Féodalité Le fief de La Roquette en 1734
 
 
 
 
 
 
 

Le fief de la Roquette, Comté de Nice,

d’après le Consegnamento féodal de 1734

 
 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Le fief de la Roquette-sur-Var (Comté de Nice) d’après le consegnamento féodal de 1734 », in Hommage à Maurice Bordes, Les Belles Lettres, Paris, 1983, pp. 113-128.
 
Les souverains de la Maison de Savoie se sont efforcés, dès le XVIe siècle, de freiner l’évolution des fiefs vers une forme d’appropriation définitive qui leur aurait progressivement interdit tout droit de regard et surtout toute possibilité de retour au Domaine. Cette politique fut menée avec un réel succès, d’abord en Piémont, puis en Savoie et dans le Comté de Nice. Le droit féodal en usage en Italie du Nord contribua beaucoup à faciliter leurs interventions : de façon générale on y considérait que le fief était une concession et donc que le concédant avait toujours la possibilité d’intervenir, sur la base des clauses d’investiture, pour protéger les droits du Domaine : rachats, retours automatiques, sanctions et plus généralement perception de multiples droits sur ces prérogatives et biens féodaux[1].
Ces interventions passaient bien entendu par une connaissance aussi précise que possible des droit, prérogatives et biens concédés. Dans bien des cas l’accumulation des concessions médiévales rendaient la reconstitution très difficile. On ne savait pas très exactement si telle terre était féodale ou non, c’est-à-dire allodiale. La multiplication des transactions avait parfois dilapidé le patrimoine féodal au point que l’Administration des Domaines se trouvait dans l’incapacité de retrouver les preuves d’une concession antérieure.
Plusieurs séries d’enquêtes menées au cours du XVIIe siècle permirent de parvenir à une meilleure connaissance de l’état de ces concessions[2] … et de réclamer les droits de succession, de mutation et d’amortissement dus au Trésor par les détenteurs de ces droits et biens depuis plusieurs générations [3]. Les communautés d’habitants qui avaient acquis depuis la fin du XVIe siècle de nombreux droits féodaux furent particulièrement visées[4].
La collecte de ces renseignements présentait néanmoins plusieurs imperfections : on se rendit rapidement compte que de très nombreux droits et biens féodaux détenus par de simples particuliers n’avaient pas été recensés et surtout que chevauchement des enquêtes dans le temps interdisait de dresser un état général des sommes dues au Trésor. Une mise au point était nécessaire : il fallait recenser dans une opération unique et limitée dans le temps tous les droits et biens féodaux des Etats de Savoie. Le « Consegnamento » de 1734 répondait à ce besoin[5].
Un édit du 16 avril 1734 imposait ainsi « à tous les vassaux et à tous les possesseurs de droits et revenus féodaux dépendant médiatement ou immédiatement du domaine direct » du souverain de consigner avant la Saint Michel entre les mains des commissaires députés pour cette opération tous les droits et biens de nature féodale. Le défaut de déclaration était sanctionné par la réduction des biens et des prérogatives. L’édit fut publié dans les communautés du Comté dans le courant du mois de mai et les premières déclarations furent reçues par les deux commissaires enquêteurs, Annibal Canosso et Clemente Gassino, au début du mois de juillet[6].
L’opération concernait donc tous les vassaux et arrière vassaux, mais aussi tous les détenteurs de biens, droits ou prérogatives de nature féodale à quelque titre que ce soit et quel que soit le détenteur, personne physique -noble ou roturier- ou morale -communauté laïque ou religieuse-.
Le seigneur n’intervient en effet jamais seul pour déclarer l’ensemble des biens et prérogatives de son fief ; celui-ci a, dans la plupart des cas, fait l’objet dans le passé d’amputations partielles : ventes, constitution de rentes et bien entendu concession du domaine utile à divers tenanciers. Tout cela devait être déclaré par les intéressés.
La déclaration devait être précise et comporter tous les renseignements nécessaires : nature, provenance, investiture, localisation, revenu ; et puisque l’opération avait un but fiscal, le déclarant devait préciser de quelles charges - trezains, cavalcades, suffertes, canons, cens …- le fonds ou la prérogative était grevé au profit du Domaine.
En rassemblant toutes les déclarations concernant un même fief, il est donc possible de reconstituer avec exactitude l’état de ce fief à un moment précis … et de vérifier l’exactitude de ces déclarations en rapprochant les opérations effectuées sur un même bien, par exemple la déclaration du détenteur du bien et celle du bénéficiaire de la rente assignée sur ce bien.
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L’exercice porte dans cette étude sur un fief du moyen pays de Nice, celui de La Roquette, situé à une vingtaine de kilomètres de Nice sur la rive gauche du Var et semblable à beaucoup d’autres fiefs de la province.
La Communauté compte 450 habitants au milieu du siècle[7] et se partage entre deux villages distincts et parfois antagonistes, d’importance à peu près égale. La Roquette, sur son rocher avec le château, Saint-Martin, en contrebas au bord du Var.
 L’enquête de l’intendant Joanini effectuée en 1754 précise que le terroir est relativement riche et permet de dégager d’importants excédents en vin et en huile[8]. Le lieu est en outre bien situé : Saint-Martin, placé face au confluent du Var et de l’Estéron est un lieu de passage quasi obligé d’une part vers Puget-Théniers et le haut-Var et d’autre part vers Roquesteron et la haute-Provence ; les habitants du lieu en tirent quelque profit. Enfin une importante activité de flottage de bois offre un travail saisonnier à une partie de la population.
Les composants du fief -juridiction, prérogatives, droits et biens- ne sont guère différents de ce qu’on trouve ailleurs dans la province, à la réserve qu’ils sont partagés entre le seigneur, la Communauté d’habitants et neuf particuliers -dont quatre indivisions- composées de roturiers ou de nobles. La juridiction par contre n’est pas divisée entre plusieurs coseigneurs comme cela est souvent le cas ailleurs dans la province[9]. On distinguera dans les développements qui suivent, d’une part les droits de justice et leurs applications et d’autre part les droits et biens féodaux
 
Prétentions et réalités seigneuriales
 
Le seigneur du lieu est en 1734 Antoine François Bonfiglio ; il a été investi du fief le 13 mars de la même année, très peu de temps avant que ne débute la « Consegnamento ». Cela a été pour lui l’occasion de se mette en règle avec le « Patrimonial », l’administration chargée du Domaine, six ans après la mort de son père Jean Paul. Il déclare le 26 décembre un ensemble impressionnant de droits et de prérogatives, certaines communes à tous les seigneurs, d’autres plus particulières ou archaïques[10]. Sont-elles vraiment exercées ?
 
