EMS Carlone
 
 
 

Le parti français après l’annexion

Chronique de la vie politique niçoise d’après la correspondance d’Auguste Carlone

 juin-décembre 1860

 
 
 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Le parti français après l’annexion. Chronique de la vie politique niçoise d’après la correspondance d’Auguste Carlone (juin-décembre 1860) », in  Nice Historique. L'année 1860. Chroniques de l'annexion, 2010, pp. 192-241.
 
 
         Auguste Carlone[1] est un des acteurs majeurs du rattachement de Nice à la France en 1860. Il est la figure de proue du groupe de Niçois francophiles qui à partir de 1848 développe l’idée, assez peu répandue à l’époque, que Nice pourrait un jour devenir pacifiquement française.
         Carlone, né en 1812, est issu d’une famille de banquiers niçois déjà établis avant la Révolution. Il a fait ses études en France, d’abord au collège royal de Tournon puis à la Faculté de droit de Paris. Il les interrompt pour faire un voyage en Italie au cours duquel il cultive sa sensibilité artistique. De retour à Paris il ne parvient pas à terminer ses études et rentre à Nice pour travailler dans la banque familiale. A la mort de son père en 1847 il en prend la tête mais, souhaitant ne pas être trop absorbé par ce travail il se fait aider par son cousin, Pierre de Ricordy[2]. Carlone se lance alors dans le journalisme. Profitant du vent de liberté que fait souffler le Statuto de Charles Albert, il fonde L’Echo des Alpes-Maritimes, devenu en 1850 L’Avenir de Nice, journal de langue française. Il y défend les intérêts économiques de Nice. Mais l’objectif de Carlone est également politique. Les changements provoqués un peu partout en Europe par les révolutions de 1848 lui font espérer une ouverture libérale. Il doit cependant rapidement rectifier ses positions : l’orientation bonapartiste de la Seconde République en France brise le modèle politique qu’il voyait dans ce régime ; dans le même temps l’offensive sarde contre les Autrichiens en Lombardie crée un élan d’unité politique qui impose à L’Echo une ligne de fidélité dynastique[3]. C’est dans ce contexte que Carlone s’affirme comme une personnalité politique locale de premier plan, comme conseiller municipal d’abord puis comme vice-syndic de Nice.
         Mais la guerre austo-sarde a des conséquences inattendues sur la politique niçoise. Elle a été un puissant accélérateur d’unité nationale dont les effets se retournent contre les avantages douaniers et commerciaux de la province de Nice. Le port franc est supprimé en 1851 et surtout la ligne douanière est reportée sur le Var-Estéron en 1854. Ces mesures coupent les liens commerciaux que Nice entretenait avec la Provence depuis le moyen âge. Carlone et ses amis protestent avec assez de violence pour être menacés d’arrestation ; il doit se réfugier à Grasse pendant quelque temps avant d’obtenir un non-lieu.
         L’épreuve a été rude. Elle a fait ressortir une forte contradiction. On ne peut défendre les intérêts de Nice dans le cadre d’un Etat qui développe une politique aussi nettement tournée vers la Lombardie et au-delà, peut-être, vers l’unité de l’Italie. C’est dans ce contexte que se forme à Nice un « parti français » dont Carlone devient le principal animateur.
         L’intervention de Napoléon III aux côtés de Victor Emmanuel II en Italie du nord en 1858-1859 ouvre de nouvelles perspectives à ce « parti français ». Une annexion à la France devient possible comme contrepartie de son effort militaire et diplomatique. La cession de la Savoie est prévue. Pourquoi pas celle de Nice également ? Pour Turin les deux provinces ne sont pas dans la même situation. La province de Nice n’est pas aussi « française », au double plan linguistique et coutumier, que la Savoie. Au plan administratif elle n’est pas « au-delà des monts » comme la Savoie mais plutôt « en deçà des monts ». Ses attaches piémontaises sont plus fortes. Napoléon III hésite. Autant l’annexion de la Savoie lui paraît naturelle, autant celle de Nice pose des problèmes. Londres en particulier considèrerait cette opération comme un acte mal intentionné[4]. Il en a certes été question lors de l’entrevue de Plombières le 21 juillet 1858 mais les incertitudes sur l’avenir de Nice restent ainsi très fortes jusqu’au printemps 1860. Au mois de février Nice ne fait pas partie de la contrepartie pour l’aide apportée par la France dans la l’annexion au royaume de Sardaigne de Parme, Modène et des Légations, la Toscane étant constituée en royaume séparé sous un prince de la Maison de Savoie. Le tournant est pris avec le traité secret du 12 mars qui prévoit l’annexion de Nice en contrepartie de l’union de la Toscane au royaume de Piémont-Sardaigne.
         Les partisans d’une annexion de Nice à la France n’avaient pas une idée très précise de ces difficultés diplomatiques. Mais ils avaient très bien compris qu’il fallait occuper le terrain, galvaniser toutes les énergies favorables à la France, multiplier les pétitions, de façon à montrer, à Cavour, à Napoléon III et aux puissances étrangère que Nice était aussi française que la Savoie. Chaque action a été un encouragement pour l’empereur. C’est dans les rues de Nice au cours des mois qui précèdent le plébiscite des 15 et 16 avril 1860 que s’est joué l’avenir de la province.
         Pour Carlone et ses amis la partie ne fut pas facile. Ils trouvaient en face d’eux non seulement tous ceux qui étaient acquis à la fidélité dynastique mais aussi tous ceux qui voyaient leur rêve d’unité italienne devenir réalité. Le 15 janvier les élections pour le renouvellement du conseil municipal de Nice ont été favorables au « parti italien ». Quelques partisans d’une annexion à la France sont élus, Valenty, Gal, Girard, Juge, mais Carlone est battu. Le 15 mars, la junte municipale, le syndic Malausséna en tête, demande à surseoir à l’annexion. Rien n’est peut-être joué On comprend, au-delà de toute considération diplomatique, les hésitations de Napoléon III. Comment annexer une province dont la capitale manifeste ainsi sa fidélité à la Maison de Savoie ? Le travail du « parti français » finit pourtant par porter ses fruits. Les élections législatives du 24 mars font apparaître une désaffection à l’égard de Turin. Laurenti-Roubaudi et Joseph Garibaldi -tous deux hostiles au rattachement de Nice à la France- sont certes élus mais l’abstention est très forte. C’est une victoire pour le « parti français » qui a appelé à s’abstenir. Le plébiscite des 15 et 16 avril confirme ce retournement complet de la situation.
          Toute cette histoire est connue[5]. La suite apparemment aussi. Louis Lubonis[6], un haut magistrat niçois, est nommé par Turin gouverneur provisoire de la province le 2 avril et assure une transition sans problèmes jusqu’à l’arrivée le 14 juin du préfet français Paulze d’Ivoy[7]. François Malausséna, ancien syndic sarde et avocat renommé, est nommé maire de Nice par décret impérial du 25 juin. Les ralliements de la dernière heure ont été très nombreux et le pragmatisme des autorités françaises a été remarquable. A s’en tenir aux apparences le « parti italien » s’est comme évaporé et ses membres les plus en vue sont maintenant rangés aux côtés de la France. Mais cette approche masque une partie de la réalité. Le « parti français », Carlone en tête, n’a pas été invité à participer à l’œuvre nouvelle. Ses animateurs sont marginalisés dès le lendemain du plébiscite. Au cours des deux ou trois mois qui suivent, chacun, ou presque, a obtenu quelque avantage propre à compenser une mise à l’écart des grands postes de responsabilité de la province, mairie de Nice, députation ou présidence du Conseil Général. Ainsi lorsqu’on fait le bilan des places occupées par les animateurs du « parti français » au début de l’année 1861, les résultats sont minces. Prosper Girard est adjoint au maire et conseiller général, Boutau est adjoint, Auguste Gal conseiller municipal. Et les autres, Juge, Gioan, Tiranty, Féraud, Sauvan, Carlone… ?
         Comment expliquer cette étonnante sortie, cette éviction même, du jeu politique niçois de ceux qui rendirent possible le rattachement à un moment  où rien n’était encore joué. Aucun de ces acteurs n’éprouva le besoin de raconter l’histoire des cinq ou six mois qui suivent le plébiscite. Cette histoire au fond des choses n’était peut être pas à leur avantage. Heureusement il reste les archives.
 
         On trouve ainsi dans le Fonds Carlone des Archives départementales des Alpes-Maritimes quelques indications sur cette étrange éviction. Le fonds n’était pas encore consultable lors de la commémoration du centenaire du rattachement en 1960, ce qui peut expliquer que la problématique exposée ici n’ait pas été abordée par les nombreuses études qui furent publiées à l’époque. Il l’est aujourd’hui. Mais c’est la consultation d’un fonds ardéchois, le Fonds Mazon des Archives départementales de l’Ardèche qui éclaire le mieux la question. Son importance pour la connaissance du rattachement de Nice à la France a été signalée en 1960 par les études de Jean Messié et du Doyen Latouche[8].
         Dans cette correspondance d’une quinzaine de longues lettres, Carlone s’adresse à un des principaux acteurs du rattachement, Albin Mazon[9]. Celui-ci a en effet participé à ces événements comme journaliste à L’Avenir de Nice, puis au Messager de Nice qui en prend la suite après l’annexion. Il est né en 1828 en Ardèche. Républicain actif en 1848 il éprouve des revers à l’avènement du Second Empire et doit gagner sa vie comme journaliste d’abord à La Gazette de Savoie jusqu’en 1855 puis à partir de cette date à L’Avenir de Nice où il est engagé par Carlone et son associé Victor Juge. C’est à ce titre qu’il participe à toutes les batailles du « parti français », avec conviction et loyauté. On le retrouve au début de l’été 1860 à Paris comme correspondant de L’Avenir. Il entretient alors une correspondance assidue pendant quelques semaines avec Carlone. Il quitte Paris pour Nice au début du mois de septembre[10] puis retournera à Paris pour y mener une carrière de journaliste qui le conduira à la direction du télégraphe à l’Agence Havas, poste qu’il occupera jusqu’en 1891[11].
         Mazon et Carlone ont à propos des événements de Nice une forte complicité et ils partagent, derrière un ralliement de façade à l’Empire, les mêmes convictions politiques libérales, voire républicaines. Ceci leur permet de parler de bien des choses sans beaucoup de restrictions. Il y a dans les lettres de Carlone beaucoup de franchise et de spontanéité. Celui-ci semble assuré que Mazon ne répètera que ce qui doit l’être. La tonalité des lettes de Mazon est, elle aussi, empreinte de franchise et marquée par une réelle fidélité. Sans doute Mazon est-il très préoccupé par son propre avenir professionnel et attend-il beaucoup de Carlone. Mais ces questions personnelles sont abordées directement et très naturellement. Mazon sait qu’il peut faire confiance à Carlone. Il dira de lui quelques années plus tard qu’il est « froid, sec, cassant », « ayant des manières aristocratiques, sauvage mais « droit, loyal et intelligent ». Il oppose son caractère à celui de Juge, le compagnon de luttes de Carlone, tout aussi « droit, loyal et intelligent » mais « doux, crédule, bon enfant, de goûts et  de mœurs démocratiques ». Carlone, explique Mazon, avait à Nice beaucoup plus d’ennemis que Juge, « cela venait surtout de sa raideur, je dirai presque de sa morgue aristocratique. Juge avec sa bonhomie, causait moins d’ombrage, il était non seulement estimé de tous comme Carlone, mais aussi  aimé dans le peuple qui ne reconnaissait presque pas ce dernier […] Juge ingénieur, se connaissait beaucoup en sciences positives. Carlone était au contraire connaisseur en fait d’art. Il dessine très bien à la plume ». Mazon avoue que ses rapports avec Carlone ont été « souvent difficiles »[12].
         A l’époque où il entretient cette correspondance avec Carlone, Mazon espère de toute évidence profiter de l’expansion espérée du journal niçois dans le nouveau cadre français pour asseoir sa réputation de journaliste à Paris. Carlone, qui comme Juge, a pris de la distance avec le journal depuis la victoire que constitue pour eux l’annexion, conserve un lien avec Mazon. Il l’informe des affaires de Nice afin que celui-ci ait une vue assez exacte de la situation pour ne pas commettre de contresens dans les billets et éditoriaux qu’il envoie au Messager de Nice. Mais surtout il compte sur lui pour diffuser ces informations auprès de ceux qui ont pu participer de près ou de loin à l’action du « parti français ». Il le charge aussi de maintenir certains contacts utiles auprès d’eux, particulièrement auprès du sénateur Pierre Marie Piétri[13], envoyé de Napoléon III à Nice durant le printemps pour organiser les opérations d’annexion, et   du secrétaire de la mission Nicolas Rapetti[14]. Le ton de la correspondance est très libre. Tous les sujets sont abordés, souvent dans le plus grand désordre. Carlone d’ailleurs s’en excuse dans une de ses lettres en justifiant l’emploi du papier pelure parce que cela lui « fournit le moyen d’écrire à l’aventure, par conséquent très longuement et avec autant de détails » qu’il le croit « nécessaire pour être bien compris »[15].
         Cette correspondance, complétée par celle que Nicolas Rapetti entretient avec Mazon à l’automne 1860, fait apparaître un aspect mal connu de l’annexion, la politique de « conciliation ». Celle-ci est pour Cavour et les négociateurs français la condition indispensable pour réussir le plébiscite et la transition politique. Pietri convaincra Carlone du bien fondé de cette politique à laquelle les francophiles de Nice avaient tout à gagner. Mais Carlone va rapidement découvrir, une fois Pietri parti de Nice, que cette politique de conciliation est appliquée de façon très pernicieuse par les autorités françaises. Elle consiste essentiellement à agir systématiquement en faveur des anciens tenant du « parti italien ». L’ancien « parti français » ne compte plus. Il peut même être dangereux au cas où il réclamerait des postes politiques importants. Le « parti italien », efficacement soutenu par quelques « italianissimes », pourrait même reprendre vie. Des troubles séparatistes pourraient éclater. C’est certainement ce qu’on craint à Paris dans les ministères et à Nice à la préfecture. Dans cette optique la conciliation avec les anciens adversaires de l’annexion, pour être efficace, doit s’accompagner d’une mise à l’écart, d’une éviction politique, des anciens partisans de l’annexion !
 
La politique de « conciliation » de Pietri à Paulze d’Ivoy
 
         Carlone ne cesse au long de sa correspondance avec Mazon de souligner les conséquences désastreuses de la politique de « conciliation » mise en place par Pietri au moment de l’annexion. Et l’arrivée du préfet Paulze d’Ivoy n’arrange pas les choses. Non seulement cette politique porte les adversaires de la France au pouvoir mais en outre elle favorise les situations acquises et encourage l’immobilisme. Tout cela donne une mauvaise image de la France et encourage le mécontentement.
 
Le double jeu de Pietri
 
         Pietri a fait des promesses. Paulze d’Ivoy a fait de son mieux pour en traiter les conséquences. C’est ainsi qu’on présente habituellement la politique de Pietri. Mais celle-ci est beaucoup plus subtile. Pietri ne fait pas que des promesses. Il cache aussi beaucoup de choses aux Niçois : les projets de suppression de la cour d’appel et des sièges régionaux d’administration, du détachement de Tende et La Brigue et autres. Les déceptions seront grandes. Il faut dans l’immédiat éviter que le débat ne s’installe. Pour cela il faut en particulier éviter d’affermir la position du « parti français » et d’en faire un interlocuteur du gouvernement.
 
L’ombre d’Orsini
Avant sa mission du printemps 1860 Pietri est déjà venu à Nice, au moins à deux reprises. Une fois au mois d’août 1859 de retour de la campagne d’Italie[16]. Il s’y arrête pour raisons de santé « alité à l’Hôtel des Etrangers ». L’Avenir de Nice, qui rapporte la nouvelle précise « que sa présence n’avait aucun but particulier » [17]. Il y fait un nouveau séjour, incognito, dans l’hiver 1859-1860, « accompagné de celle qui deviendra Mme Piétri ». [18]. Lorsqu’il y revient le 27 mars 1860, c’est, muni de toutes les commissions et blancs seings nécessaires, pour organiser le plébiscite et assurer la transition[19]. L’Avenir de Nice salue l’événement : « M. Pietri, Sénateur et ancien ministre de la police (sic[20]) est arrivé à Nice. Ce haut dignitaire de l’Empire est appelé à rendre de grands services à notre pays pour la prochaine organisation du nouveau département dont notre ville sera le Chef-lieu »[21]. Pietri est accompagné de Nicolas Rapetti comme secrétaire de la mission. Rapetti est un ancien professeur au Collège de France, spécialiste d’histoire du droit et de législation comparée. C’est un fidèle bonapartiste qui occupe depuis 1853 plusieurs postes au ministère de l’Intérieur et au ministère d’Etat. Il est, entre autres fonctions, secrétaire de la commission chargée de rassembler et d’éditer la correspondance de Napoléon I. Rapetti est bien introduit dans le journalisme parisien. Il fait partie de la rédaction du Moniteur universel. Son père adoptif habite Antibes ce qui aiguise son intérêt pour la politique locale[22]. Ceci explique qu’il s’engage aussi nettement dans le « parti français » aux côtés de Carlone.
Pietri arrive à Nice le 27 mars dans une ville en effervescence depuis que l’annonce du traité du 24  mars. Aussitôt arrivé Pietri apprend par le consul de France que Cavour veut le voir afin de régler certaines questions. Pietri part le lendemain pour un voyage éclair à Turin pour rencontrer Cavour et Benedetti, directeur des affaires politiques au Quai d’Orsay. On insiste dans cette entrevue sur la nécessité de mener une politique de « conciliation ». Celle-ci est pour Cavour et les négociateurs français la condition indispensable pour réussir le plébiscite et la transition politique. La situation de Nice est en effet très différente de celle de la Savoie. Il faut impérativement ménager les adversaires de l’annexion. Ils sont trop puissants et pourraient faire échouer le processus politique. Les conséquences diplomatiques seraient désastreuses, pour Napoléon III et plus encore pour Victor Emmanuel II. Cavour explique tout cela dans une lettre du 30 mars 1860  adressée à l’amiral Filipo Corporandy d’Auvare[23], un Niçois qui déplore le nouveau choix politique; après lui avoir fait part de ses regrets de n’avoir pas pu « éviter la cession de Nice à la France »[24], il lui expose la stratégie adoptée pour réussir l’opération : « Le changement territorial étant devenu inévitable, il est à désirer qu’il s’opère de la manière la plus convenable, qu’il entraîne le moins d’inconvénients possibles […] C’est pour atteindre ce but que j’ai engagé Mr. Pietri, que l’Empereur a envoyé à Nice, de s’adresser aux personnes les plus considérables et honnêtes du pays pour préparer les mesures que la cession à la France rend indispensables. Mr. Pietri m’a assuré que l’intention bien arrêtée de l’Empereur est de concilier autant que possible tous les partis soit par le choix des fonctionnaires publics, soit en favorisant les intérêts matériels du pays »[25].
Les consignes de Napoléon III auraient dû suffire. Mais Cavour a voulu s’assurer que Pietri ne fera pas déraper le processus d’annexion par une initiative intempestive. Il l’a déjà vu à l’œuvre, avec Rapetti, l’année précédente en Piémont et en Toscane. Les deux hommes font partie du très proche entourage du Prince Napoléon Jérôme. Or celui-ci est moins passionné par l’unité italienne que par la libération des peuples, surtout si cela se fait au détriment de l’Empire austro-hongrois. Les contacts qu’ont alors entretenu, et entretiennent encore, Pietri et Rapetti avec Kossuth ont paru  dangereux à Cavour. Il l’a déjà eu l’occasion de le dire à Pietri. Quand aux espoirs caressés l’année précédente par le Prince Napoléon de monter sur le trône de Toscane, ils auraient pu, s’ils avaient abouti, mettre en cause le processus d’unification de l’Italie. Et là encore on trouvait Pietri et Rapetti en action sur le terrain[26]. On comprend que Cavour ait souhaité mettre les choses au point.
Ajoutons que Pietri n’était a priori pas la personne la mieux placée pour se concilier les bonnes grâces du « parti italien ». C’est aux cris de Viva Orsini que son arrivée à Nice a été saluée. C’était une façon de lui rappeler, que c’était lui, à l’époque où il était préfet de police à Paris, qui était à l’origine de l’arrestation de l’auteur de l’attentat commis le 14 janvier 1858 contre Napoléon III. A considérer les choses objectivement Pietri avait alors porté un coup à la cause de l’unification italienne défendue par Mazzini et son mouvement Jeune Italie dont Orsini était membre.
Ceci dit tous les tenants du « parti italien » n’étaient pas des italianissimes, c'est-à-dire des inconditionnels de l’unification de l’Italie. Il y avait au sein de ce parti des personnalités capable de mettre en œuvre une politique de conciliation. Il fallait montrer aux Niçois, dès l’installation du gouverneur provisoire chargé d’organiser la transition, que la chose était possible. Et Cavour a dicté les noms : Lubonis, gouverneur provisoire, Caissotti de Roubion vice-gouverneur, Prosper Girard conseiller. En cas de refus de Caissotti, Girard prendrait sa place et Auguste Gal celle de Girard. Il y avait là un bon équilibre entre les partisans et les adversaires de l’annexion. Mais aucun italianissime.
Pietri a ainsi reçu des consignes précises, tant sur le choix des responsables que sur la procédure à suivre. On lui dictait même ce qu’il devait faire concernant la garde de l’impératrice de Russie en séjour à Nice ou le rythme de départ des troupes sardes[27]. Il a aussi été question de Malausséna, syndic de Nice, démissionnaire depuis le 26 mars, mais tout à fait prêt à être reconduit dans ses fonctions municipales si on le lui demandait. C’est ce que Malausséna laisse clairement entendre dans la lettre qui accompagne la démission qu’il remet au gouverneur sarde Montezemolo : « J’ai été et je serai inaltérable ment fidèle à mon roi tant qu’il tiendra et voudra tenir droite sa bannière. Mais quand lui-même aura délié les liens qui nous attachent à son auguste personne et à sa Dynastie, je crois que la dernière preuve de fidélité qui pourra lui être donnée sera de seconder ses hautes volontés, en nous inspirant des circonstances qui l’ont conduit au sacrifice de provinces auxquelles l’attachent des liens si nombreux et sacrés »[28]. Et cette solution convient parfaitement à Cavour.
 
