Feodalité Coutume fief Provence
 
 
 

Coutume féodale et jus commune 

 La dévolution des fiefs en Provence et dans le Comté de Nice.

XIVe–XVIIIe siècles 

 
 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Coutume féodale et jus commune. La dévolution des fiefs en Provence et dans le Comté de Nice. XIVe–XVIIIe siècles », in Le droit par-dessus les frontières- Il diritto sopra le frontiere, "Atti" delle Journées internationales d’Histoire du droit de Turin, mai 2001, Napoli, Jovene, 2003, pp. 175-215.
 
 
 
Le droit français n’a jamais accordé beaucoup d’importance aux Libri Feudorum, compilation réalisée, pour l'essentiel, au XIIe siècle à partir du droit lombard et des constitutions impériales en matière féodale et très tôt rattachée à l’œuvre justinienne. Les Français en ont cependant progressivement rejeté l’autorité, considérant que ce droit d’origine lombarde était produit et promu par un législateur étranger, l’empereur du Saint-Empire. On a de moins en moins de chance d’en trouver des applications en droit français, même en pays de droit écrit, à mesure qu’on avance vers le XVIIIe siècle. Le rejet est massif, à la différence des œuvres de Justinien qui trouveront toujours, non sans nuances et adaptations, quelque écho dans la doctrine ou dans la jurisprudence sous la forme d’un « droit savant ».
 
Droit féodal français et jus commune feudorum
         La situation française, comparée à celle de l’Allemagne ou de l’Italie, est donc particulière. Dans ces pays les Libri Feudorum forment le jus commune en matière féodale, au même titre et avec la même force que les textes d’origine romaine pour le jus civile. La frontière juridique est nette ; cette partie du jus commune n’est pas reçue en France, même pas comme droit savant[1].
         Le droit féodal français s’est construit sur d’autres bases, essentiellement coutumières. Son pluralisme a progressivement été ordonné autour d’un « droit commun au royaume » -l’expression est du chancelier d’Aguesseau[2]- dont la caractéristique essentielle est l’articulation autour d’un processus qui tend à faire du fief un bien « quasi allodial ».
         Ailleurs en Europe, là où tout au moins le droit romain est en vigueur, le droit féodal est fondé sur les textes des Libri Feudorum qu’on applique en employant les techniques du jus commune :  le droit particulier est la règle et ce n’est que subsidiairement qu’on emploie le jus commune, celui-ci étant dans tous les cas la règle de référence qui éclaire le droit particulier.
         Le feudiste Goëtmantz traduit ainsi cette démarche en droit féodal : « La teneur de l’investiture est la première loi, à défaut de celle-ci, la disposition expresse du droit commun des fiefs et, la disposition manquant, c’est l’esprit et le sens des coutumes féodales qui doivent servir de règle »[3]. Ce n’est, ajoute le feudiste, que subsidiairement qu’on peut avoir recours au droit civil[4].
         En fin d’évolution, au XVIIIe siècle, l’opposition est donc tranchée, particulièrement sur la place faite à la coutume : en droit féodal français la coutume ne saurait puiser dans les Libri Feudorum des références et des appuis. Il n’y a aucune raison de la confronter à cette référence commune comme cela peut être le cas en pays de droit écrit entre la coutume et le droit romain[5]. Cette coutume féodale française est d’une certaine façon autosuffisante, au nord comme au midi. A l’inverse, le jus commune feudorum ne rejette pas la coutume ; il l’accepte comme  un élément constitutif du droit féodal.
         Il reste que, dans ce domaine féodal, comme dans celui du jus civile, les pays de droit écrit ont pu connaître au Moyen Age une réception, plus ou moins marquée selon les provinces, de ces Libri Feudorum[6]. Leur recul est progressif et d’une certaine façon freiné par l’inclusion de ces Libri dans les différentes éditions du Corpus juris civilis[7], situation qui donne aux Libri, au moins formellement, un statut identique aux textes romains. C’est ce processus qui est étudié ici à partir des transformations de la coutume féodale provençale.
 
Patrimonialisation du fief ou possibilité de réinféoder
C’est sur la question des règles de dévolution du fief que se cristallisent les différences essentielles entre jus commune et droit féodal français. « Morceau de bravoure des feudistes », la matière est en jus commune d’une grande richesse et d’une réelle complexité. L’investiture y est considérée comme la loi du fief[8]. De la clause d’investiture dépend la dévolution du fief. Elle pourra être réservée aux seuls enfants mâles, étendue aux filles ou aux collatéraux, supporter les divisions ou les érections de primogéniture, et dans les cas les plus favorables pour le feudataire, permettre l’aliénation.
         Ce rejet d’une patrimonialisation générale permet ainsi dans le cas de concessions strictes, rectes et propres selon la terminologie du jus commune, un retour au Domaine. La réinféodation à des conditions plus avantageuses et sous une forme modernisée est alors possible. Tel est l’esprit et la lettre des Libri Feudorum. Le fief, concession d’une portion du domaine à charge d’un service public, ne saurait tomber dans le patrimoine du seigneur que si le concédant l’a prévu[9]. La moitié au moins des dispositions des Libri Feudorum porte directement ou indirectement sur cette question. Le reste traite du respect des règles en matière d’hommage et d’investiture et des sanctions dont sont passibles les seigneurs. On est loin du droit français ! L’opposition des systèmes est assez nette et essentielle pour limiter le domaine de l’étude à ces seules questions de dévolution.
 
L’exemple de la Provence et du Comté de Nice
C’est évidemment aux frontières des systèmes qu’on a le plus de chances de rencontrer les situations qui éclairent le mieux cette relation entre droit féodal français et jus commune feudorum.
         Les évolutions du droit féodal en Provence et dans le Comté de Nice, mais aussi en Piémont à l’époque de la Maison de Savoie, offrent un terrain particulièrement propice à l’observation des phénomènes d’interpénétration.
         C’est sans difficulté qu’on pourra ainsi opposer une coutume féodale provençale progressivement patrimonialisée à des pratiques piémontaises de plus en plus respectueuses du jus commune feudorum.
         Entre ces deux provinces, l’une sous l’influence du droit français, l’autre sous l’influence du jus commune, la petite province niçoise apparaît comme un espace de transition. Cette position est définie par le lien qui unit, depuis la Dédition de 1388, le Comté de Nice à la Maison de Savoie. Celle-ci a été réalisée, selon les juristes, aeque principalis[10]. La province conserve ses lois, privilèges et usages[11]. En matière féodale les fiefs inféodés par les comtes de Provence restent ainsi après 1388 régis par la coutume provençale, qu’ils aient été transmis dans la même famille seigneuriale ou qu’ils aient été vendus à de nouveaux seigneurs[12].
         Même si la Maison de Savoie applique les règles du  jus commune feudorum, en Piémont particulièrement, cela ne soulève pas de difficulté majeure. L’exception coutumière est possible. L’existence en Savoie d’une coutume féodale très favorable à la patrimonialisation le montre clairement. Le Comté de Nice est une partie de la Provence. L’expression « terres neuves de Provence », employée par l’administration de la Maison de Savoie elle-même, le prouve. La province peut donc bénéficier de la même coutume favorable.
         On peut donc très bien admettre que le Comté de Nice, tout comme la Savoie, soit soumis à une coutume, même très favorable à l’impropriation[13] des fiefs. On ne peut par contre admettre que cette pratique soit dépendante de l’évolution d’un système juridique étranger de plus en plus orienté vers la patrimonialisation et de plus en plus coupé du jus commune feudorum.
         L'étude de l'évolution comparée de la coutume féodale, ou des pratiques coutumières correspondantes, en Provence et dans le Comté de Nice éclaire cette problématique.
         En Provence, les Libri Feudorum progressivement dépourvus de force juridique, cèdent la place à la coutume dans une confrontation radicale. La coutume y exclut le jus commune, considéré comme droit étranger.
         Dans le Comté de Nice, la relation coutume-jus commune est plus complémentaire. Les normes y sont comme enchevêtrées dans un rapport d’autant plus complexe et changeant qu’il dépend des évolutions d’une référence coutumière extérieure, la coutume dite provençale.
         Si en Provence la coutume finit par écarter le jus commune on peut dire que dans le Comté de Nice le jus commune tente, non sans difficultés, d’encadrer la coutume.
 
