. cit, p. 11. Sur cette question, R. TRESSE, « La limitation du droit d’asile au XIXe siècle à Nice. 1815-1835 », in. Revue d’histoire économique et sociale, 1963, pp. 524-537.

[32] Lettre au Consul de France. Arch. dép. des A-M, Z 39. Cité par A. COMPAN, « Episodes frontaliers dans les iscles du Var. 1814-1860 », in Nice Historique, 1962, p. 4. « Les contrebandiers soit d’un état que de l’autre passent pour ainsi dire sans risque », précise par ailleurs Alziary, notaire des Ferres. 27 juillet 1759, Arch. dép. des A-M, Fiume Varo, Mazzo 6, L 4, P. 528.

[33] Cité par M. DERLANGE, « Les procès-verbaux de réaffouagement de 1728. Aperçus de la Basse-Provence Orientale » in Provence historique,1974, Janv. Mars, p. 18.

[34] Arch. dép. A-M, Série P, 292, 12 prairial an II. Lettre du directeur des douanes et 15 germinal an II. Lettre au directeur des douanes. 

[35] Arch. dép. A-M, Série K. registre 5, f°5. Lettre du préfet des A-M au sujet de l’éloignement des frontières des douaniers destitués. 8 vendémiaire en 12.

[36] Arch. dép. A-M, Série Z, registre 14, 2e partie. Lettre du 2 nov. 1834.

[37] Rapport du consul Canclaux à son ministre. Arch. dép. A-M, Z, 19. f° 374, 31 janvier 1850.

[38] « Nice excite depuis longtemps et au plus haut degré les jalousies de tous les petits ports de la Rivière. San Remo, Vintimille, Bordighera, Porto Maurizio ont formé une ligue et adressent aux chambres (sardes) pétition sur pétition » précisait le consul Canclaux à son ministre. Le consul ajoutait par ailleurs que « la principale cause de la ruine du cabotage français dans les Rivières » venait de la franchise de Nice. Arch. dép. des A-M, Z, 19, f° 368, 31 janvier 1850.

[39] Arch. Dép A-M, Dritto di Villafranca, Mazzo 1, ad, L 3, P. 847 (1731).

[40] Ibidem

[41] T.G. SMOLLETT, Lettres de Nice, sur Nice et ses environs. 1763-1765. (Traduit par Ed. Pilatte, Nice 1919, Lettre XX. 1764.

[42] Arch. dép. des A-M, Fiume Varo, Mazzo 4, L 27. Cf. L. BONIFACE, op. cit. p. 309.

[43] Arch. dép. des A-M, Z. 11 et 28. 27 déc. 1819. Cité par A. COMPAN, « Episodes… », op. cit. p. 3.

[44] In ACHARD, Description historique géographique et topographique… ou géographie de la Provence, du Comtat Venaissin, de la Principauté d’Orange, du Comté de Nice, Aix P.J. Calmen, 1787, T.1, p.22.

[45] Arch. dép. des A-M,  registre 14, 2e partie. 2 nov. 1834.

[46] H. de CESSOLE, op. cit., p.21.

[47] Lettre du directeur des douanes à Digne, Arch. dép. des A-M, Z, registre 14, 2e partie. 2 nov. 1834.

[48]. Arch. dép. des A-M, Z 14, 2e partie. 2 nov. 1834. Lettre du directeur des douanes à Digne et R. TRESSE, « La contrebande… », op. cit.

[49] Arch. Nationales, Affaires étrangères, 6 B. 1916. (1752-56).

[50] Création d’une compagnie battant pavillon savoyard, par Vierne et Veillon, pour le commerce avec Londres : Arch. dép. des A-M, Porto Villafranca, Mazzo 4 ad, L 18. (1779) ; Nombreux capitaines anglais sous ce même pavillon pour ce genre de commerce : Porto Villafranca, Mazzo 2 ad., L 35 ; création d’une Compagnie des Indes orientales savoyarde : Arch. dép. des A-M, Porto Villafranca, M5 ad., L 10 (1782) ; Arch. Chambre de commerce de Marseille, K 124. Lettre de Le Seurre du 31 juil. 1782… etc.…

[51] SMOLLETT, op. cit., Lettre XX.