Les prérogatives liées à la juridiction
Antoine François Bonfiglio déclare tout d’abord détenir la juridiction sans aucun partage et avec tous ses attributs : « mère et mixte empire », « haute et basse justice », « puissance de l’épée » -« potenza della spada »- Cette plénitude de juridiction lui confère non seulement des droits de justice, mais aussi de multiples prérogatives : la perception des droits d’albergue et de cavalcade, anciennes impositions seigneuriales[11], les droits d’usage des eaux en particulier celles du Var, les droits de chasse et de pêche, les droits sur les fours, moulins pâturages et terres gastes du lieu, la possibilité d’utiliser gratuitement pour le service de sa maison ces fours et ces moulins, le droit de faire paître son bétail sur toutes les terres incultes du lieu, le droit de taxer les troupeaux passant sur les terres du fief, le droit de ban permettant de fixer les contraventions … et de les percevoir, les droits de mutation -trezain et laudemio- sur toutes les transactions immobilières réalisées dans le fief, le droit de « prélation » -ou de préemption-  sur toute vente d’immeuble , le droit de nommer juge, greffier, huissier et tous les personnels nécessaires au fonctionnement de sa juridiction, le droit enfin de choisir le baïle, son représentant, et donc celui du roi, parmi  trois personnes élues par la Communauté, les deux autres devenant syndics. En reconnaissance de cette concession, Bonfiglio a prêté et juré fidélité au roi.
Tout cela paraît considérable, sans être exceptionnel ; les autres seigneurs font souvent des déclarations assez semblables. En réalité ces compétences sont en grande partie inappliquées, soit que des résistances coutumières en limitent ou en interdisent l’application, soit que certains droits ont été concédés à d’autres. L’énumération que donne Bonfiglio en tête de sa déclaration donne en effet une image déformée des ses pouvoirs réels. Il convient de la corriger en tenant compte des situations réelles.
C’est d’abord le cas des droits sur les eaux sur le Var ; ceux-ci consistent en deux prérogatives distinctes : le contrôle de l’installation des « artifices » -scieries et moulins- construits au bord du fleuve, et d’autre part l’usage des eaux pour l’irrigation : la première est battue en brèche par les propriétaires des moulins qui modifient l’emplacement de leurs installations en dehors de toute contrainte seigneuriale[12] ; il en va de même pour les scieries du lieu.
La deuxième prérogative n’est pas davantage exercée : les particuliers peuvent sans difficulté et sans rien débourser utiliser le limon du fleuve et son eau pour exploiter de petits jardins et on ne trouve aucune trace de redevance perçue sur les riverains au titre d’un quelconque droit d’arrosage.
Les droits sur le Var revendiqués  par le seigneur de La Roquette  envers son homologue d’Aspremont, communauté d’habitants situé environ cinq kilomètres en aval, illustrent cette distorsion entre la prérogative et l’application : Antoine François Bonfiglio déclare avoir le droit d’exiger du comte d’Aspremont -le puissant maître d’un fief qui lui rapporte d’importants revenus- une livre de poivre et le droit d’entretenir sans frais aux moulins d’Aspremont, aujourd’hui Castagniers-les-Moulins, un coq et une douzaine de chapons ou à défaut de poules, tout ceci à titre de reconnaissance des droits que le Seigneur de La Roquette possède sur le Var et donc sur les moulins. Il est inutile de préciser que cette prétention n’apparaît nullement dans la déclaration de Charles Borriglione, comte d’Aspremont[13].
Les droits déclarés sur le passage du Var restent eux aussi à l’état de prétentions. Bonfiglio explique qu’il ne peut en tirer aucun profit parce que le seigneur du lieu de Gilette, en face à Saint-Martin, Antoine François de Caïs a installé une barque « sans titre ». Cais de son côté -qui à la différence de Bonfiglio paie un canon annuel d’un écu d’or par an au Patrimonial pour tenir cette barque- se plaint que le rapport est trop faible et qu’il ne trouve plus personne pour en assurer le fonctionnement[14]... sans compter qu’il est en procès avec Gaëtan de Gubernatis seigneur du village voisin de Bonson qui émet lui aussi les mêmes prétentions[15]. Cela fait beaucoup et on comprend que les particuliers de Saint-Martin aient fini par assurer eux-mêmes le passage pour leur propre compte.
 