La coutume exclut le jus commune
 
 La consuetudo  provençale
         Peut-on qualifier de « coutume », comme on le fait ici, les pratiques successorales provençales en matière de dévolution féodale ? Le terme ne peut en effet être employé sans quelques précautions[14]. La réponse n’est, de fait, ni simple ni dépourvue d’ambiguïtés.
L'idée que les questions féodales sont régies en Provence par une consuetudo correspond certes à une réalité. Le terme est employé. Ainsi Charles II comte de Provence concède-t-il à Blacas les terres d’Aups et de Moissac le 16 février 1309 « secundum usum et consuetudinem dicti Comitatus Provinciae » [15]. Mais s'agit-il vraiment d'une coutume ? Sans doute serait-il préférable de parler d'usage conforme à la nature des fiefs de la province[16]. D'ailleurs comment répondre par l'affirmative alors que les juristes provençaux des XVIIe et XVIIIe siècles, eux-mêmes, évitent d'employer le terme; ainsi Melchior Pastor[17], professeur de droit à Aix, « in alma Aqui-Sextiensi Academia » et auteur d'un Tractatus de jure feudali, ou Jacques Peissonel, avocat, assesseur d’Aix et syndic de robe de la Noblesse, dans son Traité de l’hérédité des fiefs[18]; ainsi encore Ventre de La Touloubre dans son Traité des droits seigneuriaux[19]ou Jean-Joseph Julien dans son Nouveau Commentaire sur les Statuts de Provence[20].
L'attitude de ces juristes est compréhensible. L'emploi du terme coutume ouvre sur l'expression droit coutumier et on voit mal ces subtils connaisseurs du droit romain affaiblir la portée des règles de dévolution des fiefs en les fondant sur une coutume…alors que, comme on le verra plus loin, ils peuvent les appuyer sur le droit romain, c'est à dire sur la loi[21].
Si les juristes provençaux n’offrent qu’un faible appui, il en va autrement de leurs collègues de la Maison de Savoie. C’est sans réticences que ceux-ci utilisent l’expression « consuetudine di Provenza »[22]. Cette coutume provençale, devenue niçoise par l’effet de la Dédition, est pour eux un jus proprium parfaitement défini, intégré au jus commune sous la forme d’une exception[23].
La prudence des juristes provençaux n’atténue cependant pas leur certitude : il existe bien des usages confirmés propres aux fiefs de la province. Il suffit de s’en référer à la jurisprudence développée par les cours d’Aix, Parlement et Cour des Aides et Finances, en matière de succession, de droits féodaux ou de fiscalité. Les ouvrages de Peissonnel, de Ventre de la Touloubre et de Julien offrent une description assez précise de ces pratiques provençales pour parler par prétérition… et par commodité de coutume provençale.
         Cette coutume dans son état final se présente comme très favorable au feudataire. Le fief est considéré comme un bien quasi allodial transmissible dans les plus larges conditions, aliénable sans le consentement du seigneur direct. Le droit commun féodal français a alors fait son œuvre. La consuetudo galliarum a touché la coutume provençale.
         Cette pratique est-elle un caractère constitutif de la féodalité en Provence ? Il est inutile de remonter aux pratiques les plus anciennes, celles des convenientiae[24] ; il suffit de souligner le rapprochement qui s’est opéré entre cette féodalité spontanée et la diffusion des modèles du jus commune à travers l’enseignement des universités aux XIIIe et XIVe siècles[25].
         On constate que se développe alors en Provence une conception nouvelle de la féodalité, plus politique et administrative. L’œuvre des souverains angevins de la Provence, par ailleurs rois de Naples et de Sicile, Charles I, Charles II, Robert le Sage, est à cet égard significative. La féodalité, avec ses fidélités et ses hiérarchies est devenue un outil politique. L’influence de la Curia napolitaine et de ses juristes est particulièrement nette[26]. Cette féodalité est administrative car les seigneurs participent à l’encadrement du pays ; elle est également fiscale car le comte tire parti des mutations de fiefs en percevant les trézains[27]. Cette évolution devient particulièrement nette à partir des années 1230[28].
         Peut-on pour autant considérer que cette féodalité est toute entière entre les mains du comte et que toutes ces concessions sont rectes et propres au point de limiter considérablement les possibilités de succession ? Assurément pas. Le fief apparaît au contraire très largement transmissible aux parents, divisible, aliénable. La simple observation laisse apparaître la patrimonialité. Ainsi l’enquête menée en 1290 dans plusieurs baillies provençales fait état de telles pratiques dont les plus saillantes sont les achats de fiefs par des roturiers ou par des clercs[29].
         On comprend qu’à partir de telles sources ait pu se développer l’idée d’une féodalité provençale quasi patrimoniale. Le pouvoir royal lui-même, au XVIIe siècle, parle sans nuance à propos des fiefs provençaux des « domaines aliénés par les comtes de Provence » [30].
         La pratique féodale semble donc s’opposer à la politique féodale des comtes. Elle laisse penser que les comtes n’ont pas su utiliser et faire respecter les règles des Libri Feudorum. On en conclut donc à un rejet précoce des Libri Feudorum en Provence. La question doit être discutée car si cela était le cas cela voudrait dire que les comtes de Provence, puis les rois de France, auraient refusé d’employer les ressources qu’offre le jus commune.
 
La compatibilité de la consuetudo provençale et des Libri Feudorum
         Il n'y a pas sur le fond d'incompatibilité entre une coutume féodale patrimoniale et l'application des Libri. Les deux droits peuvent coexister, l'un comme jus proprium, l'autre comme jus commune[31]. Telle est par exemple l'approche des juristes siciliens du bas Moyen Age qui distinguent les lois lombardes, jus commune pheudale, et le jus pheudale siculum issu de pratiques franques marquées par la patrimonialité. Le premier s'efface devant le second mais inversement le second impose une interprétation stricte de l'exception[32]. On ne manquera pas de constater, mais c'est à la limite de l'anecdote, que les juristes de Charles I d'Anjou eurent à trancher ce genre de questions jusqu'aux Vêpres siciliennes en 1282. La situation de la Provence n'est pas fondamentalement différente : une féodalité aux allures très patrimoniales coexiste avec le jus commune.
         Comment le montrer alors que les développements de la jurisprudence des XVIIe et XVIIIe siècles, totalement marqués par le droit français, n'y font pas allusion? Dans cette reconstitution d'un droit antérieur à l'application du droit féodal français il convient d'abord de prendre la mesure pratique de cette patrimonialisation et de la nuancer.
         Cette démarche supposerait qu’on dresse l’état des dévolutions féodales en Provence entre la fin du XIIIe siècle et le début du XVe siècle. S’en tenir à des opérations isolées, coupées d’une logique de dévolution, n’apporterait pas grand chose.
         Le projet est-il réalisable ? Les sources sont rares et éparses ; seules quelques familles importantes ont laissé assez de traces pour qu’on puisse reconstituer ces lignes de dévolution. Mais cela est-il représentatif ?[33]
         On a choisi ici d’exploiter les renseignement rassemblés par l’administration de la Maison de Savoie au XVIIIe siècle sur les fiefs niçois, et donc sur un certain nombre de fiefs inféodés par les Comtes de Provence avant 1388.
         Les recherches minutieuses effectuées par le procureur général près la Regia Camera de Conti de Turin, De Rossi, offrent un ensemble de données précises. Ces recherches concernent, pour ce qui nous intéresse ici, une vingtaine de fiefs inféodés par les Comtes de Provence. Toutes les lignes de dévolution ne sont pas vraiment exploitables ; l’uffizio du procureur général a, malgré ses importants moyens, manifestement eu des difficultés à rassembler la documentation nécessaire. On peut y voir un effet du « naufrage documentaire » auquel fait allusion Gérard Giordanengo pour le XIIIe siècle[34]. De l’analyse de ces dévolutions ressortent les points suivants :
Les divisions égales entre cohéritiers sont fréquentes[35]. Le cas emblématique, pathologique même, est celui du fief de Chateauneuf déjà divisé au milieu du XIIIe siècle en trois tiers dont l’un est possédé par cinq frères[36]. Mais il n’est pas rare que par succession ou par rachat le fief soit réunifié.
Les filles succèdent, a défaut de garçons, mais il peut arriver que le fief, ou la part de fief, soit partagée entre un fils et une fille. L’épouse héritière du fief est investie parfois seule parfois avec le mari. Les collatéraux succèdent-ils ? Tout le laisse penser bien que l’enquête du parquet général de la Regia Camera ne fasse pas apparaître le lien de parenté.
         On trouve également des successions de clercs mais avec deux réserves : l’approbation de la Curia aixoise est nécessaire et la clause d’investiture exclut toute transmission à tout autre clerc ou institution religieuse. La clause excluant les Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem semble fréquente.
         Enfin les ventes ou les échanges ne sont pas des opérations exceptionnelles. Il serait hasardeux de penser qu’elles sont laissées à la discrétion des seigneurs. Ici ou là on trouve une approbation accordée par le sénéchal de Provence[37].
         Rien dans tout cela n’est fondamentalement contraire aux principes édictés par les Libri Feudorum. Division, aliénation, succession des femmes, des ascendants, des clercs sont des opérations possibles à condition que la clause d’investiture le permette. Quelles sont ces clauses ?
         Parmi les formules les plus employées on retiendra, par souci de simplification, trois clauses-type d’investiture. La première, à condition qu'on l’interprète strictement à la lumière du jus commune, limite la succession aux enfants mâles et aux frères[38]. C’est la clause pro se, heredibus et successoribus.
         La seconde étend, non sans équivoque et imprécision, la succession aux filles, sœurs, ascendants[39] et peut-être aux collatéraux ordinaires. Il suffit d’ajouter quibuscumque à la précédente formule : pro se, heredibus successoribus quibuscumque.  On rencontre parfois l’expression pro se, heredibus successoribus universis.
         La troisième ajoute à la formule précédente… ad habendum et tenendum perpetuo placuerit faciendum . La clause permet alors les plus larges possibilités de succession, de division et d’aliénation même sous le consentement du seigneur.
         Chaque type peut être complété par des mentions particulières. Quelques exemples : pour Tourrette, l’investiture de Bonifacio Chiabaudi et de Gaussino et Rostagno de Berre pour deux parts d’un tiers le 13 mai 1354 est du troisième cas mais assortie de la réserve… cum consensu  tamen laudatione et approbatione dicta Curia  et à l’exclusion des personis ecclesiasticis et manu mortua[40]; pour Aiglun et Le Mas l’investiture du 26 juin 1350 au révérend Isnard de Albano est faite selon le premier type mais exceptés les Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem et les clercs[41]; pour La Caïnée l’investiture de Raimond Chiabaud et de son épouse Alasia, suite à leur achat du 7 septembre 1286, est faite selon la troisième formule mais on y ajoute…et quiquid eis, suisque heredibus deinceps pepetuo placuerint faciendum [42].
         On imagine mal les légistes de la Curia aixoise introduire de telles nuances si elles étaient dénuées de signification juridique. Ces précisions montrent qu'en Provence le droit des fiefs reste réglé par le jus commune pendant tout le moyen âge et même au delà. Dumoulin, lui même, en apporte la preuve.
 
