Féodalité Controverse sur application Libri Feudorum
 
 
 
 
 

 

Controverse sur l’application aux fiefs niçois

 des principes des Libri Feudorum aux XVIIe-XVIIIe siècles


 
 
Pour citer : « Controverse sur l’application aux fiefs niçois des principes des Libri Feudorum aux XVIIe-XVIIIe siècles », in Recueil des mémoires et travaux de la Société d’Histoire du droit des anciens pays de droit écrit, XI, 1980, pp. 99-112.
 
 
 
Le droit féodal français des XVIIe et XVIIIe siècles manifeste peu d’intérêt pour les Libri Feudorum[1] et leurs applications ; peu nombreux sont les auteurs qui y font référence et, lorsque cela arrive, c’est surtout pour rappeler que si cette compilation annexée au Corpus Juris Civilis avait pu autrefois avoir en certaines régions quelque autorité cela n’était plus guère le cas ; sans doute à la fin du XVIIe siècle et encore au XVIIIe siècle certains, à la suite de Cujas, acceptent-ils de reconnaître aux Libri Feudorum et à leurs principes quelque influence, mais à la condition que la coutume ne soit point contredite ; d’autres plus en retrait,  comme d’Argentré, les considèrent sans utilité et ne justifient leur étude dans les écoles de Droit qu’à titre purement pédagogique[2].
On considérait ainsi de façon de plus en plus générale que les Libri Feu- dorum faisaient partie d’un système juridique étranger au droit français et que celui-ci ne pouvait faire référence à une compilation de droit féodal hétérogène, confuse et dominée par les constitutions impériales rendues en cette matière[3]. Pour les auteurs français du XVIIIe siècle les Libri Feudorum étaient devenus synonymes de droit lombard ou allemand.
Ce retrait progressif de l’influence des Libri Feudorum, même dans les pays de droit écrit et même dans d’anciennes terres d’Empire comme le Dauphiné[4], fixe ainsi les positions et permet d’opposer très nettement, surtout au XVIIIe siècle, deux approches du droit féodal, l’une de droit lombard ou germanique, l’autre de droit français.
 
Nature et autorité des Libri Feudorum
En droit français, la coutume - « qui n’a point d’autre titre qu’elle même » comme le précise Salvaing de Boissieu[5]- règle la matière des fiefs. Sans doute existe-t-il des nuances régionales parfois marquées, mais il se dégage de l’ensemble ce que d’Aguesseau appelle un « droit commun au Royaume »[6] favorable à une quasi patrimonialité des fiefs[7]. Le renforcement des droits des vassaux y apparaît comme une constante[8] ; d’ailleurs les plus grands auteurs en la matière -tels Germain-Antoine Guyot ou Pothier- reprennent la célèbre formule de Dumoulin, Feudum est benevola, libera et perpetua concessio [9], et encouragent ainsi cette tendance. Seuls quelques rares auteurs tardifs comme Hervé contestent que la perpétuité puisse être « l’essence du fief, puisque les premiers fiefs n’étaient qu’à temps »[10].
Les auteurs qui s’appuient sur l’autorité des Libri Feudorum abordent la matière de façon radicalement différente ; par-delà des différences d’inter­prétation parfois fort marquées, tous s’accordent à reconnaître à la clause d’inféodation une place primordiale [11]. Goetmantz reprenant ce principe de base des Libri Feudorum à propos des fiefs alsaciens précisait : « La teneur de l’investiture est la première loi ; à son défaut c’est la coutume locale ; à défaut de celle-ci la disposition expresse du droit commun des fiefs ; la dispo­sition manquant c’est l’esprit et le sens des coutumes féodales qui doivent servir de règle et ce n’est que subsidiairement qu’on a recours au droit écrit »[12].
Aucune coutume générale ne peut donc uniformiser la diversité des clauses de concession comme cela est le cas en droit français ; certaines permettront les plus larges possibilités de succession et d’aliénation, d’autres au contraire restreindront considérablement les droits du vassal ; la variété des situations est immense. Sans doute ne faut-il pas exagérer cette diversité : en pratique il est fréquent que dans une même région dominent des clauses identiques ou de type voisin ou qu’une interprétation coutumière atténue la diversité. Mais l’exception reste toujours possible. Cette approche explique l’intérêt que portent les juristes italiens ou alle­mands au problème de la nature du fief, question qui n’intéresse guère le droit français[13]. Elle rend leur démarche assurément plus théorique, mais en pratique elle a l’avantage d’aborder de façon plus diversifiée les pro­blèmes de droit féodal.
Pour les feudistes italiens ou allemands des XVIIe et XVIIIe siècles la matière se trouve ainsi dominée par la distinction entre fief « propre » et fief « impropre ». Les premiers sont tenus recte, pure et simpliciter ; soumis à des règles de succession et de transmission extrêmement strictes ils ne peuvent être aliénés qu’avec le consentement exprès et exceptionnel du seigneur direct. Inversement, le fief impropre est celui dont les clauses de concession dérogent d’une façon plus ou moins accentuée au caractère « recte et propre» ; on dit que ces fiefs sont «non recta et degenerantia» ; les clauses les plus fréquentes et les plus remarquables d’ « impropriété » portent sur la succession des fiefs -admission des femmes, des agnats, du conjoint- et sur la possibilité d’en disposer librement, avec ou sans restriction au profit du Domaine[14].
Ces distinctions ont en effet pour le Domaine un intérêt majeur : ses droits apparaîtront d’autant plus importants que la clause de concession sera plus restrictive ; il n’est ainsi pas rare qu’un fief puisse faire retour au Do­maine -pratique difficilement admissible en droit français sauf pour les engagistes[15]- par suite d’absence d’héritiers directs ou par application d’une clause de rachat. Ceci permet bien évidemment d’aborder les questions de limitation et d’abolition des droits féodaux en des termes radicalement différents, et aussi de façon plus efficace, qu’en droit français[16].
Toutes ces oppositions et distinctions apparaissent nettement dans les pratiques féodales des Etats de la Maison de Savoie et de façon plus précise encore dans le Comté de Nice -région touchée par les pratiques féodales provençales- à propos d’une controverse portant sur l’application aux fiefs niçois des principes des Libri Feudorum.
Le débat sur l’aliénabilité des fiefs
Deux approches du droit féodal coexistent dans les Etats de Savoie ; une coutume favorable à une quasi patrimonialisation dominait en Savoie ; la Chambre des Comptes de Chambéry tout en contribuant à fixer cette coutume, œuvra cependant avec succès pour généraliser l’établissement d’un droit de rachat au profit du Domaine. L’édit du 5 août 1752 devait très nettement reconnaître cette double qualité -quasi patrimonialité mais droit de rachat[17] et servir ainsi de base à l’édit d’affranchissement général des fiefs savoyards de décembre 1771[18].
Les autres provinces des Etats de Savoie faisaient toutes partie du ressort de la Regia Camera de Conti de Turin[19]; on y rejetait très largement l’approche coutumière : seule l’investiture, interprétée au cas où ses termes ne seraient pas assez clairs à la lumière des pratiques locales, pouvait servir de loi au fief. S’appuyant sur ce principe de base la Regia Camera se refusait ainsi à élargir trop systématiquement l’interprétation des clauses de concession les plus restrictives -«pro se, heredibus et successoribus» et «pro se heredïbus, succes- soribus quibuscumque» ; à l’opposé elle acceptait sans difficulté de recon­naître le caractère totalement impropre, héréditaire et aliénable de fiefs concédés sous des mentions d’investiture précisant explicitement la libre disposition du fief.
Sa jurisprudence apparaît homogène pour l’ensemble des régions concernées sauf dans deux cas : celui du Montferrat où les fiefs étaient reconnus, confor­mément à la coutume, comme aliénables mais avec le consentement du sei­gneur direct ; celui du Comté de Nice dont les fiefs inféodés par la Maison de Savoie sous la clause «pro se successoribus, heredibus quibuscumque» étaient considérés «à l’instar des biens allodiaux», contrairement à ce qui se pratiquait en Piémont[20] ; ceci laissait d’ailleurs penser que les fiefs niçois inféodés sous des clauses plus restrictives n’étaient pas aliénables. C’est sur ce point que porte l’essentiel de la controverse.
 