L’exercice de la justice
Les attributions judiciaires apparaissent comme l’élément le plus remarquable du fief. Il ne faut pourtant pas croire que le seigneur peut agir à sa guise et que cette activité lui procure de grands profits. La situation de Bonfiglio n’est guère différente de celle des autres seigneurs. Le vassal ne peut en effet administrer la justice lui-même : il doit le faire au moyen d’agents compétents et agréés par les autorités judiciaires. La basse justice est administrée par le baile -Balthasar Rainaud en 1734[16]- ; sa compétence s’étend aux affaires civiles mineures n’excédant pas 5 écus d’or : arbres coupés, menaces, vol de meubles ou d’aliments, affaires concernant les nourrices, les salaires des ouvriers agricoles, les dégâts occasionnés aux récoltes. Il prononce sans frais ni écritures : c’est un peu l’ancêtre du juge de paix. Si l’affaire est plus importante ou si elle est susceptible d’entrainer une peine corporelle il doit saisir le juge seigneurial seul compétent en matière de haute justice[17].
Le juge seigneurial est nommé pour trois ans par le seigneur mais il doit d’une part avoir les diplômes requis et d’autre part être agréé par le Sénat de Nice, cour souveraine de la province. Théoriquement il doit résider à son siège mais l’intendant Joanini remarque au milieu du siècle qu'ils résident tous à Nice ou à Sospel siège des deux préfectures, les juridictions de droit commun de la province. Les plaideurs doivent donc se déplacer[18].
Le fonctionnement de la justice est aux frais du seigneur à l’exception des vacations du baile qui sont payées par la Communauté. Par contre le juge, le greffier, le gardien de la prison sans parler des locaux -salle d’audience et prison- peuvent revenir fort cher. Le seigneur limite les frais en n’imposant au juge ni l’ob1igation de résider... ni l’exclusivité ; le même juge peut ainsi traiter les affaires de plusieurs seigneuries. Il en va de même avec les huissiers, greffiers et autres auxiliaires. De la même façon le seigneur peut faire l’économie de la fourniture des locaux en utilisant ceux de la préfecture.
Ces services ne sont pas gratuits. Même en limitant les frais au maximum, le fonctionnement d’une haute justice coûte très cher surtout pour une petite communauté de 500 habitants. Les affaires passibles de la haute justice ne sont pas assez nombreuses pour amortir les frais. Alors il n’est pas rare que les seigneurs négligent de nommer leur juge ou fassent administrer cette justice par des lieutenants de juge non agréés. Des manifestes du Sénat destinés à corriger ces imperfections se succèdent sans paraître avoir beaucoup de résultats[19].
On comprend que rares soient les seigneurs qui en 1734 déclarent quelque menu profit de justice : cela suppose que l’on ait préalablement payé tous les frais de personnel... ce qui fait déjà beaucoup. On ne s’étonnera pas de constater que le seigneur de La Roquette n’en fasse pas partie[20].
Restent les autres prérogatives rattachées à la juridiction. Les droits de chasse et de pêche ne procurent aucun revenu ; ils ne semblent d’ailleurs faire l’objet d’aucun contrôle. Là aussi la situation est semblable à celle des fiefs voisins. Les trezains -d’un montant « de douze un »- perçus sur toutes les mutations d’immeubles rapportent bon an mal an 45 livres ; de même les droits de passage perçus sur les troupeaux traversant le fief procurent un petit revenu de 10 livres. De droit de prélation est occasionnellement utilisé... dans la mesure des possibilités financières du seigneur, d’ailleurs limitées[21]. Les droits d’albergue et de cavalcade, anciens droits seigneuriaux très dévalués partout, ont été anciennement cédés à la Communauté moyennant 1 livre « coronatorum » par an [22].
 
Les démembrements du fief
 
Le fief est composé de nombreux droits et prérogatives que le seigneur peut céder à la Communauté ou à des particuliers. Les seigneurs de La Roquette ont beaucoup usé de cette pratique du démembrement, tant en matière de droits et prérogatives que de biens fonciers.
 
