Frontière Les Alpes-Maritimes et la question frontalière
 
 
 

  

Les Alpes-Maritimes et la question frontalière

Réflexions historiques

 

 
 
Pour citer : Michel Bottin, Les Alpes-Maritimes et la question frontalière. Réflexions historiques, Conférence au Rotary Nice Centre, mars 1995
Michel Bottin
Mars 1995
 
            Historiquement Nice est située au centre d’une vaste région frontière qui s’étend de part et d’autre des sommets du Mercantour, à l’est jusqu’à Cuneo et Imperia, à l’ouest jusqu’à l’Esterel. C’est dans cet ensemble que s’est mis en place depuis une vingtaine de siècles un système relationnel particulier et original. Les Romains avaient déjà pris en compte cette réalité en organisant une province des « Alpes Maritimae » autour du col de Tende. Ce n’est qu’au cours des siècles suivants que les aléas de l’histoire firent pencher cet ensemble tantôt cers l’est, au temps où Nice faisait partie des Etats de la Maison de Savoie (de 1388 à 1860), tantôt vers l’ouest au temps de la domination provençale avant 1388 et française depuis 1860.
            Ce pays aux communications difficiles, barré de montagnes et entrecoupé de vallées verrouillées, a donc été une terre de débat. L’aire d’influence niçoise a souvent été amputée, entraînant un affaiblissement évident. Cette division a évolué autour de deux axes principaux :
*La ligne de partage des eaux sur le Mercantour (c’est la solution du Traité de paix entre France et Italie en 1947) et ses variantes, telle la solution 1860 qui laissait à l’Italie le versant ouest du Mercantour (Tende et La Brigue).
*La délimitation au Var-Estéron (c’est la solution du Traité de Turin de 1760) avec ses variantes, telle la complexe délimitation de 1388 qui serpentait autour de cette ligne (Gattières par exemple était terre de Savoie).
La mémoire collective a été marquée par ces déchirures :
La première a mis à mal les relations entre Nice, la Ligurie occidentale et le Piémont alpin.
La seconde a creusé des oppositions artificielles entre Nice et Grasse.
 
 
La fermeture de la frontière du Mercantour
 
Caractéristiques : Délimitation récente (1860) et fermeture frontalière de plus en plus nette jusqu’aux années 1960.
 
 
La frontière reste ouverte jusqu’au début des années 1880 (libre-échange et faible militarisation du secteur). Elle se ferme alors sous l’effet :
-des tensions diplomatiques (Triplice) et de leurs conséquences militaires : la frontière est transportée d’Antibes aux environs de Nice. La zone se couvre de fortifications.
-de la mise en place en 1887 de tarifs douaniers très protectionnistes entre la France et l’Italie.
La fracture est nette. Le commerce niçois perd toutes ses positions en Italie. La décision est accueillie avec résignation. Aucun responsable ne peut protester car ce serait se dresser contre les intérêts de la Nation. Les intérêts de Nice ont été « sacrifiés sur l’autel de la Patrie ». A noter, parmi les premières conséquences l’arrêt de la construction de la voie ferrée Nice-Cuneo.
 
Seconde phase de la fermeture
La coupure s’accentue dans les années 1920 avec l’arrivée de Mussolini au pouvoir. Les revendications italiennes sur Nice font de la frontière un enjeu politique majeur :
-Militarisation accrue (ouvrages CORF)
-Réticences françaises vis-à-vis de la politique de communication de l’Etat italien, d’abord avec la ligne Nice-Cuneo (Nice-Breil n’étant qu’une bretelle de Cuneo-Vintimille) et plus tard vis-à-vis de l’autoroute de la Riviera dei Fiori. Dans tous les cas les servitudes militaires ont pesé lourd.
Dernier avatar du problème frontalier. En 1947, l’Italie cède Tende et La Brigue. De nombreuses difficultés juridiques surgissent et attisent les passions. La situation ne s’apaise que dans les années 1960.
Ces éléments fondent un particularisme frontalier très net et expliquent la faiblesse des réalisations transfrontalières, au moins jusqu’à ces dernières années. Pendant un siècle, le département des Alpes-Maritimes n’a été qu’un « coin d’Hexagone ».
 
