Frontière Pressions douanières
 
 
 

Pressions douanières et affermissement frontalier 

 Les limites de la Provence et du Comté de Nice

 du XVIe au XIXe siècle

 

 
 Michel Bottin
 
Pour citer : Michel Bottin, « Pressions douanières et affermissement frontalier. Les limites de la Provence et du Comté de Nice du XVIe au XIXe siècle », in Hommages Gérard Boulvert, Centre d’Histoire du droit, Université de Nice, 1987, pp. 85-107.
 
 
         L’Histoire des frontières de la France a longtemps été dominée par deux explications. Celle de la recherche des frontières naturelles, souvent considérée comme une orientation dominante de la politique frontalière des rois de France, fit l’objet dès les années 1930 de sévères critiques mettant en évidence tout ce que cette explication pouvait avoir d’artificiel[1]. La seconde concernait le caractère incertain de la limite jusqu’au début du XIXe siècle ; la Révolution et l’Empire en réalisant l’unité intérieure et en cristallisant le sentiment national auraient donné naissance à la frontière moderne certaine et linéaire[2].
         Des recherches portant sur la formation de la frontière franco-belge ont montré il y a quelques années que l’incertitude du tracé était un mythe et que le concept de linéarité était bien antérieur à la période révolutionnaire[3]. S’agissant du premier point, la démonstration s’appuie sur le fait que la description du tracé peut se faire de façon extrêmement précise, même en l’absence de carte, à partir des circonscriptions administratives de base. On remarque ainsi qu’à l’occasion d’une rectification frontalière, les parties savent très exactement à quoi s’en tenir sur l’appartenance de tel ou tel territoire ; il existe en fait fort peu de « terres de débat ».
         S’agissant ensuite de la linéarité, on peut considérer que le système de délimitation par description -et non par visualisation cartographique- est un facteur évident de complexité. On pourrait dès lors penser que les progrès de la science cartographique au XVIIIe siècle ont été un facteur déterminant de la simplification des tracés ; Paul Geouffre de La Pradelle remarquait ainsi que la Royauté s’était départie à partir des années 1760 « de sa politique systématique d’imprécision et de confusion à la frontière en faveur d’une politique d’assainissement et d’abornement »[4]. En fait, le lien de causalité entre cartographie et linéarité est artificiel. Le concept de linéarité est antérieur à la seconde moitié du XVIIIe siècle ; il remonte au Traité de Nimègue (1678)[5] qui rompt avec la politique des terres « pêle-meslées » -selon l’expression de Vauban- qui était encore celle de tous les grands traités depuis le début du règne de Louis XIV (Münster, 1648 ; Pyrénées, 1659 et Aix-La Chapelle, 1668). A la politique d’enclaves et de terres avancées faisait place une défense linéaire qu’il s’agira désormais de tracer au mieux des intérêts stratégiques -et plus accessoirement économiques- de la France. Deux thèses s’affronteront alors, celle des militaires, souhaitant fixer la frontière sur des obstacles naturels facilement défendables, celle des administrateurs répugnant à découper des circonscriptions administratives de base[6].
         L’évolution de la frontière franco-sarde du Comté de Nice confirme dans ses grandes lignes les étapes de formation sommairement exposées ci-dessus. En ce qui concerne la théorie des frontières naturelles, il est facile de constater que cette limite, issue de l’Acte de Dédition de Nice à la Maison de Savoie de 1388, tranche tout-à-fait artificiellement dans le territoire provençal sans guère tenir compte des obstacles naturels ni des réalités culturelles. La France s’en accommodera pourtant jusqu’en 1860 !
         En ce qui concerne ensuite la linéarité, on ne retrouve pas dans le cas de cette frontière franco-sarde du Comté de Nice la même tendance précoce à supprimer les enclaves que l’on peut observer le long de la frontière nord de la France. Il y a à cela au moins deux explications : l’une militaire, la frontière niçoise ne présentant pas le même intérêt stratégique ; l’autre géographique, le caractère montagneux de la région appelant une définition plus précise de l’enclave. Ainsi on peut considérer que la vallée de l’Ubaye, très mal reliée en matière de voies de communications tant avec le Piémont qu’avec le Comté de Nice était une enclave en territoire français ; sa cession au Traité d’Utrecht (1713) illustre cette recherche de la linéarité inaugurée avec Nimègue[7]. Mais pour le segment de frontière Val d’Entraunes-mer, le système des terres « pêle-meslées » subsiste jusqu’au milieu du XVIIIe siècle : Gattières sur la rive droite du Var peut être considérée comme une enclave en territoire français ; inversement, Guillaumes dans la haute vallée du Var apparaît comme un poste avancé français en territoire sarde. Le Traité de Turin mettra fin à cette extraordinaire imbrication en 1760[8].
         Il ne semble pas qu’en cette matière les motivations militaires furent déterminantes. Il y avait longtemps que le Comté de Nice ne présentait plus un intérêt stratégique de premier plan[9]. Le déclassement militaire des galères basées à Villefranche avait en effet fini par amoindrir considérablement le dispositif militaire mis en place au XVIe siècle par le duc Emmanuel-Philibert. A la fin du XVIIe siècle ce dispositif, articulé autour de la citadelle de Villefranche -les galères en étant en quelque sorte le prolongement et la couverture-, du fort du Mont-Alban et du Château de Nice, était affaibli. La prise, sans grande difficulté, de l’ensemble de ces défenses par le maréchal de Catinat en 1691 sanctionnait ce déclassement. Le passage était désormais très largement ouvert et la région pouvait être envahie par les voies les plus aisées, la mer et la route côtière. Il en va d’ailleurs de même pour l’ensemble de la frontière puisque celle-ci n’a fait l’objet côté niçois d’aucun aménagement défensif comparable à ceux effectués côté français à Guillaumes, Colmars et Entrevaux. Dès lors, enclaves et avancées territoriales niçoises ne présentaient qu’un intérêt militaire très mineur[10].
         La place réduite occupée par l’impératif stratégique dans la recherche d’une frontière linéaire ouvre dès lors une perspective[11]. Qui avait donc intérêt à obtenir une rectification de frontière ? Qui était gêné par l’imbrication frontalière ? On ne peut guère soutenir que les progrès de la rationalité résultant de la visualisation cartographique y furent pour quelque chose ... Les cartes ayant justement été dressées pour les besoins de la rectification !  La raison semble ici être principalement douanière : en effet, le tracé artificiel de 1388 n’a que fort peu freiné les relations inter frontalières, faisant de cette frontière une zone pratiquement impossible à surveiller. Le problème s’aggrave tout au long du XVIIe siècle avec la mise en place de franchises douanières qui transformeront le Comté de Nice en une sorte de zone franche[12]. Le développement des activités de contrebande devait ainsi poser un problème plus aigu qu’en d’autres lieux[13]. Comment garder une telle frontière ? L’intervention du douanier ne cessera de croître tout au long des XVIIe et XVIIIe siècle avec la montée en puissance des fermes françaises[14].
         La possibilité qui s’offre ici d’analyser l’influence douanière sur la formation et l’évolution d’une frontière présente un intérêt évident car les préoccupations du douanier sont spécifiques. A la différence du militaire, il veut un tracé défini -au mètre près dans certains cas !- et ne se satisfait pas de « macro-délimitation »[15]. Il veut ensuite une frontière facile à garder : la plus petite enclave, indifférente au militaire, peut présenter pour lui le plus grand intérêt parce qu’elle désorganise la ligne douanière. Il œuvrera donc en faveur d’un tracé linéaire, si possible fixé sur des obstacles naturels. Il veut enfin une frontière imperméable, ou difficile à franchir sans formalités ; pour cela il œuvrera en faveur d’une règlementation très restrictive des conventions de voisinage, jusqu’au risque de désorganiser l’économie inter frontalière.
         Précision, linéarité, imperméabilité, telles sont les trois préoccupations du douanier. Elles correspondent, pour cette frontière, à trois étapes dans l’affermissement frontalier et aussi à trois problèmes distincts : celui de la basse vallée du Var pour la recherche de la précision du tracé ; celui de l’enchevêtrement frontalier pour la recherche de la linéarité ; celui des conventions de voisinage pour la recherche de l’imperméabilité.
 