Quand Pietri confond promesses et conciliation
Pietri est de retour à Nice le 31 mars[29]. Louis Lubonis, avocat fiscal général près la cour d’appel de Nice accepte d’occuper la place de gouverneur provisoire de la province. Il sera secondé par Prosper Girard comme vice-gouverneur et Auguste Gal comme conseiller. Lubonis était hostile à l’annexion. Girard et Gal faisaient partie de la junte municipale qui avait protesté contre les projets d’annexion. En désaccord avec son vote ils avaient démissionné. Girard avait même refusé d’assumer plus longtemps sa présidence du Tribunal de commerce[30]. Enfin il prend contact avec Malausséna qui accepte de poursuivre ses fonctions comme maire.
Le plan de Cavour se déroule comme prévu. Le 10 avril il peut écrire à Costantino Nigra, son proche collaborateur, que « Pietri est maintenant sûr du résultat »[31]. Santa Rosa[32] vient même de lui assurer « que tout est déjà français à Nice, même le syndic Mr. Malausséna que Pietri a su gagner en peu de temps »[33].
Installés à l’Hôtel de France Pietri et Rapetti reçoivent sans discontinuer particuliers et délégations. Le Messager de Nice, qui remplace L’Avenir de Nice depuis le 3 avril, s’en fait chaque jour l’écho dans sa rubrique locale. Le samedi 7 avril : « Hier une cinquantaine de personnes notables appartenant à diverses communes du Comté de Nice sont allées rendre visite au Sénateur Pietri pour lui exprimer au nom de leurs concitoyens le bonheur qu’ils éprouvaient d’être réunis à la France […] Monsieur Pietri les a particulièrement entretenus des intérêts de leur pays et de la sollicitude du Gouvernement de l’Empereur pour tous les travaux d’utilité publique ». Mercredi 11 avril : « Hier matin, tous les curés des paroisses de la Ville se sont rendus chez M. Pietri pour lui exprimer la joie qu’ils éprouvent à l’annexion du Comté de Nice à la France […] M. Pietri les a assurés à son tour de l’intérêt que S.M. porte à Nice et il leur a annoncé qu’il allait faire part de leur démarche à son Auguste souverain. Les curés sont sortis enchantés de l’accueil ». Puis c’est le tour du Chapitre de la cathédrale et l’après midi des courtiers et agents de change qu’il s’emploie à rassurer[34]. Il termine en recevant les procureurs en leur présentant les avantages que l’annexion doit leur apporter[35]. Le jeudi 12 avril il reçoit l’évêque Monseigneur Sola puis une députation des ouvriers de la manufacture des tabacs. Pietri les assure qu’on maintiendra la fabrique. « Les visiteurs se retirent aux cris de Vive la France, Vive l’Empereur »[36]. Suivent ce jour là plusieurs autres délégations : les dames de la halle, les syndics d’Eze et de La Brigue, les ouvriers du port, les professeurs du petit séminaire, des pêcheurs de la Société Saint-Pierre, le syndic et le curé de Peille, etc[37]. Le samedi 14 avril, veille du vote, Pietri reçoit une délégation « considérable d’ouvriers », puis plusieurs députations, de pharmaciens, d’avoués, de notaires, etc[38].
Les visites reprennent après le vote, cette fois pour remercier et solliciter[39]. Le 19 avril a lieu à l’Hôtel de France un grand dîner rassemblant tous les notables. L’hommage de Malausséna à Pietri fut particulièrement remarqué : il « a rempli à Nice sa mission d’une manière si noble si bienveillante, si affectueuse qu’il a acquis des droits à la reconnaissance de tous les bons Niçois »[40]. Le 22 avril il reçoit une députation de la cour d’appel composée du comte de Cessole et des chevaliers Mari et Viry ; il les remercie pour avoir su par « leur rare sagesse ramener dans les esprits le calme et la concorde si nécessaires au grand acte national »[41]. Le 23 c’est au tour d’une députation du tribunal de première instance[42]. Le dimanche 29 Pietri reçoit un cortège de députés de la garde nationale, son commandant Féraud en tête, qui souhaite le remercier[43]. Le 10 mai les commerçants de Nice offrent à Pietri un banquet à l’Hôtel de Grande Bretagne. Les toasts sont portés par Prosper Girard ex-président du Tribunal de commerce et par le banquier Septime-Nephtali Avigdor[44]. Le Messager annonce le 13 juin que le conseil municipal offrira un banquet à « M. le Sénateur Pietri à l’Hôtel de Grande Bretagne ». Le 14 juin Pietri donne un dîner au commissaire sarde, au préfet Paulze d’Ivoy, à l’évêque Monseigneur Sola, au général et à tous les chefs de service[45]. Le 15 juin le conseil municipal de Nice nomme à l’unanimité « M. Pietri citoyen de la ville de Nice » et décide de la porter en corps « dimanche prochain »[46].
Pietri quitte Nice le lundi 17 juin en chaise de poste accompagné de « M. Rapetti chef de bureau au Ministère d’Etat, secrétaire de la mission qu’il a remplie à Nice et de M. Bartoli, professeur de médecine et membre de l’administration municipale de Marseille. Ils ont été accompagnés jusqu’à Saint-Laurent par le Préfet, le Général, le Consul de France, l’ex-gouverneur Lubonis, le Syndic Malausséna, le Sous-Préfet de Puget-Théniers, son neveu Antoine Pietri, et un grand nombre de citoyens »[47].
C’est la réussite. La transition a été parfaitement assurée. Pietri et Lubonis ont bien travaillé. Malausséna poursuit ses fonctions à la mairie. Il est officiellement nommé maire de Nice le 25 juin par décret impérial. On ne connaît pas encore les deux adjoints. Mais le « parti français » n’est pour l’instant guère gâté. Girard et Gal pour des postes d’adjoints du gouverneur provisoire. Leurs fonctions sont d’ailleurs déjà terminées. Ce n’est pas vraiment rassurant. D’autant plus qu’il manque dans cette politique de conciliation, la vraie, celle de la conciliation des personnes et des partis dont parlait Cavour, l’envoi d’une délégation à Paris auprès de l’empereur. Quelque chose qui ressemble à l’audience obtenue par 41 notables savoyards aux Tuileries du 21 au 24 mars 1860 et clôturée par un grand dîner[48]. Ses suites avaient été extrêmement bénéfiques. C’était d’ailleurs le souhait de Napoléon III lui-même que l’on procédât ainsi. Dans sa déclaration devant le Corps législatif l’Empereur avait précisé dans son premier point : « Avoir des députations quelconques de Nice et de Chambéry qui demandent l’annexion à la France »[49].
 
C’est Pietri qui a refusé l’envoi d’une députation à Paris
L’envoi d’une députation à Paris ne paraît en effet pas à l’ordre du jour. Les jours passent et dans les rangs du « parti français » on commence à s’impatienter. Carlone et ses amis pressent Pietri pour qu’il fasse remonter à Paris les adresses et les pétitions. Il était en particulier prévu que la dernière, une adresse de reconnaissance signée par de nombreux Niçois fin mars, devait être transmise en haut lieu rapidement. Mais Pietri avait alors estimé que ce n’était pas le moment d’ « éloigner de Nice les sommités du parti français »[50]. Le consul de France Pillet, qui rapporte l’information, avait jugé que c’était « avec raison ». Peut-être. Mais pourquoi ne pas l’avoir fait après le plébiscite ?
Le 6 juillet Carlone explique  à Mazon que ce n’est pas de sa faute. « On revient à la charge ici pour me dire qu’à Paris on a vu d’un mauvais œil le peu d’empressement des Niçois à se rendre auprès de l’Empereur en députation. On me rapporte que M. Danjou vous a écrit souvent en ce même sens. Ayez soin de lui expliquer et de faire bien savoir par lui que s’il n’y a pas eu de députation c’est qu’on s’est obstinément opposé à ce projet, vous savez de quels côtés, et qu’on aurait dit que les membres présumés de cette députation auraient rendu plus de services à Nice qu’à Paris dans les circonstances où on se trouvait »[51].
Cette question est essentielle pour la compréhension des événements du printemps et l’intervention dont il est question ici n’est pas anecdotique. François Danjou est un journaliste parisien, directeur la Correspondance Bullier[52], une agence de presse spécialisée dans la publicité commerciale associée avec l’Agence Havas, spécialisée elle dans les dépêches télégraphiques. François Danjou a par ailleurs ses entrées au cabinet de l’empereur. Mocquard, le chef de cabinet, a employé ses services en Savoie et à Nice pour y faire du renseignement[53]. Carlone précise qu’il y est venu pour les « seconder »[54]. Mazon raconte dans ses souvenirs des événements que Danjou a passé à Nice les journées de 1 et 2 janvier. « Nous le reçûmes dans les bureaux de L’Avenir avec quelques notables commerçants et propriétaires de Nice ». On lui exposa les raisons qui pouvaient justifier une annexion à la France  et on reparla du mémoire remis en 1855  au colonel Favé, officier d’ordonnance de l’Empereur[55]. Danjou laissa paraître qu’il connaissait le mémoire et que celui-ci avait permis de mieux comprendre la cause de Nice. On lui remit une copie du mémoire[56]. Danjou pria Mazon de le tenir au courant des affaires de Nice afin de renseigner l’Agence Bullier-Havas. Ce qu’il fit. Il apprendra plus tard que ces lettres aboutissaient au cabinet de l’empereur et qu’elles constituaient une deuxième source de renseignements complétant la correspondance du consul de France[57].
Danjou renseigne également Billault, le ministre de l’Intérieur. Sa connaissance des dépêches télégraphiques en fait un interlocuteur indispensable. Et Billault est d’une certaine façon son ministre de tutelle. Il n’a rien à lui cacher. Son voyage à Nice est aussi une source d’information pour Billault. Dans une lettre du 1 janvier 1860 il  lui explique ainsi que « l’annexion n’est combattue que par des hommes de loi et des fonctionnaires » et que « l’annexion était plus une question d’intérêt que’une question de patriotisme »[58]. Danjou fait également état du bon travail fait par L’Avenir de Nice[59].
Mazon répète lettre après lettre que Danjou est prêt à aider Carlone. La sollicitude que manifeste Danjou le touche. « Mr. Danjou a de la bienveillance pour moi et ce que vous me dites, j’y suis d’autant plus sensible que jusqu’ici du côté français on ne nous a pas  gâtés à cet égard. Quand il est venu à Nice je n’ai vu qu’un journaliste qui partageait nos vues et venait s’entendre avec nous pour les seconder. Comme tel je lui porte ce sentiment qu’on a pour un compagnon d’armes »[60].  Mazon, qui fréquente assidûment les bureaux de la Correspondance Bullier-Havas au cours de l’été, comprend peu à peu combien le personnage est puissant. Il dit à Carlone à plusieurs reprises que Danjou « a la main aussi longue que M. Pietri»[61]. Et c’est ce « M. Danjou » qui ne cesse de demander qu’on envoie une députation ! Il doit avoir quelques raisons de le faire. Le « parti français » a peut-être manqué une occasion. A moins qu’il y ait eu des obstacles. C’est ce que dit Carlone
Carlone n’accepte pas les reproches. « Lorsque je jette un coup d’oeil rétrospectif sur l’hiver qui vient de finir et que j’établis notre bilan, je trouve à notre crédit que, en dehors des épreuves passablement pénibles par lesquelles nous avons dû passer et du travail que nous avons supporté, il s’est fait dans nos bureaux ou avec leur initiative : une contestation contre la Junte municipale, 7 à 800 signatures, dont l’enthousiasme a fait l’unanimité de vote ; l’adresse à l’Empereur, 2 à 3000 signatures ; une autre  (« Comte de Nice »), 15 ou 20 mille ; une autre protestation à propos de Tende, 15 à 20000 ; une autre adressée à l’Impératrice, 4 à 5000 ; une protestation contre Laurenti et Garibaldi, 4 à 5000 signatures publiées, sans tenir compte d’au moins un nombre égal de signatures non publiées. Or ces 50 ou 60 mille signatures sont à cette heure toutes à Paris. Qui les y a portées ? Qui a eu mission de les porter? Une députation devait être chargée de ces soins ; ça été la pensée de tous les souscripteurs. Mais le moment opportun pour ce choix et la dépense de cette députation ne se sont jamais présentés. Pourquoi ? A qui la faute ? Pour qui le profit ? Et l’on fait le grief renouvelé à la députation de Nice de n’avoir pas fait l’effort d’aller à Paris, comme si toute cette agitation en bons français n’était pas là pour protester contre toute accusation d’indifférence et pour ouvrir les yeux aux moins clairvoyants »[62].
Ce que Carlone ne précise pas, c’est que ces pétitions sont au ministère de l’Intérieur ou au cabinet de l’Empereur et qu’elles y ont été portées par Pietri et Rapetti[63] eux-mêmes et peut-être même par d’autres comme Tiranty[64]. Sans aucun ordre. Sans aucune solennité. Pietri a été ainsi très heureux de se débarrasser de la question de la délégation à aussi bon compte. Mais au début du mois de juillet cette question de la délégation est-elle encore d’actualité ? 
 
Mauvaises nouvelles
         Les bruits concernant une possible rectification de la frontière des Alpes au profit de Turin commencent à circuler à la fin du mois de juin. Le Messager s’en inquiète. Mazon cherche à vérifier l’information. Il sait de « source très sûre » que Tende et la Brigue « restent pour le moment au Piémont. Le protocole a dû être signé hier ou bien il le sera avant la fin de la semaine. Laissons tomber cette question. Lieusola[65] est hors de cause. J’ai dit pour le moment, car il est convenu entre Cavour et l’Empereur qu’on reviendra là-dessus. On a cédé à Fanti[66] parce qu’il a fait de cela une question de cabinet et qu’une modification ministérielle serait à présent dangereuse à Turin. Gardez cela pour vous »[67].
         Carlone répond que « le démembrement des communes de la haute Tinée et de la haute Roya ferait sur les esprits le plus triste effet. S’il avait été annoncé avant  le vote je n’hésiterait pas à dire qu’il y aurait eu défection de la moitié des votants. On ne verra dans l’abandon de ces communes qu’un acte de faiblesse ou d’indifférence. Le langage des employés de la Préfecture tend à faire croire que le parti est pris et on dit que le mécontentement de Tende et de La Briga est une exagération du Messager. Je savais que toute cette affaire était provoquée non pas seulement par le général Fanti mais par des prétentions auxquelles s’opposent les officiers piémontais dans ce qu’on appelle l’Etat Major»[68].
         Carlone aurait pu ajouter parmi les sujets de mécontentement la suppression de la cour d’appel de Nice par la loi du 23 juin 1860. Cette loi qui place la province niçoise dans le ressort de la cour d’appel d’Aix a également produit le plus mauvais effet. Mais Carlone est peu intéressé par cette suppression. D’abord parce qu’il a craint de bloquer le processus d’annexion par une revendication délicate. Ensuite parce qu’il n’est pas prêt à défendre le milieu judiciaire niçois. La position du gouvernement lui convient.
Par contre la nomination de François Malausséna comme maire de Nice par décret impérial le 25 juin, est une mauvaise nouvelle, même si elle était attendue. Le 6 juillet Carlone commente : « On a fait Malausséna maire de Nice. Il était difficile qu’il n’en fût pas ainsi. Nos amis cependant s’en indignent. Ils se rappellent que l’adresse des membres de la Junte[69] au roi a été dictée par lui et qu’il était le meilleur conseiller de Montezemolo[70] et de Ratazzi[71]. Le fait est vrai. Mais le Piémont l’a mis sur le pavé et il n’en avait plus besoin. La France est passée par là et trouvant ce valet sans emploi lui a proposé de prendre sa livrée et de se mettre à ses gages. L’homme l’a accepté et le voici de la maison. Que maintenant il fasse part des rogatons aux siens,  c’est la règle, cela se sait d’avance et on s’y soumet. Le parti français pense en petite ménagère et y regarde de trop près. Il ne sait pas son monde »[72].
Peut-être le retour de Pietri à Paris va-t-il changer les choses ? Carlone l’espère. Il charge Mazon de le rencontrer. Mazon dans sa lettre du 3 juillet répond qu’il n’a pas pu le voir « à cause des fiançailles du prince Jérôme[73] qui ont eu lieu aujourd’hui. Foule immense »[74]. Il le voit deux fois dans les jours qui suivent. « La seconde, c’était samedi, M. de Cessole[75] y était. Je lui ai parlé de la situation des esprits à Nice. Il n’a pas paru s’en étonner »[76].
Le 14 juillet Mazon, qui a une nouvelle fois rencontré Pietri, informe Carlone que celui-ci «  a dîné hier avec l’Empereur et qu’il a longuement causé des affaires de Nice, surtout de Tende et la Brigue ». Mazon en a profité pour lui parler de la mairie. Il lui a suggéré les noms de Rastoin-Brémond[77] et de Boutau pour adjoints. « Il a paru entrer dans cette idée ». Mazon a également obtenu quelques informations sur un possible remaniement ministériel : « Billault passerait à la justice ; Walewski reviendrait aux Affaires étrangères, ce serait d’un fâcheux augure pour le Piémont ; Vaillant à la Guerre ; Laity[78] à l’Intérieur ; Pietri entrerait dans un ministère de la Police lequel serait constitué ». Il lui annonce enfin que « l’Empereur et l’Impératrice viendront à Nice au mois de septembre. Le petit prince ne viendra pas. Peut-être l’affaire de Tende sera-t-elle arrangée pour cette époque »[79]. On retiendra surtout de tout cela que Pietri, dans l’éventualité d’un tel remaniement, ne prendrait pas la succession de Billault. Carlone a dû faire la grimace. Si Pietri avait pu devenir ministre de l’Intérieur, espère t-il, il aurait pu peser sur la politique de « conciliation » très favorable au « parti italien » menée par le préfet Paulze d’Ivoy. Illusions. Nous ne sommes encore qu’à la mi-juillet et Carlone n’a pas encore tout compris.
 