Le Consilium L de Dumoulin
Dumoulin a donné en 1559, à propos de plusieurs fiefs provençaux et piémontais, un consilium[43] qui éclaire parfaitement la durée et la portée de l’application des Libri Feudorum. Il concerne six inféodations de fiefs piémontais faites par Louis et Jeanne roi et reine de Jérusalem et de Sicile et comte et comtesse de Provence, Forcalquier et Piémont le 12 octobre 1359 à Franceschino de Bolleris pro se et suis heredibus et successoribus in perpetuum ; d’une autre faite par la reine Jeanne en 1376 au même Franceschino du castrum de Monte en Provence pro se et suis heredibus utriusque sexus, ex suo corpore et legitime descendentibus, natis et nascituris ; et enfin d’une autre faite en 1380 à Freylon de Bollieris, frère de Franceschino du castrum et territoire de Cental en Piémont pro se et suis heredibus et successoribus ex suo corpore legitime natis  et nascituris.
La question posée à Dumoulin portait sur la signification de ces clauses et sur l’extension, selon les cas, des possibilités successorales aux femmes et aux collatéraux. Mais le problème préalable, et majeur, était de savoir si on pouvait appliquer à ces fiefs les règles et principes des Libri Feudorum. Tout l’intérêt du Consilium L est là.  Dumoulin, le grand commentateur de la Coutume de Paris, « base de tout le développement du droit féodal en France sous l’ancien régime »[44], peut-il faire abstraction de ses conceptions juridiques françaises ?
Sa définition du fief est célèbre : « Feudum est benevola, libera et perpetua concessio » [45]. Elle ouvre la porte à toutes les interprétations patrimoniales sans que le jus commune feudorum en tempère les excès. Cette approche des questions féodales est en effet très française : il faut certes d’abord considérer l’investiture, mais le fondement de cette nécessité est purement romain, civil, à partir de D 50, 17, 23, un fragment relatif au contrat[46], ce qui revient en quelque sorte à « civiliser » l’engagement féodo-vassalique. Si la convention est muette on se tourne vers la consuetudo de la région. Si celle ci est lacunaire on a recours au droit romain, en aucun cas aux Libri Feudorum[47].
Dans le Consilium L la méthode adoptée par Dumoulin est complètement différente[48]. Dumoulin affirme sans détour  que les fiefs concernés ne sont pas régis par le droit romain: « feuda enim non reguntur jure romani »[49]; la « loi des Lombards » fait ici exception au droit français, que Dumoulin considère d’ailleurs comme plus ancien[50]. Il n’y a aucune hésitation, même pas pour le castrum de Monte pourtant situé en Provence; « usus feudorum in rebus feudalibus in eadem Provincia observari »[51]affirme l'auteur.
On doit donc appliquer strictement les règles des Libri, sans effet patrimonial. Il est même excessif de dire que ces fiefs sont héréditaires car si c’était le cas ils seraient aliénables, comme les fiefs du royaume de France où les fiefs sont patrimonialia[52]. D’ailleurs, conclut-il, dans l’esprit des Libri le nouveau vassal ne succède pas au vassal précédent mais au premier investi. L’inféodation puise sa force dans la première investiture[53]. Dumoulin ne fait finalement ici qu'exprimer l'essentiel de la doctrine des Commentateurs en matière féodale.
 
L’interprétation civiliste de la clause  pro se heredibus successoribus
         Les clauses analysées par Dumoulin relèvent des catégories pro se heredibus successoribus ou pro se heredibus successoribus quibuscumque. Elles cantonnent les évolutions patrimoniales à l'intérieur du groupe familial… tant qu’on les interprète à la lumière du droit féodal. Elles ne portent pas de possibilité d’aliénation. L'analyse de Dumoulin permet seulement, considérant les cas étudiés, de mesurer la différence qu'il peut y avoir entre une interprétation féodale et une interprétation civiliste sur l’ordre de succession à l’intérieur du groupe familial, par exemple sur la capacité des femmes à succéder. Son consilium ne soulevait pas le problème d’une interprétation civiliste de la clause de base pro se heredibus successoribus avec ou sans quibuscumque ou universis ou équivalents ouvrant sur une patrimonialisation. Mais qui pourrait penser qu’une clause aussi précise, au plan du droit féodal, puisse donner lieu à une telle interprétation… et  permettre une dérive « allodiale » ? C’est pourtant ainsi qu’on a abordé la question, en Provence et ailleurs.
         On a en effet pris l’habitude en Provence d’interpréter très largement cette clause. On y considère que l’expression pro se heredibus successoribus comprend toutes sortes de successeurs, mâles et filles, mais aussi étrangers, qu’il s’agisse de successeurs universels ou particuliers. Peissonel donne l’explication de cette extension : « Nous ne pouvons interpréter ces termes que selon les dispositions du droit commun de cette province, c’est-à-dire selon la loi romaine, selon laquelle il serait ridicule de douter que ces termes ne comprennent que les successeurs universels et particuliers et à plus forte raison les mâles et les filles de même que les étrangers" [54]. Et effectivement, précise Peissonel, le droit romain fournit cette possibilité à partir de la loi Non Tantum (D 40, 5, 51) relative au fidéicommis « où il est décidé que le mot successeur comprend aussi l’acheteur »[55]. La base de l’interprétation est réduite, mais les conséquences sont considérables ! [56]
         Le commentaire de Peissonel est intéressant en ce sens qu’il éclaire une question de droit féodal au moyen du droit romain. Juridiquement, il n’est guère rigoureux. Peut-être vaudrait-il mieux considérer que l’appartenance de la Provence au royaume de France est de nature à écarter, à elle seule, toute application du droit commun des fiefs et à fonder l’application des usages féodaux français.
         C’est ce que soutient Pastor pour qui les fiefs provençaux sont commandés par la consuetudo Galliarum et sont donc patrimoniaux:  « Moribus Galliae feuda sunt patrimonialia et hereditaria ut bona emphyteuticaria, sive vassallus pro se et suis heredibus, sive pro suis liberis acceperit… Unde sequitur quod vassallus de re feudali ad libitum acceperit »[57]. Qui aurait quelque raison de douter que la Provence ne fasse partie des Gaules ?
         Finalement peu importe la raison : que ce soit par la loi romaine, la loi commune de la Provence, ou par l’effet d’usages propres aux Gaules, la clause pro se heredibus successoribus autorise la patrimonialisation du fief.
         Ces controverses sur un aspect central de la pratique provençale en matière de dévolution féodale montrent en tout cas que la référence au jus commune reste forte, jusqu’au XVIIe siècle en tout cas. A considérer les efforts que font les vassaux provençaux, plus exactement leurs interprètes juristes, pour l'écarter on peut penser que le risque d'un retournement de situation est réel. Le juriste provençal doit toujours avoir une bonne connaissance du jus commune feudorum parce qu'on peut toujours alléguer en justice telle ou telle disposition des Libri Feudorum, comme par exemple la prohibition d’aliéner les fiefs édictée par l’empereur Frédéric ou les conditions restrictives encadrant l’exercice de la prescription trentenaire[58] ou encore les conditions d’exemption du paiement des lods[59] ou le consentement des parents en cas d’aliénation[60].
         C’est cette situation incertaine qu’illustre le consilium L de Dumoulin. Il soulève deux questions particulièrement gênantes pour les vassaux provençaux: d'une part il met l'investiture au premier plan… démarche que les vassaux redoutent, surtout lorsque celle-ci est restrictive; d'autre part il avance un argument incontournable et très négatif pour les partisans de l'interprétation civiliste: on n'utilise pas le doit civil en matière féodale, pas en tout cas à la place du jus commune feudorum, seulement de façon marginale ou accessoire[61].
Couverte par l’autorité du grand jurisconsulte, l’application lombarde constitue un obstacle redoutable. C’est avec difficulté que Peissonel tente d’en démonter le mal fondé au moyen d’une longue dissertation historique[62] et c’est sans détour qu’il juge finalement que Dumoulin « a erré en droit et en fait ».
Au delà de la controverse, le Consilium L permet ainsi d’écarter un rejet précoce et général des Libri Feudorum en Provence.
         La jurisprudence de la Cour des Aides et du Parlement d’Aix, favorable à l’orientation patrimoniale, contournera l’obstacle en interprétant de façon extrêmement souple et en l’adaptant le jus commune. Il n’en reste pas moins que les Libri Feudorum restent consultables avec la plus grande facilité puisque ils font matériellement partie du corpus romain. Rien n’empêche telle ou telle autorité administrative de s’appuyer sur une disposition des Libri  pour faire reculer les prétentions d’un seigneur. Ou tout simplement de considérer que le caractère coutumier patrimonial des fiefs provençaux n’est nullement établi et qu’on peut toujours remettre en question telle ou telle dévolution.
 