La coutume ou la clause d’investiture
On estimait en effet à Nice, et même dans certains milieux turinois, que la coutume féodale provençale s’appliquait aux « anciens » fiefs niçois -c’est-à-dire aux fiefs concédés avant 1720 -et que cette application rendait sans intérêt tout examen des clauses de concession. Personne dans le Comté de Nice ne doutait en effet du caractère totalement aliénable et héréditaire des concessions faites par les comtes de Provence antérieurement à 1388, c’est-à-dire avant la « Dédition » de Nice à la Maison de Savoie, et cela quelle que soit leur clause d’investiture [21].                                                                                 Pour les inféodations postérieures à 1388, on pouvait avoir quelque doute, mais l’interprétation très large par la Regia Camera de la clause «pro se successoribus, heredibus quibuscumque» -excluant l’interprétation piémontaise très restrictive[22]- créait une présomption de «provençalité» . D’ailleurs la Maison de Savoie, en procédant au XVIIe siècle et au tout début du XVIIIe à des concessions au caractère très nettement quasi patrimonial, semblait bien se prêter à une telle orientation. Cette tendance se renforça encore davantage avec la nomination au poste de procureur général de la Regia Camera d’un niçois, Jean-François Maistre, favorable à la thèse coutumière et quasi patrimoniale[23]. Maistre proposa ainsi en 1755, à la suite de difficultés apparues au sujet de la divisibilité des fiefs niçois de reconnaître tout simplement par voie réglementaire le caractère totalement impropre et héréditaire des fiefs niçois[24]. Le projet de Maistre était presque identique à celui publié trois ans auparavant pour les fiefs savoyards. Un droit général au profit du Domaine avait même été prévu alors que, comme l’avouait le procureur général, « on n’avait à propos des fiefs niçois, ni arrêt ni édit qui établisse un tel droit » [25]. La Commission réunie pour examiner le projet de Maistre supprima d’ail­leurs le droit de rachat comme non conforme aux pratiques locales[26]. Le roi approuva cependant le 13 octobre 1756 le texte destiné à être publié sous forme de lettre patente [27].
 
L’action de la Regia Camera de conti de Turin
La Regia Camera, estimant que le projet faisait trop bon marché des droits du Domaine, refusa d’enregistrer. Sans doute l’absence de droit de rachat compta-t-elle dans la décision de la cour, mais il semble bien que le reproche majeur fait au projet portait sur la reconnaissance d’une coutume quasi allo­diale applicable à tous les fiefs niçois concédés avant 1720 ; rien dans sa jurisprudence ne fondait une telle position.
Le doute subsistait cependant car aucune synthèse ne permettait de connaître l’essentiel des orientations de cette jurisprudence. Or pour les intérêts en cause, Patrimonial, vassaux... et Regia Camera, l’incertitude était génératrice de conflits ; un travail de clarification et une mise au point s’avéraient d’autant plus nécessaires que les partisans de la patrimonialité ne désarmaient pas.
On voulut à Turin en savoir davantage sur cette fameuse coutume proven­çale ; sans doute espérait-on trouver un compromis qui satisfasse tout le monde. Le sénateur niçois Trinchieri fut ainsi chargé en 1762 de rassembler les docu­ments et les ouvrages les plus nécessaires à une telle tâche. La démarche fut ressentie par les partisans de la patrimonialité comme un encouragement ; en annonçant l’envoi des pièces, Trinchieri se félicitait à l’avance de ce qu’on pourrait en tirer et des mesures « les plus convenables » que l’on pourrait ainsi prendre «au sujet des anciens fiefs de cette comté de Nice qui ont tou­jours été regardés sur le même pied que ceux de la Provence »[28].
Les documents rassemblés par Trinchieri parvinrent au procureur général Bréa et au comte De Rossi, proche collaborateur de Charles-Emmanuel III, spécialiste des questions féodales et magistrat à la Chambre des Comptes de Turin[29]. Leur examen devait desservir la cause des partisans de l’admission intégrale de la coutume provençale ; la position du Patrimonial se fit alors très nette : les pratiques féodales en usage dans le Comté de Nice étaient trop différentes des usages provençaux -tels que les présentait par exemple Peissonel dans son Traité sur l’hérédité des fiefs de Provence- pour qu’on puisse accepter sans réticences une telle reconnaissance[30].
Ces différences suffisaient ainsi à établir que la coutume féodale niçoise était particulière et qu’il convenait de la définir à partir de ses propres pra­tiques et non des usages des régions voisines, Piémont ou Provence. Tel est le fil conducteur de la nouvelle doctrine mise au point par le Patrimonial et plus particulièrement par De Rossi.
Nommé procureur général du roi près la Regia camera de conti le 2 octobre 1768[31], De Rossi se vit confier la délicate mission de coordonner les travaux préparatoires à l’affranchissement général des fiefs savoyards ; lui-même mit au point le texte définitif approuvé par le roi le 17 décembre 1771[32].
 