La recherche de la précision : la basse vallée du Var
 
         A s’en tenir aux apparences, il semblerait que le secteur frontalier de la basse vallée du Var soit celui qui présente le moins de difficultés en matière de précision du tracé... et de garde. Excepté l’enclave de Gattières, la frontière suit pendant une vingtaine de kilomètres une ligne naturelle de séparation, le fleuve lui-même. C’est pourtant cette partie de la frontière qui a le plus précocement provoqué l’intervention des douaniers. Les raisons tiennent, d’une part à la spécificité géographique et, d’autre part, à la contestation juridique.
         S’agissant du premier point, cette partie du fleuve présente en effet la particularité de serpenter au milieu d’un lit très large (entre 500 et 1.000 mètres), occupant en période de crue la quasi-totalité de ce lit, et déposant des limons très fertiles formant des iscles. Le gros bras du fleuve est en outre assez puissant pour permettre le flottage des coupes de bois extraites de la montagne niçoise.
         S’agissant du second point, cette partie de la frontière a fait l’objet de contestations jusqu’en 1760. Du côté de la Maison de Savoie, on estimait « suivant la règle générale, que les fleuves divisoires appartiennent par commun aux deux souverains », la frontière devant se trouver au milieu du lit, ou de façon plus concrète dans le cas du Var, à l’endroit où coule le plus gros bras, « à moins qu’il n’y ait une possession ou une convention contraire, ce qui ne se trouve pas à l’égard du Var »[16]. Du côté provençal, au contraire, on n’avait jamais cessé d’affirmer la souveraineté des rois de France sur la totalité du cours inférieur du fleuve, jusque et y compris les îles alluvionnaires situées sur la rive gauche[17]. De multiples incidents frontaliers témoignent de ces prétentions françaises fondées sur une interprétation très restrictive de l’Acte de Dédition de 1388. Pendant longtemps le Comté de Nice fut considéré par les Provençaux comme une terre provençale et revendiquée comme telle[18]. Les prétentions françaises sur le lit du fleuve peuvent néanmoins être considérées comme normales dans cette période de formation étatique où l’emporte une conception dynamique de la frontière : il est habituel que le souverain le plus puissant réclame l’incorporation totale du fleuve[19]. Il faudra attendre le Traité de 1760 pour que le Var soit déclaré « mi-partie » du confluent de l’Estéron à la mer[20].
         En fait, le Traité de 1760 ne constitue pas en cette matière une rupture nette. D’abord, parce qu’en matière de flottage bien des difficultés avaient été réglées avant cette date... justement à la suite de multiples pressions douanières. Ensuite parce qu’en matière de souveraineté sur les iscles il y avait longtemps que la pratique douanière tempérait les positions très théoriques défendues par les rois de France.
 
Le problème des iscles 
 
         Le lit du fleuve a fait l’objet du XVe au XIXe siècle de multiples conflits entre communautés riveraines, nourris à la fois par le débat de souveraineté - jusqu’en 1760 - et par la mouvance des lieux[21].
         En effet, le gros Var, au cours puissant et difficile à franchir, constitue une ligne de séparation naturelle. Mais ce facteur de certitude n’est que relatif ; le gros bras du fleuve peut changer de cours. La situation n’est certes pas très fréquente. Il faut pour cela un événement climatologique exceptionnel... ou -et surtout- une intervention de l’homme. Les moyens de l’époque ne permettent cependant pas de détourner son cours au moyen d’une simple digue ; les habitants de Saint-Martin en firent l’expérience au début du XVIIIe siècle : la digue qu’ils avaient laborieusement jetée au milieu du gros Var fut emportée à la première forte crue[22]. Il n’y a guère que la concentration massive et durable de bois de flottage (pour rassemblement, tri des marques de propriétaires, formation des radeaux ou stockage pour les besoins des scieries) qui puisse à la longue gêner l’écoulement du gros Var et transformer un bras secondaire en bras principal : ainsi, au début du XVIIIe siècle, à la suite de concentrations faites par des marchands toulonnais au-dessous du bourg du Broc, le gros Var avait changé de cours, coulant face à Saint-Martin et faisant passer toutes les iscles, côté France[23]. Ainsi, en 1772 à la suite de concentrations de bois opérées par les scieries niçoises de Lingostière et Saint-Isidore, le gros bras s’était déporté du côté de Saint-Laurent, rongeant la digue et rendant tout accès impossible aux iscles pour les habitants du lieu[24]. Ainsi encore en 1845 à la suite d’aménagements effectués par des marchands de bois niçois pour améliorer le flottage, les iscles de Carros avaient été rendues inaccessibles[25]. On pourrait citer d’autres exemples.
         Dans cette zone incertaine, impossible à borner, l’activité douanière française est intense et propice à créer des incidents. Avant, comme après 1760, les gardes des fermes françaises interviennent au-delà du gros Var ; les incidents ne sont toutefois pas très fréquents et relèvent toujours d’un cas de poursuite[26]. Simplement, avant 1760 ces poursuites sont interprétées par les autorités françaises non comme des intrusions en territoire sarde, mais comme des interventions au-delà de la « ligne des douanes » mais en deçà de la frontière[27]. En pratique, il apparaît bien toutefois que, même pour les douaniers français, c’est le gros Var qui forme frontière.
         Les prétentions douanières françaises se situent en deçà de celles des communautés riveraines ; les incidents intercommunautaires -entre Nice et Saint-Laurent en particulier- sont infiniment plus nombreux : contestations, enlèvement de bétail, représailles, démarches diplomatiques se succèdent pendant plusieurs siècles[28]. Les Laurentins affirment très haut leurs prétentions jusqu’à la rive gauche et lient systématiquement les droits de Saint-Laurent sur les iscles à la souveraineté du roi de France sur la totalité du lit.
         C’est ce problème que dénoue le Traité de 1760 en fixant la limite au milieu du plus gros cours et en distinguant implicitement, dans le « procès-verbal d’exécution » annexé au Traité, souveraineté et propriété : les « variations » du plus grand cours étant inévitables, il importait de ne pas « porter atteinte aux droits et possessions des particuliers, des vassaux et des communautés » ...  quel que soit le souverain[29]. Le problème des iscles était ainsi ramené à sa juste dimension, une affaire de propriété. Pratique, le douanier avait depuis longtemps déjà fait cette distinction.
 
Le problème du flottage
 
         L’importance économique et douanière du flottage est attestée par la forte imposition qui frappe l’exportation des bois du Comté de Nice. Déjà au XVIe siècle ceux-ci sont imposés à 10%, alors que pour l’ensemble des autres produits, le taux d’imposition s’élève uniformément à 2%[30] ; on doit ajouter qu’en outre bon nombre d’entre eux bénéficient des effets directs, et surtout secondaires, de la franchise du port franc surtout pour les sorties par mer. Il n’est jamais question de telles faveurs pour l’exportation des bois ; l’importance du revenu de la traite foraine perçue sur les bois est d’ailleurs telle qu’il fait parfois l’objet d’un sous-affermage particulier dans le cadre de la ferme groupée Droit de Villefranche-Traite foraine[31].
         On comprend que, très tôt, l’extraction des bois du Comté ait posé des problèmes au douanier. Non pas tellement au fermier niçois du Droit de Villefranche et de la traite foraine - qui lui, perçoit ses 10% au lieu de coupe - qu’au douanier français chargé de faire payer ces bois à l’entrée du royaume de France. Où opérer le contrôle ? A l’arrivée dans les ports français, comme cela se fait pour Gênes et la Ligurie ? A l’embouchure du Var !... ou bien au confluent de l’Estéron puisque le roi de France est souverain sur le lit du fleuve, ainsi qu’il le prétend !
         Ce problème de la libre circulation des bois sur le cours inférieur n’apparaît qu’au début du XVIIe siècle, après la mise en place côté français d’impositions douanières rationnellement organisées[32]. Avec le rapprochement progressif de la ligne douanière[33] au plus près de la frontière, les gardes des fermes en étaient en effet venus à s’intéresser de très près au flottage des bois[34] : ils prétendirent alors percevoir un droit de transit, dit de  haut passage  sur tous les bois empruntant le cours du Var du confluent de l’Estéron à la mer pour transit dans le royaume de France ; les Niçois s’insurgèrent moins contre l’affirmation implicite de souveraineté que contre la perception d’un droit entièrement nouveau[35]. Saisie de l’affaire par les commerçants niçois, la Chambre des Comptes, Aides et Finances d’Aix commandait quelques années plus tard aux fermiers des droits domaniaux et forains de Provence-Languedoc de cesser toute perception pour le haut-passage[36]. L’arrêt ne fut guère respecté et les pratiques se poursuivirent jusqu’en 1643. Les prétentions des fermiers français se firent alors plus précises. Ils réclamèrent non plus le haut-passage mais la traite foraine -droit de sortie- au tarif très nettement plus avantageux[37]. Considérer que les bois coupés dans le haut-pays niçois sortaient du Royaume de France, tel était le tour de force auquel étaient parvenus les fermiers de la foraine de Provence-Languedoc ! Le commerçant niçois impliqué dans cette affaire saisit alors le magistrat des ports d’Antibes[38].... qui jugea tout-à-fait anormal qu’on impose un droit d’exportation sur des bois provenant d’une terre étrangère ; le commerçant en bois fut acquitté moyennant le paiement d’un simple droit de passage[39].
         Les fermiers en faisaient cependant une question de principe.  Ils interjetèrent appel devant la Chambre des Comptes d’Aix en précisant très justement qu’il n’y avait eu aucun contrôle préalable lors de l’entrée dans le Royaume, au confluent de l’Estéron, pouvant justifier le transit. En l’absence, ils pouvaient parfaitement considérer que ces bois sortaient de France ! Les commerçants niçois furent condamnés[40].
         Instruits par cette fâcheuse expérience, les propriétaires des coupes prirent alors l’habitude de déclarer leurs bois au bureau du Broc, sitôt passé le confluent de l’Estéron... pour pouvoir prouver 20 kilomètres plus loin au bureau de Saint-Laurent qu’ils n’avaient fait que traverser le royaume de France[41].
         Il ne s’agissait ici que de droits de transit ou de sortie. Le rapprochement progressif des bureaux de la Douane de Lyon de la frontière provençale devait ajouter d’autres difficultés. Leur installation à partir des années 1645-1650 introduit un nouvel élément[42] : il fallait distinguer dorénavant entre les coupes directement conduites à Nice ou au-delà vers Gênes, de celles introduites en France : celles-ci étaient passibles de la douane à l’entrée du royaume, c’est-à-dire au confluent Var-Estéron. Le premier convoyeur de bois concerné par cette nouvelle imposition en demanda réparation au magistrat des ports d’Antibes. Il n’eut pas gain de cause : il était effectivement possible de percevoir un droit de douane sur les coupes de bois introduites en France[43]. La déclaration était faite au bureau du Broc et le paiement intervenait à celui de Saint-Laurent, 20 km en aval, où on distinguait les bois entrant en France de ceux en transit vers d’autres pays. Répliquant aux fermiers français, les percepteurs de la traite foraine niçoise installèrent eux aussi un bureau à Saint-Martin face au Broc pour contrôler les bois entrant dans le royaume de France[44].
         Les interventions successives des douaniers français avaient ainsi abouti à l’application stricte des principes de souveraineté les plus favorables au roi de France : Le Broc -et non Saint-Laurent- était devenu poste frontière pour le trafic fluvial.
         L’organisation des contrôles sembla alors assez logique pour ne plus soulever de problèmes jusque vers 1660-1665, époque à partir de laquelle les Français commencèrent à extraire des bois de leur propre territoire en amont de Puget-Théniers. Jusque-là, le Haut-Var était impropre au flottage ; d’importants travaux de mine dégagèrent les passages les plus difficiles permettant dès lors d’extraire des bois de la région d’Annot[45]. Les fermiers niçois s’estimèrent alors fondés à réclamer un droit de transit pour les coupes françaises pour la partie du trajet comprise entre Puget-Théniers et Saint-Martin. Comme il s’agissait de bois de marine l’affaire fit grand bruit et trouva sa solution par la voie diplomatique : les fermiers de la traite foraine niçoise ne percevraient aucun droit de transit... et en contrepartie, les fermiers français cesseraient leur perception sur les bois niçois en transit[46] dans la basse vallée. Côté Savoie, l’accord présentait le plus grand intérêt car il pouvait être interprété comme un recul des prétentions françaises sur la souveraineté du lit du fleuve. Il annonçait en tout cas avec un siècle d’avance les dispositions de l’article 12 du Traité de 1760 concernant la liberté de navigation sur les rivières formant limite entre les deux Etats[47].
 