La réception en Provence du droit féodal français
         Une controverse survenue à l'époque de Louis XIV, à l'occasion de l'application de plusieurs mesures destinées à protéger le Domaine, illustre la réception en Provence du droit féodal français. Un arrêt du Conseil du 23 février 1663 permettait aux habitants des lieux dépendant du Domaine engagé en application de l'édit de Moulins du 13 juin 1566 d’exercer une faculté de rachat perpétuel et de rembourser les engagistes. Quelques communautés d’habitants interprétèrent l’arrêt de façon plus large et prétendirent exercer cette faculté de rachat à propos des inféodations faites par les comtes de Provence, avant l’union à la Couronne de France donc. Un autre arrêt du Conseil du 5 octobre 1666 donnait à ces communautés le droit « de rentrer dans les domaines aliénés par lesdits comtes de Provence ». Un troisième arrêt du 3 octobre 1667 députait des commissaires pour procéder à la réunion[63].
         La Noblesse provençale réagit avec vivacité, non contre les rachats des domaines engagés, mais contre la remise en cause de « l’ancien domaine aliéné par les comtes de Provence » [64]. « Cette recherche ruinerait la plupart des illustres familles » assure  Peissonel. Elle forma donc une opposition à ces arrêts. L’argumentation reposait principalement sur l’idée que les concessions faites par les comtes de Provence étaient héréditaires : « Les comtes de Provence, et principalement ceux qui ont été aussi rois de Naples et de Sicile, se sont conformés à cet usage des fiefs dérivé du droit romain, depuis composé par Obertus de Orto et Gerardus Niger consuls de Milan. En telle façon que les fiefs des rois de Sicile étaient sensés perpétuels et héréditaires si le contraire n’était dit dans l’inféodation » [65]. Il revenait à l’administration d’apporter la preuve contraire.
         La démonstration est surprenante. Elle prend appui sur les Libri Feudorum et sur l’autorité de leurs auteurs. On invoque même l'édit de l’empereur Conrad II du 28 mai 1037 sur l’hérédité des fiefs[66]! Attaquée sur le terrain des inféodations supposées temporaires accordées par les comtes de Provence, la Noblesse construit une ligne de défense infranchissable : c’est à l’administration de rechercher et présenter les titres. Au cas où ces titres seraient contraires, ceux-ci seraient interprétés de façon favorable aux seigneurs, sur une base civiliste ; enfin l’imprescriptibilité de Domaine ne les concernait pas précisément puisque ces concessions avaient été faites par les comtes de Provence et non par le roi de France ![67]. Le pouvoir recula et  les lettres patentes de juin 1668 révoquèrent les arrêts du Conseil concernés.
C’est à la lumière de cette bataille juridique qui fit trembler la noblesse provençale qu’il faut apprécier le Traité de Peissonel publié vingt ans plus tard. Son objet est de couper la coutume féodale provençale de toute référence aux Libri Feudorum, ce que ne faisait pas la protestation de la Noblesse. Ceux-ci ne sont que « lois étrangères », simplement la « loi des lombards », « lois locales » faites « pour l’Italie et l’Allemagne seulement ». En outre « le livre de l’usage des fiefs, colligé par Gerardus Niger et Robertus de Orto, qui n’étaient que consuls de Milan, ne sont pas authentiques et ne peuvent être allégués pour lois en Provence, que c’est d’ailleurs une compilation ou n’y a que d’incongruités, d’incertitudes de contrariétés et même de faussetés ce qui a obligé Balde de dire que ces compilateurs étaient des ânes ». « On fera voir, poursuit Peissonel, que les comtes de Provence ne se sont jamais conformés à ces lois des Lombards » [68].
         A une époque où le droit français prend corps l’argumentation de Peissonel vise juste. Elle rejette une législation étrangère dont, en outre, la qualité est jugée mauvaise. Elle ouvre la voie à une réception large du droit commun féodal français.
 
Le jus commune encadre la coutume
 
 L’interprétation féodale de la clause pro se heredibus successoribus
Les Libri Feudorum doivent être considérés comme un puissant moyen d’encadrement de la féodalité, tant au plan de la dévolution qu’en matière de respect des obligations. On a vu comment en Provence cette influence a reculé.
Le mouvement est inverse dans les Etats de la Maison de Savoie. Son souverain, qui se pare du titre de vicaire impérial[69], n’a aucune raison de refuser l’application de la loi féodale commune. C'est en outre un bon moyen pour encadrer des vassaux indisciplinés.
En effet le duché de Savoie est au XVe siècle très marqué en matière nobiliaire par les influences françaises : en Savoie le processus de dévolution patrimoniale est en cours de consolidation ; le Piémont semble suivre la même voie. Les interventions conjointes du duc de Savoie Philibert II et du roi de France Louis XII contre le Milanais en 1499 ont renforcé les influences françaises. Le revirement d’alliance et les nouveaux liens que noue la Maison de Savoie avec l’Empire en 1501[70] modifient cette donne. C'est dans ce contexte que le duc Philibert II décide de mettre de l’ordre dans la concession des biens féodaux avec l'édit du 1er décembre 1503, dit « Quia in plerisque » [71], qui impose une interprétation stricte de la clause pro se heredibus successoribus universis une variante de quibuscumque. Le fief est censé être concédé de façon recte et propre même si l'inféodation a été faite sous cette clause. Ces fiefs ne peuvent pas être aliénés.
L’édit ne concernait que le Piémont, « patria cismontana », pas la Savoie. Le soutien constant et puissant apporté par la Chambre des Comptes de Chambéry à la noblesse savoyarde suffit à expliquer cette limitation. On remarquera que le Comté de Nice et toutes les terres adjacentes rattachées en 1388, comme la Vallée de Barcelonnette, bénéficièrent du même traitement… ce qui revenait indirectement à reconnaître la nature provençale de ces fiefs[72].
Cette position fut maintenue après 1539, après la création d’une seconde chambre des comptes à Turin[73] -la Regia Camera de Conti-, compétente en matière domaniale et féodale pour le Piémont mais aussi pour les terres issues de la Dédition niçoise de 1388. La juridiction piémontaise tranche alors tous les litiges concernant les dévolutions niçoises de façon patrimoniale[74]. Son parquet général n'a même jamais requis contre cette pratique[75].
Mais pour les vassaux niçois un risque demeurait, celui d’une application toujours possible de l’édit de 1503. Ceux-ci se sont donc entourés de garanties : avant la publication de l’édit comme après, il est rare qu’une investiture faite pro se heredibus successoribus quibuscumque ou universis ne soit pas accompagnée d’une mention rappelant que la concession est faite conformément aux investitures anciennes du fief ou part de fief, « ad mentem anticiparum investiturarum » par exemple[76] ou plus fréquemment qu’elle assure la dévolution à tous les successeurs « de more patriae capacibus ».
 
Sa non application aux fiefs niçois
La continuité provençale est donc clairement revendiquée par la Noblesse niçoise comme une protection. Celle-ci est d'ailleurs de plus en plus assurée: on a vu comment, à mesure que le temps passe, la Noblesse provençale renforce son argumentation en faveur de la patrimonialité. Il en est de même en Savoie « en dépit des efforts de l'autorité souveraine pour contrôler les mutations »[77].
Cette non application de l’édit de 1503 est durable. Elle résiste même à l’offensive du duc Emmanuel-Philibert. Dans sa politique de reconstruction de l’Etat sabaudo-piémontais, affaibli par les guerres et les occupations, il demande à la Regia Camera de vérifier toutes les inféodations, cas par cas[78]. Celle-ci maintien sa jurisprudence niçoise.
Toutefois, il apparaît clairement qu’à partir de cette époque, fin XVIe-début XVIIe siècle, les inféodations nouvelles ne sont plus accordées que de façon recte et propre. Cela aurait dû bloquer toutes les évolutions patrimoniales.
La difficulté a pourtant été contournée: les inféodations sont en effet fréquemment assorties d’une clause dérogeant expressément à l’édit de 1503, assurant ainsi les feudataires contre tout risque de retour à la Couronne en cas d’absence de descendants mâles[79]. Cet aménagement concerne douze inféodations de 1616 à 1646, dont neuf à la suite de la commise du comté de Beuil consécutive à la condamnation du comte Annibal Grimaldi pour félonie. Cette série de dérogations illustre la résistance des pratiques coutumières locales. Il apparaît impensable qu’on puisse limiter ainsi la disponibilité du fief.
La régence de Madame Royale, Christine de France, durant la minorité de Charles-Emmanuel II, marque une nouvelle offensive contre les tendances patrimoniales féodales. Un billet du 17 septembre 1644 adressé à la Regia Camera ordonne de n’accepter à l’avenir plus aucune concession susceptible d’altérer la nature recte et propre d’un fief sans s’être préalablement informé du préjudice causé à la Couronne[80]. On remarquera que pour éviter le fractionnement on autorisait toutefois largement les érections en primogénitures[81]. La tentation patrimoniale reste forte!
Elle se manifeste même dans le cadre des clauses les plus clairement contraires du type heredibus sussessoribus. Un édit du 2 juin 1648[82] vise ainsi les controverses récurrentes concernant les fiefs héréditaires mixtes, c’est-à-dire ceux inféodés avec la clause heredibus successoribus permettant la succession, sauf précision contraire, des fils et des filles. Il est clairement précisé au chapitre 3 qu’il convenait de comprendre « la parola heredibus e la parola successoribus tante divise che unitamente » comme l’équivalent d’héritiers et successeurs du sang, semblable à « filiis et discendentibus ». Le texte était explicitement applicable di quà e di là de monti, donc à la province niçoise.
Des dispositions aussi claires auraient dû écarter définitivement toute idée de patrimonialisation. Celle-ci était pourtant trop ancrée pour qu’on inféode des fiefs strictement rectes et propres. Les inféodations de la période qui suit, principalement celles résultant de l’édit du 5 septembre 1697[83], comportent toutes des clauses fortes d’ impropriazione du type « ad aver tener possedere e fare tutto cio che anche al sudetto e suoi successori come sopra piacera » [84]; ou encore du type « discendenti maschi e femine ed aventi causa da loro in infinito » [85]; ou encore « per se e suoi discendenti maschi e femine eredi e successori ed aventi causa da loro e conforme a la consuetudine feudale di detto Contado di Nizza »[86]. Dans la province niçoise quinze inféodations ont été faites avec ces clauses. Aucune n’a été réalisée recte et propre.
Manifestement le sentiment qu’il existe une coutume féodale propre au Comté reste assez fort pour influencer la rédaction des clauses d’inféodation dans le sens d’une impropriation accentuée. La coutume « provençale » se trouve en quelque sorte exprimée et relayée par les clauses d’investiture.
Plus décisive apparaît être l’offensive de Victor-Amédée II. Celui-ci impose en 1720 le retour au Domaine de tous les biens démembrés depuis l’édit du duc Ludovic du 22 avril 1445, sauf à prouver que le démembrement a été effectué régulièrement. Huit cents feudataires, pour l’ensemble du royaume, furent invités à prouver leur possession devant une Camera ardente[87]. Cette opération donna lieu à la réunion au domaine de 172 fiefs, pour la plupart aliénés à l’époque des régences[88].
Ils furent réinféodés de façon strictement recte et propre à de nouveaux seigneurs que la noblesse traditionnelle qualifia par dérision de Nobiltà del 22, c’est-à-dire d’anoblis de 1722. Dans le Comté de Nice, quinze fiefs étaient ainsi réinféodés[89]. Les Royales Constitutions de 1729 confirmeront l’orientation nouvelle[90].
 