Les traces de l’ancienne frontière Var-Estéron
 
Caractéristiques : frontière ancienne (1388) et durable (jusqu’en 1860, sauf occupation française, dont celle de la Révolution et de l’Empire). Elle a laissé des traces importantes dans la mémoire collective. Le mythe d’un « Var-frontière » nourrit le réflexe identitaire niçois. Sa disparition en 1860 permet la constitution d’un nouveau département. Mais cette nouveauté affaiblit paradoxalement la position de Nice et ne permet pas la constitution d’un département fort et cohérent.
 
 
Avec le Rattachement de 1860, Nice devient chef-lieu de département mais perd en effet le statut de capitale régionale qu’elle avait sous le régime sarde.
-Nice était chef-lieu d’une « division » administrative qui s’étendait à la Ligurie occidentale. Elle était en cette qualité, le siège de toutes les administrations de rang régional, dont la cour d’appel.
-Une bonne partie des élites locales (la noblesse en particulier) engagées dans le service civil ou militaire de la Maison de Savoie choisit l’Italie. Nice aura les plus grandes difficultés à trouver à Paris auprès de la haute administration et du personnel politique les appuis qu’elle avait à Turin.
 
Un département mal unifié
Une partie des Grassois considère que la constitution du nouveau département des Alpes-Maritimes (Comté de Nice arrondissement de Grasse détaché du département du Var) les éloigne de leur capitale naturelle, Aix-en-Provence. D’autres pensent que Grasse trouvera sa place aux côtés de Nice plus facilement que dans le département du Var. Mais c’est sans véritable enthousiasme que les communes de l’arrondissement de Grasse se rangent sous l’autorité administrative de Nice.
La frontière supprimée se perpétue dans les découpages administratifs et électoraux. L’opposition rive droite – rive gauche demeure, tant pour la basse Vallée du Var que pour l’Estéron.
-Pourtant l’attitude unitaire des élus est incontestable : elle s’opère toujours autour d’un élu niçois (de Nice ou du Comté) qui après avoir affirmé sa supériorité politique chez lui passe alliance avec un ou deux élus d’outre-Var pour devenir « de facto » le « patron » du département (Malausséna, Borriglione, Raiberti, J. et J. Médecin).
-Mais cette unité n’est que politique, pas naturelle. Nice est davantage chef-lieu que « capitale ». Elle n’a pas de titres historiques suffisants pour étendre de façon pleinement naturelle son influence sur les communes de l’arrondissement de Grasse. Sa situation est différente de celle de la plupart des métropoles régionales qui ont pu organiser beaucoup plus précocement leur influence sur un vaste espace.
-Enfin cette division se retrouve dans le partage du département en deux agglomérations définies par les aménageurs du territoire : Nice (environ 450.000 habitants) et Cannes-Grasse-Antibes (environ 350.000 habitants). Pourtant seul le parc de Vaugrenier sépare les deux ensembles !
 
            Les efforts en faveur d’une unification économique du département, en particulier autour d’une extension de Sophia-Antipolis, appellent un dépassement de ces structures vers une agglomération « Nice-Côte d’Azur » qui disposerait :
-de tous les services administratifs de l’Etat (Cours d’Appel)
-de services communs (type communauté urbaine)
-de services régionaux travaillant dans le cadre d’une région transfrontalière Nice-Cuneo-Imperia.
            Le développement de la région niçoise dépend de la disparition de cette « hypothèque-frontière ». Il faut donc :
-unifier pleinement le département de l’est à l’ouest et de la mer à la montagne.
-ouvrir largement vers la Ligurie et le Piémont.
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