Les droits et prérogatives
La déclaration d’Antoine François Bonfiglio, tout aussi exhaustive qu’elle puisse paraître, comporte néanmoins des lacunes. Le seigneur ne fait en effet pas état de droits et revenus que d’autres seigneurs de même impor­tance déclarent avec soin. Le fief se trouve en effet démembré de plusieurs droits essentiels... et lucratifs. Il s’agit des droits de ban, de pâturage, de la banalité des fours et moulins et de l’usage des terres gastes. Tous ces droits ont été cédés en 1526 par Jean Lascaris, alors seigneur du lieu, à la Communauté moyennant le versement de 100 florins par an[23]. Théorique­ment ils font toujours partie du fief et Bonfiglio prend soin de préciser qu’il possède toujours un droit de rachat, opération qui au demeurant excède très largement ses possibilités financières[24].
Tous ces droits sont en effet de grande valeur parce qu’ils touchent de très près aux activités agricoles les plus essentielles à la vie de la collec­tivité. En procédant à cette transaction la Communauté obtenait en effet le pouvoir d’alléger et de réguler plusieurs charges pesant sur l’activité économique du lieu et la vie de ses habitants.
Avec le droit de ban la Communauté avait ainsi la possibilité d’édicter les règlements champêtres, de les faire appliquer par des campiers et de perce­voir le produit des contraventions. Avec les droits de pâturage elle s’assurait le contrôle de la bandite, c’est-à-dire du pâturage d’hiver et de printemps, ouvert moyennant redevance à tous les particuliers du lieu. Avec les droits sur les terres gastes la Communauté pouvait assurer aux plus démunis la jouissance libre -et entièrement gratuite si elle le désirait- des mauvaises terres. Avec la banalité des fours et des moulins la Communauté n’achetait pas seulement les immeubles mais surtout s’assurait de la gestion de ces activités fonctionnant sous monopole (interdiction de porter hors du fief les grains ou olives pour les transformer ; interdiction de construire d’autres moulins dans les limites du fief)[25].
Le seigneur s’était réservé quelques menus avantages : le droit de nommer deux campiers pour surveiller ses biens féodaux et la possibilité de faire cuire son pain, moudre son grain et triturer ses olives gratuitement.
Des difficultés financières obligeront par la suite la Communauté à céder plusieurs de ces droits. En 1642 et 1643 elle revendait les plus lucratifs d’entre eux -fours, moulins et les 2/3 de la bandite- à des particuliers[26]. Le seigneur désargenté ne put saisir l’occasion qui lui était offerte de récupérer les droits démembrés. La situation était donc originale : des particuliers avaient la maîtrise d’activités économiques essentielles fonctionnant dans le cadre d’un monopole. On imagine les problèmes que cela pouvait poser.
En 1734 la situation est la suivante : la Communauté néglige de déclarer ses droits en matière de ban et de terres gastes. Sans doute ceux-ci ne rap­portent-ils rien ... et l’ancienneté de la possession a peut-être fait oublier aux responsables communaux leur caractère féodal.
Par contre plusieurs particuliers -certains en indivision- inter­viennent pour déclarer une part de bandite, de four ou de moulin. Depuis 1642 ventes et successions ont en effet multiplié les détenteurs : cinq décla­rations pour les fours, autant pour la bandite, quatre pour les moulins ; les parts sont très inégales : cela va de Pierre Martini de Bonson qui possède 1/24e des fours à Jean-Louis Raibaudi qui détient 16 des 35 parts sur les moulins. Aucun ne possède la majorité absolue des parts[27].
Ces déclarations ne sont pas toujours très complètes ; certains déclarent le produit net perçu, d’autres le nombre de parts. En comparant ces rensei­gnements il est possible de reconstituer l’ensemble des revenus -le plus souvent payés en nature- et d’en évaluer la valeur en se basant sur les prix moyens pratiqués à l’époque[28].
Pour les fours -un à La Roquette et un à Saint-Martin- le tarif est de 1 pour 25. Le produit net s’élève à 96 rubs (le rub vaut 7 kg 79) de pain, une partie en pain blanc, une partie en pain noir. A un prix moyen de 15 sous le rub le revenu s’élève à 72 livres.
Pour le moulin à huile -tarif 1 pour 16- le produit net s’élève à 64 rubs d’huile, ce qui est faible mais 1734 a été une mauvaise année. En tenant compte du fait que les « comparticipi » des moulins sont très proba­blement payés en huile de bonne qualité - et pas en huile de recense- vendue dans le commerce 3 livres le rub, le revenu atteint 222 livres.
Pour le moulin à grains -tarif 1 pour 16- le produit s’élève à 16,5 setiers de grains (le setier, mesure de Nice, vaut 40 L, 4). Il semble que les associés n’étaient payés qu’en froment et non en céréales diverses ou en légumes secs. Le setier de froment vaut en 1734, 5 livres ; cela donne 82 livres 10 sous.
La bandite enfin, d’une superficie très modeste de 50 stérées (la stérée vaut 1 407 m2) soit environ 7 hectares rapporte net à ses propriétaires 150 livres. Au total ces droits démembrés du fief et divisés entre la Communauté et divers particuliers rapportent net 496 livres 10 sous. Pour obtenir le même revenu en plaçant son argent à 5 % sous forme de rentes -c’est le taux moyen pratiqué à l’époque- il faudrait disposer d’un capital de 9 930 livres. C’est la somme que devrait débourser Bonfiglio pour récupérer ces prérogatives démembrées ; l’opération est assurément au-dessus de ses moyens.
 