La position du procureur général De Rossi
Il n’était pas question pour De Rossi de s’engager dans une semblable opération à propos des fiefs niçois : d’abord parce que la charge féodale y était infiniment moins lourde qu’en Savoie et que les nécessités de réforme y étaient donc moins pressantes[33]; ensuite parce qu’il ne pouvait s’appuyer comme en Savoie sur la reconnaissance d’un droit de rachat perpétuel au profit du Domaine ; or sans cette clause, il n’était pas possible de mettre en place une procédure de rachat des fiefs anciens... même si les communautés d’habitants avaient le désir de le faire et les moyens de financer les rachats.
Enfin et surtout on ne pouvait oublier que la nature des fiefs niçois était trop controversée pour qu’on puisse engager une quelconque réforme. Il importait avant tout de mettre fin à cette controverse ; c’est ce que De Rossi s’attacha à faire.
 
Les effets de la recherche historique
Sa première étude sur la question fut consacrée dès 1769 à la façon dont avait été transmise depuis le XVe siècle une part de la basse justice du fief de Châteauneuf ; l’extraordinaire multiplication des coseigneurs faisait en effet de ce fief une véritable curiosité car nulle part dans les Etats de Savoie on ne trouvait semblable situation ; l’imbroglio attira la curiosité du procureur général. De Rossi cherchant à démêler les principes qui commandaient une pareille division devait inévitablement aborder la question de la « patrimonialité » des fiefs niçois[34].
De cette première enquête dans les archives de la Chambre des Comptes de Turin, il dégagea deux principes de base : d’une part les fiefs concédés par les comtes de Provence -avant 1388 donc- pouvaient être présumés impropres et héréditaires ; d’autre part l’édit de 1503, dit « quia in plerisque» qui rejetait tout caractère impropre pour les fiefs concédés «pro se, successoribus, heredibus quibuscumque», n’avait manifestement pas été appliqué dans le pays niçois[35].
A la suite de cette première approche, De Rossi publia en mars 1770 un volumineux rapport sur l’ensemble des fiefs niçois anciens et nouveaux. De Rossi y exa­minait la nature de chaque fief à partir de plusieurs critères : la clause d’inféodation -ou à défaut celle de la plus ancienne investiture connue ; les rectifications opérées par voie judi­ciaire par la Regia Camera ; les investitures « rénovées » depuis 1732 ; et la façon dont chacun de ces fiefs avait été transmis depuis sa première concession. Ce minutieux travail permettait à De Rossi de dégager les règles de base de transmission des fiefs niçois ; il concluait à l’impossibilité d’appliquer à ces fiefs les principes du droit provençal ; on avait affaire à une pratique ori­ginale[36].
Le rapport de De Rossi était organisé autour de trois critères de base : la clause de concession, l’époque et l’esprit de la concession, les règles fonda­mentales du droit commun des fiefs. De Rossi distinguait ainsi trois types fondamentaux de concessions : celles faites «pro se successoribus, heredibus ad habendum et tenendum perpetuo placuerit faciendum», celles «pro se, successoribus, heredibus quibuscumque» et enfin celles «pro se, successoribus et heredibus», avec leurs équivalents et variantes respectifs[37]. Il distinguait aussi trois époques, avant 1388 au temps où Nice était terre provençale, après la dédition de 1388 et enfin après 1720, date à partir de laquelle toutes les concessions furent délivrées rectes et propres.
 
Les catégories de fiefs niçois
S’adaptant à la diversité des situations, De Rossi présentait ainsi l’ensemble des fiefs niçois dans neuf catégories. De cette synthèse il ressortait que si la plus grande partie des fiefs niçois concédés avant 1720 étaient largement héréditaires et aliénables, ils ne l’étaient qu’à des degrés divers et pour des raisons différentes : certains parce que leur clause d’investiture le mentionnait explicitement[38] et d’autres parce qu’ils bénéficiaient de l’interprétation favorable de la Regia Camera pour la clause «pro se heredibus, successoribus quibuscumque » [39].
Les principes de base du droit commun des fiefs lui interdisaient cependant de reconnaître à la simple clause «pro se successoribus et heredibus» -donc sans l’extension quibuscumque- une portée trop large, même pour des concessions provençales. Ces restrictions étaient applicables non seulement en matière de libre disposition, ce que De Rossi rejetait sans détour, mais même en matière de succession. Le procureur général se fondait sur un édit de 1648 qui abolissait toute possibilité d’interpréter dans les Etats de Savoie cette clause de façon élargie au bénéfice de l’ensemble des héritiers et limitait la succession aux seuls descendants directs[40].
Telle était ce qu’on pourrait appeler la « doctrine De Rossi ». Elle avait, pour le Patrimonial, l’immense avantage de fournir les arguments indispensables et efficaces pour donner un coup d’arrêt à une tendance de plus en plus mar­quée à la patrimonialisation. En écartant la présomption automatique de quasi allodialité De Rossi redonnait au Fisc la liberté d’agir chaque fois que les intérêts du Domaine le nécessitaient : clauses de rachat, successions ou alinéations non conformes aux mentions d’investitureet retour automatique au Domaine pour les fiefs concédés «pro se, heredibus, et successoribus» en cas de défaut de descendance masculine.
 