La recherche de la linéarité 
Les terres totalement ou partiellement enclavées
 
        L’extrême complexité du tracé est une caractéristique essentielle de cette partie de la frontière franco-sarde avant 1760. Les enclaves ou les quasi-enclaves sont nombreuses ; il est souvent préférable de passer en territoire étranger pour se rendre dans une communauté voisine. Pour les habitants de la zone-frontière, le franchissement est une opération quasi-quotidienne justifiant le paiement d’un droit de haut-passage -côté France- ou d’un droit de transit -côté Savoie- pour les marchandises n’étant ni des effets personnels ni des produits des terres possédées de l’autre côté de la frontière. L’intensité des passages créé une situation particulière. Comment les douaniers se comportent-ils face à cette frontière ? Leur attitude dépend de trois facteurs ; le montant des droits d’abord : tant que ceux-ci restent modérés -jusqu’au début du XVIIIe siècle- l’arrangement est possible[48] ; les difficultés se multiplieront à partir des années 1750. La nature des marchandises transportées ensuite : le sel sera toujours soumis à un régime extrêmement contraignant. La situation géographique enfin, la pression étant plus forts vis-à-vis des communautés très enclavées comme le Val d’Entraunes.
 
La Convention de 1703
 
         Le droit de haut-passage est trop peu élevé pour justifier à lui seul l’installation de bureaux sur tous les points sensibles de la frontière. Sa perception ne peut guère se faire que là où sont déjà établis des bureaux, soit de la traite, soit de la douane. Le mouvement de perception suit donc le processus de rapprochement de la ligne de douane de la frontière déjà vu plus haut : d’abord ceux de la foraine de Provence-Languedoc vers 1610      -1620[49], ensuite ceux de la Douane de Lyon vers 1660.
         C’est en 1611 qu’apparaissent les premières oppositions à la perception du droit de haut-passage. Elles sont paradoxalement le fait de communautés provençales -Guillaumes, Entrevaux, La Penne, Le Broc -qui dans une requête adressée aux Etats de Provence se plaignent de ce que la rigueur des fermiers provençaux a provoqué une réaction des fermiers niçois, au plus grand préjudice du trafic frontalier. Les communautés demandaient aux Etats de Provence d’intervenir auprès de la Chambre des Comptes, Aides et Finances d’Aix pour considérer avec bienveillance... les intérêts des marchands et communautés niçoises en procès avec les fermiers de la foraine de Provence-Languedoc[50]. Les Etats accordèrent leur appui et après maintes démarches, la Chambre des Comptes interdisait aux fermiers provençaux de percevoir ce droit de haut-passage[51]. Ceux-ci abandonnèrent leurs prétentions sur le transit par voie de terre pour ne plus s’intéresser qu’à celui des coupes de bois[52], ainsi qu’on l’a vu plus haut.
         On en resta là jusqu’à la fin du XVIIe siècle, puis l’augmentation des droits et des contrôles -ceux de la Douane de Lyon- [53] et les risques évidents de fraude poussèrent les Français à rétablir les perceptions. Les fermiers niçois de la traite et du Droit de Villefranche firent de même. Représailles, escalade dans la rigueur, plaintes des communautés ; la frontière redevenait infranchissable.
         Pour mettre fin à cette mini-guerre douanière, les intendants de Provence et de Nice, Cardin Le Bret et Mellarède, décidèrent en 1703 d’établir un régime de franchise réciproque[54]. L’accord ne fut pas complètement appliqué en raison de l’interventionnisme croissant des fermiers français -au demeurant général dans ce premier tiers du XVIIIe siècle-. En 1726, il était encore question de possibles représailles des fermiers niçois face à une recrudescence des perceptions du haut-passage[55]. Mais par mesure d’apaisement, le directeur des fermes françaises demandait à ses receveurs de restituer tous les biens saisis récemment[56]. En dépit des risques de fraude, la direction des Fermes de Toulon[57] se soumettait pour le transit des produits ordinaires mais refusait de céder pour celui du sel, même pour de petites quantités et sur de courtes distances.
 
Le transit du sel
 
         La direction des Fermes de Toulon avait en effet de bonnes raisons de se méfier, le Comté de Nice étant en matière de sel le lieu de transit des importations de Sardaigne en Piémont ; la région bénéficiait, en outre, de tarifs particuliers très avantageux[58]. Pour la desserte des communautés niçoises partiellement enclavées on ne fit aucune dérogation : le transit du sel s’effectuerait par un chemin plus long et incommode sans passer en territoire français. Il restait un cas d’enclavement total, celui du Val d’Entraunes dans la haute vallée du Var. La direction des Fermes de Toulon et la direction des Gabelles de Nice durent mettre sur pied une convention très précise pour permettre ce transit par Entrevaux. Qu’on en juge ! Les petits convois étaient interdits ; ils devaient compter au moins 30 bêtes et des gardes des gabelles françaises devaient les accompagner tout le long du trajet français. La quantité était limitée à la consommation estimée des communautés du Val d’Entraunes, c’est-à-dire à 70 quintaux par an. Enfin, le montant du droit de haut-passage était fixé à 100 L[59].
         Le respect du régime général de franchise, sur la base de la Convention de 1703 fut alors attesté par la quasi-totalité des receveurs niçois[60], sauf en ce qui concerne le Val d’Entraunes où le nouvel accord sur le transit du sel avait des répercussions défavorables sur les autres produits niçois destinés au Val[61]. Cela était d’autant plus injuste que, précisait-on du côté niçois, il n’y avait aucun droit de cette nature perçu sur les marchandises françaises transitant par le Val d’Entraunes, excepté les droits habituels perçus par les gabelles sardes sur le sel, les tabacs et les poudres, droits que d’ailleurs « l’on n’est jamais à même d’exiger faute de gardes »[62]. Manifestement, une forte pression douanière française s’exerçait contre l’enclave du Val d’Entraunes... imposant indirectement une correction du tracé. Ce sera chose faite en 1760.
 