L’ancien « parti italien » aux affaires
 
La promotion du « parti italien » est une conséquence directe de la politique de Pietri. Il fallait s’en faire un allié pour mieux le neutraliser. Et Paulze d’Ivoy a mis en oeuvre cette politique avec un certain talent.
 
Quand le préfet loge chez Gastaud
Personne en effet, analyse Carlone, dans le camp pro français ne voit de mal à ce que le préfet Paulze d’Ivoy à peine arrivé aille « se loger chez Gastaud[80] », un banquier certes, mais par ailleurs ancien soutien du « parti italien » avant l’annexion. On aurait pu trouver un autre logement estime Carlone. Certes on peut toujours se rassurer en considérant que Gastaud, « ce bon camarade du Padre[81] », est assez riche pour ne pas quémander. Il « n’abusera pas de son voisinage pour fatiguer le préfet de ses demandes et vu l’aimable empressement dont il fait preuve envers son locataire, M. Paulze d’Ivoy écrira à son banquier de transporter son crédit sur la maison de banque de M. Gastaud »[82].
Carlone découvre un mois plus tard que Gastaud a encore plus d’influence qu’il ne le pensait. Non seulement le préfet loge chez lui mais on projette d’y recevoir l’empereur lors de sa visite à Nice en septembre. Carlone, outré, commente, critique et conspire : « D’après le programme qui a été fait pour la distribution du temps de l’Empereur à Nice il  a été arrêté qu’il fera une promenade au Château et une autre sur les bords du Var et peut-être une autre à la villa Gastaud où le préfet offrira un lunch (goûter à l’anglaise). Il faut espérer que ceci sera refusé. Vous avez compris, dit-il à Mazon, qu’il ne s’agit en tout ceci que d’obliger Gastaud et de lui fournir une occasion de se faire un titre aux faveurs impériales en le plaçant aux côtés du préfet pour faire les honneurs de la propriété -seul titre que cette mauvaise et épaisse créature ne puisse jamais avoir- […] Je ne doute pas que l’évêque ne seconde le préfet dans cette petite conspiration en faveur du bon ami du Padre et d’Arson[83] ».
Il est peut-être encore temps de faire échouer ce projet. « Voyez, demande Carlone à Mazon, ce que vous pourrez faire de votre côté. Le prétexte qu’on mettra en avant est qu’on souhaite mettre l’Empereur et l’Impératrice en face d’un point de vue. Car la villa par elle-même n’a aucun mérite ; ce n’est qu’un groupe de maisons à louer aux Anglais et aux Russes[84]. Quant au point de vue, il s’en faut de beaucoup que, de la villa Gastaud, il soit aussi beau et qu’il présente d’aussi grands développements que celui, de la batterie Sainte-Hélène, de tout le rivage de la mer depuis la Promenade des Anglais jusqu’au Var. La villa Gastaud placée en arrière de l’église Sainte-Hélène ne permet d’embrasser qu’une petite portion du panorama que l’Empereur aura sans cesse sous les yeux quand il reviendra de son excursion au Var. La lumineuse idée qu’a eue Mr. Pietri quand il a conduit le Préfet chez Gastaud et l’a livré à cette bête féroce ![85] ». C’est effectivement ce qui s’appelle faire de la « conciliation ».
Mazon ne partage pas le pessimisme de Carlone. Il pense même que, selon des informations qu’il tient de Danjou, Le Messager obtiendra les annonces légales. Mais Carlone refroidit les espoirs de Mazon : « Ici on doute très fort qu’on nous fasse cet avantage et on comprend bien qu’on n’a plus besoin de nous. Aussi chacun rit de bon cœur. La reconnaissance publique fonctionne comme de coutume »[86]. Les raisons par lesquelles on justifie le choix de Malausséna sont d’ailleurs lourdes d’arrières pensées : « L’ordonnance qui nomme le Conseil municipal et le maintient sur  la raison que c’est son enthousiasme qui a créé l’unanimité du vote pour la France est une insulte féroce au parti français de Nice. Les Italiens eux-mêmes restent abasourdis. J’ai l’avantage d’être peut-être le seul homme de  Nice  qui se trouve préparé à tout cela »[87].
Carlone explique qu’à Paris on se trompe complètement de politique. « A voir le cas particulier que le gouvernement français fait de ses amis, il n’y a personne pour plaider sa cause, car d’un côté on s’attend à ne récolter que du ridicule et de l’autre on n’est pas éloigné de croire que le meilleur moyen de se recommander à lui c’est de frayer avec ses ennemis déclarés ou de se ranger franchement avec les frondeurs. Vous ne me croirez pas peut-être  et cependant rien n’est plus vrai : le sentiment à cet égard en est venu au point de faire tenir pour certain presque par tout le monde que le gouvernement sarde a obtenu du gouvernement français que les hommes du parti français seraient entièrement mis à l’écart, sinon pis, à la longue et le  bruit a couru et très sérieusement, que Le Messager de Nice allait être supprimé par l’autorité. Beaucoup de gens croient encore à ce bruit »[88].
 
Le « parti italien » défile toujours dans les rues et place ses gens
Le 4 août Carlone poursuit sur le même registre : « En attendant, les caresses qu’on a faites au parti italien ont produit leur effet [89][…]Les choses  en sont au point que dimanche dernier  une centaine de chanteurs parcouraient la ville en plein jour ni plus ni moins qu’aux beaux temps de Montezemolo, criant Si ! La bandiera tricolore, la faronno triomfar. Tout le vieux parti italien se démène comme en diable et c’est à qui fera le plus de titres auprès du gouvernement français et partagera la destinée du médecin Lubonis[90] (ex membre de la Junte, rallié comme Malausséna). Quant aux représentants du parti français il n’y a pas de jour qu’on ne vienne leur rire sous le nez. Si cela continue on criera Viva Garibaldi à la venue de Napoléon. Cela ne fera que croître et embellir si le Gouvernement ne se décide pas à marcher franchement avec ses amis et à faire bien comprendre qu’il traitera en ennemis ceux qui se posent en ennemis »[91].
« Il y a, poursuit Carlone, une chose que l’on n’a jamais bien comprise, ni à Paris, ni à Nice chez les agents du Gouvernement, c’est qu’il n’y a pas à Nice (pour un rien je dirai en Italie) un seul homme de conviction sincère dans le parti italianissime. Chez tous, le sentiment politique est un calcul. On veut arriver par n’importe quelle voie. Ici donc comme partout ailleurs, quand on se persuadera que le Gouvernement tapera sur le dos de ses adversaires et ne tiendra pour siens que ceux qui marcheront de bonne volonté avec lui, tenez pour sûr que ce sera à qui fera du zèle. Rappelez-vous avec quel enthousiasme chacun a voté l’annexion à la France tant que l’on a cru qu’il ferait bon de se chauffer de son bois. Mais du moment où La Gazette de Nice poursuit une guerre hargneuse, du moment où Gastaud a quitté le bras du Padre pour celui du Préfet, où Pollonais[92], après avoir applaudi aux saturnales italianissimes du Théâtre Royal, passa pour un candidat possible du Gouvernement à la députation, où l’on crée des places nouvelles pour le docteur Lubonis, où Malausséna est la main toute puissante et où on ne trouve pour lui adjoindre en fait de représentants du parti français que des Prosper Girard, des Marquis de Constantin, il faudrait avoir des convictions terriblement chevillées pour ne pas prendre ce chemin »[93].
Et encore : « Pour le bien de la cause à laquelle nous nous sommes dévoués -plus que pour nous- je voudrais que l’on se persuadât à Paris qu’il importe de relever au plus vite le parti français et de s’en servir  pour tenir en frein le parti italianissime ou pour mieux dire pour lui donner à entendre qu’on n’est pas d’humeur de se payer de toutes les frasques d’opposition italiano-patriotique. Que l’on sache bien qu’il va falloir vivre en bons amis sinon on invitera les récalcitrants à user de la faculté qui leur a été laissée, celle de s’en aller s’ils ne se trouvent pas bien. Qu’on essaye ce système et on verra comment les rangs des mal contents vont s’éclaircir »[94].
 
On courtise trop ceux qui étaient hostiles à l’annexion
 Début août les choses ne s’arrangent pas. «La Gazette continue sa propagande piémontaise  et pousse au mécontentement de toutes ses forces.[95] ». Mazon semble ne pas comprendre la situation locale. Il pense que Carlone a un avenir politique. Il en parle avec le sénateur Pietri qui lui suggère de donner à Carlone un poste de conseiller de préfecture. « Cela donne une autorité morale »[96]. Mais poursuit Mazon « cela ne vous convient pas, à mon avis, surtout si vous voulez vous conserver pour la députation »[97]. Carlone lui répond sèchement : « Vous me parlez de la députation. Comment en être encore là ! Ce qui se passe depuis deux mois ne vous ne vous en pas appris assez. Ne nous payons pas de rêves. Attendez-vous à voir sortir du trou un monsieur Pierre ou Paul qui se chargera d’aller représenter au Corps Législatif la part de volonté nationale qui peut revenir au département des Alpes-Maritimes »[98].
Le préfet se trompe de politique. Il avantage les opposants et en particulier La Gazette de Nice. Ce journal est fait dans un « esprit abominable ». Et le préfet le sait très bien. A quelqu’un qui faisait remarquer au préfet « les faveurs dont La Gazette était l’objet » celui-ci aurait répondu : « Que voulez vous, j’ai voulu faire de la conciliation »[99].
« Vous le voyez, insiste Carlone qui veut que Mazon explique tout cela à Paris autour de lui, nous sommes éternellement dans le même pétrin. On n’apprend rien. Dites-leur donc, une bonne fois, que le parti ci-devant italien était tout simplement celui des gens qui suivaient le gouvernement sarde pour en être payés soit par des faveurs soit par des places. Il n’y avait pas là dedans place pour un grand sentiment et des convictions sincères. Ceux qui criaient Viva Orsini ! Viva Nizza italiana ! travaillent actuellement à Naples. Les autres italiens niçois ne demandent pas mieux que de devenir français zélés si on leur donne quelque chose pour ça. Mais entendons-nous bien, en vrais mendiants, en vrais gueux qu’ils sont ; à peine l’un d’entre eux a obtenu un rogaton, les autres n’en piaillent que plus fort et il en sera ainsi jusqu’à ce qu’on use du fouet pour éloigner cette canaille. La Gazette de Nice est pour ces gens là ce qu’était le masque antique pour les auteurs : un moyen de grossir la voix ; jusqu’ici la Préfecture en a fait les frais. Mais ce que la Préfecture devrait comprendre c’est que la pièce se joue comme d’ordinaire devant un gros public qui applaudit toujours celui qui parle le dernier et le plus fort, si bien qu’elle travaille elle-même à prouver à tout le monde qu’on est très malheureux, très opprimé, très mécontent. Mais qu’on ôte les planches et les tréteaux à ces saltinbanques grossiers  et le public leur tournera le dos ou rira de leurs faces déteintes et réduites à leur véritable expression »[100].
« Tant qu’on use de ménagements envers les Italiens prétendus qu’on voit s’agiter sur le pavé de Nice ou sur les portes des cafés on ne fera que leur fournir des gages qui augmenteront leur jactance et leurs prétentions. La faveur qu’a rencontrée Malausséna a fait des milliers d’ennemis au gouvernement français, non pas en irritant le parti français qui aurait pu y voir une injustice envers lui, mais en surexcitant tous les ambitieux qui ont étalé à l’envi des sympathies italiennes puisqu’on trouve à les vendre. Nul n’a compris que dans le compte que le gouvernement français a fait de Malausséna ses antécédents italiens n’entraient pas même pour mémoire et que, si l’on a agi de la sorte, c’est qu’il trouvait d’autres valeurs à mettre en ligne. Mais on aime mieux se rappeler les sentiments italiens de Malausséna que de rechercher son mérite. On aurait dû prévoir cela quand on a fait un maire et surtout quant le préfet en a fait son bras droit. Le malheur est qu’il est difficile de dire par qui il aurait été bien employé. Mais enfin puisqu’il fallait manger du Malausséna, il fallait user du contre poison et on ne l’a pas fait, et on a la colique »[101].
« Qu’on se décide donc franchement à être français et qu’on jette aux orties la conciliation. Veut-on obtenir un prompt élan de prospérité ? Qu’on ordonne au maire et au préfet d’introduire à Nice la taxe du pain et de la viande et de la régler en faisant une moyenne entre celles de Marseille, Toulon, Grasse et Draguignan, qu’on ordonne de rechercher activement les monopoleurs et de leur faire la guerre à outrance, de faire cesser la vente à faux poids du pain et de la viande, d’arrêter le monopole -nouveau depuis deux ans- du charbon et du bois de chauffage, ce qui les maintien à des prix hors de toute raison, qu’on frappe de ce côté et l’on verra alors si  la masse populaire de la population ira devant l’Empereur et bénira le jour où Nice a été placée sous l’administration française»[102].
 
Malausséna ne quittera pas la mairie
Carlone ne perçoit aucun signe de changement. Même lorsqu’à la mi-août on propose à Malausséna la présidence du tribunal de première instance il ne lui vient pas à l’idée que c’est pour changer de politique. Carlone interprète cela comme une promotion. Mais très vite Malausséna refuse la proposition. Mazon, qui lui aussi pense que c’est une promotion, s’en étonne. Carlone lui explique qu’il fallait s’y attendre : «  Tant qu’il a pu être à cent mille lieues de croire qu’on pût jamais l’accepter en quoi que ce soit, il a dû consentir avec reconnaissance d’être fait président du tribunal, mais du jour où le gouvernement français a sauvé ses amis […] la chose n’était plus la même et il a pu se souvenir qu’il avait une étude qui rendait de dix à quinze mille francs et qu’il était maire de Nice et tout ce qui s’en suit dans les circonstances présentes »[103].
Carlone présente une explication à cette tentative d’écarter Malausséna de la mairie. « Il paraît que Cessole[104] ambitionne la succession de Malausséna en tant que maire. Celui-ci pourrait se payer de ce que Malausséna n’a pas voulu. Malausséna a refusé dix mille francs de représentation parce qu’il a compris » que cela lui imposerait une très forte présence à la mairie tout en laissant « subsister en entier ses autres obligations. Cessole, lui, a un train de vie différent et « dix mille seraient une subvention qui aiderait beaucoup à faire bouillir la marmite, car pour lui les temps sont durs. Au demeurant vous savez que Cessole est une vraie citrouille. Si on le met à la tête de la municipalité  ce sera le coup de grâce pour nos intérêts niçois. De plus avec le coup que son père a fait comme président du Sénat, il ne nous manque plus que celui qu’il ne manquerait pas de faire s’il en arrivait aujourd’hui à être maire. Inutile de vous dire que si, en qualité de conseiller d’appel, il avait fallu faire pendre tout le parti français, il aurait joyeusement tiré sur la corde. Mr. Pietri s’est laissé entortiller par ces gens là parce que lorsqu’il faisait son cours de droit à Aix il avait connu Mme de Castellane, mère de Mme de Cessole, chez le Président de la Cour d’appel »[105].
Prosper Girard est lui aussi prêt à prendre la place de Malausséna. Cet important négociant niçois, ex-vice gouverneur provisoire et ancien président du tribunal de commerce a beaucoup œuvré en faveur de l’annexion. On se souvient que c’est lui qui le 10 mai 1860 a été chargé de prononcer le discours lors du banquet offert par le commerce niçois au sénateur Pietri. Il y avait présenté les remerciements de Nice à Napoléon III «  à qui nous devons une éternelle reconnaissance pour nous avoir rendu notre nationalité perdue »[106]. Il est adjoint de Malausséna à la mairie. Autant dire que c’est un des hommes les plus représentatifs du « parti français » et qu’il estime avoir assez de titres pour pouvoir prétendre à la succession éventuelle de Malausséna. Carlone réagit négativement. Il trouve l’idée incongrue et déplacée et il n’a pas de mots assez durs pour la rejeter. « Je ne trouve rien d’étonnant dans la nouvelle outrecuidance de Girard. Il est simple d’esprit et nul pour l’intelligence, mais il trouve dans sa vanité une véritable force. La vanité explique le succès de bien des bêtes. Elle fait qu’on ne doute de rien ; le succès de la veille donne le droit de croire à celui du lendemain. Mais avant d’entrer à l’Hôtel de Ville, si Malausséna se retirait, Girard rencontrerait Cessole qui constitue autour du préfet une sorte de milieu aristocratique dont il se paye faute de mieux »[107].
La proposition faite à Malausséna de quitter la mairie pour la présidence du tribunal doit être analysée. Elle soulève deux questions. La première concerne Malausséna lui-même. Comment penser qu’il aurait pu être attiré par une simple juridiction de première instance puisque depuis la fin du mois de juin on sait qu’il n’y aura pas de cour d’appel à Nice ? Et s’il s’agissait d’une promesse de Pietri remontant à l’époque de l’annexion ? Malausséna aurait conservé la mairie de façon transitoire et en récompense du ralliement aurait obtenu la présidence de la cour d’appel. La question reste posée.
         La seconde question concerne Carlone lui-même. En 1871 Mazon a rédigé des  notes sur les événements de Nice en 1860. A sa demande Carlone, y a ajouté quelques commentaires. Il précise à propos de l’endiguement du Var et de la visite de Napoléon III : « Je fus heureux et fier de cette grande fête dont la préparation fut toute mienne, je le dis hardiment, et que je regarde comme la récompense de douze ans de travail et d’efforts persévérants ». Carlone put parler avec Napoléon III sous la grande tente installée au bord du Var. Quelques jours plus tard Pietri lui dit qu’on avait pensé à lui pour la mairie, Malausséna prenant le tribunal. Carlone dit lui avoir fait part de « sa répugnance à entrer dans l’administration communale […] et son projet de rester dans la vie privée » en se désistant même des luttes du journalisme[108]. On remarquera que Carlone ne parle pas de tout cela dans sa correspondance avec Mazon au cours de l’été 1860.  Peut-être parce que ses amis n’auraient pas compris qu’il puisse refuser. Quant à son refus il peut s’expliquer par toute une série de raisons, celles qu’allègue et celles qu’il n’expose pas : affronter une élection, devoir prendre la tête d’un conseil municipal difficile, s’atteler à des tâches de gestion ou tout simplement attendre qu’on lui propose la députation. Revenons à l’été 1860.
 