Conclusion : Une mauvaise nouvelle pour les vassaux niçois
Le rapport du procureur général, « Défenseur du Fisc », n’avait bien évidemment aucune force obligatoire. La Regia Camera pouvait refuser de suivre son point de vue, mais l’autorité de De Rossi était assez forte pour que son rapport soit examiné avec la plus grande attention. Sa position reçut deux confirmations officielles : la première fut l’approbation du Congrès chargé de préparer l’édition 1770 des Lois et constitutions du royaume[41] ; la seconde fut l’adoption de son point de vue par la Regia Camera dans le procès opposant les vassaux Raynardi et Faraudi à propos du fief de Sainte-Marguerite dans le haut-pays niçois.
Il ne s’agissait là que d’une affaire assez banale de défaut d’investiture, de droits féodaux impayés et de délai pour recourir, mais le débat pouvait également porter sur la nature du fief au cas où une des parties demanderait une interprétation stricte de la clause de concession ; le fief avait en effet été inféodé par la Maison de Savoie « pro se, heredibus, successoribus, quibuscumque» et l’origine de la part du fief du requérant Raynardi était un testament de son oncle maternel du 6 avril 1654[42]. L’affaire était intéressante parce qu’elle permettait d’éclairer le droit féodal niçois et le débat en cours.
De Rossi saisit ainsi l’occasion qui se présentait pour développer devant les magistrats de la Regia Camera de conti les raisons que le Patrimonial pouvait avoir de considérer un tel fief comme largement héréditaire contrairement à ce qui se faisait en Piémont. C’était la première fois depuis la publication des Lois et Constitutions que De Rossi avait la possibilité de présenter au plus haut niveau judiciaire ses conceptions sur la nature des fiefs niçois : il le fit dans des conclusions qui débordèrent large­ment la question de l’application de l’édit « quia in plerisque» pour s’étendre à tous les fiefs concédés antérieurement à 1697, c’est-à-dire aux cinq pre­mières catégories de son rapport.
Ses conclusions fiscales obtinrent l’assentiment d’une cour plus encline à suivre un tel raisonnement qu’à admettre qu’une coutume puisse régir une semblable matière. Organisée autour des principes de base des Libri Feudorum, et du droit lombard, la synthèse de De Rossi avait pour les magistrats turinois l’immense qualité d’approcher les questions féodales comme ils l’avaient toujours fait et de clarifier les points les plus controversés sans les contraindre à utiliser des critères juridiques qui leur étaient étrangers ; ceci explique à la fois l’échec de Maistre et le succès de De Rossi auprès de la Regia Camera[43]. La proposition de De Rossi permettait d’éviter le conflit direct. La féodalité niçoise « ancienne », conservait pour l’essentiel son caractère patrimonial, mais son fondement n’était plus coutumier. Il dépendait de la clause de l’investiture et de l’interprétation du juge caméral. Il restait à expliquer cette nouveauté aux vassaux niçois ; sur ce plan, on pouvait prévoir quelques difficultés à faire passer de la théorie à la pratique les nuances de De Rossi.


[1] Les Libri Feudorum constituent l’ouvrage de référence en matière de droit féodal lombard et allemand ; il s’agit d’un recueil composé de fragments d’origines très diverses ; la partie la plus ancienne est du XIIe siècle et l’ensemble fut remanié à plusieurs reprises. Ce petit ouvrage tirait son autorité du fait qu’il était considéré comme une partie du Corpus Juris Civilis et commenté en tant que tel. Francesco Calasso, Medio Evo del diritto, t. I, Le fonti, Milano, 1954, pp. 554-556 ; bibliographie pour l’époque médié­vale dans P. Ourliac et J. de Malafosse, Histoire du Droit privé, t. 2, P.U.F., 1971, p. 181, et dans Gérard Giordanengo, « Droit féodal et droit romain dans les universités du Midi : l’exemple de Bertrand de Deaux », in Recueil de la Société d’Histoire du Droit et des Institutions des anciens pays de droit écrit, Mélanges Aubenas, Montpellier 1974, pp. 342-349. La dernière présentation est l’œuvre de Cujas ; c’est sur cette rédaction que s’appuient les feudistes allemands et italiens des XVIIe et XVIIIe siècles : Thomas Richeri, Tractatus de Feudis, 2 vol., Turin, 1791, t. 1, p. 14. Cujas divisa les Libri Feudorum en cinq livres - auparavant il y avait deux libri - par division du second livre en trois et par adjonction d’un cinquième livre consacré aux constitutions impériales. Le premier livre était attribué à Gérard Niger Capagista, consul de Milan, le second et le troisième à Obertus de Orto, jurisconsulte milanais, le quatrième à divers auteurs du XIIIe siècle et le cinquième réservé aux constitutions impériales publiées en matière féodale : Cujas, Opera omnia, 10 vol. Naples, 1758 au t. 2, De Feudis libri quinque, p. 1172.

[2] Bertrand d’Argentré, Commentarii in patria britonum leges : «Libri illi Feudorum, qui habentur in manibus, pene inutiles nobis sint redditi mutata conditione feudorum pro moribus cujusque gentis nec in his ita multum penendum sit operae : et si quidem in umbraculis scolastici studii legi eos non improbem ad deformationem, ut lineamenta materiae», p. 1423 de l’ed. de 1628.
        Les attaques contre les Libri Feudorum sont nombreuses dès le XIVe siècle, cf. Giordanengo, « Droit féodal et droit romain »... op. cit., p. 345.

[3] G. Giordanengo, « Droit féodal et droit romain », op. cit., p. 345... et l’opinion de Jacques Peissonnel, Traité de l’hérédité des fiefs de Provence, Aix, 1687, pour qui ces livres «ne sont pas authentiques» et forment «une compilation où il n’y a que d’incongruités, d’incertitudes, de contrariétés et même de faussetés ; ce qui a obligé Balde de dire que ces compilateurs étaient des ânes», p. 14.

[4] Claude Joseph de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, Toulouse, 1779, distingue les pays coutumiers des pays de droit écrit (Article « Fief en pays de droit écrit »). Il y précise que «les constitutions qui ont été faites sur la matière des fiefs et qui se trouvent à la fin du Droit civil, sans nom d’auteur et sans date ne servent point de loi en France, du moins en pays coutumier, mais ces règles ont de l’autorité dans certains pays de droit écrit» ; Ferrière cite deux exemples : celui du Dauphiné où les Libri Feudorum ont été autrefois appliqués (les fiefs y étaient devenus «purement patrimo­niaux tant pour l’aliénation que la succession» à la fin du XVIe siècle, Salvaing de Boissieu, De l’usage des fiefs et autres droits seigneuriaux, Grenoble, 1721, p. 59) et celui de la Provence... mais pour ajouter aussitôt que Peissonnel dans son Traité de l’hérédité des fiefs de Provence, op. cit., «prouve que les Libri Feudorum n’ont pas auto­rité en son pays».
           Peissonnel s’attache en effet à démontrer tout au long de son Traité que les Libri ne sont « que lois locales et d’Allemagne » (p. 14) et que « les comtes de Provence ne se sont jamais soumis aux lois des lombards » (pp. 182 sq.). Noter que Peissonnel utilise largement la casuistique des auteurs lombards ou allemands -ce qui revient à étudier chaque clause type d’investiture- mais en interprétant systématiquement dans un sens favorable à la quasi patrimonialité et, pour les clauses les plus défavorables, en considérant que la coutume pouvait déroger à l’autorité des Libri. (cf. Cujas, Opera, op. cit., t. 2, au livre 5).