 La coutume provençale est-elle applicable aux fiefs niçois ?
Le séisme féodal de 1720, fut assez fort pour montrer aux feudataires qu’on avait changé de système. Il y avait maintenant deux catégories de seigneurs, ceux dont les inféodations étaient antérieures à 1720 et ceux qui avaient été inféodés après. Dans le Comté de Nice cette distinction fut réduite à la distinction entre anciens et nouveaux fiefs et comprise, pour les anciens dans un sens totalement conforme à la coutume provençale. Les mesures de Victor-Amédée II avaient en quelque sorte provoqué indirectement une consolidation autour du principe patrimonial.
 La tendance semble alors redevenir favorable à la coutume patrimoniale pour tous les fiefs anciens. L’édit du 5 août 1752, à propos des fiefs savoyards, a certainement beaucoup compté. Ceux-ci y sont considérés « conformément à la coutume » comme « aliénables tant par contrat que par disposition de dernière volonté et transitoires à toutes sortes d’héritiers mâles ou femmes ». Cette patrimonialisation, destinée à rassurer la Noblesse de Savoie, était toutefois accompagnée d’un droit de rachat « conservé par des usages favorables » et « constaté par des édits et des arrêts des magistrats de delà des monts » [91]. C’est ce droit de rachat accordé aux communautés d’habitants qui permettra vingt ans plus tard d’organiser l’affranchissement des fiefs de Savoie.
La seconde marque du changement concerne Nice: la Regia Camera prend nettement position en faveur du fondement coutumier. La juridiction ne se limite plus à accepter passivement l’exception niçoise, elle développe une position jurisprudentielle active.
Une série de jugements va éclairer la question et rassurer les vassaux niçois : c’est d’abord en 1734 la reconnaissance du caractère patrimonial du fief de Berre parce que présumé inféodé par les comtes de Provence[92]. C’est ensuite l’importante decisio rendue à propos du fief de Demonte, un fief situé dans une vallée alpine du Piémont : il est transmissible dans les plus larges conditions parce qu’inféodé par les comtes de Provence[93].
En 1743 c’est au tour de La Roquette de bénéficier de cette avantageuse analyse, encore que dans ce cas on pouvait s'appuyer sur une clause d’investiture particulièrement large du type ad habendum et tenendum perpetuo placuerit faciendum [94]. Mais dans son jugement la juridiction tint à faire référence à sa decisio rendue à propos de Demonte.
Enfin en 1756 c’est au tour de Belvédère et de Fougassières. La Regia Camera de Conti aurait très bien pu dans chacun de ces deux cas sanctionner une transmission patrimoniale contraire à l'investiture. Pour Belvédère il s’agissait en effet d’une inféodation recte et propre ; la cour réussit pourtant, malgré l’opposition du ministère public, à autoriser la transmission parce que le fief était concédé « per gli eredi e successori seconda la consuetudine di Provenza si doveva alora rimirare come ereditorio » [95]. Pour Fougassières il s’agissait d’un fidéicommis tellement douteux et emmêlé dans les divisions inextricables qu'on aurait pu sans difficulté ordonner une réunion au Domaine. On choisit pourtant d’autoriser la transmission parce que, explique le secrétaire d’Etat aux Affaires internes Lanfranchi, les fiefs de ce Comté suivent la « consuetudine della Provenza » [96].
Cette dernière affaire aura d’importantes conséquences. Elle conduisit le pouvoir à prendre officiellement position sur la question de la coutume. Un congrès fut réuni à  cet effet autour de Jean Louis Maistre, procureur général près la Regia Camera et Benzo premier-président. Il en sortit un parère qui considérait effectivement presque tous les fiefs inféodés avant 1722 comme antiques et donc soumis à la « consuetudine di quel paese ». Ces fiefs sont héréditaires « ed a guisa d’allodia ». On demandait au roi de prendre un édit analogue à celui applicable aux fiefs de Savoie mais sans droit de rachat puisque ce droit n’était aucunement établi dans la province niçoise[97] et qu’il ne pouvait être question de l’imposer par une loi.
Un projet d’édit fut rédigé par Benzo dans ce sens : le terme consuetudine y revient fréquemment ; le magistrat y qualifie les fiefs niçois de « meramente ereditori », aliénables à volonté « senza nostro Regio assenso » et « senza necessità di farne l’oblazione agli agnati »[98].
Cette consolidation coutumière est forte et totalement sans nuances. Elle doit être éclairée et expliquée dans la mesure où elle fait l’impasse sur les possibilités d’une interprétation stricte offertes par le droit commun. Faut-il y voir l’action des hommes ? Sans trop s’avancer sur ce terrain force est de constater qu’on trouve trois personnages particulièrement bien placés pour justifier à Turin ces positions coutumières niçoises: Pierre Mellarède, Savoyard, intendant général du Comté de Nice de 1699 à 1702 puis ministre; il est très influent dans les milieux politiques turinois jusqu’à sa mort en 1730[99]. On notera que c’est son neveu Pierre, futur premier-président du Sénat de Nice, qui est relatore dans l’affaire Demonte en 1745[100]. Charles-Louis Caissotti ensuite, Niçois, substitut du procureur général près la Regia Camera en 1720, procureur général en 1723, premier-président du Sénat de Turin à partir de 1730 pendant 37 ans, ministre d’Etat en 1750. Jean-François Maistre enfin, Niçois lui aussi, procureur général près la Regia Camera en 1730 après Caissotti, jusqu’en août 1756 puis second-président de cette même cour jusqu’à sa mort en 1760.
Ces données ne sont pas négligeables. On se trouve avec ces fonctionnaires au cœur de l’Etat sabaudo-piémontais et il n'est pas douteux que leur influence dépasse le cadre strict de leurs fonctions. Directement ou indirectement ils ont œuvré en faveur de la reconnaissance du principe coutumier. On se bornera à remarquer, pour finir, qu’avec la disparition de Maistre la Regia Camera réoriente ses positions. A partir de 1762 la Regia Camera s'interroge sur les fondements de la coutume provençale.
On ne s’était en effet guère intéressé jusque-là au contenu de cette coutume, dite « provençale ». Quelle en était la portée précise ? Le parquet général engagea des recherches. Le sénateur niçois Trinchieri fut chargé de rassembler les pièces et documents nécessaires à l’éclaircissement. Son enquête le conduisit au cœur de la protestation nobiliaire provençale, illustrée par son opposition aux édits de Louis XIV et les démonstrations de Peissonel et de Ventre de La Touloubre. On prit alors conscience à Turin des effets négatifs de l’application de cette coutume. Cette patrimonialisation de la féodalité était synonyme d’indépendance. Elle pouvait avoir les effets les plus néfastes tant à Nice qu’en Savoie et même en Piémont. Il fallait couper toute référence provençale.
C’est ce à quoi s’emploiera Giovani Tomaso De Rossi de Tonengo, parfait produit de l’administration piémontaise éclairée, substitut à la Regia Camera au temps de Maistre puis juge et enfin procureur général en 1768. Il est l’artisan de l’édit d’affranchissement des fiefs savoyards du 17 décembre 1773[101]. Pour le Comté de Nice, faute de pouvoir mettre en œuvre une politique de rachats de droits féodaux par les communautés, comme cela se faisait pour la Savoie, il développera une argumentation propre à retirer toute légitimité à l’approche coutumière par un examen systématique de l’investiture.
C’est ce processus qui se développe dans le Comté de Nice à partir des années 1770. La nouvelle jurisprudence de la Regia Camera devait permettre à terme de limiter le caractère patrimonial à quelques fiefs explicitement inféodés de façon quasi allodiale[102]. Pour tous les autres le retour à la Couronne était possible, à la première occasion favorable, permettant ainsi des réinféodations modernisées, débarrassées de la plupart des contraintes féodales.
 