Le patrimoine foncier
Le patrimoine foncier féodal comprend le château et douze parcelles de terre. Le château est situé à La Roquette ; il a perdu tout intérêt militaire depuis longtemps mais à la différence d’autres châteaux de la région il reste habitable. Le vassal préfère cependant résider à Nice comme la plupart des seigneurs de la province[29] ; il ne loge au château que durant l’été à la fois pour surveil­ler les récoltes et pour fournir sa table en fruits et légumes frais. Un jardinet jouxte le château. Bonfiglio déclare le tout sans revenu[30].
L’ensemble des douze parcelles de terre couvre une superficie de 172 stérées soit 24 hectares -non compris la bandite- Il faut comparer cette superficie aux 600 hectares de terres allodiales détenues par les particuliers du lieu ; la proportion de terres féodales est tout à fait normale ; elle correspond à la moyenne de la province : un hectare de terre féodale pour 27 ou 28 hectares de terres allodiales[31]. Ces terres féodales déclarées par Bonfiglio sont en majeure partie de bonne qualité ; plusieurs présentent en outre l’avantage de se trouver à proximité du château. On notera d’ail­leurs que ce sont les terres les plus proches qui rapportent le plus au seigneur. Bonfiglio possède ainsi à quelques centaines de mètres du château, à l’est du village de La Roquette une belle terre de 31 stérées, soit un peu plus de 4 hectares en partie complantée de vignes, d’oliviers et d’arbres fruitiers et en partie ensemencée de céréales[32]. Deux bergeries et un colombier y sont construits. La terre est exploitée en colonage partiaire et Bonfiglio déclare en retirer net, déduction faite des semences, 22 setiers de céréales diverses, 25 rubs d’huile, 6 charges de vin (la charge vaut 941.3, mesure de Nice) et 6 setiers de fruits[33]. Sur la base d’un prix moyen pour chacun de ces produits, le revenu s’élève à 166 livres.
Une seconde terre de 7 hectares, un kilomètre plus au sud, au quartier du Cluot, offre encore davantage d’intérêt. La propriété présente l’aspect d’une cuvette bordée au sud par le vallon séparant La Roquette de Levens. La partie basse est partiellement irrigable ; sur les coteaux dominent les oliviers ; une source et une maison complètent les avantages de ce qu’on peut considérer comme le plus bel élément du patrimoine foncier de Bonfiglio : 40 stérées sont exploitées par des colons : le seigneur perçoit net 50 rubs d’huile, 8,5 setiers de grains, 1 charge de vin ; 10 stérées -la partie dite du Cordet- ont été concédées en « emphytéose perpétuelle »[34] au début du siècle à Abraham De Costa, juif natif d’Amsterdam et habitant Nice[35]. Il paye pour cela tous les ans à la Saint-Michel un cens de 50 livres 15 sous et 12 fagots de roseaux pour tuteurer les légumes à rames. Au total cette propriété du Cluot rapporte environ 200 livres, en revenu potentiel du moins, car le cens de 50 livres 10 sous a été vendu par le seigneur sous forme d’une rente constituée à Ange Raibaudi de Saint-Martin du Var, en contrepartie d’un capital de 1 015 livres versé en 1712 par ce dernier à Alexandre Laugier, alors seigneur du lieu. Cette rente est assignée sur le fonds du Cordet et Ange Raibaudi la déclare donc comme un bien féodal[36].
Une autre rente de 156 livres par an est assignée sur l’ensemble des deux fonds précités - à l’exclusion de la parcelle du Cordet vue ci-dessus et déjà grevée d’une rente correspondant à la totalité de son revenu- au profit de Charles Joseph Ricci, coseigneur de Châteauneuf de Contes[37]. La rente a été consti­tuée quelques années auparavant, le 17 mai 1730, contre la remise d’un capital de 3 900 livres ; cette somme était due par Antoine François Bonfiglio à Ricci au titre de la restitution de la dot de sa belle-sœur Marie Madeleine Ricci veuve de Pierre Alexandre Bonfiglio, frère d’Antoine François. Connaissant les difficultés financières du seigneur de La Roquette, Ricci avait préféré pour plus de sécurité assigner une rente sur les deux plus belles propriétés du fief. L’assignation donnait ainsi à sa créance un caractère immobilier et en faisait une sorte de propriétaire partiel des fonds assignés. Ricci s’empresse d’ailleurs de déclarer cette rente au commissaire enquêteur dès le 9 juillet[38].
Toujours à proximité de La Roquette au quartier des Crottons, Bon­figlio possède un fonds de terre de près de 3 hectares complantée d’oliviers, de vieilles vignes, en partie inculte ; il est exploité par plusieurs emphytéotes qui doivent verser le cinquième des récoltes[39]. Le seigneur déclare percevoir 2 setiers de grains, 1,5 charges de vin, un peu d’huile et quelques rubs de fruits et de légumes. Le tout peut monter à 20 ou 25 livres.
Bonfiglio déclare également détenir non loin de là une belle terre dé­nommée Le Fonti, d’une superficie d’un hectare, entièrement arrosable avec prés et jardin. Il évalue son revenu annuel à 150 livres mais se dit incapable de préciser le détail, la campagne étant détenue « abusivement » par plusieurs particuliers suite à une vente faite par son père Jean-Paul le 20 juillet 1715. Il estime que l’opération s’est déroulée de façon irrégulière en ne tenant pas compte du caractère inaliénable du fief, celui-ci étant grevé d’une primogéniture depuis le décès d’Alexandre Laugier, prédécesseur de son père, le 7 mai 1715, à peine plus de deux mois avant la vente[40]. Un procès est en cours devant le Sénat de Nice. On notera que les détenteurs de la terre n’apparaissent pas dans le « Consegnamento » de 1734.
Deux autres terres féodales, essentiellement des prés, sont détenues par la Communauté en vertu d’une transaction passée en 1677 avec le seigneur. L’une à La Roquette -le Camp- d’une superficie de 3 hectares, l’autre à Saint-Martin, au bord du Var près de l’embouchure du vallon de Recastron d’une superficie de 2 hectares, avec une bergerie et une maison détruites ; la campagne est en partie inondée par le Var. Le seigneur précise que la Communauté lui doit pour le prix de ces terres une rente d’un montant de 100 florins par an, soit environ 100 livres, mais se trouve dans l’impossibilité d’en indiquer le revenu exact[41] ; la Communauté nous l’apprend en déclarant de son côté que les deux terres sont louées 200 livres par an [42].
Il reste une demi-douzaine de parcelles de petite dimension ne rappor­tant rien ou peu de choses, pour des raisons diverses d’ailleurs. Une terre inculte à La Roquette près de la chapelle Sainte-Catherine. Un champ au Coinat « occupé » par un particulier qui néglige de payer le cens de 6 livres. Un autre champ au Puey, au sud de Saint-Martin, exploité par plusieurs tenanciers ; le total des cens s’élève à 6 livres. Une terre inculte à La Colletta, quartier de La Condamina et enfin deux champs -La Cognasse et l’Adrech- en contrebas de La Roquette et juste au-dessus de Saint-Martin, occupés par des particuliers ; l’un par le capitaine Raibaudi, et l’autre par Ange Raibaudi qui en principe doit 1 setier de grains mais s’en prétend affranchi.
Au total le revenu net de ces parcelles -produit en nature et cen- s'élève à 774 livres 5 sous. Déduction faite des ventes, des occupations sans titre, et des rentes assignées Bonfiglio n’en perçoit que 306 livres 10 sous[43].
 