[5] Denis Salvaing de Boissieu, De l’usage des fiefs, op. cit., p. 159, cité par Gérard Chianea, La condition des terres en Dauphiné au XVIIIe siècle, Paris, Mouton, 1969, p.44, n.21.

[6] D’Aguesseau, Oeuvres, 12 vol., Paris, 1769, t. 7, p. 9, à propos de l’Art. 84 de la Coutume d’Artois.

[7] II est fréquent que les coutumiers prennent soin de souligner l’aliénabilité sans consentement du seigneur direct et la divisibilité des fiefs : «Les fiefs sont tenus et réputés patrimoniaux et se peuvent aliéner à quelque titre que ce soit en tout ou en partie par le vassal sans le congé du seigneur féodal» (Auvergne, art. 23) ; « Fief se peut vendre ou autrement aliéner sans le consentement du seigneur» (Cambrai, art. 22) ; « Par la coutume tous fiefs sont divisibles » ; « Que par coutume toutes personnes... possesseurs de fiefs patrimoniaux peuvent iceux franchement vendre donner ou autrement aliéner et trans­porter sans le consentement du prévôt de la commune ni d’autre personne quelconque» (Tournai, art. 1 et 21), Coutumier Général, 4 vol., Paris 1724. Pour la coutume de Paris, cf. l’analyse de Merlin, Répertoire de jurisprudence, t. 5, Paris, 1812, Art. Fief, pp. 230 sq ; pour la Provence et le Dauphiné, cf. supra note 4.
     On peut présenter des exceptions qui tendraient à prouver que l’influence des Libri Feudorum a peut-être été « plus grande qu’on ne le dit » (Ourliac et Malafosse, Droit privé, op. cit., p. 180) en France -hormis l’Alsace -, non au point de considérer que l’investiture constitue la loi du fief mais sous forme d’éléments coutumiers épars favorables au seigneur direct, et témoignant peut-être de pratiques anciennes plus restric­tives ou de l’admission partielle des Libri Feudorum au Moyen-Age (Cf. un exemple de renvoi à l’autorité des Libri dans le premier commentaire de la coutume de Toulouse, Gilles, Les coutumes de Toulouse (1286) et leur premier commentaire (1296), Toulouse, 1969, p. 265). Deux exemples : Art. 15 de la Coutume de Toulouse : « est usus et consuetudo tolosae quod domini feudorum non tenentur laudare ex parte dominationis, venditiones vel alienationes factas de suis feudis » -cf. les restrictions de Ferrière à la note précé­dente- et Art. 3 de la Coutume de Verdun : « Si un vassal vend son fief il est requis d’en avoir consentement et confirmation de l’évêque, lequel peut reprendre le fief pour les deniers et loyaux coûts » ; noter qu’il s’agit d’une ancienne terre d’Empire, in Coutumier général, op. cit.
[8] On doit pour la France distinguer les concessions faites avant la publication de l’édit de Moulins sur l’inaliénabilité du Domaine (février 1566) de celles faites dans le cadre de cet édit : celui-ci prévoyait que dorénavant le Domaine ne pourrait plus être aliéné que, soit par apanage avec retour en cas d’absence d’héritier mâle, soit par enga­gement avec droit de rachat perpétuel (Isambert, Anciennes lois, t. 14, p. 185).
       Ce « droit commun au Royaume » dont parle d’Aguesseau tend cependant par-delà la relative diversité des coutumes à renforcer la position des vassaux. On comprendra alors que même les engagistes aient pu dans une certaine mesure bénéficier de cette ten­dance à la « patrimonialisation » (Joseph Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 17 vol., Paris 1776-1785, à l’Art. "Engagement") et que Louis XIV ait pu proposer aux vassaux alsaciens -dont les fiefs étaient inaliénable - le droit, moyennant finance, d’en faire commerce (Déclaration du 26 février 1697. La mesure fut révoquée par arrêt du Conseil le 11 juin de la même année. Merlin, Répertoire, op. cit., Art. "Fief", p. 228). Cette tendance à la patrimonialité se retrouve dans les Etats de Savoie, même pour les fiefs concédés postérieurement à 1720 -date à partir de laquelle on ne procéda plus qu’à des concessions rectes et propres que ce soit en Piémont, en Savoie ou dans le Comté de Nice. Les autorisations bénéficient essentiellement aux premiers acheteurs et portent soit sur l’extension des possibilités de succession -femmes, collatéraux, voire ascen­dant - soit sur la possibilité de disposer entre vifs ou à cause de mort. F.A. Duboin, Raccolta delle leggi, editti, patenti... della Real Casa di Savoia, 26 vol., Turin, 1826-1854, vol. 9, p. 514. Edit sur l’ « impropriazione» des fiefs, 16 avril 1734. Il est toujours précisé dans les inféodations que ces avantages ne sauraient altérer la nature recte et propre des fiefs, ni bénéficier à d’autres qu’aux premiers acheteurs. Arch. dép. des A.M., Citta e Contado, Mzo 13/1, L4, 26 mars 1770. Parere del Procuratore Generale di S.M. Conte De Rossi de Tonengo intorno la natura de feudi del Contado diNizza, 250 f°, avec titres de possession, rectifications, tableaux de succession.

[9] Pothier, Traité des fiefs, censives, relevoisons et champarts, 2 vol., Paris 1776, éd. posthume, p. 6, reprenant Charles Dumoulin (De Feudis, 1539) et Germain Antoine Guyot, Traité des matières féodales, 6 vol., Paris, 1740 et sq.

[10] Hervé, Traité des matières féodales et censuelles, 8 vol. 1775-1788, vol. 1, p. 368.