Conclusion
         Il est légitime de considérer le droit féodal des Libri Feudorum comme la norme commune, au même titre que le Digeste, les Institutes, les Novelles et le Code auxquels il est d’ailleurs matériellement rattaché par tous les éditeurs du Corpus juris civilis.
         L’ensemble forme, avec le droit canonique, la base d’un droit européen appliqué avec plus ou moins de nuances et marqué d’exceptions plus ou moins larges. Le droit féodal est soumis sur ce plan aux mêmes tentions et contradictions que le jus civile . Il est parfois droit savant, droit de référence, et plus souvent droit commun effectif.
         Mais la problématique juridique ne saurait être réduite à cette distinction bien connue, droit savant-jus commune. En effet, là où ils sont effectivement applicables, les Libri Feudorum ne constituent pas la norme absolue et unique. Ils sont jus commune et donc par définition couplés et combinés avec des normes propres et particulières : l’investiture -« loi du fief »-  et la coutume. Ce n’est que subsidiairement qu’on applique les Libri.
C’est dire combien le problème de la coutume est important. Peut-elle être particulière au point de déroger ? On a vu comment le duc de Savoie a réagi. Il a usé de son pouvoir souverain pour éliminer les mauvaises interprétations, c’est à dire celles contraires au jus commune feudorum. On a vu aussi comment un processus inverse s’est développé en Provence justement parce que le roi de France, Louis XIV pourtant, ne disposait pas des mêmes moyens juridiques.
De telles consolidations coutumières sont d’ailleurs de moins en moins exceptionnelles à mesure que le temps passe et que les approches juridiques nationales prennent corps. Helmut Coing note, à propos de la doctrine allemande, qu’au XVIIIe siècle les premiers germanistes soutiennent que la diversité des coutumes féodales est parfaitement acceptable et que chacune est non seulement légitime mais aussi autonome parce que le droit féodal vient du consentement du peuple, pas de la loi du prince. « Jus feudorum suam originem, non ex promulgatione legum, sed ex usu populorum accepit » affirme Johann Schilter[103]. La position coutumière française est finalement assez proche. Mais comment justifier une pareille autonomie et une telle puissance de la coutume en pays de droit écrit ? On a vu combien la solution provençale était paradoxale. C’est le droit romain qui vient au secours du seigneur dans sa quête de la patrimonialité.
Deux remarques pour terminer, l'une sur la cohérence des sources en droit féodal, l'autre sur les conséquences de l'interprétation « romaine ».
         Sur le premier point on peut constater que la plasticité du jus commune est sans limites dès qu’on s’interdit d’imposer la conformité à la norme supérieure, ici les Libri, ou dès qu’on prend dans un autre système normatif commun, ici le droit civil romain, des règles externes -celles du droit de propriété en l’occurrence- étrangères à la logique du droit féodal.
         Sur le second point on doit souligner l’ingéniosité déployée par les feudistes pour écarter les Libri Feudorum, surtout lorsqu’il s’agit de prouver la nature quasi allodiale du fief. C’est vrai en France comme en d’autres lieux. Mais cette approche est lourde de conséquences car elle interdit tout retour au Domaine et toute rénovation du système féodal[104]. Eclairé par la réaction féodale et par la Révolution, le problème prend pour la France un relief tout à fait particulier. La Révolution a fait par la force, avec les décrets d’abolition et de rachat des droits seigneuriaux et féodaux du mois d’août 1789, ce qu’en d’autres lieux on a fait par la réforme. Tout simplement parce que le droit, en l'occurrence le droit commun coutumier favorable à la quasi allodialité des fiefs, interdisait ici ce qu’il autorisait ailleurs.
 
 
 
 
 
 


[1] Sur cette question, Michel Bottin, Controverse sur l’application aux fiefs niçois des principes des "Libri Feudorum". XVIe-XVIIIe siècles, in Recueil de mémoires et travaux de la Société d’histoire du droit des anciens pays de droit écrit, fasc XI, 1980, pp. 99-112.

[2] Œuvres, 12 T., Paris, 1769, au T. 7, p. 9, à propos de l’article 84 de la Coutume d’Artois. Le parallèle avec le droit commun coutumier français s’impose. Sur la notion de "droit commun coutumier" en droit français, cf. Paul Petot, Le droit commun en France selon les coutumiers , in Revue historique de droit français et étranger, 1960, pp. 412-429.

[3] Traité du droit commun des fiefs, part. 1, ch. 85, cité par Merlin, Répertoire de jurisprudence, T. 5, Paris, 1812, art. « Fief », p. 235.

[4] Mais les variantes ne manquent  pas ! Sur la problématique de la hiérarchie des normes et sur les évolutions de la doctrine allemande, cf. Helmut Coing, « L’application des Libri Feudorum » , in Diritto commune e diritti locali nella storia dell’Europa, Giuffré, Milano,  1980, pp. 15-23.

[5] Cf. Jacques Poumarède,  « Droit commun versus coutume de Toulouse. XIIe-XVIIIe siècles », in El dret comù i Catalunya, Barcelona, 1995, pp. 195-214.

[6] Gérard Giordanengo, Le droit féodal dans les pays de droit écrit. L’exemple de la Provence et du Dauphiné. XIIe-début XIVe siècle, Ecole française de Rome, 1988, et « Coutume et droit féodal en Dauphiné et en Provence (XIIIe-XIVe siècles) », in Diritto commune e diritti locali nella storia dell’Europa, Giuffré, Milano, 1980, pp. 155-167.

[7] Noter que les éditions du Corpus juris civilis comprennent toujours les Libri Feudorum.

[8] Paul Ourliac et Jean-Louis Gazaniga, Histoire du droit privé français de l’an mille au Code civil, Albin Michel, Paris, 1985, p. 109, à propos de la tradition du Midi de la France : «  Les formes et les effets des fiefs et des tenures sont toujours rapportés à un contrat primitif ».

[9] Michel Bottin, « La Regia Camera de Conti de Turin et la rénovation féodale dans les Etats de la Maison de Savoie au XVIIIe siècle », in Senati Sabaudi fra antico regime e Restaurazione-Les Sénats de la Maison de Savoie, Ancien Régime-Restauration, a cura di Gian Savino Pene Vidari, Giappichelli Editore, Torino,  2001, pp.181-195.

[10] Tommaso Richieri, Tractatus de Feudis, 2 T., Turin, 1791, au T. 1, De Feudis Niciensibus, p. 344 sq. Cet ouvrage analyse le droit commun féodal  dans son dernier état. Sur Richeri, G. Valla, « Un giurista dell’ultimo diritto comune. Ricerche su Tommaso Maurizio Richeri ( 1733-1797) », in Rivista di storia del diritto italiano, 1982, pp. 117-182.

[11] La situation inverse est l’union accessoria dite aussi extinctiva parce qu’elle entraîne l’extinction des droits antérieurs de la région rattachée. Ibidem paragraphe 1208.

[12] Eugène Caïs de Pierlas, La Ville de Nice pendant le premier siècle de la domination des princes de Savoie, de 1388 à la fin du XVe siècle, Turin, 1898, souligne, pp. 231-243, l’importance du changement. 1388 a effectivement modifié la composition de la noblesse niçoise. Cela ne signifie pas pour autant que la Dédition a provoqué une large réinféodation des fiefs niçois par le nouveau souverain. Au contraire il y a continuité. La mutation s’effectue dans le cadre juridique féodal existant.

[13] Changement de nature du fief résultant, selon la définition du jus commune feudorum, d'une inféodation non recte et propre, c'est à dire comportant des dérogations plus ou moins accentuées au principe de dévolution aux descendants directs.

[14] Sur la problématique coutumière, Jean-Marie Carbasse, « Contribution à l’étude du processus coutumier : la coutume de droit privé jusqu’à la Révolution », in Droits, n°3, La coutume, 1986, pp. 25-37.

[15] Jean Joseph Julien, Nouveau commentaire sur les Statuts de Provence, 2T., Aix, 1778, au T. 2, p. 63.

[16] L’abbé de Cruis  prête hommage lige « in feudum juxta morem et naturam pheudorum Provinciae », Giordanengo, Le droit féodal dans les pays de droit écrit, op. cit., p. 175.

[17] Toulouse, 1712.

[18] Aix, Roize, 1687.

[19] Jurisprudence observée en Provence sur les matières féodales et les droits féodaux, Avignon, 1756.

[20] 2 T., Aix, 1778

[21] Le droit coutumier « repose sur l'idée d'une norme ne s'appuyant pas de manière exclusive sur la loi », Frank Roumy, « Lex consuetudinaria, jus consuetudinarium. Recherche sur la naissance du concept de droit coutumier aux XIe et XIIe siècles », in Revue historique de droit français et étranger, 2001, p. 258.