[52] R. TRESSE, « La contrebande… », op. cit., p.229.

[53] Ordonnance du roi des Français. Arch. dép. A-M, Z, 306. 10 oct. 1835.

[54] Arc. dép. des A-M, Z, 15. Lettre du 24 déc. 1835.

[55] Arch. dép. A-M, Z,15. Lettre du 22 fév. 1836.

[56] Arch. dép. des A-M, Z, 16. Lettres du 10 mars 1842 et du 10 fév. 1842 ; et Z, 18. Lettre du 16 janv. 1844.

[57] Balestre et Sauvan. Arch. dép. A-M, Z. 18. Lettre du 13 déc. 1848 ; Règlementation : Z. 7. 1ère partie. (Règlements, lois, ordonnances) doc. N°12.

[58] Arch. dép. A-M, Z, 19, f°381. Rapport du consul Gaillard de Ferry au ministre des Affaires étrangères. 31 janvier 1850.

[59] Rapport. cit. 31 janvier 1850. f°374.

[60] Le consul de France Gaillard de Ferry, pour savoir ce qu’il y avait de vrai dans ces accusations, se pencha sur le mécanisme de la fraude : pour 1849, la production locale s’était élevée à 3895 tonnes, 3000 tonnes avaient été importées de Naples, mais seulement 900 tonnes étaient comestibles, 2100 tonnes étaient des huiles « lampantes » pour la plupart : en simple transit. Sur les 900 tonnes d’ « huile de bouche » de Naples, 10 avaient été consommées sur place, 500 tonnes réexportées en bouteille vers l’Amérique et les colonies ou en « futailles » vers Marseille pour les mêmes destinations, car cette huile de Naples « tient mieux pour les expéditions et est meilleur marché que l’huile surfine de Nice » ; le tout ne nécessitait aucun certificat d’origine. Il reste selon le consul, 300 ou 400 tonnes d’huile de Naples introduites en France en fraude, mélangées à des huiles de Nice et vendues avec certificat d’origine niçoise. Le consul expliquait indépendamment de l’aspect frauduleux, qu’il fallait considérer certains impératifs de qualité et de production : les huiles de Nice servant au coupage ne sont pas de première qualité, ce sont des huiles « sans couleur, sans saveur, et presque sans consistance connues sous le nom d’huiles d’arrière-saison » dont on fabrique de mai à septembre de grosses quantités. Ces huiles peu prisées en France, ne sont guère exportées en l’état qu’en Hollande et en Belgique. Pour les exporter en France il faut les couper avec cette huile de Naples, plus fruitée et consistante que l’huile locale de saison. Le consul, donnant en quelque sorte le point de vue du consommateur, affirme que « le coupage est excellent » et qu’il est fait à raison d’un-cinquième d’huile de Naples pour quatre-cinquièmes d’huile de Nice d’arrière-saison. Munis de ces renseignements on peut conclure que la fraude porte sur environ 1500 tonnes, dont 1200 d’huile de Nice et 300 d’huile de Naples. Le préjudice du fisc français s’élevait donc à 45000 F par an. Rapport cité du 31 janvier 1850. f°377-380. Le tarif fut encore réduit à 15 F les 100 K par le traité du 14 fév. 1852. Art. 5. (W. CARUTCHET, op. cit. p.203), mais les privilèges du port franc avaient été supprimés l’année précédente.

[61] Arch. dép. A-M, Z, 19, f°357. (Rapport du 31 janvier 1850).

[62] Arch. dép. A-M, Porto di Villafranca, Mazzo 3, L 8. (1672), sur la base des rapports de Clerc, Porto di Villafranca, Mazzo 1, L 16, P.22, du Comte Marozzo, Porto di Villafranca, Mazzo 1 , L 16, P.31, et de la statistique Porto di Villafranca,  Mazzo 1,. L 16, P18.

[63] Arch. dép. A-M, Dritto di Villafranca, Mazzo 1 ad, L 3, P 847. (1731).

[64] Arch. dép. A-M, Porto Lympia, Mazzo, L 9.