[11] Libri Feudorum, livre 2, titre 18. Une coutume favorable à une impropriété plus ou moins marquée ne saurait bénéficier à l’ensemble des fiefs de la région de façon automa­tique ; encore faut-il que la clause d’investiture n’y déroge pas. Libri Feudorum, livre 2, titres 52 et 55.

[12] Goetmantz, Traité du droit commun des fiefs, part. 1, ch. 85, cité par Merlin, Répertoire de jurisprudence, t. 5, op. cit. Art. Fief, p. 235.

[13] Le désintérêt du droit français pour la notion de fief propre obscurcit la définition que les auteurs proposent des fiefs impropres, lorsqu’ils s’en préoccupent ! - ; l’opinion émise par le chancelier d’Aguesseau dans sa quatrième requête sur la mouvance de la seigneurie de Bourdeilles (Oeuvres, op. cit., t. 6, p. 546) mérite d’être citée comme exemple, mais aussi parce qu’elle fut largement reprise par les auteurs de dictionnaires au XVIIIe siècle (cf. par exemple, Joseph Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de juris­prudence, op. cit. à l’Art. "Fief") : « Les feudistes ont distingué avec raison deux sortes de fiefs, les uns qu’ils ont appelés propres, qui viennent originairement de la concession des seigneurs, les autres qu’ils nomment impropres, ou autrement fiefs offerts qui ne sont établis que par l’offrande volontaire du vassal». « Dans les fiefs propres, c’est la volonté du seigneur qui domine... dans les fiefs impropres ou offerts la volonté du seigneur est moins dominante » ; «  il en résulte que les fiefs impropres sont exempts des services ordinaires de fief et de la fidélité mais pas de l’hommage. Les rapports entre seigneur et vassal sont essentiellement commandés par le principe : honneur de la part du vassal, protection de la part du seigneur ». D’Aguesseau parle même à propos des fiefs impro­pres de « franchise de fief ».
La plus complète et plus claire approche de la distinction est celle de Merlin, Répertoire de jurisprudence, t. 5, op. cit., Art. "Fief" ; l’auteur évitant de reprendre les définitions confuses de ses prédécesseurs aborde la question en termes de droit comparé ; sa comparaison des coutumes féodales françaises et du droit des fiefs alsaciens est du plus grand intérêt.

[14] T. Richeri, Tractatus de Feudis, op. cit. t. 1, pp. 34-37.

[15] Les tentatives d’étendre le droit de rachat, déjà prévu par l’Edit de Moulins pour le Domaine engagé, aux fiefs anciens tenus à l’instar des biens allodiaux constitue un élément essentiel de la politique anti-féodale de Louis XIV et de Colbert ; elles n’aboutirent pas. Ainsi dans le cas de la Provence, la Noblesse de la province parvint à s’opposer avec succès aux arrêts du Conseil des 3 octobre 1666 et 3 octobre 1667 prévoyant la possibilité de rachat par le Domaine et les communautés des terres autrefois concédées par les comtes de Provence ; l’opposition de la Noblesse provoqua la réformation des deux arrêts et la publication d’un arrêt de confirmation des anciennes concessions, repris par les lettres patentes de juin 1668. Arch. dép. des A.M. Citta e Contado. Mzo 13/1. L2.
Noter qu’en Savoie, le droit de rachat, déjà largement reconnu par la coutume et confirmé par les sentences de la Chambre des Comptes de Chambéry, fut définitivement fixé par l’édit du 5 août 1752 : F.A. Duboin, Raccolta delle leggi... op. cit., vol. 9, p. 517, art. 3, et infra note 17.

[16] Ceci explique la relative faiblesse de la féodalité piémontaise, la majeure partie des fiefs de cette province étant concédée de façon recte et propre. L’édit du 20 novem­bre 1617 qui accordait aux communautés la possibilité de racheter les droits féodaux (F.A. Duboin, Raccolta, op. cit., vol. 26, p. 253) eut pour résultat de supprimer l’essen­tiel de la charge féodale... sans porter atteinte aux honneurs, ni pour les plus grands fiefs, à la puissance foncière. Cf. Jean Nicolas, « La fin du régime Seigneurial en Savoie. 1771-1792 », in L'abolition de la Féodalité dans le monde occidental. Colloque CNRS, 1968, t. 1, p. 29, n. 4.

 [17] Les fiefs savoyards y étaient considérés « conformément à la coutume » comme aliénables tant par contrat que par disposition de dernière volonté et transitoires à toutes sortes d’héritiers mâles ou femmes » ; quant au droit de rachat « conservé par des usages favorables » et « constaté par des édits et des arrêts des magistrats de delà des monts » il y était très nettement affirmé. Edit du 5 août 1752, Duboin, Raccolta, op. cit., vol. 9, p.517.

 

[18] Cf. Nicolas, «  La fin du régime seigneurial en Savoie », op. cit.

[19] Victor -Amédée II attribua le 17 janvier 1720 les compétences de la Chambre des Comptes de Savoie à la Regia Camera de conti de Turin, désormais cour unique pour l’ensemble des Etats (Duboin, Raccolta... op. cit., vol. 4, p. 614) ; la Regia Camera reprit pour la Savoie l’essentiel de la jurisprudence que la Chambre des Comptes de Chambéry avait élaborée depuis son installation en 1577. Richeri, Tractatus, op. cit., t. 1, De Feudis Sabaudie, pp. 297-314).

[20] Richeri, Tractatus, op. cit., t. 1 De Feudis Montisferrati pp. 314-339 et De Feudis Niciensibus pp. 344-360.

[21] En l’absence de reconnaissance générale portant sur l’application dans le Comté de Nice de la coutume provençale, soit par une mesure réglementaire, soit par une sentence non équivoque de la Regia Camera, les partisans du caractère impropre des fiefs niçois pouvaient avancer un ensemble de preuves et de présomptions au premier abord difficile­ment contestables.
Leur position était forte d’abord parce qu’on considérait traditionnellement que le Comté de Nice, bien que rattaché aux Etats de la Maison de Savoie, était une marche provençale et que des liens étroits linguistiques et coutumiers l’unissaient encore à la Provence. Les juristes présentaient cette situation à partir de la théorie de l’union territo­riale ; ils distinguaient deux types d’union, l’une dite « aeque principalis », l’autre « accessoria » : dans le premier cas la région rattachée conservait ses lois, coutumes et privilèges ; dans le second cas ses droits étaient considérés comme éteints et remplacés par les lois et usages du pays auquel elle se trouvait rattachée.