[22] Ainsi le procureur général près la Regia Camera de Conti de Turin , De Rossi de Tonengo, dans son enquête sur le fief de Chateauneuf dans le Comté de Nice : on a reconnu « che li feudi della Provenza di cui era parte il sudetto Contado, prima che pervenisse alla nostra Corona, erano e sono per consuetudine di quel paese… », Arch. dép. A-M, Città e Contado di Nizza, Chateauneuf, mazzo 34, L. 12, 23 août 1769.

Cette référence sera citée infra "Rapport De Rossi, Chateauneuf".

Arch. dép. A-M, Città e Contado di Nizza, Mazzo 38, Fougassières, 1bis, P. 3, 13 octobre 1756, rapport de De Rossi à propos du fief de Belvédère: « per gli eredi e successori seconda la consuetudine di Provenza », Parere del Procuratore generale di S.M. Conte De Rossi di Tonengo intorno la natura de feudi del Contado di Nizza, 250 f°, avec titres de possession, tables de succession, rectifications…, 26 mars 1770, Arch. dép. A-M, Città e Contado di Nizza, Mazzo 13 /1, L 4 , f° 13-14.

Cette référence sera citée infra « Rapport De Rossi, Natura feudi ».

[23] C’est l’analyse de Richeri, Tractatus de Feudis, op. cit., p. 344 sq.

[24] Giordanengo, Coutume et droit féodal en Dauphiné et en Provence, op. cit.,  p. 156.

[25] Ennio Cortese, Il diritto nella storia medievale, 2 T., Il Cigno Galileo Galilei, Roma, 2e édition, 1997, au T. 2, p. 145.

[26] Giordanengo, Le droit féodal dans les pays de droit écrit, op. cit., p. 181 et Coutume et droit féodal en Dauphiné et en Provence, op. cit., pp. 158-159 : « Ce n’est pourtant pas au coup par coup que le droit des fiefs s’est modifié en Provence au cours du XIIe siècle mais par l’influence des juristes qui ont imposé le droit savant… » ; « On a donc affaire à un milieu international de très haut niveau scientifique, qui connaît parfaitement les Libri Feudorum »… « Ils ont donc élaboré un jus commune feudorum qu’ils ont tendance à imposer  contre une coutume qui n’a pas résisté ».

[27] Ibidem, Le droit féodal, op. cit., p. 181, note 129.

[28] Ibidem, p. 184.

[29] Ibidem, p.178.

[30] « Copie de lettres patentes en forme d’édit du mois de juin 1668 sur l’arrêt de confirmation des domaines aliénés par les Comtes de Provence, extraite des remontrances de la Noblesse de Provence au roy de 1668 », pièce collectée par le sénateur Trinchieri et adressée à Turin le 12 août 1762, Arch. dép. A-M, Città e Contado di Nizza, Mazzo 13/1, L 2 , f°8.

[31] Sur la problématique générale jus commune-jus proprium, cf., Isidoro Soffietti, « Note sui rapporti tra diritto sabaudo, diritto commune e diritto locale consuetudinario », in Rivista di storia del diritto italiano, 1984, p. 265 sq et Isidoro Soffietti-Carlo Montanari, Il diritto negli Stati Sabaudi: le fonti (secoli XV-XIX), Giappichelli ed., Torino, 2001.

[32] A. Romano, « Graduazione e sistema delle fonti normative nei "consilia" dei giuristi siciliani del tardo medioevo e della prima età moderna », in El dret comù i Catalunya, Fundacio Noguera, Barcelona, 1995, p. 178.

[33] Giordanengo, Le droit féodal dans les pays de droit écrit, op. cit., p . 184, à propos de la famille des Baux. On notera toutefois que la matière est étonnamment mince; une analyse des successions pratiquées dans la famille des Grimaldi de Beuil fournirait, par exemple, d'utiles renseignements.

[34] Giordanengo, Le droit féodal dans les pays de droit écrit, op. cit., p. 184.

[35] Jacques Peissonnel, Traité de l’hérédité des fiefs de Provence, Aix, 1687, p. 134, à propos du fief de Forcalquier, exemple de grand fief divisible « contre la loi des Lombards »  établissant l’indivisibilité des grands fiefs.

[36] Rapport De Rossi, Chateauneuf, op. cit., du 23 août 1769 qui renvoie à l’enquête de Léopard de Fulginet ordonnée par le comte de Provence.

[37] Constatations faites à partir des données fournies par: Rapport De Rossi, Chateauneuf, op. cit., Rapport De Rossi, Natura feudi, op. cit. et Précis historique des Feudi del Contado di Nizza, investitures, aveux, acquisitions… XIVe siècle-1751, Arch. dép. A-M, Città e Contado, Mazzo 1 ad., L. 15, P. 1. Il n’est guère possible, dans le cadre de cette étude, de présenter l’ensemble des données qui fonde l’analyse. La question mérite une étude particulière.

[38] Donc en principe pas aux filles, sauf dans le cas des « fiefs héréditaires mixtes », cf. infra. Selon certains la succession est possible pour les collatéraux privilégiés, frères et sœurs, ainsi que leurs descendants. Cf. le Consilium de Dèce que rapporte Peissonnel à propos du fief de Grimaud.

[39] D’après les Libri feudorum L 2, tit. 84 le père ne succède pas au fils. Cf. Pastor, Tractatus de jure feudali, Toulouse, 1712, p. 511.

[40] Rapport De Rossi, Natura feudi , op. cit., f° 19. Clause presque identique pour Coaraze en 1331, f° 35 ; pour La Caïnée, f° 12 ; pour La Roquette, Rapport De Rossi, Chateuneuf, op. cit., f° 20.

[41] Table de succession du fief de Tourrette annexée au Rapport De Rossi, Natura feudi , op. cit., et Rapport De Rossi, Chateuneuf, op. cit., f°2.

[42] Rapport De Rossi, Natura feudi , op. cit., f° 12.

[43] Caroli Molinaei,  Opera omnia, T. 3,Consilium L, chez Jacob Quesnel, Paris, col. 283-294.

[44] Coing, « L’application des Libri Feudorum », op. cit.,  p. 20.

[45] Robert Joseph Pothier, Traité des fiefs, censives, relevoisons et champarts, T. 2., Paris, 1776, p. 6, reprenant Charles Dumoulin, De Feudis, 1539.

[46] « Societas et rerum communio et dolum et culpam recipit. Sed haec ita, nisi si quid nominatim convenit, vel plus, vel minus, ut singulis contractibus: nam hoc servabitur, quod initio convenit; legem enim contractus dedit… », à propos de la distinction entre les contrats où on est responsable seulement de la fraude et ceux où on est responsable de la fraude et de la négligence, tels la société et la communauté de biens. Mais si par quelque convention spéciale on s’est engagé à plus ou à moins, il faut exécuter parce que « legem contractus dedit », le contrat impose une loi. Noter que l’approche est très différente de celle du droit féodal qui fonde le respect des obligations sur « l’investiture, loi du fief ».

[47] Coing, « L’application des Libri Feudorum », op. cit., p.22.

[48] Coing, op. cit.  p. 21 précise que « Dumoulin se prononce contre l’opinion de Cujas et de Duarenus qui étaient de l’avis que les Libri Feudorum devaient être considérés comme coutume générale ».

[49] Au n° 8 de la Decisio.

[50] n° 9: « Prima enim feudorum origo est, postea vero Longobardi usum feudorum in Insubriam et Italiam primi omnium innuexerunt. Et quanquam ante Longobardos feuda apud Francos essent perpetua, tamen novi reges et duces Longobardorum initio regni fui in Insubria praedia ab Imperio Romano, et a devictis rapta non solebant initio infeudare nisi ad beneplacitum, revocabilia ad nutum, deinde annuam dare firmitatem, deinde illam usque ad vitam vasalli producere, ut nec ad filios quidem transiret ».

[51] n° 28.

[52] n° 47 : « Quod si feudum esse mere hereditarium (ut quod potest alienari, legari et in quoscumque haerredes tranferi) tunc magis diceretur res patrimonialis, quam feudum, ut in regno Franciae, ubi feuda sunt patrimonili ».

[53]  n° 50 : « Et hinc est quod in hujusmodi feudis non est locus juri accescendi, sed dicitur ius successorium virtute primea investiturae, imo dicitur novus vasallus succedere ultimo vasallo, sed primo investituto et capere a domino concedente in vim primae investiturae ».

[54] Peissonnel, op. cit., p. 291.

[55] Ibidem, p. 292, Loi non tantum, par. De fideicommis libet, « où il est décidé que le mot successeur comprend aussi l’acheteur ».

[56] D 40, 5, 51, pr. : « Non tantum ipse qui rogatus est manumittere, ad libertatem perducere potest, sed et successores ejus, sive emptione, sive quo alio modo successerint. Sed etsi nemo successor existerit, ad fiscum ita transit, ut libertas ab eo praestetur». Certes! Mais le texte du Digeste n’a pas de rapport avec le sujet débattu. Il  est question ici d’un esclave affranchi par fidéicommis: l’opération peut être effectuée par celui qui en est chargé ou par tout autre « successeur », soit à titre d’achat, soit à tout autre titre. A défaut de successeur c’est au Fisc de le faire.