Le durcissement douanier de 1756-1758
 
         L’équilibre général établi par la Convention de 1703 devait être rompu pour l’ensemble de la frontière à partir de 1755. Les causes sont multiples : certaines sont liées à des modifications intervenues dans l’organisation des contrôles, tant du côté français que du côté sarde, d’autres -plus décisives- à l’augmentation des droits côté sarde, d’autres enfin à la psychose des douaniers français face à la multiplication des fraudes organisées : le mythe de Mandrin, sinon ses propres activités[63],  a eu des conséquences directes sur la fermeture de la frontière.
         S’agissant de l’augmentation des tarifs, il semblerait -pour une fois- que ce soient les fermiers niçois qui aient commencé l’escalade : au début de 1756, ils procèdent à quelques légères augmentations des tarifs de la traite et du transit[64] -noter qu’il n’y a pas de droits d’entrée, dogana, dans le Comté de Nice- ; les Français répliquent en augmentant les leurs[65] mais dans des proportions très nettement supérieures. On se plaint partout, à partir de 1758, de cette augmentation considérable des droits de traite, de transit et surtout de douane. Comparant l’ancien droit de transit niçois au nouveau, le receveur de Puget-Théniers précisait que l’augmentation était relativement faible (1.500 à 2.000 L par an au lieu de 1.000 à 1.200 L auparavant) et que le taux restait modéré (entre 2 et 4 %) alors que le droit de haut-passage français « est incomparablement plus fort » et ce qui est extrêmement gênant « payé sur on ne sait quel pied »[66]. Partout, se plaint-on, les perceptions ont été rétablies et de la façon la plus tatillonne, jusqu’à faire payer « la moindre bagatelle »[67].
         Les communautés du Val d’Entraunes plus directement touchées affirmaient qu’il leur en coûtait 1.000 L par an et qu’il en coûtait autant aux communautés de Beuil et de Péone, puisque leurs habitants sont obligés de passer par la France en hiver, les cols du haut-pays niçois étant bloqués[68].
         Le temps était au durcissement : le bureau du Broc en était même revenu à rétablir un droit de traite sur les coupes niçoises de bois, comme si elles sortaient de France ; et au bureau de Saint-Laurent on considérait que les bois qui n’auraient pas été contrôlés au Broc, sortaient de France et étaient passibles de la douane ! Le marquis de Cagnes, propriétaire d’un petit péage, assez peu respecté, dans les environs de Saint-Laurent s’était lui aussi engagé avec la protection des douaniers français dans la voie du durcissement[69]. Cela ferait autant de preuves de possession et de perception à verser au dossier d’un rachat éventuel par le Bureau des péages ! Une telle pression exaspéra les commerçants niçois qui s’en récrièrent au Parlement d’Aix, mais sans succès[70].
         Il apparut alors aux autorités que seule une rectification du tracé frontalier pouvait mettre fin à ces difficultés[71]. Les nouveaux intérêts des fermes françaises étaient incompatibles avec un tel découpage et de telles facilités, d’autant plus que la situation niçoise était finalement assez semblable à celle que l’on trouvait en d’autres zones de la frontière franco-sarde.
         Les commissions franco-sardes commencèrent alors à enquêter en vue d’une rationalisation du tracé. La recherche des meilleures solutions topographiques devait évidemment aller de pair avec quelques transferts de souveraineté d’un Etat à l’autre, posant ainsi un problème délicat d’évaluation des revenus perçus sur le territoire de ces communautés concernées. Des enquêteurs furent chargés de dresser cet état des revenus communauté par communauté ; parmi ceux-ci, il y avait évidemment les droits de douane, de traite et de transit. Les contrôles se durcirent alors encore davantage de part et d’autre pendant tout le temps que dura l’enquête ![72]. Chacun perçut ses droits avec le maximum de rigueur et la sévérité des gardes fut à l’origine d’une série d’incidents.
         Le Traité signé le 24 mars 1760 mettait fin à toutes les situations d’enclavement en simplifiant considérablement le tracé frontalier[73]. Les fermes françaises n’auraient ainsi plus à supporter les inconvénients d’un tracé tourmenté et tenant aussi peu compte des réalités topographiques. Restait à savoir si ce tracé tenait compte des réalités humaines !
 
La recherche de l’imperméabilité
Les relations de voisinage
 
         Tracé dans un milieu économique et humain homogène, la frontière franco-sarde du Comté de Nice a de tous temps posé un problème vital de relations de voisinage. L’interpénétration des activités et des propriétés a toujours été très forte et il a fallu très tôt accorder des avantages aux frontaliers pour les produits tirés des terres situées de l’autre côté de la frontière. Cette interpénétration est d’ailleurs indépendante de la complexité du tracé. Elle dépend uniquement des relations communautaires inter frontalières ; on la retrouve d’ailleurs avant comme après 1760. Elle est même plus forte après 1760 puisque le nouveau tracé, davantage préoccupé d’obstacles naturels tranche parfois au milieu des terroirs de communautés, voire même au milieu des communautés elles mêmes[74]. On en arrive avec les relations de voisinage à la troisième étape de l’affermissement frontalier, la plus tardive puisqu’il faut attendre la Restauration pour constater chez les douaniers français une volonté de limiter la perméabilité frontalière en interprétant très restrictivement les conventions de voisinage. Jusque-là la frontière, pour les frontaliers au moins, n’avait jamais constitué une barrière infranchissable[75].
 
La perméabilité traditionnelle
 
         La franchise des droits pour les produits tirés d’une terre située en territoire étranger est ancienne. Il ne semble d’ailleurs pas que la partition de 1388 ait posé la moindre difficulté sur ce sujet. La question n’est soulevée qu’au milieu du XVIe siècle après la mise en place d’impositions frontalières tant du côté niçois que du côté provençal, mais assez rapidement un système de franchises est organisé : le bourg de Puget-Théniers, très étroitement lié aux villages provençaux voisins, en fut le premier bénéficiaire dès 1575[76]. Puis la franchise fut étendue à d’autres communautés frontalières au grand mécontentement du fermier de la foraine de Provence-Languedoc. Un arrêt de la Chambre des Comptes, Aides et Finances d’Aix, rendu à la requête de sujets du duc de Savoie, le 22 décembre 1582, le contraignit au respect des franchises établies[77]. Cet arrêt fut respecté de façon assez régulière jusqu’au XVIIIe siècle. En dépit de quelques rappels à l’ordre contre les fermiers de la foraine et de la douane - telle l’intervention en 1729 du contrôleur général des Finances, Le Pelletier des Forts[78] - les entorses commises au régime de franchises furent considérées par les receveurs eux-mêmes comme des incidents isolés[79]. Il ne semble pas qu’il ait été nécessaire de préciser de façon très rigoureuse l’étendue exacte de l’exemption ; ce n’est que quelques années avant la signature du Traité de 1760, en 1753-1754, que l’on prit soin d’apporter quelques précisions : une recommandation de l’intendant de Provence, La Tour du Pin, confirmait que l’exemption jouait aussi bien à l’entrée qu’à la sortie : l’exportation de semences du domicile vers un bien fonds situé en territoire étranger n’était par exemple pas une opération imposable[80]. Plus restrictif, le directeur des Fermes de Toulon prenait soin de préciser que la franchise ne concernait que les fruits et non tous les biens meubles possédé en territoire étranger[81].
         L’article 18 du Traité de 1760 devait reprendre pour l’essentiel des dispositions en vigueur. Les sujets des deux souverains pourraient continuer « à jouir réciproquement et sans aucune difficulté des biens et droits quelconques qui leur appartiennent dans les Etats de l’autre avec liberté d’en extraire les fruits en provenance sans être assujettis au paiement d’aucun droit pour ce regard, mais seulement aux précautions nécessaires pour prévenir les abus, toutefois sans frais ni angaries »[82]. Le Traité ne soufflait mot des possibilités d’exportation pour les besoins des cultures. Il semble cependant qu’il ait été interprété de la façon la plus favorable aux frontaliers et qu’il n’ait pas affecté le régime de voisinage appliqué auparavant, jusqu’à l’annexion du Comté par la France en 1792[83]. Tout devait changer après 1814.
 