A propos du pays niçois on considérait ainsi que son antique union à la Provence avait été accessoire et qu'ainsi les lois provençales avaient été appliquées sans changement notoire dans la région. Par contre l’union de 1388 avec la Maison de Savoie était qualifiée d’ « aeque principalis»... ce qui revenait à protéger la coutume provençale. Richeri, Tractatus, op. cit., t. 1, § 1207 et 1208.

C’est à partir de cette base théorique que furent repoussées les tentatives d’applica­tion en pays niçois des règles féodales lombardes.

[22] Edit du duc Philibert II du 1er décembre 1503 (Duboin, Raccolta... op. cit., vol. 26, p. 205). Cet édit disposait que dorénavant les clauses d’inféodation faites sous la mention «pro se, heredibus et successoribus quibuscumque» -clause très fréquente, ouvrant les plus larges possibilités de succession aux femmes et aux agnats et pouvant même permettre d’aliéner - devraient être interprétées restrictivement pour toutes les inféodations des souverains de la Maison de Savoie «de façon à ce qu’elles ne puissent altérer la nature recte et propre des fiefs». La mesure était applicable à l’ensemble des Etats ; elle ne fut pourtant pas appliquée dans le pays niçois. Ainsi, alors qu’en Piémont elle aboutissait à transformer des fiefs que certains pouvaient commencer à considérer comme quasi patrimoniaux en fiefs rectes et propres, elle continua à être interprétée pour les fiefs niçois dans un sens favorable à l’hérédité la plus large, et cela par la Regia Camera elle-même. Parere del procuratore generale De Rossi, op. cit., f° 102, 103 et 110. Richeri, Tractatus, op. cit. t. 1, § 1218, cf. infra note 39.

[23] Maistre fut nommé premier président de la Regia Camera le 15 août 1756. Décédé le 9 décembre 1760. Carlo Dionisotti, Storia delle magistrature piemontese, 2 vol., Turin 1881, p. 408.

[24] Affaire Ghisi-Torrini à propos des 4/5e du fief de Fougassières, Arch. dép. des A.M. Citta e Contado, Mzo 38. Fougassières L1 et 1 bis.

[25] Arch. dép. des AM. Citta e Contado Mzo 38. Fougassières L1 bis P4. Lettre de Maistre au secrétaire d’Etat Lanfranchi du 24 février 1755.

[26] Pour le reste, le projet de Maistre fut repris sans modification majeure : on y préci­sait sans détour dans l’article premier qu’en conformité avec la coutume du lieu les anciens fiefs niçois étaient aliénables et disponibles tant par contrat entre vifs que par acte de dernière volonté et en conséquence transmissibles à tout héritier, homme ou femme, agnat ou étranger.
L’article second établissait la possibilité de diviser les fiefs tant en cas de succession que d’aliénation ; l’article troisième précisait qu’en vertu de cette coutume les fiefs pouvaient être aliénés sans consentement du roi et sans qu’on soit tenu d’en faire l’offre préalable aux agnats et aux consorts, à charge seulement pour l’acheteur d’obtenir le consentement du roi. La seule restriction -article quatrième- portait sur l’obligation de respecter les mentions limitatives, se rapportant soit à la succession -primogéniture par exemple- soit à l’aliéna­tion -comme les pactes de rachat au profit du Domaine établis par plusieurs inféodations-. Arch. dép. des A.M. Citta e Contado. Mzo 38. Fougassières Ll, P3.

[27] Ibidem avec en marge l’approbation des patentes par le roi le 13 octobre 1756.

[28] Lettre du sénateur Trinchieri du 12 août 1762, Arch. dép. des A.M. Citta e Contado, Mzo 13/1, L2.

[29] Lettre de Trinchieri du 12 août 1762.

[30] Les pièces envoyées par Trinchieri étaient les suivantes : Peissonnel, Traité sur l’hérédité des fiefs de Provence, op. cit. ; Ventre de la Touloubre, Jurispru­dence observée en Provence sur les matières féodales et les droits féodaux, Avignon, 1756 ; Extrait des Remontrances de la Noblesse de Provence au roi pour la révocation des arrêts de son Conseil portant réunion à son domaine des terres aliénées et inféodées par les comtes de Provence par Noël Gaillard, Aix, 1668 et copie des lettres patentes en forme d’édit de juin 1668 sur l’arrêt de confirmation des domaines aliénés par les comtes de Provence. Arch. dép. des AM. Citta e Contado, Mzo 13/1, L2.

[31] Giovani Tomaso De Rossi, comte de Tonengo, avait d’abord été procureur général substitut de 1752 à 1753, auprès de la Chambre des Comptes, puis « collateral » -c’est-à- dire juge- dans la même cour de 1753 à 1768. Il resta dix ans au poste de procureur général et fut nommé contrôleur général des Finances avec rang de premier président le 29 juillet 1778. Décédé le 22 juillet 1785. Dionisotti, Storia, op. cit., t. 2, p. 426. Sur De Rossi «aussi zélé pour les intérêts du roi que juste pour les particuliers, magistrat intègre, actif et laborieux» cf. Sainte Croix, Relazione del Piemonte, 1877, pp. 76 et 280. Cité par Nicolas, « La fin du régime.. »,. op. cit., note 49.

[32] Cf. Jean Nicolas, « La fin du régime.. »,. op. cit.

[33] Sur la faiblesse de la charge féodale dans le Comté de Nice, H. Costamagna, Recherches sur les institutions communales dans le Comté de Nice, Thèse 3e cycle, Nice 1971, vol. 1, pp. 116-123 et M. H. Siffre, La Noblesse du Comté de Nice au Siècle des Lumières, Thèse 3e cycle, Nice 1976, pp. 247-335.
Le « consegnamento » de 1734 -ensemble des déclarations faites durant l’année 1734 par les détenteurs de fiefs et biens féodaux ou emphytéotiques- laisse clairement apparaître que la charge féodale n’est relativement forte que dans quelques cas : Arch. dép. des A.M., Série C 2 et 3, Livre des Fiefs, 2 vol.

[34] Arch. dép. des A.M. Citta e Contado, Châteauneuf, Mzo 34. L12, 23 août 1769, 31 f°.

[35] Ibid, et Richeri, Tractatus, op. cit., t. 1, p. 97.