L’entourage « italien » du préfet
Il est évident, poursuit Carlone, que le préfet est très mal entouré : Malausséna est omniprésent. Il « est la nymphe Egérie du préfet. On ne fait rien sans le consulter et vous savez qu’il est homme d’expédients. Une fois engagé dans cette voie, la préfecture ne sortira plus des pattes qui la tiennent. A mon avis Mr. Paulze d’Ivoy s’enterre et il viendra un moment où il se sentira pris au piège mais ce sera trop tard et la farce aura été jouée. Je ne sais qui pourrait crier gare, mais toujours pas un Niçois. Il paraît établi à la Préfecture que les Niçois sont des crétins, à l’exception de Malausséna, Gastaud et Arson[109]. Depuis quelque temps ce qui tranche royalement sur le tout, c’est Cessole. On est fier de s’être mis en bonne compagnie. La préfecture avait besoin de sentir un peu son gentilhomme. Celui-ci est de mauvais aloi sans doute mais c’est ce qu’on a de mieux »[110].
On peut d’ailleurs constater que « M. Paulze d’Ivoy fait sa société habituelle de Cessole et de Constantin[111] ; le premier a le titre de comte et l’autre de marquis et il ne pourra avouer que ces deux amis au Jockey-Club. Pardon, j’oubliais Gastaud. Celui-ci est affligé de roture mais il est millionnaire. C’est quelque chose ; il est son propriétaire et au besoin il lui fait son marché et même celui de la cuisinière. Il ne se passe pas de jour sans que le préfet  et Gastaud ne se promènent sur le Cours, bras dessus, bras dessous. Le Padre est jaloux »[112]. L’étoile de Gastaud continue même de monter. « Il est décidé que  l’Empereur ira visiter la Villa Gastaud, habitée par le préfet. Le public rit de le voir aux prises avec ce trio de baudets»[113].
Acerbe, Carlone poursuit sur le même registre dans sa lettre suivante, cette fois à propos du salon de Cessole. Le préfet y subit « les sirènes musicales et il doit être assez poli pour ne pas bailler devant les insipides caquetages des femmes de la maison, mère et fille. M. Paulze d’Ivoy est sans défense devant toutes les prévenances dont on l’entoure. Dans la droiture de son caractère il est loin de deviner que Cessole veut s’en faire un échelon pour grimper quelque part et surtout pour fourrer sa famille parmi les demoiselles d’honneur de l’Impératrice. C’est la vielle marotte de la maison. Dans le temps, Mme de Cessole a fait l’impossible pour être admise comme dame d’honneur de la vieille reine Marie-Christine[114]. On lui trouva assez de quartiers de noblesse en ce qui la concernait pour pouvoir y prétendre, mais la noblesse du mari fut jugée insuffisante. On espère probablement trouver moins de raideur dans la maison impériale »[115].
 C’est dommage, pense Carlone, parce que Paulze d’Ivoy a des qualités :Le préfet est un charmant homme pour qui vit dans son intimité. Il est travailleur, plein de droiture dans ses sentiments et il prend sa mission très au sérieux mais il est parisien en diable et nous traiterait volontiers comme des provinciaux que nous sommes. Voyons me disait-il l’autre jour, que faudra-t-il faire pour Nice ? (car il est évident que la France est débitrice envers Nice ; ceci fait évangile ici). Que faut-il faire pour Nice ? Car je suis niçois ; je suis niçart ; je veux l’être jusqu’à en être absurde, etc, etc. Et à un autre : quel pays que celui-ci ! Je ne sais à qui parler »[116].
 
Nous avons été dupés
 « La conciliation des partis après l’annexion », explique Carlone dans sa lettre du 24 août, n’est pas en soi un mauvais choix mais c’est son usage qui pose problème : « Assurément le pouvoir était généreux mais l’application en a été faite avec tant d’entraînement envers ceux à qui on tendait la main qu’on y a perdu d’un côté ce qu’on gagnait de l’autre. Le parti français ne demandait pas des proscriptions mais il a dû se repentir à bon droit de voir par exemple conserver l’ancien Conseil municipal avec la raison que son enthousiasme avait préparé l’unanimité du vote d’annexion. Nous qui, depuis 1848, tenons le drapeau de la France à Nice nous savons bien quel genre d’appui nous avons trouvé dans les conseils municipaux qui se sont succédé et nous savons trop bien surtout quel esprit animait celui-là même dont on a exalté l’enthousiasme. Nous savons, et nous ne sommes pas les seuls bien informés là-dessus, qui s’entendait avec M. de Montezemolo et dirigeait avec lui l’action de ce millier de bandits détachés de l’armée de l’Aution[117] pour venir far italiani questi nizzardi o per forza o per amore »[118].
« Toutes autres considérations à part, il ne nous est pas permis de nous repentir du peu de ce que ce même homme[119] ploie aujourd’hui  vers les faveurs du gouvernement, quand depuis le mois de janvier jusque vers les premiers jours d’avril, il donnait le mot d’ordre aux patriotes, qui de nuit, célébraient le nom d’Orsini et qui,  pendant tout cet espace de temps, ont fait si bien que nous ne savions jamais, lorsque nous descendions dans la rue, si quelques minutes après nous n’aurions pas été rapportés dans notre demeure les pieds en avant. Et puis comment a-t-on pu croire que toutes ces adresses à l’Empereur, ces protestations contre Laurenti et Garibaldi, tous ces milliers de signatures rapportés des vallées du Comté sont nés à la façon des champignons. Croit-on que pour faire une journée du 15 avril[120] il a suffit d’une proclamation affichée sur les murs huit jours d’avance, lorsqu’il a fallu tant de peine pour sauver quelques exemplaires sur les points de la ville les plus fréquentés ? De pareilles prétentions ont pu être mises en avant, mais pouvait-on y ajouter foi ? Le parti français n’a pas réclamé, mais pouvait-on s’imaginer qu’on irait prêter l’oreille aux Italiens ralliés suivant la promesse desquels le pays entier se serait rangé avec bonheur sous la loi française à la seule condition qu’on ne ferait rien pour les hommes du parti français ? Pouvait-on s’imaginer qu’on donnerait dans un pareil panneau et qu’on accorderait ainsi une prime à ceux qui renieraient la France ? C’est pourtant ce qui a eu lieu et d’une façon si complète que tout ce qui a tenu de près ou de loin  au parti français  est objet de dérision publique. Mais il y a bien plus, des hommes qui applaudissaient aux saturnales sans nom du parti italien du haut de leur loge au Théâtre royal se sont tout à coup targué d’avoir la confiance du gouvernement français et, chose étrange, ils ont eu en effet grand crédit, assez de crédit pour faire que l’ignoble organe du parti italien[121] , un journal dont toutes les pages sont pleines encore aujourd’hui d’injures à l’adresse de la France soit publié avec le sous-titre : journal officiel pour les annonces légales. Devant de pareils faits, il ne faut point jeter la pierre à Nice de ce que le parti italien  y fait des recrues tous les jours ; il y aurait fort à s’étonner qu’il en fût autrement et le gouvernement français ne recueille que ce qu’il sème »[122].
 
Le mécontentement
 
         Tout ceci ne serait pas très grave si les Niçois étaient contents de leur sort ! C’est loin d’être le cas. Lettre après lettre Carlone décrit à Mazon la montée du mécontentement.
 
         L’ « eldorado » se fait attendre
« Ici le mécontentement est extrême » note Carlone à la mi-août. « Le gros public s’attendait à l’apparition d’un eldorado dès le lendemain du jour de l’annexion. On aurait dû lui donner de quoi l’amuser jusqu’au moment où l’on sera en position de faire quelque chose. Il ne comprend pas qu’on a eu à peine le temps de se retourner. Il fait néanmoins un calcul juste et le voici : on a maintenu les impôts sardes comme par le passé et il en est déjà d’autres qui s’y joignent par le fait de l’application de certaines lois françaises. On a réclamé sur les contributions sardes, le décime de guerre. C’est violemment absurde. Si l’on annonçait sur les contributions à payer un dégrèvement de 15 ou 20% la chose ferait plaisir et on ferait justice »[123].
Et encore, le 21 juillet : « Si l’on suit le mécontentement on est bien servi. Il règne partout ; on se plaint de la dureté et de la suffisance des employés ; on se plaint des pioupious (sic) qui maraudent dans les campagnes ni plus ni moins que s’ils étaient en Italie et se font surprendre à voler aux étalages; on se plaint de la hâte du gouvernement à parler d’impôt et de recrutement avant même  de s’être manifesté par la moindre nouvelle bienfaisante pour le pays. Aussi se trouve t-on bien récompensé ! L’autorité publie dans les journaux de longs raisonnements pour faire ressortir les avantages de la loi française sur la loi sarde en fait de  service militaire et le lendemain même  elle en est réduite  à menacer les jeunes conscrits qui décident vouloir conserver la nationalité sarde de les signaler au gouvernement de Turin, moyen injuste et impuissant car ces jeunes gens savent bien que la loi française les met à l’abri de l’extradition et qu’ils pourront vivre tranquillement dans leur propre pays natal et auprès des leurs, sauf à subir pour toute punition la perte des droits politiques. Avec un peu moins de hâte, l’année accordée par le traité pour les déclarations de nationalité se serait écoulée et le calcul facile qu’on fait aujourd’hui n’aurait pas eu lieu -et on se serait mis à l’abri d’un scandale qui pourrait devenir grand-. Quant à l’impôt, je crois vous l’avoir dit, la justice voudrait qu’on fît sur la cote sarde adoptée pour l’année courante la réduction du décime de guerre qui est absurde et une autre de 15 à 20% à cause de certaines charges  déjà introduites et  que le régime sarde ne réclamait pas des contribuables : timbres, droits de douanes, etc. Maintenant, ce qui ne saurait manquer d’aggraver ce mécontentement (je n’ai pas parlé de celui de tous ceux qui de près ou de loin tiennent au barreau) c’est que, à voir le cas particulier que le gouvernement français de ses amis, il n’y a personne pour plaider sa cause »[124] .
D’autant plus que les employés français se comportent comme en «  en pays conquis ». « Je vous ai mis au courant des maladresses de la Préfecture. Ca ne fait que croître et embellir, insiste Carlone. Le désagrément et le mécontentement sont immenses. Je vois que l’Empereur pourra toujours rétablir les choses en faisant prendre quelque décret favorable mais on renvoie trop les choses et il ne serait point mal de donner des acomptes à la population niçoise […] Le pays est triste néanmoins. Ne croyez pas aux blagues du journal[125] sur l’immense gaîté » qui règne ici. « L’émigration est considérable. En ce qui concerne les employés, le mal n’est pas grand ; mais il eût été plus adroit de les faire émigrer en France en leur conservant un emploi équivalent à celui qu’ils avaient ici. Les employés français sont durs et à peine polis. On dirait qu’ils ont tous pour programme de faire détester la France et de faire regretter l’ancien gouvernement »[126].
         Le 7 août : les employés français « traitent Nice en pays conquis et je crois que nous leur paraissons aussi français que les bédouins de l’Algérie, les bédouins ayant sur nous l’avantage d’avoir été conquis à une date plus ancienne[127].
         Et encore le 24 août : « Faut-il maintenant vous parler du rôle, du langage de la tenue des employés et des hauts fonctionnaires. Ne vous ai-je pas tout dit lorsque je vous ai rapporté le mot de celui qui répondait à une demande d’emploi que les emplois devaient être donnés aux Français ? Croyez bien que la plupart de ces messieurs se regardent ici comme en Algérie et que pour eux nous sommes français à la façon des bédouins »[128]
 
Les conséquences délétères de la suppression de la cour d’appel
         « Il y a eu une cause profonde de mécontentement et ce qu’il y a de fâcheux c’est qu’elle est bien fondée. Je vais m’expliquer. La suppression de la cour d’appel a été regardée par les avocats et même par une partie de la population comme un acte de vengeance du gouvernement français contre ses anciens adversaires. Je suis intimement persuadé qu’il n’en a rien été et que le vrai motif est celui qui l’aurait fait supprimer par le gouvernement sarde lui-même s’il en avait eu le temps. Ce motif est que dans les deux pays elle constitue une superfétation. Mais vous n’ôterez pas facilement de la tête des avocats l’idée qu’ils ont ; du reste ils ont l’air de croire qu’en agissant de la sorte le gouvernement n’a fait qu’un acte de bonne guerre. Quoi qu’il en puisse être, en prenant cette mesure on n’a pas pensé aux inconvénients qui en résulteraient pour tous ceux dont les intérêts étaient pendants par devant notre cour d’appel. Quelques uns d’entre eux étaient sur le point d’obtenir une sentence définitive, ils ont été renvoyés à Aix et ont été réduits à la nécessité de faire traduire le dossier tout entier. Ce seul exemple vous en dit assez pour présumer tous les autres. Un peu moins de précipitation aurait laissé prévoir ces inconvénients et aurait fait maintenir à Nice au moins une chambre détachée jusqu’au jour où le chemin de fer nous aurait mis en relation facile avec Aix et Marseille »[129]
         Les conséquences de cette suppression sont extrêmement délétères. Cela favorise le mécontentement mais surtout cela encourage la surenchère du « parti italien ». Le préfet doit, pour compenser, faire de plus en plus de conciliation. C’est ce que Carlone explique à Pietri dans une lettre du mois de janvier 1861 :« Nous avons vu en effet les chefs de notre magistrature s’associer publiquement aux regrets hypocrites d’un barreau dont les principaux membres avaient déjà fait défection en retour d’avantages personnels et dont les autres affectaient de la réserve hostile parce qu’ils comprenaient tout le profit qu’ils avaient à ne pas se ranger du côté des ralliés avant de connaître la part qui leur serait faite. Bien plus, les mêmes magistrats ont eu assez peu de souci de leur dignité pour aller prodiguer tour à tour et à domicile les flagorneries stéréotypées à des bazocheurs dont l’Autorité n’avait jamais jusque là fait grand cas et dont l’importance avait seulement consisté dans une sorte de compagnonnage et d’appui mutuel dans les campagnes électorales. Cette lâche manœuvre n’a abouti à rien parce que, pour ignorants et nuls qu’ils soient, ceux-ci ont néanmoins assez l’esprit retors pour avoir compris que l’on croyait avoir besoin d’eux et que plus ils se montreraient récalcitrants plus grand serait le prix qu’on mettrait à les gagner. Dès lors le mot d’ordre s’est répandu de toutes parts et l’ancien camp piémontais, jadis organisé  sous Rattazzi et Montezemolo, s’est relevé comme sous une secousse électrique. Les suppôts de bas étage  et les goujats du parti se sont remis à l’oeuvre auprès de la classe ouvrière et de la population pauvre et le Padre, revenu de ses craintes à l’endroit de Cayenne, s’est affublé de la chemise garibaldienne et s’est glorieusement montré sur les promenades au milieu des principaux meneurs de l’ancien comité dit national, affectant de se donner ces hideux compagnons et même d’endosser son uniforme »[130].
 
Et si l’Empereur était mal accueilli ?
         La situation est-elle irrémédiable ? Sûrement pas. La prochaine venue de l’Empereur semble rasséréner Carlone. « Nice met ses habits neufs, faut-il s’étonner qu’on soit un peu gêné sous les bras ? Demandez à votre tailleur. Qu’on laisse un peu faire et demain elle en sera toute glorieuse. Mais si l’on pince d’ici, si on relâche de là on n’en finira plus et l’on gâtera tout »[131].
         Le 24 août il répond à son « cher Monsieur Mazon » qui se pose quelques questions sur le voyage de l’empereur. « Vous me demandez dans quelles dispositions se trouve l’esprit public ici relativement à la visite prochaine de l’Empereur et de l’Impératrice et je réponds à cette question comme je répondais dans le temps à Mr. de Santa Rosa à l’occasion du voyage du roi Victor Emmanuel à Nice : tout souverain, tant qu’il n’est pas frappé par l’adversité, sera acclamé sur son passage. Il le sera à plus forte raison quand il se montrera dans tout le prestige des pompes souveraines d’un nom glorieux et populaire et d’une immense puissance, quand il se montrera en ayant auprès de lui une princesse dont le nom est devenu synonyme de la bienfaisance. Mais si vous me demandiez jusqu’à quel point on peut compter sur l’explosion d’un enthousiasme pareil à celui qui se manifesta quand les troupes françaises traversaient Nice pour aller en Lombardie,  lorsque pour la première fois on conçut le ferme espoir  d’être rendu à la France, vous m’embarrasseriez fort parce que de tels délires ne peuvent pas être inscrits d’avance dans un programme  Toutefois n’allez pas croire que par ces paroles je veuille me mettre au nombre de ceux qui calomnient mon pays et qui veulent donner à croire que devant les bienfaits, les arts de munificence dont il a déjà  été l’objet de la part du gouvernement de l’Empereur, il restera insensible et ne trouvera pas en lui des élans de reconnaissance[132] »
         Enfin une bonne nouvelle ! Les décrets impériaux sur l’endiguement du Var et l’aménagement de la route vers Barcelonnette sont parus[133]. Pour Carlone c’est l’aboutissement d’un long travail et d’un fort engagement personnel en tant que président de la Commission administrative du Var. « Les décrets produisent un bon effet et il ne pouvait pas en être autrement. Toutefois il n’est pas donné lieu à des manifestations publiques. Je crois que l’on a raison de ne pas les provoquer d’avance. Je crois qu’il y aura immensément de monde à Nice pendant la visite de l’Empereur, les villes de Provence et nos vallées fourniront une grande partie. La réception de la part de la population ne laissera rien à désirer. Les invitations pour le bal sont distribuées. On se démène pour  en obtenir. Elles seront plus restreintes que pour le bal  donné par Victor Emmanuel, ce qui contrariera pas mal de monde. Il faut avouer que depuis plusieurs années on se faisait à l’idée que dans ces sortes d’occasions les portes devaient être ouvertes à tout le monde. On fera bien de mettre un terme à ce préjugé »[134].
         La correspondance de Carlone et de Mazon cesse à la fin du mois d’août. Mazon est à Nice pour le voyage de l’empereur et de l’impératrice les 12 et 13 septembre. Celui-ci s’est bien passé. Carlone est particulièrement satisfait de la visite faite par Napoléon III au bord du Var et au cours de laquelle il eut l’occasion de lui présenter très officiellement les projets de grands travaux. C’est assurément pour le récompenser de ses mérites à la tête du Consortium du Var qu’il fut fait chevalier de la légion d’honneur. Mais Carlone est toujours mécontent de la situation. Il l’écrit à Pietri. Celui-ci lui répond, de Sartène, assez laconiquement -après l’avoir remercié « pour son affectueuse et intéressante lettre » et félicité pour sa distinction- qu’ « il est déplorable qu’il se trouve des fonctionnaires qui pensent que l’annexion a été une mauvaise chose et qui ne seraient pas fâchés de la voir supprimer[135] ».
 
Les succès électoraux de la politique de conciliation
La reconduction de Malausséna à la tête de la Ville de Nice avait été le premier temps fort de cette politique de conciliation, les élections législatives fixées aux 9 et 10 décembre devaient être le second. Plusieurs candidats se précipitèrent pour présenter leur candidature : Désiré Pollonais le 22 novembre, Henri d’Avigdor[136]  le 25 en promettant « monts et merveilles », le comte de Cessole le 28 et le 1er décembre Rastoin-Brémond et Nicolas Rapetti[137]. Le même jour pour couper court à la « confusion » le préfet  choisissait Lubonis, ancien gouverneur provisoire, comme candidat officiel[138]. Les candidats se retirent les uns après les autres sauf Avigdor, frère de Jules un des proches de Carlone jusqu’à sa mort en 1855, qui avait dès le mois de janvier proposé à Carlone de l’aider : « Vous savez que je peux aider à la roue, et un peu beaucoup » lui avait-il dit après lui avoir rappelé  leurs anciennes bonnes relations[139]. Carlone n’avait pas donné suite[140]. Les abstentions furent très nombreuses. Lubonis l’emporta[141]. Le mécontentement ne pénalisait même pas le candidat officiel. Preuve sans doute que la politique de conciliation était assez efficace pour envoyer au Corps législatif un ancien proche du « parti italien ».
Les élections cantonales de la fin de l’année ne feront que confirmer l’efficacité de cette politique. Carlone se résolut à se présenter dans le canton de Nice-Est contre Victor Clerico et Paul Bounin. Il fut nettement battu[142]. Nicolas Rapetti s’aventura dans le canton de Nice-Ouest[143]. Avigdor fut battu à Contes par le marquis de Constantin[144].
 