Conclusion. Un cas de féodalité très tempérée.
Une importante partie des revenus du fief est donc partagée entre divers particuliers : sur un revenu total de 1 431 livres 15 sous, il leur en revient 814 livres 5 sous ; la Communauté perçoit 150 livres, le seigneur 467 livres 10 sous[44]. Ce calcul ne prend bien évidemment en compte que les revenus. Plusieurs avantages ne sont ainsi pas comptabilisés : l’usage des terres in­cultes pour les bêtes du seigneur, l’utilisation gratuite des fours et moulins... sans parler du château ; pour la Communauté, sa part dans les biens féodaux ne se limite pas à une partie de bandite et à deux fonds de terre, il faut tenir compte des prérogatives détenues et volontairement non exercées. Il n’en reste pas moins que la répartition des revenus -nonobstant toutes les corrections que l’on pourra effectuer sur la valeur réelle des productions agricoles, le caractère ponctuel de l’année de référence 1734. - montre concrètement jusqu’où peut aller le morcellement d’un fief, alors même que la juridiction n’est pas partagée entre plusieurs coseigneurs.
Le phénomène n’est pas exceptionnel ; il est simplement dans le cas étudié ici un peu plus accentué qu’ailleurs dans la région. Il permet en tout cas de présenter une image inversée de la féodalité « lourde » si prospère sous d’autres cieux. Dans le cas de La Roquette, le « consegnamento » permet de décrire la situation d’un petit seigneur désargenté dont les prédécesseurs ont dilapidé le patrimoine féodal ... et qui, « bénéficiaire » d’un droit de primogéniture, n’a plus le droit d’en vendre la moindre partie.
Le « Consegnamento » permet aussi de définir la position féodale d’une Commu­nauté, aux finances autrefois prospères, qui a tenté de récupérer la féodalité au profit de la collectivité... au prix d’un endettement croissant. Sa déclaration en 1734 ne laisse apparaître que quelques vestiges de cette politique.
Enfin, le « Consegnamento » permet de souligner les fortes positions des particuliers dans le patrimoine féodal : quelques petits notables ruraux s’en partagent la plus grande partie comme s’il s’agissait d’un patrimoine ordinaire.
 Comme on peut le constater, le fief de La Roquette présente tous les caractères d’une féodalité très « tempérée »[45].
 
 
 

[1] M. Bottin, « Controverse sur l’application aux fiefs niçois des principes des  Libri Feudorum (XVIIe-XVIII siècles), dans Recueil de la Société d’Histoire du Droit des anciens pays de Droit écrit, vol. XI, 1980, p. 99-112.
C’est sur les conseils du Professeur Bordes que ces études sur la « féodalité tardive » dans le Comté de Nice ont pu être engagées. Qu’il en soit ici remercié.

[2] Les enquêtes se succèdent avec régularité à partir du XVIe siècle (Deporta 1532-1533, Depetra 1554-1556, Galli 1550-1560, Giugliaris 1567-1568, Bonfiglio 1621-1622, P. Auda 1645- 1662, F. Auda 1679-1694, Mainardi 1688-1699). Cf. l’État des droits féodaux dressé par Pierre Mellarède, intendant du Comté en juin 1701, Arch. dép. des A-M., Citta e Contado. Mazzo 9.L-30 (registre). Sur Mellarède, P.L. Malaussena, « L’intendance de Pierre Mellarède dans le Comté de Nice », dans Cahiers de la Méditerranée, 1979, n° 18, p. 29-36.

[3] Les premiers intendants du Comté, Morozzo, Nicolis de Robilant et Mellarède multiplièrent les interventions en ces domaines. Sur les intendants de la province, H. Costamagna, « Les intendants du Comté de Nice au XVIII siècle », dans Cahiers de la Méditerranée, 1979, n° 18, pp. 13-27.

[4] Canestrier, « L’inféodation des communes du Comté de Nice à la fin du XVIIe siècle » dans Nice Historique, 1944, pp. 91-101.

[5] Arch. dép. des A-M. C. Registres 2 et 3.
L’enquête concerne l’ensemble des États de Savoie, à l’exception de quelques situations particulières (comme les territoires des villes de Nice et de Sospel). Pour le Comté de Nice, les deux registres rassemblent 196 déclarations : 109 de seigneurs ou coseigneurs, 26 de communautés d’habitants, seigneurs ou non de leur lieu, et 61 de particuliers roturiers ou nobles.
Une trentaine de fiefs -sur un total de 97- ne sont pas déclarés : il s’agit là de fiefs détenus par des seigneurs domiciliés en Savoie ou en Piémont et titulaires de droits féodaux en dehors du Comté ; ils avaient la possibilité de choisir le lieu de déclaration. Inversement quelques seigneurs niçois déclarent des droits en Piémont ou dans la Principauté d’Oneglia. La proportion de fiefs non déclarés à Nice correspond d’ailleurs à celle des vassaux d’origine piémontaise ; M.H. Siffre, La Noblesse du Comté de Nice au XVIIIe siècle, Thèse 3e cycle, Nice 1976, p. 104 en dénombre 28.
Plus remarquable est le faible nombre de déclarations de communautés d’habitants -26 sur 86 !- Toutes ne détiennent pas de biens ou de prérogatives féodales, mais leur nombre est assurément supérieur à 26. Il y a là un signe manifeste d’opposition aux entreprises du Patrimonial. Un recensement réservé aux seules communautés sera d'ailleurs organisé en 1753. Arch. dép. des A-M. B. reg. 271 et 272.

[6] Les déclarations devaient être faites avant la Saint Michel. Un édit du 29 septembre prorogea les délais jusqu’à la fin de l’année. Cela fut insuffisant, en particulier pour les vassaux se trouvant en campagne ; un troisième édit du 28 janvier 1735 l’étendit jusqu’au 10 mars. Arch. dép. des A-M. C. 2. f° 318.

[7] Arch. dép. des A-M. Citta e Contado. Fiume Varo. Notes annexées au plan Cantu-Durieu.

[8] E. Hildesheimer, « Aspects de la Vallée du Var. La Roquette-Saint-Martin » dans Nice Historique ,1967, p. 37.

[9] Cf. Annexe 1. Annexes

[10] Arch. dép. des A-M. C. reg. 3. f° 489 sq.

[11] L’albergue était perçue pour l’hébergement des officiers du souverain, la cavalcade pour celui des hommes d’armes.

[12] M. Bottin, « Les moulins de La Roquette-Saint-Martin au XVIIIe siècle », à paraître dans Nice Historique.

[13] Arch. dép. des A-M. C. reg. 3 f° 635-655.

[14] Arch. dép. des A-M. C. reg. 2. f° 159.

[15] Arch. dép. des A-M. C. reg. 2. f° 122.

[16] Arch. dép. des A.M. C. reg. 3. f° 323.