L’étanchéité frontalière après 1814
 
         Le premier Traité de Paris signé le 30 mai 1814, en restituant aux Alliés les conquêtes de la Révolution et de l’Empire, rétablissait les Etats de la Maison de Savoie dans ses frontières antérieures. La frontière avec la France restait donc celle fixée en 1760 par le Traité de Turin. Mais très rapidement, les relations de voisinage allaient subir d’importantes transformations : une ordonnance du 13 octobre 1814 précisait que « seuls les citoyens propriétaires de terres situées en France à un demi-myriamètre des frontières » jouiraient de la faculté d’exporter en franchise les produits de ces terres. L’article 2 ajoutait que l’engagement n’était valable qu’en cas de réciprocité[84]. Du côté sarde, on se montra moins restrictif et on se contenta de reconduire sans modification les clauses de l’article 18 du Traité de Turin[85].
         Nonobstant quelques restrictions côté français, les conventions de voisinage avaient donc été rétablies ; force était cependant de constater que les temps avaient changé. Le protectionnisme révolutionnaire et impérial avait été reconduit par la Restauration et les nouveaux douaniers français firent preuve d’une rigueur encore inconnue jusque là sur cette frontière.
         Les difficultés surgirent à partir de 1820. Les plaintes des communautés frontalières affluèrent sur le bureau de l’intendant général sarde Crotti[86] pour faire cesser ces « vexations des douanes françaises stationnées sur la rive droite de l’Estéron », point névralgique de la frontière car le traité de 1760 avait fait de cette rivière une ligne-frontière alors qu’économiquement et humainement rien ne le justifiait. Le syndic de la communauté de Sigale affirmait ne plus pouvoir répondre des « événements fâcheux qui pourraient arriver »[87]. Un autre syndic, celui de Roquestéron demandait que l’on fasse cesser « les mesures de rigueur et les angoisses que la douane française fait régner »[88]. Les difficultés s’étendirent à toute la frontière et il semble bien qu’à partir de 1826-1827, la franchise ne soit plus du tout appliquée par les douanes françaises[89]...  que ce soit pour les Niçois propriétaires en France, comme pour les Français propriétaires en pays niçois. Les douanes sardes, au dispositif extrêmement faible -« il n’y a pas de douanes à Nice »[90], se lamentent régulièrement les consuls de France en poste dans la capitale du Comté- n’y sont assurément pour rien.
         La plus grande rigueur s’était installée. De nombreux particuliers cédèrent alors les terres possédées de l’autre côté de la frontière ; des économies villageoises furent désorganisées laissant apparaître l’étonnante complémentarité de villages et de terroirs placés sous des souverainetés différentes.  Tel est le cas par exemple de Sigale où on se lamentait de la rigueur des préposés des douanes françaises qui empêchaient « jusqu’à la feuille de murier d’être transportée en ce lieu des terres que les particuliers possèdent au-delà de l’Estéron, les muriers se trouvant presque tous sur la partie cédée » à la France en 1760 et où ils bénéficiaient d’une meilleure exposition. « Les vers à soie en ont beaucoup souffert » concluait le syndic dans une lettre adressée à l’intendant général[91].
         Et que dire du village de Roquestéron coupé en deux par un cordon douanier implacable ? Jusque là, la perméabilité de la frontière avait permis aux deux parties du village scindé à la suite du Traité de 1760 de poursuivre leurs activités. Mais la multiplication des contrôles avait fini par mettre en péril toute son économie. Pour résoudre le problème, on alla même jusqu’à proposer un partage général des édifices publics. Mais que faire lorsqu’il n’y a qu’un seul four, ou aucun moulin dans une des deux parties, ou que le déséquilibre est trop marqué ? Face aux difficultés rencontrées on laissa subsister dans ce cas une certaine réciprocité... qui ne fut guère du goût de l’administration des Douanes françaises. Elle avait en effet quelques bonnes raisons de penser que cela équivalait à faire de Roquestéron-Grasse, la partie française, une sorte de mini-zone franche incontrôlable sans moyens puissants[92].
 
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         Un douanier qui définit un tracé jugé imprécis, qui fait ressortir les inconvénients d’un enchevêtrement frontalier, qui ferme une frontière perméable... N’est-ce pas surestimer le rôle des douanes dans la formation des frontières de la France ? L’histoire des traités est en grande partie le reflet de celle des batailles et le diplomate est le plus souvent le mandataire du militaire. Tant qu’il s’agit de politique territoriale, le douanier ne s’assoit pas à la table des négociations. Ne revenons pas sur la primauté de l’impératif stratégique dans la fixation des grands choix.
         Observons simplement que l’influence du douanier concerne davantage la formation de la frontière-limite[93] que celle de la frontière-zone. Il a contribué à rendre celle-ci précise, linéaire et imperméable en « finissant » le territoire de l’Etat et en affermissant ses confins. Il n’est d’ailleurs pas inutile d’insister sur le fait que le système douanier suit le mouvement de croissance de l’Etat et qu’il en est une parfaite illustration. Expédient fiscal ou moyen de réaliser une politique économique, la douane devient peu à peu un moyen privilégié de l’action étatique ; servie par une armée de gardes, de commis, de contrôleurs, la douane tente d’empêcher les exportations appauvrissantes et les importations dangereuses pour les fabricants nationaux. Plus les barrières intérieures s’affaiblissent, plus le système devient efficace aux frontières[94]. La douane borne désormais le territoire de l’Etat ; elle fixe et rend visible cette ligne abstraite qu’est la ligne frontière. Nulle autre institution étatique ne l’a fait avec plus d’efficacité.
 
 
 


[1] Gaston Zeller, « La monarchie d’Ancien Régime et les frontières naturelles », in Revue d’histoire moderne, 1933, pp. 305-333 ; « Histoire d’une idée fausse », in Revue de synthèse, 1936, pp. 115-131 ; « Saluces, Pignerol et Strasbourg. La politique des frontières au temps de la prépondérance espagnole », in Revue historique, 1942-1943, pp. 97-110. « La politique territoriale des monarchies absolues » ne vise pas à la recherche des frontières naturelles mais « traduit des besoins stratégiques, dominer les routes militaires ou maritimes par exemple. Au début du XVIIe siècle l’Espagne occupe les places du Palatinat rhénan pour assurer le cheminement des troupes du Milanais au Luxembourg. Il faut aussi assurer les portes du royaume d’où on peut se protéger contre une invasion [...]. Richelieu fait ainsi prendre Pignerol en Piémont », Gérard Boulvert, Souveraineté et impérialisme. Histoire des relations internationales de l’Antiquité au début du XXe siècle, Jovene, Naples, 1984, p. 201.

[2]  Cf. par exemple Jean-François Lachaume, « La frontière séparation », in Société française pour le droit international, Colloque de Poitiers, La frontière, Pédone, Paris, p. 77. Cette idée, diffusée à la suite semble t-il des travaux d’Armand Brette (Atlas des bailliages ou juridictions assimilées ayant formé une unité électorale en 1789, Paris, 1904 et Les limites et divisions territoriales de la France en 1789, Paris, 1907) fut largement reprise par historiens et géographes (les frontières « molles » d’avant 1789 d’Ernest Lavisse et « l’esprit de frontière » de Vidal de La Blache pour la période postérieure sont devenus des lieux communs en la matière). Sur le triomphe de ces positions dans l’Entre-deux guerres, Paul Geouffre de La Pradelle, La frontière, Thèse droit, Paris, 1927, p. 35 pour qui « la frontière du royaume, juridictionnelle et féodale est essentiellement flottante » et Jacques Ancel, Géographie des frontières, Paris, 1938, qui parle de frontières « indécises », pp. 70 sq. Depuis les années 1940 les historiens ont repoussé à la période médiévale cette notion d’incertitude (Gustave Dupont-Ferrier, « L’incertitude des limites territoriales de la France du XIIIe au XVIe siècle », in Compte-rendu de l’Académie des inscriptions et belles lettres, 1942, pp. 62-67) et introduit d’importantes nuances : « Il ne faut peut-être pas dire de façon trop uniforme que les frontières du Moyen Age sont toujours quelque chose d’incertain », Jean-François Lemarignier, Recherches sur l’hommage en marche et les frontières féodales, Lille, 1945, p. 177.

[3] Nelly Girard d’Albissin, Genèse de la frontière franco-belge. Les variations des limites septentrionales de la France de 1659 à 1789, Picard, Paris, 1970 et « Propos sur la frontière », in Revue historique de droit français et étranger, 1969, pp. 390-407. Sur la frontière franco-belge et les relations inter frontalières, Firmin Lentacker, La frontière franco-belge. Etude géographique des effets d’une frontière internationale sur la vie de relations, Chez l’Auteur, Lille, 1974.

[4] Geouffre de La Pradelle, La frontière, op. cit., p. 45. Voir pour le XVIIIe siècle, Louis Trénard, « Perception et délimitation de l’espace français au XVIIIe siècle », in L’information historique, 1985, pp. 119-125.

[5] C’est la position de Girard d’Albissin, Genèse de la frontière franco-belge, op. cit. La progression du concept de linéarité avant 1789 avait été notée par Geouffre de La Pradelle, La frontière, op. cit, p. 46 mais seulement à partir des traités des années 1760-1770.

[6] Girard d’Albissin, « Propos sur le frontière », op. cit., p. 398.

[7] En échange de la Vallée de Barcelonnette, la France cédait les vallées francophones du versant oriental des Alpes, c’est à dire les écartons d’Oulx, Valcluson et Château-Dauphin, « tout ce qui est à l’eau pendante du côté du Piémont ». Cf. Charles Maurice, Promenades historiques et archéologiques dans l’ancien écarton d’Oulx, Vintimille, 1980, pp. 163-167 pour les « vallées cédées » comme on les appelle. Cette cession, en supprimant une sorte d’enclave en Piémont, va évidemment aussi dans le sens de la linéarité et de la politique de la barrière chère à Vauban. Ce type de cession montre bien que le facteur linguistique n’intervient que fort peu dans la politique frontalière de la royauté. Une opinion contraire dans Paul Allies, L’invention des territoires, P.U. Grenoble, 1980, pp. 65 sq. à propos de « l’assainissement des espaces frontières ».