Et si la politique de Paulze d’Ivoy était la cause de tous les maux ?
Après son échec aux élections cantonales des 29 et 30 décembre 1860 Carlone écrit à Piétri une longue lettre en forme de bilan: « La situation de Nice est triste et elle se résume en mécontentement et  humiliation pour les anciens amis de la France, en irritation et résistance de la part du parti contraire ».
« Sans être  doué de don prophétique, j’ai pu  vous annoncer  ce résultat dès le premier moment où la pensée qui devait diriger l’action du gouvernement s’est fait jour et que pour tout programme donné à ceux par qui elle devait s’exercer, il n’y avait que le mot conciliation . Le premier côté fâcheux de ce programme était le manque de clarté. Les uns, un peu confiants, y ont vu l’intention de rapprocher les parties et de faire la part de tous sans tenir compte du drapeau sous lequel on avait marché au milieu des luttes récentes. Les autres, moins charitables ont cru à la froide résolution de tourner le dos à ceux qui étaient tout acquis par des antécédents de parti et d’attirer à soi, de se concilier par des préférences marquées, leurs anciens adversaires »
         « Qui avait raison ? Je le dis à regret si les premiers avaient bien compris les intentions du gouvernement, les seconds ont eu pour eux la ligne de conduite suivie par ses agents les plus immédiats. Ils on propagé le mécontentement dans la rue et ravivé l’opposition de l’ancien camp hostile à l’annexion.
« Au milieu de ce paroxysme que faisait la préfecture à Nice ? Non contente des effets multiples de l’élection de Lubonis, elle s’engageait dans les élections pour le Conseil général, et sur le terrain où la lutte devait avoir un caractère politique, elle traitait simultanément avec tous les partis, tout en annonçant qu’elle allait faire acte de courage et arborer les couleurs de la France ; puis sans nul souci de la foi donnée,  elle acceptait et abandonnait successivement ses deux candidats et par une dernière et inconcevable volte face elle s’attachait à la fortune du candidat de  l’opposition italienne et le faisait triompher ».
  « Et lorsque tout confus d’avoir été pris au piège M. Paulze d’Ivoy veut se donner un bill d’indemnité, il parle d’une lettre ministérielle (quelqu’un m’a soutenu l’avoir vue) qui lui donne pour instruction de renier absolument le vieux parti français et de faire cesser l’opposition italienne à tout prix, même en l’acceptant comme parti gouvernemental, la magistrature ayant, d’autre part, pour mission de surveiller l’action préfectorale ! »
 « Ah ! Si les hommes qui tiennent en leurs mains les rênes du gouvernement de la France en sont à recourir à de tels expédients, qu’on garde un peu mieux d’aussi tristes secrets ! »
« Mr. Paulze d’Ivoy a quitté Nice. L’a-t-on rappelé pour n’avoir point su se ménager des succès par l’application du système qui lui avait été tracé ? Il importe peu. Mais ce qu’il doit être permis de dire que ce serait insulter au caractère de son successeur que de croire, avant preuves, qu’il ait consenti à reprendre sur de nouveaux frais la mission assignée à Mr. Paulze d’Ivoy ou, pour parler plus exactement, à son singulier cénacle féminin ».
« Ici je fais résonner une corde nouvelle bien à contre cœur. Là où il existe un éditeur responsable, on peut se dispenser de remonter aux causes qui l’ont influencé. Si je ne m’arrête pas devant cette considération, c’est qu’il me faut maintenant aborder un autre côté du rôle de Mr. Paulze d’Ivoy qui pour ne rentrer que très indirectement dans sa mission politique et administrative n’en a pas moins pour autant une très grande importance dans les conditions exceptionnelles de Nice, je veux dire le monde des salons qui y occupe une si grande place, au moins pendant l’hiver. De ce côté encore, l’intervention de son conseil intime a soulevé le mécontentement, le blâme et même une juste moquerie » […]
« Le successeur de M. Paulze d’Ivoy trouvera donc tout à faire ou à refaire et sa position  sera bien autrement difficile pour lui que  celle que vous avez laissée en raison de  promesses innombrables et insensées. Car il ne faut pas oublier que dès les premiers jours de son administration, M. Paulze d’Ivoy a enfourché ce dada et qu’il n’en est plus descendu ; que après s’être évertué à démonter  à tous ceux qui avaient confiance en l’avenir, qu’ils avaient été pris pour dupes, qu’il fallait se résigner à ne voir se réaliser aucune des espérances données, il est parti en se retournant à la façon des Parthes pour lancer ce dernier trait : la justice de l’Empereur donnera satisfaction aux réclamations fondées et en même temps elle ne pourra s’empêcher d’écarter avec fermeté ces prétentions exagérées qui ne sauraient faire illusion à personne et par lesquelles s’expliquent cependant tant d’attaques passionnées,conséquences d’inévitables déceptions » […]
 « Le remplacement de M. Pauze d’Ivoy par M. Gavini[145], les brillants antécédents de cet administrateur permettent de croire que le mal sera prochainement réparé. Je ne doute pas que pendant son dernier voyage à Paris il n’ait voulu s’aider de vos appréciations au sujet d’un pays où votre action s’est exercée avec autant de rapidité e de puissance, et que, alors mieux inspiré que son prédécesseur, au lieu de se poser en détracteur obstiné et malencontreux de votre œuvre, il saura la reprendre et faire bénir de tous le jour qui nous a rendu à notre mère patrie »[146].
Piétri lui répond. « Mon Cher Monsieur Carlone. Je vous suis très reconnaissant de ne pas m’avoir oublié. Nice est pour moi un pays d’adoption et vous me rendez service en me tenant au courant de tout ce qui peut l’intéresser. J’espère que votre nouveau préfet saura mieux apprécier la situation de Nice que son prédécesseur. Si j’avais pu prévoir ce qui  est arrivé je serais resté plus longtemps parmi vous. Si vous voyez Mazon dites-lui mille choses affectueuses de ma part. A vous de toute amitié. Pietri »[147].
 
Le « parti français » entre impuissance et résignation
 
         La correspondance de Carlone permet de mesurer le poids du « parti français » et surtout ses faiblesses. Celles-ci sont d’abord politiques. De quel crédit Calone et ses amis jouissent-ils dans les bureaux des ministères ? Elles sont ensuite locales. L’Avenir de Nice, fer de lance du « parti français » avant l’annexion, a disparu. Le Messager de Nice n’est pas exactement son successeur. Ce n’est plus un véritable journal d’opinion. Il cherche sa voie entre une soumission préfectorale qu’il supporte mal et une protection gouvernementale qui le valoriserait. Ces faiblesses, enfin, sont humaines. L’action politique ne semble plus être la préoccupation essentielle des hommes de l’ancien « parti français ».
 
L’effritement des protections ministérielles
 
Aucun Niçois, de l’un ou l’autre camp, n’a à Paris de position assez forte pour peser directement sur les décisions gouvernementales. Les protections ministérielles sont elles-mêmes plutôt rares. On comprend que Carlone tienne autant à garder le contact avec Pietri. Vu de Nice tout paraît si lointain et si compliqué. Heureusement qu’il y a Mazon.
 
Peut-on toujours compter sur Pietri ?
         Pietri et Rapetti quittent Nice à la mi juin au moment où arrive le préfet Paulze d’Ivoy. Pietri se plaint au ministre de l’Intérieur Billault dans une lettre du 5 juillet qu’il a du mal à gérer toutes les « promesses » du sénateur. Il se plaint aussi des lettres adressées par certains Niçois à Pietri et à Rapetti pour leur dire «  que tout semble perdu depuis que la mission n’a plus ici son personnel»[148].
Carlone est ici évidement directement visé par le préfet. Mais Carlone ne peut multiplier les courriers sous peine d’importuner le Sénateur. D’autant plus qu’il commence à avoir des doutes sur l’efficacité de Pietri pour résoudre les difficultés. « Le retour de Mr. Pietri à Paris devra t-il remédier à tout cela ? confie t-il à Mazon. Je n’en douterais pas si je n’avais à compter qu’avec son caractère personnel […] Mais voici ce qui se dit de lui : Pietri est tout ahuri. Il est malade et triste. Il sait qu’il a promis plus qu’il ne peut tenir et il digère son mécompte et la mercuriale qui a dû lui être faite.
Je n’ai pas besoin de vous dire que tout ceci me paraît souverainement stupide à travers ce qui s’y joint de jactance ; mais ceci me prouve qu’on a dû contrecarrer les actions du Sénateur et qu’on triomphe des résultats qu’on s’imagine avoir obtenus[149] ».
Carlone hésite à critiquer Pietri. Il attend trop de lui pour accepter l’idée que le sénateur ai pu commettre des erreurs. C’est peut-être pour cette raison, entre d’autres, qu’il parle peu de la cour d’appel. Il faut pourtant constater que Pietri a eu à eu sur cette question un comportement particulièrement irresponsable. Dans un premier temps, avant et immédiatement après le vote, il a laissé croire que le maintien allait de soi et il a fait porter le débat sur l’harmonisation des législations, comme par exemple la question des greffes ou le statut des avocats. Toutes questions qui pouvaient s’arranger. Mais à la mi-juin Pietri a des doutes. Il adresse le 14 juin à Delangle, le garde des Sceaux, un courrier pour proposer Lubonis à la présidence de la juridiction: « La cour d’appel de Nice sera-t-elle maintenue ? Je le désire ardemment car les Niçois y tiennent beaucoup ». De toute évidence cette question ne l’avait pas encore préoccupé. Quelques jours plus tard La Gazette de Nice a décelé de graves menaces sur l’avenir de la cour. Le 7 juin le journal publie un long article justifiant son maintien. Le 12 juin -cinq jours seulement avant son départ !- Pietri, en même temps qu’il transmet à Delangle les pétitions du conseil municipal de Nice et des professionnels du droit, suggère au ministre de maintenir la cour d’appel au moins jusqu’à l’achèvement de la voie ferrée Marseille-Nice. Le  15 juin le Corps législatif vote le projet de loi plaçant la province de Nice dans le ressort de la cour d’Aix. La loi est promulguée le 23 juin[150]. Pourquoi donc Pietri n’a-t-il pas fait jouer ses relations ministérielles ?
A l’époque de ces événements le ministre de la Justice, garde des Sceaux, est Claude Delangle, le ministre de l’Intérieur Adolphe Billault. Pietri les connaît très bien. Il a été préfet de police de Paris pendant six ans, de 1852 à 1858, dont quatre années avec Billault comme ministre de l’Intérieur. Pietri a été pendant ces années à la préfecture de police dans les meilleurs termes avec Billault[151]. Mais ils ont dû l’un et l’autre payer les conséquences de l’attentat d’Orsini du 14 janvier 1858. Ils ont en effet été aussitôt remplacés, respectivement par le général Espinasse, aide de camp de l’empereur, et par Boitelle préfet de l’Yonne. Le Baron Haussman se souvient dans ses Mémoires à propos de Pietri qu’« on expliqua, le remplacement de ce Haut Fonctionnaire par de prétendus ménagements qu’il aurait eus à l’égard d’Orsini, dont il savait l’arrivée en France, signalée d’Italie même, et se croyait sûr de déjouer les desseins, quels qu’ils fussent contre cet ancien coreligionnaire politique »[152]. Billault était-il au courant des manœuvres policières de Pietri ? Si cela ne fut pas le cas il est clair que l’attentat d’Orsini a dû laisser des traces entre les deux hommes.
Quant à Delangle qui succède à Espinasse à l’Intérieur le 14 juin 1858 il a, nous dit le Baron Haussman, fermement critiqué l’intervention du préfet de police « dans des fonctions administratives, inconciliables avec sa mission essentielle et forcément abandonnées à des subalternes ». « Or, poursuit Haussman, l’Empereur voulait le transfert de ces attributions à la Préfecture de la Seine afin de reconstituer, dans mes mains, l’unité de l’administration municipale de Paris et aussi, pour concentrer la vigilance de la Préfecture de Police, débarrassée de tout autre sujet de sollicitude, sur la sûreté générale de l’Etat »[153]. Ici encore il y avait de quoi dresser un contentieux entre les deux hommes.
Mais pour Mazon qui passe ses journées à glaner des informations d’un ministère à l’autre, Billault et Pietri on des raisons plus actuelles d’être en désaccord. « Il m’a semblé comprendre, explique Mazon à Carlone le 16 juillet, qu’il y a une hostilité cachée entre M. Pietri et le ministère de l’Intérieur. M. Billault redoute un concurrent dans le Sénateur et je crois qu’il est bien aise au fond du mécontentement qui règne à Nice, cela diminue d’autant le mérite de l’œuvre de M. Pietri »[154]. Il le répète le 28 juillet[155]. Il n’y a donc plus qu’à attendre le remaniement ministériel. A la mi-juillet le bruit avait couru que les choses étaient presque faites. Pietri était annoncé à la Police pas à l’Intérieur[156]. La situation restera incertaine jusqu’en décembre. Jusqu’au dernier moment le « parti français », ou ce qui en reste, a cru à la nomination de Pietri. Dans une lettre à Mazon du 4 décembre 1860 Rapetti note qu’ « il est toujours question de M. Pietri au ministère »[157] mais que dans les bureaux du ministère « on assure que M. de Persigny revient demain mercredi »[158]. Et effectivement Persigny est nommé le 5 décembre. Faut- interpréter cela comme une disgrâce ? Peut-être.  Pietri attendra trois ans pour obtenir une autre mission[159].
Et pour tout dire, l’historiographie niçoise sur le personnage n’a-t-elle pas surévalué le pouvoir de Pietri ? L’envoyé de l’Empereur apparaît très dépendant de Billault et il n’est pas en mesure d’imposer quoique ce soit. Il est en outre en situation de quémandeur au profit de son frère Joseph préfet à Bourges qu’il veut faire nommer à Nice et de son neveu qu’il propose pour la nouvelle  sous préfecture de Puget-Théniers. En fait c’est Billault qui dicte les solutions et Pietri n’a été qu’un mauvais avocat des intérêts de Nice, que ce soit à propos de la cour d’appel, des écoles de droit et de médecine ou du maintien d’administrations de niveau régional. Ainsi lorsque Pietri demande ce qu’il doit faire de la pétition « Comte de Nice » qui souhaitait que l’Empereur ou son héritier prenne le titre de Comte de Nice, Billault répond à Pietri « d’arrêter  tout doucement les manifestations en ce sens »[160]. Pietri n’a pas été un « proconsul » maître du jeu politique provincial et seulement soumis à rendre compte à la fin de ses fonctions, ni même un intendant de province bénéficiant d’une large liberté d’initiative dans le cadre d’une lettre de mission[161]. Il est tout simplement un préfet en mission extraordinaire, relié -on l’oublie trop facilement- comme tous les préfets par le télégraphe au ministère de l’Intérieur et dépourvus, conformément à la loi du 28 pluviôse an VIII de tous pouvoirs déconcentrés[162].
Ceci dit Pietri est parfois utile. Le 28 juillet Mazon rapporte à Carlone que Rapetti lui « a dit jeudi que tout le programme des travaux à exécuter à Nice, présenté par le conseil municipal, avait été approuvé […] M. Pietri a beaucoup fait auprès du ministre des travaux publics »[163].
Le 4 août Carlone demande à Mazon de faire appuyer sa position au sujet du Var : « J’ai vu une fois ou deux le préfet ces jours-ci à propos de l’endiguement. Le ministère demande à la Commission[164] de formuler une demande de manière à faire comprendre d’une part ce que nous voulons et de l’autre comment l’action du gouvernement doit avoir lieu. On est pressé d’avoir une réponse ». « Nous allons proposer au Gouvernement de s’en remettre à la Commission administrative pour l’exécution de la digue et de la route sauf à exercer des reprises à prix de vente des terrains et à constituer un syndicat qui se chargerait de procéder à la liquidation. Il serait à désirer que le Sénateur appuyât cette proposition qui concilie les avantages de l’Etat et des administrés. Malausséna en sa qualité de représentant de la Ville de Nice dans le Consortium tente de prendre la direction de l’affaire et il écarte avec un soin jaloux tout ce qui peut le désavantager. Ainsi il a accepté la proposition que lui faisait confidentiellement l’italianissime avocat Piccon d’écrire un rapport sur la situation de l’affaire et les moyens de la terminer. (vous savez que Piccon est l’avocat de la Commission administrative). D’un autre côté il vise à écarter de même les autres membres de la Commission. Il lui faut avoir les coudées franches et pour cela être le seul à avoir accès dans le cabinet du Préfet vingt fois par jour. Si le Préfet n’y prend garde (et je crois qu’il en est ainsi) il sera le maître auprès de Mr. Paulze d’Ivoy comme il l’a été auprès de La Marmora[165] et de Montezemolo »[166].
Mazon a dû faire passer le message. La tonalité de la lettre de Carlone du 9 août est très différente : « Il paraît que le gouvernement est moins raide que ses principaux agents ne veulent le faire croire. Il y a tout un programme de gros avantages que nous sommes appelés à voir réaliser et ce que j’avance est fondé sur de bonnes raisons. L’endiguement du Var y entre pour une grande part  et cela me prouve qu’on a bien vu et mieux compris. Il était impossible de toucher plus juste. Vous n’ignorez pas que j’avais déjà remis un travail à ce sujet au Sénateur ; je suis chargé de faire une proposition au nom de la commission administrative et un petit historique de l’affaire à l’appui. C’est un travail fatigant et difficile parce qu’il faut dire beaucoup de choses et être d’une grande concision. Je ne doute pas que l’action du Sénateur ne soit pour beaucoup dans les résolutions que le gouvernement a prises à ce sujet. A l’occasion témoignez-lui ma reconnaissance toute particulière »[167].
Pietri a effectivement été efficace dans l’affaire de l’endiguement du Var. « Lorsque le crédit de M. Pietri pouvait être de quelque poids, explique Carlone,  je l’ai employé pour l’affaire du Var et il m’a bien écouté. J’ai l’intime conviction que si elle a été portée en première ligne dans l’ordre des faveurs impériales c’est à lui que nous le devons et je lui en sais un gré infini et quand j’en aurai l’occasion je lui en exprimerai toute ma reconnaissance. Je n’aurais donc pas perdu mon temps et je serais quitte envers les consorsitaires du Var qui m’ont confié leurs intérêts »[168].
 