[36] Parere del procuratore generale De Rossi, op. cit.

[37] Pour une typologie des clauses d’investiture, Richeri, Tractatus, op. cit., t. 1, § 78-112

[38] II s’agissait d’abord de la plupart des fiefs ou parties de fiefs concédés par les comtes de Provence avant 1388 -et compris dans les deux premières catégories :
Pour la première : Bonson, Berre pour la basse juridiction et le mixte empire, La Brigue pour 3/8e, La Caïnée pour la moitié, Châteauneuf, Peillon, La Roquette sur Var, Revel près de Tourrette-Levens, Parere De Rossi, op. cit., f° 9-21.
Pour la seconde : Falicon pour les 11/24e, Gilette, Rimplas, Saint-Jean d’Aurelle, Sainte-Marguerite, Sauze, Touët de l’Escarène, Parere De Rossi, f° 23-29.
Il s’agissait ensuite des fiefs concédés par la Maison de Savoie après le rattachement du Comté en 1388 et jusqu’à 1697 autrement que « pro se, heredibus successoribus quibus­cumque» et avec ces clauses plus ou moins remarquables d’impropriété :
Quatrième catégorie : Aspremont pour la moitié du mixte empire et du fief, et la totalité du mère empire, Berre pour la haute juridiction et mère empire, Beuil - Péone - Sauze - Quartier du Plan, La Brigue pour 1/8e, Roubion, Revest de Tourettes, Ascros, Toudon, Tourettes-Revest, La Turbie, Parere De Rossi, op. cit., f° 49-59.
Il s’agissait enfin de quelques fiefs démembrés du Domaine par l’édit du 5 septem­bre 1697 et des fiefs inféodés en bloc au docteur Ribotti et successivement revendus à des personnes de son choix. Concédés sous des clauses différentes, certains bénéficiaient de clauses accentuées d’impropriété, d’autres étaient des concessions rectes et propres :
Sixième catégorie : Breil, Lantosque, Pigna - Buggio - Gordale, Puget-Théniers, Saint-Dalmas le Selvage, Saint-Sauveur, Saint-Etienne, Saorge, L’Escarène, La Tour, Villefranche, Parere De Rossi, op. cit., f° 65-73. La qualité impropre n’était guère douteuse que dans trois cas : Villefranche, La Tour et Saint-Dalmas de Selvage. Pour les autres la difficulté portait sur l’interprétation de la mention « aventi causa ». Celle-ci rendait-elle le fief transmissible aux « étrangers par le san g» tant par acte entre vifs qu’à cause de mort ? Le Patrimonial se refusa à l’époque à approuver une telle interprétation et procéda le 30 janvier 1734 à une opération de rectification et d’uniformisation des termes utilisés dans les clauses d’inféodation de plusieurs de ces fiefs. Parere De Rossi, op. cit., f° 123-124.

[39] Fiefs ou parties de fiefs concédés par la Maison de Savoie avant ou après la publi­cation de l’édit de 1503 dit « quia in plerisque » et bénéficiant de l’interprétation élargie de la Regia Camera propre au Comté de Nice, cf. supra note 22 :

        Troisième catégorie : Castellar pour le total de la juridiction moins certains biens, Châteauneuf pour le mère empire, Coaraze (avec pacte de rachat en cas de défaut de descendance masculine), Dolceaqua, Falicon pour les 7/24e (avec pacte de rachat), Gorbio, Peillon pour le mère empire (avec pacte de rachat). Parere De Rossi op. cit., f° 32-45.

[40] Ces fiefs ou parties de fiefs étaient regroupés dans une catégorie particulière où l’on retrouvait quelques concessions provençales et quelques concessions de la Maison de Savoie :
Cinquième catégorie : Aspremont pour la moitié du fief, mixte empire et basse juridiction (autre moitié comprise dans la 4ème catégorie) ; Berre pour les parties com­prises en 1ère et 4ème catégorie ; Falicon pour la part de 11/24e comprise dans la 2ème catégorie ; Saint-Jean d’Aurelle (2ème catégorie) ; Sauze (2ème catégorie). Parere De Rossi, op. cit. f° 61-65.
La septième catégorie rassemblait tous les fiefs tenus soit par l’Eglise soit par des communautés d’habitants. L’analyse des clauses d’investiture s’y posait en termes particuliers dans la mesure où la continuité des concessions rendait vain tout débat sur leur succes­sion ; par contre ils pouvaient à l’occasion être aliénés soit au profit de particuliers, soit du Domaine. Ces possibilités étaient toutes assorties de conditions restrictives parfois très marquées ; De Rossi prenait soin d’en faire l’inventaire et surtout de recenser les droits préférentiels de rachat appartenant au Domaine : La Bollène, La Brigue pour la moitié, Châteauneuf d’Entraunes, Contes, Drap, Falicon pour 1/4, Isola, Levens, Moulinet- Castillon, Saint-André pour 1/4, Villeneuve d’Entraunes. Parere De Rossi, op. cit., f° 74-85.
Enfin, les huitième et neuvième catégories comprenaient tous les fiefs concédés depuis 1720 et soumis aux mêmes règles restrictives que les fiefs piémontais : Belvédère, Bairols, Barimasson, La Caïnée pour une moitié, Carras, Sigale, Clans, Eze, Ilonse, Lieuche, La Madeleine, Malaussène, Maire, Massoins, Merindol, Montolivo, Peille, Pierrefeu, Pierlas, Rigaud, Roquebilière, La Roquette de Dolceaqua, Roure, Sainte-Agnès, Montgros, Saint-Barthélémy, Thiéry, Touêt de Beuil, Tournefort, Villars. Parere De Rossi, op. cit., f° 86-100.
 

[41] Lettre accompagnant la déposition du rapport du procureur général aux Archives royales, 24 mars 1774, Arch. dép. des A.M. Citta e Contado, Mzo 13/1, L4.

 [42] Sur cette affaire, Livre des Fiefs, Bibliothèque de Cessole, Musée Masséna, pp. 632- 635, et Arch. dép. des A.M. Série B, registre 27, investiture d’1/8e du fief de Sainte- Marguerite pour J.L. Raynardi, 25 octobre 1789.

 

[43] Les conclusions du procureur général ont été largement reprises par Richeri, Tractatus, op. cit., t. 1, § 1211-1256, qui les considère comme étant la référence de base.

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