[8] Denis Andréis, Le traité franco-sarde de 1760. Origines et conséquences, Mémoire maîtrise lettres, Nice, 1971, édité par Hachette, Paris, 1973 et « Le traité de Turin de 1760 », in Nice Historique, 1973, pp. 61-73.

[9] Outre le fait que la Maison de Savoie est alliée de la France jusqu’à l’entrée de Victor-Amédée II dans la Ligue d’Augsbourg en 1690 aux côtés de l’Espagne. Pour les militaires le problème frontalier ne pouvait guère se poser qu’après, à une époque où la démonstration a été faite que le Comté de Nice ne présentait plus d’intérêt stratégique majeur.

[10] Le faible intérêt stratégique de cette partie de la frontière franco-sarde est une constante du XVIIIe siècle. On ne cherche jamais à défendre la partie ouest du Comté, chose d’autant plus difficile à faire que le Château de Nice a été rasé en 1705 ; en 1744 la défense austro-sarde s’organise à l’ouest, de la vallée du Paillon au col de Tende ; en 1792 les troupes du général d’Anselme entèrent à Nice sans difficultés ; enfin, il est significatif de constater que le Traité de 1760 a abandonné au Royaume de Sardaigne une place comme Guillaumes -qui faisait pourtant partie d’un ensemble fortifié avec Entrevaux et Colmars- sans contrepartie militaire dans la région. La France s’assurait seulement par traité que les fortifications seraient détruites après le transfert, Andréis, Le traité franco-sarde, op cit, pp. 65 sq. Céder une place fortifiée pour obtenir le désenclavement du Val d’Entraunes, on peut dire que l’impératif douanier et économique a pris le pas sur l’intérêt militaire.

[11] Girard d’Albissin, Genèse de la frontière, op. cit., p. 395 insiste sur la primauté de l’impératif stratégique : « Ce  n’est que parce que les conceptions militaires ont changé, qu’à partir de Nimègue on a pu proscrire la politique des enclaves. Ce n’est que parce que la sécurité de la frontière flamande était assurée qu’on a pu lors de la paix d’Utrecht y faire triompher les intérêts économiques ».

[12] Michel Bottin, « Les franchises douanières du pays niçois », in Cahiers de la Méditerranée, 1979, n°18, pp. 37-49.

[13] Michel Bottin, « Un commerce parallèle : la contrebande niçoise du XVIIIe au milieu du XIXe siècle », in Annales méditerranéennes d’histoire et d’ethnologie juridiques, 1976-1977, pp. 3-36.

[14] Gaston Zeller, « Aux origines de notre système douanier. Les premières taxes à l’importation. XVIe siècle », in Etudes historiques Gaston Zeller, T. 3, Faculté des lettres de Strasbourg, 1947, pp. 165-177 constate à la page 165 que « la constitution des grands Etats nationaux a eu ses répercussions dans le domaine de l’économie » et que « l’apparition d’un système douanier constitue ici et là le signe le plus certain de cette unification économique qui accompagne et qui suit de près l’unification économique ».

[15] La définition d’un tracé frontalier s’opère en deux temps : la délimitation, qui est l’affaire des diplomates, la démarcation ensuite, qui est l’affaire des topographes et des arpenteurs. Mais la démarcation peut être imprécise : plusieurs dizaines de kilomètres peuvent séparer deux bornes frontières. Pour corriger cette imprécision, on dispose de deux solutions : soit la densification qui consiste à multiplier les bornes, soit la micro délimitation qui nécessite une opération juridique de définition précise de la frontière avant d’aborner. Cette distinction a d’ailleurs été évoquée à propos de l’affaire du Canal de Beagle, notamment par le Professeur Reuter, Daniel Bardonnet, « De la densification des frontières terrestres en Amérique latine », in Mélanges C. A. Colliard, Pedone, Paris, pp. 3-44. S’agissant de l’intervention douanière qui nous intéresse ici, on peut considérer que le douanier, face à une macro-délimitation et une démarcation insuffisante (voire impossible, cf. infra) procède de sa propre autorité à une sorte de micro-délimitation.

[16] Pierre Mellarède, Sommaire de l’histoire du Comté de Provence pour l’éclaircissement de celle du Comté de Nice, Mémoire manuscrit, 1703, vol. 2, p. 267, Bibliothèque de Cessole, Musée Masséna, Nice et Etat des preuves par le même Mellarède, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 2, L 19 (1702). Chaque fois que cela est possible les autorités municipales de Nice manifestent très officiellement et très concrètement leur position : ainsi, en 1750, à l’occasion du transfert d’un prisonnier, Antoine Cresp, cavalier de la maréchaussée de Grasse, délivre à Jean-Louis Clary, secrétaire du Sénat de Nice, un certificat attestant « avoir reçu au milieu du gros bras du Var le nommé Bernard Eury du lieu de Saint-André en Provence, détenu dans les prisons de Nice, lequel  a été conduit audit milieu du gros bras du Var par les soldats de justice audit Sénat », Arch. dép. des A-M, B 79.

[17] C’est par exemple la position de Pierre Cardin Le Bret, intendant de Provence en 1704, appuyant les revendications des habitants de Saint-Laurent contre les entreprises niçoises. Fort de cet appui, le seigneur de Saint-Césaire, auteur d’une saisie de bétail niçois, pouvait répondre à l’envoyé des consuls de Nice « qu’il y avait à savoir que quand il y a une rivière qui sépare le terroir de deux domaines, tout le gravier est au plu grand prince ». Cité par G. Boréa « Incident de deux chèvres provençales et de vingt bœufs niçois », in Nice Historique, 1933, pp. 187-190.

[18] La preuve en est que lorsque les Niçois venaient s’installer en Provence, on leur délivrait non des lettres de naturalité, mais des lettres de déclaration de naturalité dont le but était de « purger le vice de leur longue absence », Françoise Hildesheimer, « Aubains ou regnicoles ? la capacité de succéder des Niçois en Provence », in Nice Historique, 1980, pp. 122-126.

[19] Geouffre de La Pradelle, La frontière, op. cit., p. 201.

[20] Art 12 : « La navigation du Rhône, dans la partie qui fera limite des deux Etats, sera entièrement libre aux sujets des deux puissances sans qu’elles puissent exiger de part et d’autre aucun droit ou impôt pour la navigation ou passage de ce fleuve, de même que les autres rivières qui par le présent règlement se trouveront mi-parties », Arch. dép. des A-M, A 10.

[21] J. A. Garidelli, « Niçois et habitants de Saint-Laurent en conflit pour la possession des iscles », in Nice Historique, 1930, pp. 104-107 et André Compan, « Episodes frontaliers dans les iscles du Var de 1814 à 1860 », in Nice Historique, 1962, pp. 1-6.

[22] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 6, Notes explicatives annexées au plan du Var de Bonson à la mer dressé par les ingénieurs topographes du roi de Sardaigne sur les instructions du président Mellarède par Antoine Durieu et Joseph Cantu (1759).

[23] Ibidem.

[24] Procès-verbaux de Vallon « adjoint à l’ingénieur du pays » et de Durieu « receveur des fermes du roi faisant fonction de commissaire de la Marine à Saint-Laurent », 11 décembre 1772 et 10 octobre 1772, Arch. dép. des A-M, C 101 bis (2).

[25] Lettre du maire de Carros Clergue l’Aîné au sous-préfet de Grasse, 25 mars 1845. Cité par Compan, « Episodes frontaliers », op. cit., p. 5. N’en concluons pas pour autant que les marchands de bois font ce qu’ils veulent ! L’ensemble de la matière est sévèrement règlementé depuis le milieu du XVIIIe siècle :  extraction, conduite, marque, protection des ouvrages d’art et des berges, etc. Les interventions de l’intendant général et du Sénat se succèdent jusqu’aux patentes du 28 janvier 1834 qui mettent en place une procédure encore plus stricte, Atti del Governo del Re di Sardegna, 1834, pp. 37-47.

[26] Une saisie par trois gardes de la brigade de Saint-Laurent d’un mulet chargé de vin au-delà du gros Var en territoire sarde, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 4, L 12 (1734). Une arrestation par des gardes français en-deçà du gros Var d’un habitant de Gattières, sujet sarde, Arch. dép. des A-M, B 28 (1735), etc. Il faut bien constater qu’on trouve autant d’interventions après 1760 : arrestation d’un Français au-delà du gros Var, Arch. dép. des A-M, B 31 (1763) ; violation de territoire par deux employés des Fermes françaises pour poursuivre des contrebandiers, Arch. dép. des A-M, B 31 (1766) ; intrusion d’employés des Fermes françaises de l’autre côté du gros Var, Arch. dép. des A-M, B 33 (1781), etc.