L’encombrant Léon Pillet, consul de France
 Mais pourquoi Pietri ne fait-il pas davantage ? Carlone cherche à comprendre. Il soupçonne le consul de France de régler quelques comptes avec Pietri et de diviser la « parti français »: « L’hostilité que vous me signalez, analyse Carlone, entre Mr. Billault et le sénateur ne me paraît être que la continuation  de celle que nous avons vu se manifester entre lui et le consul de France. Je crois fort que la plupart des maladresses qui se succèdent depuis quelque temps ici ne sont que le résultat de l’influence que Pillet exerce soit sur le préfet soit sur les autres autorités militaires ou administratives du pays. C’est un homme qui en impose par sa jactance et l’aplomb qu’il développe au dépend de ceux qui se laissent d’abord  prendre à ses airs de franche camaraderie envers tout ce qui est haut placé ;  et comme il est essentiellement commère , il ne peut qu’avoir une influence très étendue auprès des fonctionnaires que le gouvernement envoie ici et qui naturellement croient bien plaire en s’adressant à un consul de France qui habite le pays depuis de nombreuses années […] Je n’ai pas besoin de vous dire ce qui s’est passé pendant les premiers mois de l’année pour vous donner la mesure de son habileté. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne Juge « qui ne jure encore que par lui et reste entre ses mains comme une boîte à musique. Aussi la besogne ne lui manque pas, c’est le Figaro de la situation ». Grâce aux bonnes relations que Pillet entretient avec Paulze d’Ivoy, Juge a même été chargé de la décoration des appartements de la Préfecture pour le séjour de l’empereur[169]. Parce que Pillet est en effet toujours là. Carlone fait remarquer que Pillet est retourné à Nice après le départ de Pietri, alors qu’il n’est plus consul de France et qu’il y a maintenant un préfet. « Si Pillet reste ici pour faire la besogne de Mr. Billault il y aura du propre comme on dit »[170].
Carlone et Mazon ont en effet quelques raisons de se méfier de Pillet. Le personnage est remuant, ambitieux et mondain. Pillet est en poste à Nice depuis 1849, sauf une courte mutation à Cagliari en 1855, après avoir occupé diverses fonctions dans les théâtres parisiens à partir de 1835, d’abord comme commissaire près les théâtres royaux puis comme directeur de l’Opéra jusqu’en 1847[171]. Il est, pendant cette période, l’auteur de plusieurs pièces de théâtre, des vaudevilles pour la plupart[172]. Il a dirigé pendant un temps le Journal de Paris, une feuille libérale[173]. Il poursuivra après le rattachement de Nice à la France sa carrière diplomatique, d’abord à Palerme puis à Venise où il décède en 1868[174]. Il est réputé pour être un « causeur charmant », toujours très accueillant pour les Français expatriés. « Chacun y avait son couvert mis ». Une feuille parisienne dit qu’trouvait chez lui « cette manne de l’esprit qui s’émiette, surtout dans les salons de Paris, en telle abondance qu’elle devient rare ailleurs »[175]. Pillet est intégré dans la société niçoise et connaît bien la situation politique locale. Il fréquente assez régulièrement plusieurs responsables du « parti français ». Mais il ne les apprécie pas tous. A l’époque de la signature du traité du 24 mars 1860 il avait transmis au baron de Talleyrand, ambassadeur de France à Turin, une liste de personnes pour former l’administration provisoire : Cessole et Uberti, conseillers à la cour d’appel, Prosper Girard, Félix Donaudi, négociant, Auguste Gal, le marquis de Constantin, Clerico, le docteur Scoffier, le banquier Avigdor et Victor Juge[176]. C’est sans doute un bon équilibre de partisans et d’adversaires de l’annexion, apparemment du moins. Mais il ne mentionne pas Carlone. On doit aussi préciser que Pillet au long de sa correspondance avec le ministère des Affaires étrangères à l’époque de l’annexion se méfie constamment des initiatives de L’Avenir de Nice et de ses journalistes. Il n’y est jamais question de Carlone et il semble n’avoir pour lui aucune estime. Il a certainement beaucoup fait pour le décrédibiliser en haut lieu. En ne faisant rien pour la promotion politique du « parti français » en tant que groupe, Pillet a favorisé une interprétation négative de la conciliation, celle du rapprochement avec le « parti italien ».
Ceci dit on ne peut pas dire que Pillet mène sa propre politique. Il n’en a plus les moyens depuis que Pietri est à Nice. Mais il peut toujours user de quelque influence à Paris. Il aide Tiranty dans ses démarches parisiennes[177], il soutient Victor Juge, « un garçon fort honorable sous tous les rapports. Il est ingénieur distingué et connaît parfaitement le pays mentalement et physiquement »[178]. Mais, ainsi qu’il le précise dans une note adressée au Ministère des Affaires étrangères, il ne lui voit aucun avenir politique : « A étudié à Paris, se serait présenté à l’Ecole Polytechnique si cet établissement eût été accessible à un étranger, a suivi les cours de l’Ecole des mines de Paris et obtenu de cette école le brevet d’ingénieur des mines. De retour dans son pays natal, l’a exploré dans toutes ses parties, est réputé en avoir une connaissance approfondie géologique et spécialement minéralogique, en a fait la géographie et exploré toutes les ressources au point de vue d’une bonne exploitation agricole et industrielle. Français passionné, ne voyant d’avenir pour son pays que dans l’annexion à la France, a soutenu pendant des années la cause de l’annexion avec une volonté obstinée qui en a fait le chef du parti français. Trop impressionnable pour être retenu dans la politique, trop estimé, remarqué et méritant pour n’être pas récompensé, ne peut être justement et utilement placé que dans les fonctions spéciales ci-dessus indiquées et pour lesquelles, il semble avoir des titres reconnus par les hommes de toutes les opinions. D’après la loi sarde, M. Juge est actuellement en état d’avoir l’inspection des mines de la province de Nice. Le peut-il d’après les lois françaises n’étant pas sorti de l’Ecole Polytechnique ? Quoi qu’il en soit de cette question, on pense ici que l’annexion à laquelle M. Juge a travaillé ne peut pas avoir pour effet de lui enlever un droit qui lui a jusqu’ici appartenu. Cette nomination est une des convenances de la situation »[179]. Tout ceci est sans doute justifié mais cela ne fait pas avancer les affaires du « parti français ». Tout comme lorsqu’il demande qu’on s’occupe de Léon Féraud qui a tant fait pour l’annexion et qui aspire «  à être directeur de la banque succursale de Nice »[180].
Quoiqu’il en soit on comprend que la présence de Pillet à Nice, alors qu’il n’a plus rien à y faire, inquiète Carlone. Il vient de partir pour Paris. Carlone s’inquiète davantage encore. « Pillet part ou est parti pour Paris. Serait-ce pour assister aux noces de Mr. Pietri »[181], noces que Mazon lui annonce dans sa lettre du 18 juillet[182] ?  « Comme il paraît qu’on n’a pour amis que les ennemis, je ne serais nullement surpris que Mr. Pietri lui eût fait la grossièreté de l’inviter. Pillet a dirigé contre lui une guerre constante depuis le premier jour jusqu’à présent. Soyez persuadé que si le ministère de l’Intérieur est en mauvais termes avec M. Pietri le mal vient de l’ex-consulat de France […] Présentez mes souvenirs à M. Pietri et demandez lui de nous conserver l’intérêt qu’il a bien voulu prendre à Nice. Il n’y a pas ici que des ingrats et parmi les personnes qui lui avaient voué leurs sympathies toutes ne sont pas de courte mémoire »[183].
En ce qui concerne le mariage de Pietri, Carlone fait erreur. Mazon y est allé. Pillet n’y était pas. Mazon a bien observé l’assistance qui se pressait dans la chapelle du Sénat. Il a constaté que ni son neveu Antoine Pietri[184], ni son frère préfet à Bourges[185], ni personne de la famille, n’était présent. « Tout ceci entre-nous. La mariée a 25 ans, elle est belle et jolie. C’est une jeune fille que le sénateur avait fait élever lui-même. Dans son allocution M. Deguerry[186] a dit que ce mariage n’était pas fait, comme tant d’autres, par l’intérêt matériel »[187] .
 
Les nouveaux habits du Messager de Nice
 
Les protections parisiennes sont, on le voit, assurément insuffisantes pour assurer au « parti français » une véritable influence dans les ministères. Mais ce n’est pas mieux à Nice. Le journal qui avait été le fer de lance et le lieu de regroupement de l’opposition française ne peut plus jouer son rôle. Il doit abandonner sa fonction critique. La nouvelle aventure journalistique ne semble guère passionner Carlone et Juge. D’ailleurs le journal a été vendu à Canis son imprimeur à l’approche du plébiscite, comme si Carlone et Juge souhaitaient se libérer des servitudes du journalisme pour faire autre chose.
 
Les hésitations de Carlone
         L’hiver 1859-1860 a été rude pour les journalistes de L’Avenir de Nice. Plusieurs incidents ont marqué la vie du journal. Mazon, qui est de nationalité française, a failli être expulsé. La situation s’est dégradée à la fin du mois de mars, juste avant l’arrivée de Pietri. Phrygie, un collaborateur du journal, a eu des ennuis avec la police pour une intervention jugée déplacée lors d’une représentation au Théâtre français ; Juge a un duel sur les bras avec des officiers sardes qui s’estiment offensés par un article de L’Avenir. Et ces mêmes officiers ont pénétré dans les locaux du journal et brisé du matériel. La situation peut devenir grave à tout moment. Fatigués Juge et Carlone décident de vendre le journal à Canis l’imprimeur.
         « M.M. Auguste Carlone et Victor Juge voyant que, par le fait de l’annexion du Comté de Nice à la France, la mission qu’ils s’étaient assignée comme publicistes se trouve terminée, cèdent à M. François Canis le journal L’Avenir de Nice pour le tenir en entière et absolue propriété, nulle réserve n’étant faite en quoi que ce soit, même en ce qui concerne la ligne politique qu’il pourra suivre et le titre sous lequel il pourra être publié. En retour et comme correspectif de la cession faite par M.M. Auguste Carlone et Victor Juge, M. François Canis prendra à sa charge la totalité de l’arriéré dû pour frais d’impression jusqu’au 31 mars courant à Messieurs Canis Frères et se substitue à leurs engagements en fait d’abonnements et d’annonces »[188].
         L’Avenir, qui avait cessé de paraître après son numéro du dimanche 1 avril, reparaît sous le titre de Messager de Nice le 3 avril. « Le temps est venu de mettre un terme aux violences de la rue » dit l’éditorial. On a attribué à Pietri cette transformation. Il est plus simple de considérer que Carlone et surtout Juge souhaitent quitter le journalisme pour faire autre chose maintenant que l’essentiel était fait et que l’annexion était en bonne voie. Les deux associés avaient aussi toutes les raisons de craindre, pour eux-mêmes, une dégradation de la situation à l’approche du vote. Enfin il n’était pas question d’espérer obtenir les annonces légales sans un changement de ton et de ligne. Cela était d’autant plus possible que les annonces avaient été retirées au début du mois de mars au Nizzardo, de tendance italianissime, et données à La Gazettte de Nice, le journal anti annexionniste dirigé par Arson[189].
         Mais la situation n’est pas devenue plus favorable après l’annexion. Ni Pietri ni Paulze d’Ivoy n’ont accordé les annonces légales au Messager au tirage pourtant nettement plus important.  Canis est hésitant. Et Carlone aussi. A la différence de Juge, il ne s’est pas complètement retiré. Il reste attaché au journal et y joue un rôle de rédacteur en chef officieux.
Le 17 août il écrit par exemple ceci à Mazon : « J’ai suspendu la publication de votre dernier article. Il faut que je voie Malausséna à ce sujet […] J’ai également suspendu votre feuilleton historique parce que vous ne prenez pas assez de garde au plus  ou moins de publicité qu’ont déjà eue les originaux que l’on vient de communiquer. Les Chroniques de Savoie ont été publiées dans les Monumenta historiae patriae, T1. Faites vous communiquer les Monumenta à la bibliothèque et vous verrez en tête du volume indiquée la chronique dont vous m’envoyez ces extraits avec cette seule différence que l’original publié vaut mieux que celui de la Bibliothèque Impériale. Il est plus ancien. Quant à l’affaire de 1388, je l’ai rapportée tout au long dans L’Avenir de Nice, il y a longtemps, quand nous faisions de la polémique avec L’Unione si je ne me trompe »[190].
         Sans doute Carlone souhaite t-il ménager une transition. Pour lui-même, parce qu’il hésite à se séparer d’un journal qu’il a fondé, pour Mazon dont il souhaite conforter la position et aussi parce qu’il craint que Canis abandonne la partie pour des raisons financières. Il faut impérativement obtenir les annonces légales. Ce serait aussi une belle victoire, une sorte de reconnaissance du travail accompli pour Nice.
         Mais Carlone, au début du mois de juillet, n’est pas très optimiste. « Mr. Danjou dit que nous aurons les annonces légales. Nous devons en être très heureux. Ici on doute très fort qu’on nous fasse cet avantage et on comprend bien qu’on n’a plus besoin de nous. Aussi chacun rit de bon cœur. La reconnaissance publique fonctionne comme de coutume »[191].
 
Les avantages injustifiés de La Gazette de Nice
         La partie n’est en effet pas facile : « Je ne comprends rien, dit Carlone, à cette obstination de laisser les annonces à La Gazette de Nice[192]. Elle continue à faire de l’opposition et il paraît qu’elle n’en est que mieux la bienvenue. Il y a dans tout ce qui se passe des étrangetés où je me perds »[193].
Carlone s’insurge : «Des hommes qui applaudissaient aux saturnales sans nom du parti italien du haut de leur loge au théâtre royal se sont tout à coup targué d’avoir la confiance du gouvernement français et, chose étrange ils ont eu en effet grand crédit, assez de crédit pour faire que l’ignoble organe du parti italien , un journal dont toutes les pages sont pleines encore aujourd’hui d’injures à l’adresse de la France soit publié avec le sous-titre : journal officiel pour les annonces légales »[194]. En effet c’est à n’y rien comprendre surtout lorsqu’on tient compte de la diffusion du journal. Le Messager a 800 abonnés et une vente en rue de 400 exemplaires alors que La Gazette n’a que 280 abonnés[195]. Mazon donne à Carlone une explication : « Une promesse doit avoir été faite à Arson vers l’époque du vote de l’annexion ; on a dû s’engager à lui laisser le privilège jusqu’à la fin de l’année à la condition qu’il cesserait la polémique »[196].
Quelques semaines plus tard Mazon a découvert une cause supplémentaire pour expliquer les difficultés que rencontre Le Messager. Celles-ci viennent de Pollonais. Celui-ci est d’ailleurs actuellement à Paris. Mazon dit l’avoir « aperçu sur le Boulevard »[197]. Il a appris que « son beau-père Cohen est créancier de La Guéronnière[198]. Tel est le nœud »[199]. Il lui confirme tout cela dans sa lettre du 22 :  il y a bien eu un arrangement entre Pietri et Arson. « Il est positif qu’on répondit à Arson qu’il ne garderait les annonces que jusqu’à la fin de l’année judiciaire mais que Le Messager les aurait ensuite. Si elles sont partagées, M. Pietri n’y est pour rien. Bien plus, il est contre et il a dû en écrire au préfet. Il doit y avoir là-dessous du Gastaud pour Nice et du Pollonais-Cohen pour Paris. A propos de Pollonais, j’ai appris une historiette assez drôle. Ce Monsieur s’était mis en tête d’avoir la croix. Il la fit demander par un tiers à M. Pietri qui accueillit fort mal la chose et qui rappela même à cette occasion une petite vilénie faite par Pollonais. Je ne sais si vous vous rappelez que Pollonais vint un jour en avril chez M. Pietri à la tête de la population de l’Ariane. C’était lui qui avait commandé les cocardes et drapeaux, etc. Il a jugé plus tard à propos de faire rembourser ces frais par Rapetti ce qui a paru étonnant pour un millionnaire »[200].  A quoi Carlone ne trouve rien de mieux à répondre que cela le «  laisse sans étonnement. Pollonais est millionnaire et en plus il est juif […] Si l’on s’attache à rechercher sa valeur personnelle il y a gros à apprendre »[201].
Le 17 août Carlone se pose toujours des questions sur l’avenir du journal. « Il se joue à l’égard du Messager une étrange comédie. D’une part la Préfecture suit de très près sa rédaction et vous avez même vu qu’elle  sollicite sa collaboration[202] et d’autre part je sais qu’un maire des communes de la montagne ayant consulté les bureaux pour savoir si Le Messager était celui des deux journaux de Nice auquel il fallait accorder la préférence dans son désir de doter sa commune d’un abonnement, il lui a été répondu de ne point trop se presser et qu’on ne savait pas encore quel était celui des deux journaux qui serait adopté par la Préfecture et qu’il pourrait bien se faire que ce ne fût point Le Messager. Ce propos a été répété par le maire lui-même, qui n’y a pas mis malice et n’a été qu’un peu étonné. Je sais aussi qu’une personne de nos amis a eu l’occasion de s’entretenir avec le Préfet au sujet des causes de mécontentement et comme entre autres choses elle disait qu’on voyait avec peine l’oubli dans lequel on tenait Le Messager après tout ce qu’il avait fait dans l’intérêt de la cause française depuis 1848 et de l’annexion pendant ces derniers temps, le préfet demanda du bout des lèvres s’il était bien vrai que Le Messager ait été de quelque utilité en cette circonstance. Je vous donne ces deux faits pour authentiques »[203].
 
L’influent Monsieur Danjou
« Voila la situation », répond-il à Mazon qui lui a demandé s’il pouvait espérer un poste stable de correspondant à Paris. « Je vous l’expose tout au long pour que vous me disiez si Canis ou moi nous pouvons répondre sur la décision que vous voulez prendre. A mes yeux la qualité de correspondant à poste fixe que vous voudriez vous faire à Paris me paraît assez avantageuse au journal sauf à s’entendre sur l’étendue, l’importance et la régularité de vos collaborations. Mais je me demande si les choses ne sont pas dans une situation à nous faire craindre que, pour prix de nos services, le journal ne soit pas réduit à ne plus pouvoir continuer ses publications. Vous comprenez bien qu’il pourrait en être ainsi du jour où La Gazette serait le journal de la Préfecture et aurait le monopole des annonces légales et serait seul recommandé à l’abonnement des communes. Demandez à Mr. Danjou ce qu’il en pense »[204].
Mazon prend conseil auprès de Danjou. L’influent journaliste semble avoir une réelle estime pour Mazon. Celui-ci, « pour profiter des bonnes dispositions où l’on paraissait être à mon égard », sollicite une place dans une bibliothèque de Paris », à la fois par goût et pour compléter ses appointements du Messager. Danjou a fait appuyer sa demande par Billault, ministre de l’Intérieur, auprès du ministre de l’Instruction publique, qui ne donne pas suite. Mazon obtient une audience auprès de Billault  dans la matinée du 21 août. Il écrit dès l’après midi à Carlone et lui répète « presque textuellement » leur conversation :
Après plusieurs questions sur son entrevue avec le ministre de l’Instruction publique et sur les raisons du retard, Mazon fait comprendre au ministre qu’il ne peut plus attendre et qu’il va devoir retourner à Nice
« M: Je vous prie d’observer, M. le Ministre, que je suis ici depuis deux mois et que la vie est chère à Paris
« B : C’est vrai. Qu’irez-vous faire à Nice ?
« M : Je vais continuer à écrire dans le journal qui malgré tout ce qu’il a fait et supporté n’a pas même encore les annonces légales.
« B : Qui donc les a ?
« M : C’est La Gazette, le journal qui a combattu avec tant de violence l’annexion et la France.
« B : Quels sont vos appointements au journal ?
« M : M. le Ministre, L’Avenir de Nice combat depuis 1848 pour la cause française. Il a été fondé par M.M. Carlone, banquier et Juge, ingénieur. Ce n’est pas une œuvre de spéculation mais une oeuvre de patriotisme et il ne pourrait me donner de gros appointements. J’ai 2000fr.
« B : Je puis augmenter vos appointements au journal.
« M : Je vous remercie M. Le Ministre, mais ce que je désirerais surtout c’est de pouvoir rester à Paris. Je m’aperçois d’ailleurs à votre bienveillance pour moi, qu’il vaut mieux pour l’ancien parti de Nice être à Paris plutôt qu’à Nice.
« Le Ministre m’a interrompu pour me dire de repasser dans huit jours et qu’il s’occupait de moi […] Cette conversation me paraît de bon augure pour le journal. La proposition inattendue que m’a faite M. B. d’augmenter mes appointements au journal prouve évidement que Le Messager doit être le journal de la préfecture »[205].
 