[17] H. Costamagna, Recherches sur les institutions communales dans le. Comté de Nice, Thèse 3e cycle. Nice 1971, p. 275 sq.

[18] H. Costamagna, Institutions communales, op. cit., p. 134

[19] Arch. dép. des A-M. B. reg. 2, 3, 49, 50.

[20] Arch. dép. des A-M., C. reg. 3. f° 490.

Sur la décrépitude des justices seigneuriales et les problèmes qu’elles soulèvent, cf. Jean Bastier, La féodalité au siècle des Lumières dans la région de Toulouse (1730-1790), Paris, 1975., pp. 102-138. Commission d’Hist. éco. et soc. de la Révolution française.

[21] Le 20 janvier 1746 Bonfiglio use ainsi de ce droit pour acheter une maison à La Roquette. La vente avait été conclue entre Verola, vendeur et Jean Ludovic Revello acheteur le 22 décembre précédant pour le prix -extrêmement bas- de 140 livres. Arch. dép. des A-M., C. reg. 399. f° 7. Ce droit de prélation s’exerce à « 5 sous meno » du prix pratiqué. Dans le cas présenté ci-dessus, Bonfiglio déclare vouloir payer les 140 livres et non 139 livres 15 sous comme il en avait la possibilité. Après une aussi bonne affaire on comprend la générosité.
Il faut noter que ces droits de trezain et de prélation lorsqu’ils peuvent être exercés sur la totalité des lieux situés dans les limites du fief comme c’est le cas ici -et pas seulement sur les biens féodaux concédés- sont des prérogatives remarquables, moins pour ce qu’elles rapportent que pour ce qu’elles représentent : elles prouvent l’existence d’une « directe » seigneuriale sur l’ensemble des biens des habitants du lieu, directe toute théorique puisque ne comportant aucun autre signe de reconnaissance.

[22] Arch. dép. des A-M., C. reg. 3. f° 491.

Cette livre « coronatorum » a été convertie au XVIe siècle à deux livres et demi « parvorum » (Arch. dép. des A.M. Citta e contado. Mazzo 9.L.30. f° 81). Au début du XVIIIe siècle la livre « parvorum » valait près de deux florins (10 livres parvorum = 6 florins monnaie de Nice) soit approximativement 2 livres ; le florin monnaie de Nice est en effet converti dans les actes du « Consegnamento » de 1734 à 15 ou 20 sous.

[23] Arch. dép. des A-M. Citta e Contado. Mazzo 9, L 3, f° 21.

[24] Le seigneur de La Roquette est très endetté. Le fils d’Antoine François, Jean Ludovic sera d’ailleurs obligé de vendre le fief en 1777 pour le prix de 42 000 livres ( Cf. Arch. dép. des A-M., B. reg. 191. f° 145 sq.) pour le règlement judiciaire du passif des successions Laugier et Bonfiglio et le « concorso » des créanciers admis (1727) et série B. reg. 54. f° 115 sq. pour la vente du fief (1777). Cinquante ans d’attente !

[25] M. Bottin, « Les moulins de La Roquette-Saint-Martin », op. cit.

[26] Arch. dép. des A-M. Citta e Contado Mazzo , L 3 f° 81.

[28] Les prix des denrées sont calculés dans la mesure du possible à partir de sources con­cernant l’année 1734. Le « Consegnamento » en fournit quelques-uns :
Huile : 3 livres le rub (C 2. f° 186) ; le prix peut chuter à 1 livre 10 sous pour une huile de qualité inférieure mais on trouve des huiles « lavées » -de « recenso »- à 50 sous, soit 2 livres 10 sous le rub (C 2. f° 411) ; dans l’enquête de Joanini (E. Hildesheimer, op. cit, p. 37) le prix de l’huile ressort aussi à 3 livres.
Pain : 15 sous le rub, prix moyen selon la qualité (C 3. f° 306).
Froment : 5 livres le setier (C 2. f° 399) ; 12 livres le sac de 5 émines (125 litres), soit environ 4 livres le setier, dans l’enquête de Joanini.
Seigle : 7 livres 10 sous le sac de 5 émines (enquête Joanini) soit environ 2 livres 10 sous le setier.
Vin : 5 livres la charge (en mesure de Nice, un peu moins de 100 kg), C 2. f° 305. Les indi­cations de Joanini donnent 6 livres l’hectolitre.

[29] M.H. Siffre, La Noblesse Niçoise, op. cit. p. 37, ainsi que les différentes déclarations du « Consegnamento * concernant les seigneurs.

[30] Arch. dép. des A-M., C 3. f° 490.

[31] Le décompte a été effectué à partir de L’état sommaire de la Ville et Comté de Nice réalisé en 1701 (Arch. dép. des A-M. Citta e contado. Mazzo 9. L. 13.) : 57 « giornate » de terres féodales, 1568 de terres allodiales, 462 de rochers et terres gastes (ce qui donne 21 hectares 66 ares pour les terres féodales et 595 hectares 84 ares pour les terres allodiales. La « giornata » mesure piémontaise vaut 38 ares). En 1734 le recensement donne 24 hectares de terres féodales... ce qui peut paraître normal l’opération de vérification étant plus précise que celles qui ont précédé. En 1701 pour le Comté et la Vallée de Barcelonnette le total des terres féodales s’élevait à 13 607 journées contre 389 839 pour les terres allodiales.

[32] En partie de froment et en partie de « marsasques » (orge, seigle, avoine), céréales qui se sèment au printemps. On ne cultive dans la région que le froment d’hiver. F.M. Fodéré, Voyage aux Alpes-Maritimes, 2 vol., Paris, t. 2, p. 41.

[33] La part « colonica » c’est-à-dire la part restant au colon est en général de la moitié. Pour le vin et l’huile elle peut se réduire au tiers (Arch. dép. des A-M., C. Reg. 3, f° 305, et reg. 2, f° 165) ; cela dépend des lieux.