[65] Arch. dép. A-M, Citta Contado. Mazzo 2 ad., L 4, P 3.

[66] Arch. dép. A-M, Z 64. Lettre du consul Canclaux au directeur des douanes à Toulon. 29 octobre 1834.

[67] Arch. dép. A-M, Z 14. 2° partie. 21 novembre 1834. Voir également R. TRESSE, « La contrebande … », op. cit.

[68] Arch. Nationales, Aff. Et., (6) B 1916. Correspondance consulaire. Nice. 1752-1756. (joint à la lettre du 15 avril 1755). Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’administration du droit de Villefranche avait effectivement remarqué, à l’occasion des contrôles effectués sur les expositions en vente des marchandises en transit, que l’escale de Nice était simulée ; de très nombreuses propositions de vente, faites dans le but d’obtenir l’exonération du droit de 2% ou bien de déjouer la surveillance des corsaires anglais, ou encore entrant dans l’organisation d’un circuit commercial parallèle, ne trouvaient aucun acquéreur en raison des prix pratiqués : Arch. dép. A-M, Dritto di Villafranca, Mazzo 3 ad. L8. (1779-1780).

[69] Cf. les dépenses respectives pour 1831 des services des douanes et des gabelles : Douanes 92.158 lires ; sel 108.364 L. ; Poudres et plombs 3.074 L. ; tabac 32.330 L. Arch. Dép. A-M, Fonds sarde, 283 I, P 10.

[70] H.G. de CORIOLIS, op. cit., pp.2-32.

[71] Arch. Nationales, Aff. Et. (I) B 1911. Correspondance consulaire. Nice 1691-1714. Mémoire du consul Devant “sur la contrebande qui se fait du sel et du tabac que l’on introduit de Villefranche en Provence et en Languedoc”. 1718, f°34.

[72] Lettre du 23 nov. 1715. Cité par L. CAPATTI, « Nice vue par les consuls de France au XVIIIe siècle », in Annales du Comté de Nice, 1935, T.4, p.146.

[73] Arch. dép. A-M, Dritto di Villafranca, Mazzo 9, L 19, P 512 et 522.

[74] Arch. dép. A-M, Dritto di Villafranca, Mazzo 9 L 22, P 541. Lettre du général des Finances sardes au garde des Sceaux du roi de France. 8 août 1735.

[75] Arch. dép. A-M, Dritto di Villafranca Mazzo 9, L 24, P 555. 7 août 1736. Cf. M. BOTTIN, Le droit de Villefranche, op. cit., pp.241 et 353.

[76] Lettres du consul Longpré : 5 oct. 1715 et 11 nov. 1716. Citées par L. CAPATTI, op. cit. pp. 146-147.

[77] Eze, La Turbie, Gorbio, Peille, Sainte Agnès, Castellar, Castillon, Arch. dép. A-M, B 266, f°25.

[78] H. de CESSOLE, op. cit. p.18 : diminution de 50% dans les autres provinces, augmentation de 25% dans le pays niçois : 10c. la livre pour tout le royaume de Sardaigne (Le sel marin se vendait 12 francs le quintal en France).

[79] L’embuscade tragique organisée par les gardes des gabelles sardes dans la nuit du 6 au 7 septembre 1851 contre une cinquantaine de paysans niçois chargés de sel acheté en Provence est restée célèbre. Cf. A. COMPAN, « Episodes frontaliers », op. cit. p. 6 note 19. Et W. CARUTCHET, op. cit. p.63.

[80] Mémoire Devant. 1718. Arch. Nationales, Aff. Et. (I) B 1911. Correspondance consulaire. Nice 1691-1714.

[81] R. Tresse, » La contrebande … », op. cit., signale à propos de la manufacture de Monaco une telle collaboration, pp.231-232.

[82] Arch. dép. A-M, B.30, f°2 (1758) et Arch. Nationales, Aff. Et. (I) B 1911.

[83] Arch. dép. A-M, B 29, f°266-267. Les autorités sardes qualifièrent l’incident de « temerario attentato diretto contro la pubblica autorità e il diritto delle genti ».

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