Les nouvelles ambitions du Messager
Mais comment obtenir les annonces légales sans accepter certaines soumissions. Carlone, formé au journalisme d’opposition, a du mal à les consentir surtout lorsque la Préfecture se permet d’intervenir directement dans le journal. Il en alerte Mazon. « Je n’attends pas votre réponse à mes lettres pendantes pour vous tenir au courant de ce qui se passe à Nice. Le bureau du journal ne m’avait pas communiqué l’article que vous vouliez soumettre à mon examen. On a fait mieux, on l’a communiqué au préfet  qui a compris que les éloges données à Mr. Pietri  étaient une critique indirecte de sa propre administration. L’article est donc resté à la Préfecture et il y a été arrangé comme on a cru convenable. Je n’ai pas vu l’original ni comment le travail a été déformé parce que le manuscrit était en main quand je suis allé au bureau mais votre mémoire suffira puisque vous appréciez mieux que je ne pourrais le faire la portée des rectifications introduites »[206]. Mais Carlone, qui veut, ne l’oublions pas, trouver une solution à l’avenir du journal, y voit tout de même un avantage. « Au reste de toutes les manières il ne faut pas se plaindre de cette censure parce qu’elle constitue de la part de la Préfecture une véritable prise de position et que la condition du journal ne peut plus tarder à se dessiner »[207].
C’est de même manière positive qu’il interprète la promotion d’un de leurs journalistes :« Saint Germain a été attaché à la Préfecture pour y faire des traductions d’actes et spécialement pour mettre en ordre les papiers relatifs à l’endiguement, ne cessant point pour cela d’appartenir au journal, nous avons à tout instant de cette façon des communications directes et des réponses immédiates dans la difficulté ou les doutes qui peuvent se présenter. En résumé le journal est à la Préfecture ce qu’il était pour Mr. Pietri »[208].
Canis lui a du mal à suivre. « J’ai un peu causé affaires avec Canis, dit Carlone. Il est comme un homme ivre devant la responsabilité qu’il va prendre. Il faut un caractère résolu quand on doit prendre la barre du gouvernail »[209]. Finalement Canis se décide à voir le préfet. « Canis, écrit Carlone à Mazon,  a nettement interrogé le Préfet sur les annonces et tout ce qu’il a pu obtenir c’est que certainement Le Messager en aurait une bonne partie. Il va sans dire que La Gazette continue sa propagande piémontaise et pousse au mécontentement de toutes ses forces. Il y a dans tout ceci une situation embêtante, pour le moment ; il faudra de la prudence »[210]. Canis a des raisons d’hésiter. « Il faut pour faire une proposition, savoir où nous en sommes avec Canis. Je vous l’ai dit il est irrésolu en affaires et il est prudent jusqu’à être cauteleux. L’affaire, en toute condition, est belle et bonne pour lui mais vous ne devez pas être surpris si je vous dis que lorsque nous en avons parlé pour la première fois il me demandait des garanties contre les chances de perte. J’ajoute à sa décharge qu’il a compris que du jour où il n’y aurait plus de chances de perte, j’aurais trouvé des conditions bien autrement avantageuses que celles qu’il nous fait »[211].
Mais Carlone, formé à l’opposition, accepte mal cette dépendance préfectorale. Il l’écrit à Mazon qui en parle à Rapetti. Pour l’éviter il faut mieux assurer la présence du journal à Paris. « Rapetti trouve mon idée de rester à Paris excellente pour le journal qui relèverait plus encore du gouvernement, de la Direction de la Presse, que de la Préfecture. Il pourrait ainsi à l’occasion contrebalancer le mauvais vouloir local, ce dont on aurait souvent besoin. Du reste nous reparlerons de tout cela de vive voix prochainement à Nice »[212].
Juge, lui, semble davantage pressé que Carlone de se débarrasser des contraintes du journal. « Juge presse Canis de publier qu’il prend la direction et la propriété du journal. Je ne vois guère la possibilité de le laisser se retirer tout seul. D’un autre côté Canis est toujours dans ses perplexité […] Prenons garde de commettre quelque imprudence qui pourrait nous coûter très cher »[213].
A mesure que les semaines passent, Carlone comprend que le journal pourrait finalement devenir une excellente affaire. Le projet parisien de Mazon l’intéresse de plus en plus. « J’adhère complètement à votre pensée de donner de l’importance au journal par vos relations à Paris […] En se rattachant à la presse parisienne on pourra réaliser une œuvre de quelque importance au point de vue politique et financier. Faites comprendre la chose et alors je me remettrai de la partie»[214].
Tout cela est possible. « Il me semble que Canis se fait un peu mieux à l’idée et au rôle de directeur du journal depuis qu’il lui semble voir que la préfecture tourne en notre faveur. Toutefois malgré les sollicitations de Juge, il ne désire pas accepter publiquement ses fonctions. Je crois que dans sa réserve il y a aussi un peu de calcul sur le profit qui peut revenir au journal de la croyance où est encore le public que rien n’est changé à la direction. Pour le moment je ne vois pas grand inconvénient à ces retards, attendu que la déclaration insérée dans le premier numéro du Messager ne dit point entre les mains de qui reste la Direction. De plus, puisque vous êtes décidé à revenir prochainement à Nice, il vaut mieux que je prenne les arrangements après m’être entretenu avec vous sur cette affaire. Canis la regarde terre à terre et il ne fait qu’escompter de son mieux les bénéfices matériels et certains qu’il peut voir sortir. Quant à l’autorité, à l’importance politique, ce n’est pas son souci »[215].
Le Messager obtiendra les annonces légales au mois d’octobre. La Gazette cessera de paraître peu de temps après. Pour le « parti français » ce n’était guère qu’une victoire posthume sans grande signification.
 
La dispersion des anciens partisans de l’annexion
 
Les relations entre les animateurs du « parti français », autrefois tissées par les luttes, se sont distendues. Certains agissent maintenant pour leur compte, d’autres sont victimes de l’affaiblissement du « parti français ». Déjà au début de l’été il n’y a plus d’action commune.
 
Chacun pour soi
La question des pétitions, on l’a vu, a beaucoup préoccupé Carlone. Il ne sait pas ce qu’elles sont devenues. Carlone va jusqu’à soupçonner son ami Tiranty[216] d’avoir pris des initiatives personnelles. « N’avez-vous pas rencontré Tiranty chez Mr. Rapetti ? » demande t-il à Mazon au début du mois de juillet. «  Je crois qu’il est ici en députation »[217].  Mazon finit par rencontrer Tiranty Place du palais Royal en compagnie de « sa mère et de deux petites niçoises »[218]. Il lui parle des pétitions et Tiranty lui apprend que certaines d’entre-elles ont été transmises directement par Rapetti en haut lieu. Tiranty, lui, affirme être là pour flâner[219].
Mais Carlone ne croit pas à la flânerie de Tiranty :« Le bruit court à Nice que Tiranty a été décoré et qu’il a à Paris un emploi avantageux. Je crois que vous vous méprisez fortement sur ses flâneries à Paris. Je crains qu’il n’ait pris sur lui de faire présenter par sa mère l’adresse à Impératrice et que les petites Braquet n’aient présenté un mouchoir brodé, hommage des ouvrières modistes de Nice à l’Impératrice. S’il en est ainsi il y aura quelque réveil fâcheux un jour ou l’autre »[220] .
Quant à Juge il « boude. Il ne va plus au journal »[221]. Mais on sait par ailleurs qu’il fait des démarches pour devenir inspecteur des mines[222] tout comme Léon Féraud qui ne pense qu’à devenir directeur de la banque succursale de Nice où il est déjà sous-directeur. Il semble d’ailleurs rencontrer quelques difficultés[223]. Carlone sourit de la situation : « On prétend que L. Féraud menace de ne plus porter le ruban rouge. La Légion d’honneur est en péril ; si vous le rencontrez dites le lui »[224].
         La dispersion des anciens du « parti français » se poursuit. « On donne pour certain que Prosper Girard est 1er adjoint, Constantin de Châteauneuf 2e adjoint et notre ami Boutau 3e adjoint ». C’est une bonne nouvelle en ce qui concerne Boutau mais Girard a pris depuis quelque temps ses distances avec le « parti français ». On dit aussi « que Sauvan[225] va être ou est décoré, qu’il aura une place magnifique qu’on ne désigne pas. Le bruit court que Tiranty Victor est décoré et qu’il est nommé à la recette particulière de Puget-Théniers. Comme on ignore que sa mère et les petites Braquet sont à Paris on ne dit pas encore que Mme Tiranty sera créée grande maîtresse de la Maison de l’Impératrice et les petites, demoiselles d’honneur »[226]. Le 28 juillet Mazon a réussi à élucider l’histoire du mouchoir brodé : « Il vient de Mme Gonin, modiste, Jardin des Plantes, là où était le London-House. Elle aura à ce qu’il paraît une lettre de remerciements et une montre de 7 à 8 cents francs. M. Pietri m’a dit que le mouchoir valait plus que cela. C’est une affaire d’enseigne de marchand. Il faut laisser courir ces niaiseries »[227]. Effectivement.
         Chacun semble faire cavalier seul. Mazon analyse : « Prosper Girard fait des démarches pour être député »[228]. « Avigdor continue à se démener pour sa candidature. Je commence à craindre qu’elle ne soit sérieuse. Il est positif que ce personnage a des rapports personnels avec l’Empereur qu’il aurait obligé autrefois à Londres. J’espère néanmoins qu’on reculera en sachant le peu de crédit dont il jouit à Nice. J’ai dit sur lui et sur Pollonais ce que je pensais »[229].
Carlone a quelques difficultés à suivre ces péripéties parisiennes. « J’attends Tiranty et j’espère qu’il me donnera quelques détails qui me prouveront qu’on ne se chauffera pas longtemps du même bois. Vous me dites qu’il est de mes amis. Je le tiens pour tel et ne voudrais pas vous avoir donné à croire le contraire par ce que je vous ai dit en vous exprimant des craintes sur les faux pas qu’il pourrait faire »[230].
Et enfin. « Les Tiranty, plus ou moins putatifs, sont de retour. Je n’ai pas encore vu Victor. Il paraît, au dire des petites filles, que j’avais parfaitement deviné toute la gamme du mouchoir et que les choses se sont passées suivant le plan que je vous ai déroulé dès le premier jour. Je ne sais pas comprendre comment on a pu prêter les mains à une intrigue qui donne à causer et produira un triste effet » [231]. En ayant ainsi présenté certaines adresses niçoises à l’Empereur au lieu de la faire passer par une députation « ce n’est pas à nous que l’on en sait gré. Mr. Pillet a manœuvré de la belle manière et s’est avantageusement servi des sentiments sincères que nous portions dans notre action pendant les luttes qui ont précédé l’annexion »[232].
Bref, tout s’explique. Même à propos de Juge qui vient d’obtenir une belle promotion. « Vous n’ignorez pas, explique-t-il à Mazon, que c’est par le canal du gouvernement sarde qu’il est arrivé à obtenir son brevet d’ingénieur des mines »[233].
 
La destitution de Gioan
Pour ceux qui n’ont pas voulu faire de concessions les temps sont difficiles. Tel Joseph Gioan [234] secrétaire de la mairie qui vient d’être destitué par Malausséna moins d’un mois après sa confirmation comme maire. Mazon l’a appris par Rapetti qui vient de recevoir une lettre de Tiranty, une lettre « très bien faite. C’est le langage d’un ami et d’un vrai niçois-français »[235]. « Vous comprenez dans quel sens j’ai parlé en apprenant cette vengeance italienne de Malausséna. Ecrivez-moi quelques détails »[236].
C’est ce que fait Carlone. « Je crois vous avoir dit que je connaissais les mauvaises dispositions de Malausséna à l’égard de Gioan. Hier j’en ai parlé à Boutau et lui ai fait comprendre que nous devions établir un peu plus de solidarité entre nous tous du parti français. Nous ne comprenons pas cela par ici et c’est de là que provient la peine infinie qu’on éprouve à préparer un résultat. Boutau m’a dit qu’il ne s’agissait pas de priver Gioan de sa place, mais que l’on avait écrit en France pour obtenir un employé capable de faire la correspondance et qui soit au courant des usages et des pratiques des municipalités de France. J’ai insisté auprès de Boutau pour lui démontrer que Gioan allait être éloigné de notre ville.  Boutau prétend que Gioan a le travail peu facile, cela peut-être, mais je suis sûr qu’on ne lui épargnera rien pour lui en augmenter la difficulté. De toutes les manières si l’on veut donner satisfaction à Malausséna  (à qui on a livré Nice pour la taille et mortaille à discrétion) que Gioan sorte de l’hôtel de ville mais qu’on lui donne la justice de paix de Nice. Vous savez qu’il était lieutenant du juge intra muros quand il s’est compromis dans l’affaire du port-franc. Depuis lors son dévouement à la France ne s’est jamais démenti, son courage ne lui a jamais fait défaut en présence des fureurs italiennes de l’hiver dernier. Maintenant, poursuit Carlone, je m’attends qu’on jette contre lui cette sempiternelle faillite Gioan à laquelle il a été mêlé par un concours de circonstances indépendantes de sa volonté et dont il a été la première victime. La maison Gioan marchait sous un découvert considérable du vivant du père de Gioan. Celui-ci était abusé par ses coassociés, par ses propres frères. Il mourut et laissa à son fils Joseph la position que lui-même avait dans la maison Gioan Frères. Joseph Gioan n’avait pas vingt ans et vous comprenez qu’il fut facile aux coassociés de l’abuser. Peu de temps après (en 1830 si je m’en souviens bien) la faillite éclata et Gioan se trouva ruiné. On veut que les autres coassociés ne se soient pas tirés de là les mains nettes ; c’est possible mais les preuves manquent. Quant à Gioan, notre ami, tout le monde sait que depuis lors il n’a jamais eu ni fortune connue, ni fortune cachée. Ce qu’il possède, il le possède légitimement et la somme de ses biens actuels n’est un mystère pour personne. Quant à l’estime dont il jouit parmi tous ses concitoyens, nul ne s’avisera de la révoquer en doute ». « Dans ces conditions, s’il était l’objet d’une disposition favorable du gouvernement il pourrait bien se faire qu’une voix ou deux s’élevât contre lui, mais on peut être sûr que ces voix ne crieront pas trop haut et qu’elles viendront de francs coquins. Parlez de Gioan en ce sens toutes les fois que vous le pourrez et ne craignons pas d’être jamais démenti car vous aurez tout le monde avec vous quand vous direz du bien et beaucoup de bien »[237].
Gioan était une personnalité importante du « parti français » d’une part parce qu’il occupait un poste clé dans l’administration communale et d’autre part parce qu’il était un proche de Carlone. Sa destitution marque une étape importante dans le processus d’éviction des francophiles. Il sera nommé l’année suivant receveur de la ville grâce aux démarches de Carlone et de Pietri[238].
 
La défection de Juge
Les défaites, retraits et défections de Carlone et de ses amis aux élections législatives puis cantonales du mois de décembre illustrent l’impuissance du « parti français ». Mais c’est sans doute la position de Juge, le compagnon de luttes de Carlone, qui dépeint le mieux la situation. A Carlone qui lui demande un soutien pour les élections cantonales il répond : « Mon cher Carlone, J’ai appris avec plaisir dans votre lettre qu’aux prochaines élections au Conseil Général vous vous portez candidat de l’opposition française que je considère comme le vrai parti des amis du gouvernement. Vous pourrez être très utile dans ce conseil et je souhaite dans l’intérêt des idées françaises que votre candidature réussisse. Comptez donc sur ma pauvre petite voix, mais à moins qu’on en vienne me demander mon avis, je ne prendrai aucune autre part aux élections, parce que dans le Corps des Mines il est convenu que les ingénieurs doivent, autant que possible, laisser la politique de côté. Sur la demande directe que vous m’en faites, je vous dirai que malgré mon emploi, j’ai gardé mon indépendance morale : je dois même ajouter, pour rendre justice à l’autorité française, que dans les dernières élections il m’a été laissé toute liberté de vote, ce dont je n’ai guère abusé puisque j’ai voté blanc[239]. Votre tout dévoué. Juge »[240].
Carlone en fut peut-être déçu, mais pas étonné. Il avait compris très tôt, dans les semaines qui suivent le plébiscite, que la partie était truquée. Il ne s’agissait pas de « faire de la conciliation et peu à peu l’union des personnes honorables » de l’un et l’autre camp ainsi que le lui conseillait Santa Rosa à la veille de l’annexion[241], conformément aux directives adressées par Cavour à Pietri[242]. Il s’agissait d’une part de se concilier les bonnes grâces des anciens adversaires de l’annexion et d’autre part d’évincer ceux qui lui étaient les plus favorables. Tiranty, Rapetti et les autres ne l’ont compris qu’après. En offrant quelques places dans l’administration et en distribuant quelques décorations à ceux qui se battirent pour l’annexion de leur province à la France le gouvernement d’abord, la préfecture ensuite, avaient choisi la facilité et le court terme. On était bien loin de la conciliation des personnes honorables et des partis. Pour mettre en oeuvre une telle politique il aura manqué un geste fort et significatif dès le mois d’avril. Mais, on le sait, ni avant, ni après le plébiscite Napoléon III n’a jamais reçu à dîner aux Tuileries aucune délégation de notables niçois[243].
 
Epilogue
 
Carlone se retire dès 1861 de toute activité politique pour se consacrer entièrement à la peinture et à la recherche historique. Il est un des fondateurs en 1862 de la Société des Lettres, des Sciences et des Arts des Alpes-Maritimes et il en devient le président. Cette société savante contribua beaucoup par ses Annales à encourager l’érudition locale. Carlone a publié plusieurs études et ouvrages : Un charivari à Nice. Chronique historique de l’an 1600, Nice, 1853 ; Dictionnaire topographique du département des Alpes-Maritimes, avec l’Abbé Tisserand, manuscrit ; « Du municipalisme dans l’ancien comté de Nice », paru dans Annales de la Société des sciences et arts des Alpes-Maritimes, vol. 1, 1865, pp.3-42 ; « De la domination sarrasine dans la Narbonnaise et sur le littoral de la Méditerranée », ibidem, pp.43-142 ; etc. etc. Carlone s’affirme alors comme un archéologue reconnu. En 1866, il préside la quatrième section « Histoire et archéologie » du Congrès scientifique de France qui se tient à Nice. Il est alors membre de l’Institut des Provinces de France et inspecteur de la Société française d’archéologie. La même année il présente devant le Congrès Archéologique de France qui se tient à Paris un mémoire sur les « Vestiges épigraphiques de la domination gréco-massaliote et de la domination romaine dans les Alpes-Maritimes », étude publiée en ouvrage séparé en 1868.
On se tromperait toutefois si on considérait ces activités comme une simple dérivatif destiné à combler le vide laissé par le journalisme et la politique. Carlone est depuis longtemps un passionné de recherche historique comme le montre par exemple son étude sur le charivari parue en 1853, comme le prouvent aussi les nombreuses chroniques historiques qu’il publie dans L’Echo et dans L’Avenir. Sa correspondance avec Mazon au cours de l’été 1860 porte maintes marques de cette préoccupation. La turbulence des événements n’a pas éteint sa curiosité. En voici quelques exemples glanés dans sa correspondance de l’été 1860:
Le 7 août il répond à une proposition de Mazon. « Quant à votre idée d’utiliser vos moments de loisir en faisant des recherches à la Bibliothèque Impériale je la trouve excellente ». Et Carlone en profite pour lui demander de faire des recherches sur les Lascaris et les Grimaldi dans le Mercure de France, dans Guichenon, Histoire de Bresse, dans Nostradamus, Histoire de Provence et autres. Les références indiquées sont précises. Mazon n’a plus qu’à les relever[244].
Le 9 août il lui conseille de consulter Dupuy, Traité des droits du roi de France pour y répertorier les différends de la maison de France avec celle de Savoie relativement au Genevois, puis il continue pendant une page entière à disserter sur la mort d’Honoré Lascaris en 1474. Il faut chercher autrement dit-il à Mazon: « Papon dans son Histoire de Provence à propos de la mort d’Honoré Lascaris ne dit que peu de mots et renvoie au Mercure de France et aux archives des princes de Condé, registre côté Lascaris. Je ne sais si ces archives ont été dispersées »[245].
Mazon a trouvé des choses intéressantes. Le 27 août il lui demande de copier. Carlone indique la marche à suivre. « Il faudrait demander à la Bibliothèque Impériale s’il n’y a pas de copistes à tant la page qui s’y tiennent à la disposition des personnes qui désirent prendre copie des documents. Je ne sais si ma mémoire est fidèle mais il me semble que la chose m’a été dite et même qu’on m’a donné à croire que le moyen n’était pas ruineux. S’il en est ainsi chargez vous d’un copiste qui ait une bonne écriture et qui vous paraisse assez intelligent pour ne pas faire beaucoup de ces bêtises qui sont inhérentes au métier. Chargez-le de copier sur papier uniforme tout ce que le Mercure de France contient sur l’affaire Grimaldi » excepté un certain nombre de pièces que Carlone dit avoir déjà dans sa bibliothèque et dont il donne la liste. « J’ai en outre une remontrance adressée à Louis XIII par André de La Valle baron de Beuil que Juge m’a rapportée de la montagne […] En dehors des pièces sus indiquées, faites copie de ce que vous trouverez au sujet d’Annibal Grimaldi et de ses descendants. Consultez les nobiliaires et sachez découvrir si la branche est éteinte, quand elle s’est éteinte ou bien si elle se perpétue […] Quant aux Lascaris, je connais un peu de la branche de Tende et cela me suffira. Mais mettez-vous à la recherche des circonstances relatives à la mort d’Honoré en 1474 (n’oubliez pas qu’on cite les archives du prince de Condé). Tâchez de savoir ce que ces archives sont devenues ; vous me citez Guichenon à ce propos, est-il celui de l’Histoire de Bresse ? […] »[246]. La plus grande partie de la lettre du 27 août est ainsi marquée par ces préoccupations historiques. C’est comme à regret qu’il passe à l’actualité politique. « Revenons maintenant à nos misères contemporaines »[247]écrit-il à Mazon. 
Drôles de misères ! Quand on pense que, lorsqu’il écrit ces lignes, Carlone a l’honneur et le privilège de recevoir dans une quinzaine de jours l’Empereur et l’Impératrice au bord du Var pour leur présenter les projets d’endiguement et d’aménagements routiers, ce qu’il fera avec compétence et talent[248]. Et étonnante approche de la politique pour un homme qui a tout de même atteint son objectif de mettre fin au sous-développement criant de l’est de la province, de l’embouchure du Var aux routes de montagne. C’était tout de même là une des conditions indispensables, selon le « parti français », pour assurer l’essor économique de Nice.  Ainsi le porte étendard de l’annexion se retire t-il de la politique. Sur la pointe des pieds. Pour se mettre au service de l’histoire de Nice et des Alpes-Maritimes.
                                                                                                                                                                                                     
 
 


[1]François Brun, « Pierre François Augustin Théophile Carlone, notice biographique », Annales de la Société Lettres, Sciences et Arts des Alpes-Maritimes, T. 2, 1873, p. 69.
 