[34] L’emphytéose est le mode de tenure en usage dans le Midi. Il s’agit d’un contrat par lequel le propriétaire démembre son droit de propriété en concédant le domaine utile et en se réservant le domaine éminent. Le preneur paye un droit d’entrée (l’acapte), un cens annuel, et une faible part des fruits (la tasque) au taux de 1/13e ou de 1/20e. Parfois cens et tasque ne font qu’un. L’emphytéote peut aliéner avec le consentement du concédant qui dans tous les cas conserve un droit de prélation ; il peut évidemment donner sa terre en colonage pour la faire exploiter. Aux XVIIe et XVIIIe siècles les droits de l’emphytéote sont très consolidés ; il est à peu près l’équivalent d’un propriétaire. R. Aubenas, La propriété foncière dans les pays de Droit écrit, Cours Droit, réimpression 1978, pp. 70 sq. et 106.

[35] Cette concession n’a rien d’exceptionnel ; ainsi dans le fief voisin de Saint-Blaise, l’Abbaye de Saint-Pons, seigneur du lieu, a concédé à la fin du XVIIe siècle deux fonds de terre à des tenanciers d’origine juive (dont un nommé Raphaël De Costa) Ch. A. Fighiera, Saint- Blaise. Notes d’Histoire, Nice 1973, pp. 32 et 34.

[36] La constitution de rente est une aliénation partielle puisqu’elle aboutit à faire passer au crédirentier une partie des revenus de l’immeuble. La rente constituée est un droit réel immobilier qui confère à son propriétaire des droits très forts ; elle peut se vendre, se léguer indépendamment de l’héritage qui la porte. En France les rentes constituées perdront leur caractère de charges réelles à partir du XVIe siècle ; elles deviennent alors de simples créances, détachées de toute référence immobilière ; elles sont de plus en plus un instrument de crédit privilégié. Dans les États de Savoie par contre du fait d’une méfiance accentuée vis à vis du prêt à intérêt et de l’usure (« L’argent ne fait pas de petits », « le temps ne se vend pas » ...) on a appliqué jusqu’à la fin du XVIIIe siècle deux bulles du pape Pie V (19 janvier 1569 et 10 juin 1570) réprouvant les rentes sans assignat immobilier déterminé ; ces bulles ne furent pas reçues en France. Merlin, Répertoire de jurisprudence, 1815, Art. « Rente constituée ». Cf. pp. 403 sq. les particularités de la jurisprudence piémontaise. La rente payée à Raibaudi est donc un « censo bollare » -cens bullaire- conforme aux principes énoncés par le Saint-Siège.

[37] Joseph François Ricci deviendra plus tard baron des Ferres et préfet (juge) de la Ville et Province de Nice. C.A. Fighiera, Saint-Biaise, op. cit., p. 46.

[38] Arch. dép. des A-M., C. reg. 3. f° 19.

[39] Tasque et cens sont ici confondus.

[40] Le terme est synonyme de « droit d’ainesse » ; il n’est pas utilisé en France. La primo­géniture est une substitution fidéicommissaire qui permet de transmettre un patrimoine ou un bien au fils aîné, à charge pour lui de le conserver et de le transmettre à sa mort à son fils aîné (à défaut les filles peuvent être appelées). Depuis la fin du XVIe siècle, dans les États de Savoie, les primogénitures, comme tous les fidéicommis, ne peuvent s’étendre au-delà de quatre degrés. L’aliénation des biens fidéicommissés doit être autorisée par le Sénat ; elle n’est possible que pour des opérations déterminées (constitution, restitution ou augment de dot, douaires, répa­rations des biens, vente et réemploi à l’avantage du bien fidéicommissé). Merlin, Répertoire, op. cit., Art. « Primogéniture » et F.A. Duboin, Raccolta delle leggi, Turin, 1831, t. 5, vol. 9, pp. 183 sq. Il semble bien que l’opération contestée n’ait relevé d’aucune de ces possibilités d’aliénation.

[41] Il s’agit ici d’un bail à rente. Celle-ci est la contrepartie de l’aliénation ; elle n’est pas une simple créance hypothécaire mais une charge de l’immeuble. Le paiement du droit de trezain par la Communauté souligne d’ailleurs qu’il y a eu vente. Toutefois la rente versée au seigneur ne correspond pas à la valeur des fonds aliénés : une bonne partie a en effet été payée comptant ; la Communauté déclare d’ailleurs devoir payer 250 livres par an aux héritiers Giuglaris pour le remboursement des sommes prêtées pour l’achat des deux terres. Arch. dép. des A-M., C. reg. 3, f° 320.

[42] Arch. dép. des A-M., C. reg. 3, f° 320.

[43] Cf. Annexe 3 Annexes

[44] Cf. Annexe 4. Annexes

 

[45] La mesure de la charge féodale a fait l’objet de nombreuses controverses liées d’une part au choix des critères (le rapport entre les revenus des prérogatives et le revenu des terres ; le rapport entre le revenu total et la superficie ou la population du fief ; le rapport entre le revenus du fief et le revenu du seigneur ; le rapport entre le produit du fief et les impositions royales ; le rapport entre le produit du fief et le revenu total des habitants du lieu ; le rapport entre les droits féodaux et les revenus des censitaires, etc.), et d’autre part à la difficulté de travailler sur des sources homogènes (diversité des provenances et dispersion dans le temps). Cf. Jean Bastier, La féodalité... op. cit., pp. 257 et sq. ou encore A. Soboul, « Le prélèvement féodal au XVIIIe siècle », dans L’abolition de la féodalité dans le monde occidental, CNRS, 1971. La présente étude a cependant un caractère trop ponctuel pour qu’il paraisse utile de s’engager dans de tels calculs... et dans de telles controverses.
 
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