[57] Pastor, Tractatus, op. cit., L. 2, Tit. 5, p . 373, avec une référence à la Coutume de Paris.

[58] Pour la prescription, voir Peissonnel, op. cit. p. 404.

[59] Peissonnel, op. cit.,  p. 409.

[60] Peissonnel, op. cit., p. 433.

[61] On ne trouve dans le consilium qu'une demi-douzaine de références au droit romain, sur des questions accessoires d'ailleurs.

[62] Peissonnel, op. cit., pp. 477-550.

[63] « Avertissement pour la noblesse de Provence assemblée par la permission du roy en la Ville d’Aix au mois de janvier 1668 sur l’opposition aux arrêts du conseil du 3 octobre 1666 et 3 octobre 1667 portant réunion de l’ancien domaine aliéné par les Comtes de Provence ou leurs sénéchaux », Arch. dép. A-M, Città e Contado di Nizza, mazzo 13/1, L 2 . A replacer dans la politique de Colbert relative au Domaine engagé ; Colbert est contrôleur général des finances depuis 1666 : divers arrêts du Conseil et édit d’avril 1667 prévoyant le rachat. Cette politique est un échec. En 1691 les possesseurs de biens domaniaux sont confirmés moyennant finance.

[64] Ibidem, f° 5.

[65] Ibidem, f° 2.

[66] Texte dans Robert Boutruche, Seigneurie et féodalité, Aubier, Paris, 1959, p. 358.

[67] L’édit du 30 juin 1539 écarte la prescription de 100 ans. La doctrine confirme. « Qui a mangé l’oie du roi cent ans après en rend la plume » commente Loisel… même si d’autres comme Jean Bacquet sont critiques et conseillent, en l’absence de titres d’alléguer « possession centenaire et immémoriale » pour obtenir un jugement favorable. Guillaume Leyte, « Prescriptibilité et imprescritibilité dans l’ancien droit public français. XVIe-XVIIIe siècles », in Droits, n° 31, 2000, pp. 3-18.

[68] Peissonnel, op. cit., p. 14.

[69] Sur la portée de ce titre, Soffietti-Montanari, Il diritto negli Stati Sabaudi: le fonti, op. cit., p. 7.

[70] Mariage en 1501 de Philibert II et Marguerite fille de Maximilien I.

[71] Raccolta delle leggi, editi, patenti….della Real Casa di Savoia, par F-A. Duboin, 26 Vol., Turin 1818-1860, au vol. 26, p. 205, Statutum Ducis Philiberti super alienationibus bonorum feudalium: « Quod feudum senseatur esse rectum, proprium et simplex ; non obstante quod investituris apponantur illa verba pro se haeredibus suis et successoribus universis. Ita quod de tali feudo non possit fare alienatio, neque dispositio, nisi eo modo nisi eiis casibus, quibus jus commune, natura feudi seu consuetudines feudorum vel statuta alienationem rectorum fieri permittent, dictis juribus obstantibus. Quia in plerisque investituris vassallorum nostrorum patriae cismontanae congerimus investituras factas nobis in feudum tenent, etc… ».

[72] De Rossi le précise dans chacun de ses rapports.

[73] Merlin, Rosso, Symcox et Ricuperati, Il Piemonte sabaudo, UTETorinese, Torino, 1994, p.33.

[74] C’est ce que conclut De Rossi à propos de Châteauneuf.

[75] Cf. Rapport De Rossi, Natura feudi, op. cit..

[76] 17 janvier 1525, investiture d’une partie d’Aspremont  « pro se…. ita ut a modo in antea ipsum feudum censeatur antiquum avitum et paternum ad formam antiquarum investiturarum… »,  f° 59.

18 décembre 1490, investiture d’Onorato de Berre « pro se…..et prout successores sui alias investiti et retenti fuerunt », f°10.

12 novembre 1554, investiture d’Onorato Gardino d’une partie de Touët de L’Escarène « in feudum nobile ligium antiquum avitum et paternum…pro ut ipse domino Honoratus illiusque predecessores investiti fuerunt…ad mentem anticiparum investiturarum », f°27.

10 février 1453 inféodation  de Castellar et Sainte-Agnès à Ant. et Bart. Lascaris «pro se … ad hoc tamen de more patriae capacibus », f°3.

19 juin 1483, investiture de Gilette en faveur de Gioffredo de Berrre « pro se… et pro ipse et ejus predecessores investiti et retenti fuerunt », f°23.

20 mars 1448, inféodation de Rimplas pour Elione de Glandèves de Falcon « pro se…ad hoc tamen de more patria capacibus », f°24.

29 juillet 1559, inféodation de Saint-Jean d’Aurelle pour Paulo et Pietro Constantin « pro se… »,  idem, f°25.

23 août 1454, investiture de Sainte-Marguerite pour Margarita épouse Antonio Prioris « pro se…pro ut ut quemadmodum dictus Alziarius ejus pater suo vitae tempore utebatur.. », f°26, Rapport De Rossi, Natura feudi , op. cit.,

[77] Jesn Nicolas, La Savoie au XVIIIe siècle. Noblesse et bourgeoisie, Maloine, Paris, 1978, p. 189.

[78] Il Piemonte sabaudo, op. cit.…p.116.

[79] Cf. par exemple Revest, Rapport De Rossi, Natura feudi , op. cit., f°55. Que de précautions !

[80] Rapport De Rossi, Natura feudi , op. cit., f° 112.

[81] 16 juillet 1648, ordre de S.A.R. permettant l’érection de primogénitures « anchorché fossero di natura retta e propri ».

[82] Richeri, Tractatus de Feudis, op. cit., paragraphe 1245, note 2.

[83] Rapport De Rossi, Natura feudi , op. cit.

[84] Par exemple, 5 mars 1700 pour Breil. Ou encore pour La Brigue, patentes approuvant l’achat fait par Gio Andrea Spinelli de 1/8e du fief  « …come se fosse cosa meramente allodiale », Rapport De Rossi, Natura feudi , op. cit.,  f°54.

[85] Par exemple, 30 décembre 1699 pour Valdeblore, ibidem.

[86] Par exemple 7 juin 1700 pour Saint-Dalmas-le-Selvage, ibidem.

[87] Carlo Dionisotti, Storia della magistratura piemontese, 2 vol., Turin, 1881, p. 217 et Duboin, Raccolta, op, cit., vol. 26, p. 82.

[88] Nicolas, La Savoie au XVIIIe siècle, op. cit., p. 595 qui cite M. Torta, La reunione al demanio dei beni demaniali e feudali alienati sotto Vittorio Amedeo II. 1719-1721, Facoltà di Giurisprudenza, Universita di Torino, 1958.

[89] Duboin, Raccolta, op, cit.,  vol. 26, p. 98, manifeste caméral qui publie la liste des lieux à inféoder.

[90] Duboin, Raccolta, op, cit., vol. 9, p. 512, cap. 1, art. 8 : « I feudi che si concederano all avenire si da noi che dai reali successori s’intenderano tutti retti e proprii ».

[91] Duboin, Raccolta, op, cit., vol. 9, p. 517.

[92] Richeri, Tractatus de Feudis, op. cit., paragraphe 1232, note 2.

[93] Rapport De Rossi, Chateuneuf, op. cit., f° 19.

[94] Cette clause permettra ainsi à Jean Ludovic Bonfiglio, seigneur très endetté du lieu, de vendre en 1776 son fief comme s’il s’agissait d’un bien patrimonial. L’acheteur, Joseph Vincent Lascaris de Castellar, put, toujours grâce à cette investiture, recomposer le fief en rachetant les éléments cédés ou vendus depuis plus de deux siècles, Michel Bottin, « Les ambitions seigneuriales d’un ministre. Joseph Vincent Lascaris de Castellar marquis de La Roquette-sur-Var, 1729-1793 », in Le Comté de Vintimille et la famille comtale, Société d’art et d’histoire du Mentonnais, Menton,1998, pp. 27-30.

[95] Rapport De Rossi, Natura feudi , op. cit., f° 86-89.

[96] Arch. dép. A-M, Città e Contado di Nizza, mazzo 38, Fougassières, 1 et 1bis, P. 3, lettre de Lanfranchi du 5 février 1755.

[97] Ibidem, P. 2, 15 septembre 1756.

[98] Ibidem, P. 3, 13 octobre 1756.

[99] Il Piemonte sabaudo, op. cit., p. 457.

[100] Richeri, Tractatus de Feudis, op. cit., paragraphes 1204 et sq.

[101] Max Bruchet, L’abolition des droits féodaux en Savoie (1761-1793), Annecy, 1908. Sur De Rossi, « aussi zélé pour les intérêts du roi que juste pour les particuliers, magistrat intègre, actif et laborieux », cf. Sainte Croix, Relazione del Piemonte, 1877, pp. 76 et  280, cité par Nicolas, La fin du régime seigneurial en Savoie, op. cit., T. 1, note 49.

[102] Sur ces questions, Bottin, « Controverse sur l’application aux fiefs niçois des principes des Libri Feudorum », op. cit.

[103] Schilter, Ad jus feudale utrumque Gemanicum et Longobardium introductio , 2e édition, Argentorati, 1721, pp. 3-5, cité par Coing, « L’application des Libri Feudorum », op. cit., p.  19.

[104] Bottin,  « La Regia Camera de Conti de Turin et la rénovation féodale », op. cit.

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