[27] Même si les gardes sont parfois tentés d’aller plus loin ... comme ces employés des Fermes accusés d’avoir arrêté le valet d’un chirurgien de Gattières et son mulet chargé d’un tonneau de goudron au-delà du gros Var et répliquant sans hésiter qu’ils l’auraient même fait « sur le grand chemin qui s’avance vers Nice » ! , Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo, L 16, P. 224, non daté (vers 1736).

[28] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 2, L 1, 4, 8, etc., et les études précitées de Garidelli et de Compan.

[29] Arch. dép. des A-M, A 10, PP. 15, 20, 22 et 24. La frontière est donc mouvante ! On conçoit tout ce que la règle de délimitation au « plus gros cours » peut avoir d’inconfortable pour le juriste. La doctrine propose évidemment des solutions, en distinguant par exemple selon que les variations sont réduites ou très fortes. Dans le premier cas la frontière suivrait la variation ; dans le second cas il serait préférable de s’appuyer sur le tracé des rives et de choisir la délimitation à la ligne médiane ; c’est par exemple l’opinion de Grotius, Daniel Nordman, « L’idée de frontière fluviale en France au XVIIIe siècle : discours géographique et souveraineté de l’Etat », in Frontières et contacts de civilisation, Colloque universitaire franco-suisse, Besançon-Neuchâtel, Ed. de La Baconnière, Neuchâtel, 1979, pp. 75-93.

[30] Sur cette question, Michel Bottin, Le Droit de Villefranche, Thèse droit Nice, 1974, pp. 93-96. Sur l’importance de la forêt niçoise sous la restauration sarde, André Compan, « Aperçus sur la vie économique sous la Restauration sarde. 1814-1860 », in Nice Historique, 1983, pp.136-148. L’Auteur aborde également les problèmes techniques posés par le flottage. Noter que les droits à l’exportation ont été réduits à 2% (1% pour le duché de Gênes et l’île de Sardaigne) en 1826, Arch. dép. des A-M, Fonds sarde, 271. I.

[31] Bottin, Le Droit de Villefranche, op. cit., p. 264.

[32] Sur les étapes du renforcement douanier français le long de la frontière niçoise au cours du XVIIe siècle, cf. Bottin, « Un commerce parallèle », op. cit., pp. 8 et 9.

[33] Il faut en effet distinguer pour les impositions à l’exportation entre la perception au lieu d’extraction ou au lieu de sortie. Dans le cas des droits forains et domaniaux de Provence-Languedoc, la mise en place remonte au milieu du XVIe siècle, alors que la tendance à déplacer les bureaux de l’intérieur vers la frontière n’apparaît qu’au début du XVIIes siècle, H. G. de Coriolis, Traité sur l’administration du Comté de Provence, 3 volumes, Aix, 1786-1787, au T. 2, p. 203.

[34] Premières protestations en 1608 à la suite de perceptions par les commis de la foraine de Provence-Languedoc à Saint-Laurent, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 1 , L 19, f° 56.

[35] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 4, L 6, P. 178 (début XVIIe siècle), procédure engagée par l’administration de la Maison de Savoie contre les fermiers de Saint-Laurent.

[36] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 4, L 6, P. 179. Extrait des registres. La cour n’abordait pas le problème de la souveraineté.

[37] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 4, L 6, P. 179.

[38] Juridiction spécialisée en matière d’imposition foraine, de rêve et de haut-passage. Ces juridictions disparaissent au XVIIe siècle, P. Roux, Les fermes d’impôts sous l’Ancien régime, Thèse droit, Paris, 1916, p. 590.

[39] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 4, L 6, P. 179.

[40] Ibidem. Encouragé par l’exemple des fermiers de la foraine, le seigneur de Cagnes, propriétaire d’un petit péage sur la côte de son fief de Cagnes à Saint-Laurent, se met lui aussi à percevoir un droit de 2% appelé quarantain sur les bois passant l’embouchure : le lit du Var faisait partie de son fief ! Les communautés provençales et les commerçants niçois protestèrent contre la perception de ce péage. Un procès fut engagé devant l’Amirauté d’Antibes ; l’affaire fut finalement évoquée au Conseil du roi. Celui-ci par arrêt du Conseil du 18 juin 1633 défendit au seigneur de Cagnes de percevoir son droit jusqu’à ce qu’il fasse la preuve de sa possession ; ce qui fut fait. L’année suivante un autre arrêt autorisait cette perception, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 1, L 23, P. 33, 15 juillet 1634. Vers 1630-1635 ce droit ne rapportai guère que 200 à 300 livres par an, ce qui paraît très faible, le volume des transactions dépassant certainement 18.000 livres, ibidem. Ce quarantain continua à être perçu .. et fort peu respecté, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 4, L 8.

[41] Le paiement se faisait à soit Nice, soit à Saint-Laurent, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Dritto di Villafranca, Mazzo 9, L 28, P. 566 (1734) et Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 1, P. 302, Mémoire du 13 juillet 1758. On utilisait la procédure de l’acquit à caution. Sur cette procédure, Jean-Claude Boy, L’administration des douanes en France sous l’Ancien Régime, édité par l’Association pour l’histoire des douanes, Neuilly-sur-Seine, 1976, p. 46.                   

[42] Cf. supra.

[43] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 4, L 6, P. 179.                  

[44] Les coupes destinées à l’exportation ont déjà fait l’objet de la perception du Droit de Villefranche au tarif spécial de 10% au lieu de coupe. Le contrôleur se borne à vérifier.

[45] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 1, L 24, lettre du roi de France à Madame royale au sujet des doléances transmises par le gouverneur de Provence, 22 septembre 1662.

[46] Ibidem.

[47] Cf. supra.

[48] Pas de « guerre douanière » comme celle que note pour le nord de la France Girard d’Albissin, Genèse de la frontière, op. cit., pp. 114-124 après l’application des tarifs de 1667. Cela s’explique d’abord par la faiblesse du dispositif douanier côté niçois ; les risques de représailles sont nuls. Cela s’explique ensuite par le fait que lorsque la Provence a été touchée par le tarif de 1667, celui-ci devait être combiné avec la Douane de Lyon formant un système lourd et compliqué ; l’Assemblée générale de communautés de Provence et le Parlement d’Aix on donc durablement freiné son application, Bottin, « Un commerce parallèle », op. cit., p.9. Ceci s’explique enfin parce que le contexte diplomatique est infiniment plus tendu sur la frontière nord de la France et que, d’une certaine façon, cette guerre douanière s’inscrit dans le cadre des négociations du Traité d’Aix-la-Chapelle (1668).

[49] Cf. supra.

[50] « Délibération et ordonnances faites aux Etats le 20 juin 1611 par autorité du Roi et mandement de Monseigneur le duc de Guise, Gouverneur pour S. M. en Provence », Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 1, L 19, f° 65.

[51] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 4, L 6, P. 178, 18 avril 1614.

[52] Protestation, portant uniquement sur l’imposition des bois, de la part d’une délégation niçoise envoyée à Aix le 14 septembre 1618, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 1, L 22, P. 32.  

[53] L’application du tarif de 1667 se traduit par une augmentation des droits. Il s’agissait en effet d’un tarif « de droits uniformes applicable aux frontières du Royaume, en général pas très élevé sauf pour les textiles », Boy, L’administration des douanes, op. cit., p. 27. Mais il se superposait aux tarifs existants. Dans le cas de la Douane de Lyon en vigueur dans le sud-est du royaume il fallait donc combiner les tarifs et appliquer soit le tarif de la Douane de Lyon s’il était plus élevé que celui de 1667 soit inversement celui de 1667. Sur l’application de la mesure à la frontière provençale cf. supra, note 48.

[54] Lettre du receveur des Gabelles de Nice du 12 juin 1703 annonçant cette décision,         Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 2, P. 351.   

[55] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5 L 2, P. 352, 2 peptembre 1726.

[56] Mellarède, premier président du Sénat de Nice, précise dans un mémoire que c’est sur ordre du contrôleur général des Finances du roi de France que le directeur a cédé, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 1, P. 291, f° 39, n. 5.         

[57] La Ferme générale de France est organisée en directions (38 directions en 1761). La Provence est partagée entre les directions de Marseille et de Toulon, Boy, L’administration de douanes, op. cit., p. 81.

[58] Cf. Bottin, « Un commerce parallèle », op. cit., pp. 30-33.

[59] Convention de 1724 reprise par la Convention du 4 décembre 1736 entre le receveur d’Entrevaux et les communautés du Val d’Entraunes, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 2, P. 346.

[60] « On n’exige rien à Gattières pour ce qui va ou vient de Vence, Antibes, Le Broc, Carros ... et si des Français qui passent par la vallée de Sigale pour celle de Chanant se sont de temps à autre plaints de nos receveurs dans cette partie, cela n’a jamais été que pour de légères et petites exactions qui n’ont pas de suite », Mémoire du président Mellarède, janvier 1759, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 1, P. 291, n° 52.

[61] Sommaire des instances faites par les cinq communautés du Val d’Entraunes en 1743, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 1, P. 265.

[62] Mémoire du président Mellarède, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 1, P. 291, n° 54.

[63] L’accroissement des mesures de surveillance par les gardes français le long de la frontière de la Savoie a parfois imposé à Mandrin et à ses hommes un retour par celle, bien moins gardée, du Comté de Nice. Sur la question, Georges Doublet, « Le contrebandier Mandrin dans le Comté de Nice. 1747-1754 », in Revue des lettres et arts, Nice, 1908, pp. 219-224 et Bottin, « Un commerce parallèle », op. cit., p. 14.

[64] La réforme de 1755 rationalisait les impositions douanières et péagères dans le Comté de Nice ( Droit de Villefranche, traite et transit). Elle se traduisait par une réactivation des droits par voie de terre -au demeurant très modérés- ... mais progressivement les franchises et les défauts d’application en atténuèrent la portée, Bottin, Le Droit de Villefranche, op. cit., pp. 39-40.

[65] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 1, P. 302, mémoire du 13 juillet 1758.

[66] Rapport de Ginesy, receveur de Puget-Théniers, du 29 juin 1759, qui précise que du côté sarde il n’y a pas de droit d’entrée et que pour les exportations il fait payer la traite au tarif de 1720. « Les mêmes droits, précise t-il, sont beaucoup plus forts de l’autre côté de la frontière », Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 2, P. 341.

[67] Lettre du 22 juin 1759 à propos du receveur de Cuebris qui fait payer le droit de haut-passage pour une douzaine d’œufs, soit 3 deniers et pour des « sacs du marc des olives à trois deniers par sac,    Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 1, P. 307, f° 5.

[68] Lettre du 15 janvier 1759. « Ce n’est plus 5 sous 4 deniers qu’on paye le quintal d’huile, mais 14 sols par rub : le droit du vin est monté à 1 livre 2 sous ; la charge des petits cochons à 7 sous ; du cuivre en batterie de cuisine ou autres meubles à 3 livres. La vallée est d’ailleurs obligée de payer 100 L par an pour le passage du sel avec obligation chaque fois qu’on touche le territoire de Provence de prendre un garde pour l’accompagner à qui on donne 20 sous outre la nourriture »,  Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 1, P. 292, f° 7.

[69] La réactivation du quarantain du marquis de Cagnes est certainement liée aux menaces que le Bureau des péages fait planer sur tous les péagers : recherches de titres, suppressions, rachats sur la base des recettes des années précédentes, etc. Il y avait en France au début du règne de Louis XV 5.688 péages, certains importants, la plupart très secondaires. En 1779 3.521 avaient été supprimés. La même année fut mise en place une autre commission du Conseil pour liquider les péages restants. Cette Commission développa une intense activité, Jeanne Bouteil, Le rachat des péages au XVIIIe siècle d’après les papiers du Bureau des péages, Sirey, Paris, 1925, pp. 77 sq. Noter que le péage du marquis de Cagnes existait toujours en 1787, Achard, Description historique, géographique et topographique [...] ou géographie de la Provence, du Comtat Venaissin, de la Principauté d’Orange, du Comté de Nice[...] , Aix, 1787, p. 391.

[70] Protestation adressée par les marchands de Nice au Parlement d’Aix (26 octobre 1757) contre ce péage que le seigneur de Cagnes exige « sans rime ni raison [...] sur les bois qui viennent de Nice en passant par le Var, quoique sans toucher son fief « , Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 6, L 1, P. 302, 13 juillet 1758.

[71] Andréis, Le traité franco-sarde, op. cit., p. 53, note qu’il est question de rectification depuis 1751, mais seulement  de façon épisodique. Les contacts diplomatiques ne s’engagent qu’en 1758. On peut se demander si l’attitude des fermes françaises ne peut pas s’apprécier à deux niveaux, d’une part en finir avec les inconvénients du tracé frontalier, d’autre part obtenir le meilleur tracé possible en multipliant les incidents

[72] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 6, L 4, in fine. Etat des revenus de la tratta et du transito (1757, 1758 et 1759) pour les communautés devenant françaises (Aiglun, Bouyon, Conségudes, Dosfraires, Les Ferres, Gattières, Roquestéron). Peu de choses au total : 23 L en1757, 58 L en 1758 et 37 L en 1759.

[73] La recherche de la linéarité devait poser au moins un problème militaire avec le Château de Guillaumes, poste avancé en territoire sarde d’un dispositif appuyé sur Colmars et Entrevaux ... d’autant plus que la place venait d’être fortifiée par Vauban ! Le traité de 1760 stipulait que le bourg serait rattaché au royaume de Sardaigne mais que le château serait entièrement détruit, Andréis, Le traité franco-sarde, op. cit., pp. 65 sq et 95.

[74] Pour s’appuyer sur un obstacle naturel, le village de Roquestéron fut même coupé en deux !

[75] Les difficultés de franchissement paraissent infiniment plus fortes et plus précoces -dès la fin du XVIIe siècle- dans le cas de la frontière nord de la France, Girard d’albissin, Genèse, op. cit., pp. 283-286.

[76] Lettres patentes du roi de France du 4 septembre 1575 permettant aux Pugétois d’importer les produits des terres qu’ils possèdent en Provence sans payer de foraine, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 2, P. 355. Ces dispositions font suite aux faveurs accordées par le duc de Savoie en matière de Droit de Villefranche et de Trattaforanea, Arch. di Stato di Torino, Art. 52, paragraphe 12, compte 14, 26 février 1575.

[77] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 2, P.354.

[78] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo  5, L 2, P. 356.

[79] Plainte du receveur du Broc, en Provence, au directeur des Gabelles de Nice au sujet de la perception  par son collègue niçois de Dosfraires de produits récoltés par des habitants du Broc sur des terres niçoises. Mais c’est un incident précise t-il, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 2, P. 357 (1736). Une enquête réalisée vers 1749-1750 montre que les Français respectent la franchise, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo  5, L 2, P. 361.

[80] Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 2, P. 362 (1753).

[81] Lettre du directeur de Toulon au receveur d’Entrevaux, Arch. dép. des Alpes-Maritimes, Città et Contado, Fiume Varo, Mazzo 5, L 2, P. 368 (26 juin 1754).

[82] Arch. dép. des A-M, A 10.

[83] Arch. dép. des A-M, Fonds sarde, 151 III.

[84] Ibidem.

[85] Arch. dép. des A-M, Fonds sarde, 151 III, S 10.

[86] On se plaint de la sévérité des douaniers français, à propos du passage des troupeaux, de l’obligation d’obtenir un acquit à caution pour le moindre produit, de l’absence de réciprocité, etc., Arch. dép. des A-M, 16040, rapport du 10 août 1823. Cette recherche de l’étanchéité se retrouve ailleurs. Par exemple à la frontière franco-suisse où les douaniers français exerçaient une pression considérable pour éliminer les petits ateliers de fabrication horlogère se trouvant dans la zone-frontière, François Jequier, « L’horlogerie du Jura : évolution des rapports de deux industries frontalières des origines au début du XIXe siècle », in Frontières et contacts, op. cit., pp. 159-176.

[87] Lettre de Dalmassi, syndic de Sigale, à l’intendant général, 5 juillet 1828, Arch. dép. des A-M, Fonds sarde, 151 II, S 10.

[88] Lettre d’Alziary à l’intendant général, 9 juin 1820, Arch. dép. des A-M, Fonds sarde, 151 II, S 8.

[89] Lettre d’un habitant de Bouyon, département du Var, qui possède une terre à Toudon, 1er avril 1838. Il n’a jamais payé depuis 1815 et paye depuis un an, Arch. dép. des A-M, Fonds sarde, 284 I. L’intendant général de Nice et le préfet du Var se sont rencontrés en août 1826, avec déplacement dans les communes concernées, « pour mettre fin aux contestations », Arch. dép. des A-M, 16049.

[90] Arch. dép. des A-M, Z, 19. rapport du consul de France en poste à Nice au ministre des Affaires étrangères, 31 janvier 1850, f° 357.

[91] Lettre du syndic Dalmassi à l’intendant général, 9 juin 1820, Arch. dép. des A-M, Fonds sarde, 151 II, S 10.

[92] Arch. dép. des A-M, Fonds sarde, 151 II, S 8, S 2 et série continue 16049.

[93] Sur cette distinction frontière-zone et frontière-limite, frontier et boundary en anglais, Grenzaum et Grenzlinie en allemand, cf . Geouffre de La Pradelle, La frontière, op. cit., p. 16 et Claude Blumann, « Frontières et limites », in Colloque SFDI, La Frontière, op. cit., pp. 3-33.

[94] Les douanes remplissent ainsi deux fonctions étatiques : elles donnent une « cohérence au territoire en supprimant les barrières intérieures et en les repoussant aux frontières ; elles contribuent à réaliser une politique économique nationale en contrôlant importations et exportations », Boulvert, Souveraineté et impérialismes, op. cit., p. 216.

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