Henri Sappia, « Augustin Carlone », Nice Historique, 1900, pp. 129-132.
 
Joseph Suppo,  « Augustin Théophile Carlone. 1812-1873» , Armanac Nissart, 1910, pp. I-XXVI.
 
Ernest Hildesheimer, « Un artisan de la réunion de Nice à la France, Auguste Carlone », Annales de la Société Lettres, Sciences et Arts des Alpes-Maritimes, T. 52, 1960-1961, pp. 119-131.
 
Mazon, « Notes inédites » suivies des commentaires d’Auguste Carlone, publiées par Paul Messié, Nice Historique, 1960, pp.181-221.
 
Ernest Hildesheimer, Inventaire analytique de la sous-série 7 J, Fonds Auguste Carlone, Nice, 1972.
 
Nadine Bovis-Aimar et Paul-Louis Malausséna, « Correspondance d’affaires de la Banque Carlone. 1858-1861 », Nice Historique, 1998, pp. 151-160.
 
Jean-Paul Potron, « Auguste Carlone. 1812-1873 », Le pays de Nice et ses peintres au XIX e siècle, Acadèmia Nissarda, Nice, 1998, pp. 114-119.
 
Thierry Couzin, « La pensée d’Auguste Carlone : de l’engagement politique à la réflexion historique sur le Comté de Nice », Recherches régionales Alpes-Maritimes, 2005, n°178, pp. 35-39.
 
Jean-Bernard Lacroix, « La correspondance de Teodoro di Santa Rosa à Auguste Carlone. 1e partie 1850 à 1853 : le député d’Utelle », Recherches régionales Alpes-Maritimes, 2009, n°194, pp. 19-55.
 
Jean-Bernard Lacroix, « Santa Rosa et Carlone, deux visions du destin niçois. 1848-1860 », Nice Historique, 2009.
 

[2] Jean-Paul Potron, « Auguste Carlone. 1812-1873 », Le pays de Nice et ses peintres au XIX e siècle, op.cit.

 

[3] Michel Bottin, « Le Roi, la Constitution, l’Unité. Les événements de 1848 vus par L’Echo des Alpes-Maritimes », Charles-Albert et les réformes de 1848, in Nice Historique, 1997, pp. 3-8.

 

[4] Sur la position britannique face à la politique annexionniste de Napoléon III, John Dormandy, « L’annexion vue de Londres », 1860, la Savoie choisit son destin, L’Histoire en Savoie, n°18, 2009, pp. 91-110.

 
[5]  Voir en particulier Léo Imbert, «  Nice à la France. La formation du département des Alpes-Maritimes en 1860 », Nice Historique, 1940, pp. 97-118 et les deux publications parues à l’occasion du centenaire de l’annexion en 1960, le numéro spécial de Nice Historique et son complément levensan Gloires et traditions du Canton de Levens, dir. Joseph Raybaud.
Les publications récentes :
Jean-Bernard Lacroix, Hélène Cavalié et Jérôme Bracq, Napoléon III et les Alpes-Maritimes. La naissance d’un territoire, catalogue de l’exposition de 2010, Conseil général des Alpes-Maritimes, Silvana Editoriale Spa, Milano, 2009.
Simonetta Tombaccini Villefranque, « La ville de Nice et sa province à la veille de l’annexion », Nice historique, 2009.
Jean-Bernard Lacroix, « Santa Rosa et Carlone, deux visions du destin niçois. 1848-1860 », op. cit.
Jean-Bernard Lacroix, « La correspondance de Teodoro di Santa Rosa à Auguste Carlone. 1e partie 1850 à 1853 : le député d’Utelle », op. cit.
« Nice en 1860 », Sourgentin, hors série, Nice, novembre 2009.
La Savoie et l’Europe. 1860-2010. Dictionnaire historique de l’Annexion, dir. Christian Sorrel et Paul Guichonnet, La Fontaine de Siloé, Montmélian, 2009.
Stéphanie Blot-Maccagnan, « Changement de souveraineté et organisation du territoire judiciaire dans les Alpes-Maritimes en 1860 »,  Pouvoirs et territoires dans les Etats de Savoie, contributions réunies par Marc Ortolani, PRIDAES, Nice, Serre Editeur, 2010, pp. 433-446.
L’Alpe, n° 47. 1860-2010. Chronique d’un attachement.
 

[6] Léo Imbert, «  Louis Lubonis, gouverneur provisoire de la province de Nice », Nice Historique, 1960, pp. 141-179.                                        

 

[7] Karine Deharbe, « Le préfet Paulze d’Ivoy », Nice Historique, 2010

 

[8] Mais personne n’avait depuis eu l’occasion ou la curiosité d’y collecter les documents intéressant Nice. Le mérite revient au professeur Paul-Louis Malausséna, vice président de l’Acadèmia Nissarda et à Lucien Mari, trésorier de cette même Société, d’avoir mis à la disposition du chercheur la correspondance qu’Auguste Carlone a adressée à Albin Mazon au cours de l’été 1860.

 

[9] Robert Latouche, « Un des artisans de la réunion de Nice à la France : Albin Mazon », Nice Historique, 1961, pp. 11-17.

Albin Mazon, « Notes inédites » suivies des commentaires d’Auguste Carlone, publiés par Paul Messié, Nice Historique, 1960, pp.181-221.

Messié Jean, « Albin Mazon, artisan et historien du rattachement de Nice à la France », Revue du Vivarais, 1961, T. LXV, n°1, pp. 5-8

Jean Regné, Etat sommaire de la section manuscrite du fonds Mazon des Archives départementales de l’Ardèche, Annonay, 1928, 15 p.

Jean Regné, Les amis du fonds Mazon et les archives historiques du Vivarais, Privas, 1961, 60 p.

 

[10] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 28 août 1860.

 

[11] Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des contemporains, 1893.

 

[12] Robert Latouche, « Un des artisans de la réunion de Nice à la France : Albin Mazon », op.cit., p. 16.

 

[13] Ugo Bellagamba, « Pierre-Marie Pétri, l’homme dans le clair obscur de l’annexion », Nice Historique,  2010.

 

[14] Michel Bottin, «Nicolas Rapetti. Du collège de France aux embûches politiques niçoises », Nice Historique, 2010.

 

[15] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 29 août 1860.

 

[16] Michel Bottin, « Nicolas Rapetti. Du collège de France aux embûches politiques niçoises », op. cit.

 

[17] L’Avenir de Nice du 4 août 1859.

 

[18] Albin Mazon, « Notes inédites », op. cit., p. 200.

 

[19] Ibidem

 

[20] Pietri était plus exactement préfet de police de Paris.

 

[21] L’Avenir de Nice du 27 mars.

 

[22] Michel Bottin, « Nicolas Rapetti. Du collège de France aux embûches politiques niçoises », op. cit.

 

[23] Commandant général de la marine sarde et  proche collaborateur de Cavour.

 

[24] Camillo Cavour, Epistolario, di Carlo Pischeda e Roxanna Roccia, Firenze, Olschki Editore, 2005, p. 713.

 

[25] Ibidem.

 

[26] Cf. Michel Bottin, « Nicolas Rapetti. Du collège de France aux embûches politiques niçoises », op. cit.

 

[27] Ernest Hildesheimer, « La réunion de Nice à la France vue à travers la correspondance du ministère français des Affaires étrangères », Nice Historique, 1960, pp. 92-140, p. 115.

 

[28] René Fatou, « François Malausséna et son temps », Gloires et traditions du Canton de Levens, Nice, dir. Joseph Raybaud, Nice, SD (1960), pp.29-145, à la p. 113

 

[29] Le Messager de Nice du 3 avril.

 

[30] Léo Imbert, «  Louis Lubonis, gouverneur provisoire de la province de Nice », Nice Historique, 1960, p. 147.

 

[31] Camillo Cavour, Epistolario, op. cit., p. 642.

 

[32] Santa Rosa est un haut fonctionnaire, très proche de Cavour, très lié à Nice ... et ami de Carlone. Jean-Bernard Lacroix, « La correspondance de Teodoro di Santa Rosa à Auguste Carlone. 1e partie 1850 à 1853 : le député d’Utelle », op. cit. et « Santa Rosa et Carlone, deux visions du destin niçois. 1848-1860 », op.cit.

 

[33] Camillo Cavour, Epistolario, op. cit., p. 643.

 

[34] Le Messager de Nice du 11 avril.

 

[35] Le Messager de Nice du 12 avril.

 

[36] Ibidem.

 

[37] Le Messager de Nice du 13 avril.

 

[38] Le Messager de Nice du dimanche 15 avril.

 

[39] Le Messager de Nice des 17, 18, 20 avril.

 

[40] Le Messager de Nice du 20 avril.

 

[41] Le Messager de Nice du 23 avril.

 

[42] Le Messager de Nice du 24 avril.

 

[43] Le Messager de Nice du 30 avril.

 

[44] Le Messager de Nice du 11 mai. Septime-Nephtali Avigdor est le frère de Jules Moïse, décédé en 1855,député de Nice à Turin et proche de Carlone,  et de Henry-Salomon, député de Novi en Ligurie au parlement de Turin et candidat malheureux aux élections législatives de décembre 1860.

 

[45] Le Messager de Nice du 15 juin.

 

[46] Le Messager de Nice du 16 juin.

 

[47] Le Messager de Nice du 17 et du 18 juin.

 

[48] Christian Sorrel, « Audience des notables savoyards aux Tuileries (21 mars 1860) », La Savoie et l’Europe. 1860-2010. Dictionnaire historique de l’Annexion, dir. Christian Sorrel et Paul Guichonnet, La Fontaine de Siloé, Montmélian, 2009, pp. 330-333.

 

[49] Christian Sorrel, « Audience des notables savoyards aux Tuileries (21 mars 1860) », op. cit.

 

[50] Ernest Hildesheimer, « La réunion de Nice à la France », op. cit., p. 119.

 

[51] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 6 juillet 1860.

 

[52] Albin Mazon, « Notes inédites », op. cit, p. 194.

 

[53] Ibidem.

 

[54] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 17 août 1860.

 

[55] Albin Mazon, « Notes inédites », op. cit, p. 212.

 

[56] Ibidem, p. 194.

 

[57]  Ibidem.

 

[58] Noël Blayau, Billault, ministres de Napoléon III, d’après ses papiers personnels, 1805-1863, Klincksiek, Paris, 1969, pp. 317-318.

 

[59] Ibidem.

 

[60] Arch. dep. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 17 août 1860.

 

[61] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 14 août 1860.

 

[62] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 16 juillet 1860.

 

[63] Cf. infra.

 

[64] Cf. infra.

 

[65] Isola.

 

[66] Ministre de la Guerre.

 

[67] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, date incomplète, début juillet, 1860.

 

[68] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 6 juillet 1860.

 

[69] L’exécutif municipal.

 

[70] Le dernier gouverneur sarde de Nice.

 

[71] Ministre de l’Intérieur de juillet 1859 à Janvier 1860. Ratazzi est, à la différence de Cavour, hostile à l’annexion.

 

[72] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 6 juillet 1860.

 

[73] Il ne peut s’agir du Prince Napoléon Jérôme dit Plon Plon. Il a épousé Clotilde de Savoie fille de Victor Emmanuel II le 30 janvier 1859. Peut-être Jérôme Napoléon Bonaparte II, fils du frère aîné de Plon Plon, officier américain, servant depuis 1854 en qualité de colonel dans l’armée française.

 

[74] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 3 juillet 1860.

 

[75] Conseiller d’appel, fils de l’ancien premier président du Sénat.

 

[76] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 11 juillet 1860.

 

[77] Edouard Rastoin-Brémond, avocat, passionné de botanique, futur président de la Société des lettes, sciences et arts des Alpes-Maritimes, propriétaire du parc Valrose vendu au baron Von Derwies en 1867.

 

[78] Sénateur Armand Laity, envoyé extraordinaire de Napoléon III en Savoie pour mener à bien les opérations d’annexion.

 

[79] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 14 juillet 1860.

 

[80] Honoré Gastaud « un des plus riches propriétaires de Nice s’occupant beaucoup de la classe horticole » dit de lui le préfet en 1868. Il préside la Société des jardiniers, Olivier Vernier, D’espoir et d’espérance. L’assistance privée dans les Alpes-maritimes au XIXe siècle, Ed. Serre, Nice, 1993, p. 446.

 

[81] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 6 juillet 1860.Voici comment Léon Pillet, consul de France à Nice, présente ce personnage en février 1860: « Un aubergiste  nommé le Padre qui tient une guinguette à la Porte marine et qui est évidement un agent du gouvernement et un compagnon pour racoler les ouvriers », Ernest Hildesheimer, « La réunion de Nice à la France », op. cit., p. 100, note 18.

 

[82] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 6 juillet 1860.

 

[83] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 9 août 1860. Gonzague Arson, est directeur de La Gazette de Nice, journal hostile au rattachement à la France.

 

[84] Le domaine sera acheté par Ernest Gambart à la suite de la faillite de Gastaud en 1871. Les bâtiments ont été démolis pour laisser la  place à la Villa des Palmiers communément connue sous le nom de « Palais de marbre », siège actuel des Archives municipales de la Ville de Nice.

 

[85] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 9 août 1860.

 

[86] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 6 juillet 1860.

 

[87] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 16 juillet 1860.

 

[88] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 21 juillet 1860.

 

[89] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 4 août 1860.

 

[90] Auguste Lubonis, frère de Louis avocat fiscal général près le Sénat de Nice jusqu’à l’annexion puis gouverneur provisoire avant la passation de pouvoirs au préfet français Paulze d’Ivoy. Auguste Lubonis vient de bénéficier d’une belle promotion à l’hôpital de Nice.

 

[91] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 4 août 1860.

 

[92] David Désiré Pollonais, 1823-1902, fils d’un commerçant en tissus de Nice, épouse Amélie Cohen d’une famille de négociants et armateurs marseillais. Un frère de celle-ci, Jules Cohen, compositeur et chef d’orchestre, est inspecteur de la musique sous le Second Empire. Pollonais est conseiller général du canton de Villefranche en 1861 et maire de cette ville en 1872. Suzanne Cervera, Dictionnaire historique et biographique du Comté de Nice, dir. Ralph Schor, Ed. Serre, Nice, 2002, pp. 293-294 et Drouin M. et Jessula G, « Amélie Pollonais, née Cohen, notabilité niçoise, écrivain, propagandiste de l'instruction primaire. Désiré David Pollonais, homme politique et notable niçois », Archives juives, 1998, n° 31, pp. 119-123.

 

[93] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 4 août 1860.

 

[94] Ibidem.

 

[95] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 9 août 1860.

 

[96] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 6 août 1860.

 

[97] Ibidem.

 

[98] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 9 août 1860.

 

[99] Arch. dep. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 19 août 1860.

 

[100] Ibidem.

 

[101] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 19 août 1860.

 

[102] Ibidem

 

[103] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 23 août 1860.

 

[104] Eugène de Cessole, né en 1805, sénateur puis conseiller à la cour d’appel de Nice qui succède en 1848 au Sénat. Il est le fils de Hilarion Spitalieri de Cessole, premier président du Sénat de Nice. Il a épousé en 1829 Mathilde de Castellane-Majastre. Charles-Alexandre Fighiéra, « Famille Spitalieri de Cessole », Les Niçois dans l’histoire, dir. Michel Derlange, Privat, Toulouse, 1988.

 

[105] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 23 août 1860. Carlone ne parle pas dans sa correspondance avec Mazon de la proposition que lui aurait faite Pietri d’être maire de Nice.

 

[106] Henri Courrière, « Fêtes et changement de souveraineté à Nice en 1860 », Cahiers de la Méditerranée, vol. 77, 2008.

 

[107] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 27 août 1860.

 

[108] Albin Mazon, « Notes inédites », op. cit., p.219.

 

[109] Gonzague Arson, fils du banquier Pierre Joseph Arson de Saint-Joseph, fondateur avec Alphonse Karr de La Terre promise qui deviendra La Gazette de Nice, journal hostile à l’annexion à la France. Les relations avec L’Avenir de Nice ont toujours été tendues. Arson se battra même en duel avec Mazon. Paul Gonnet, « Arson Pierre Joseph », et Michel Derlange, « Gonzague Arson », Les Niçois dans l’histoire, op. cit.

 

[110] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 17 août 1860.

 

[111] Félix Désiré, 2e marquis de Constantin de Chateauneuf, 1817-1874, adjoint au maire de Nice de 1860 à 1870. Mark Warnier, « Histoire d’une famille du Comté de Nice, les marquis de Constantin de Chateauneuf », par le Web, Familles niçoises et provençales.

 

[112] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 24 août 1860.

 

[113] C'est-à-dire Gastaud, Constantin et Cessole. Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 24 août 1860.

 

[114] Marie Christine de Bourbon-Naples, (1779-1849), veuve de Charles Félix.

 

[115] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 27 août 1860. Les rapports entre Cessole et le préfet vont complètement se détériorer après le visite  de l’Empereur et de l’Impératrice à la mi-septembre, voir Karine Deharbe, « Le préfet Paulze d’Ivoy », Nice Historique, 2010.

 

[116] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 24 août 1860.

 

[117] Dans la montagne niçoise.

 

[118] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 24 août 1860.

 

[119] Carlone parle bien de Malausséna !

 

[120] Jour du plébiscite.

 

[121] Carlone parle bien de La Gazette de Nice. Il Nizzardo,  journal anti annexionniste en langue italienne, disparaît dans les premiers jours d’avril 1860. Ernest Hildesheimer, « Les débuts de la presse à Nice », Nice Historique, 1982, pp. 59-63.

 

[122] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 24 août 1860.

 

[123] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 16 juillet 1860.

 

[124] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 21 juillet 1860.

 

[125] Le leur ! Le Messager de Nice !

 

[126] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 26 juillet 1860.

 

[127] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 7 août 1860.

 

[128] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 24 août 1860.

 

[129] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 7 août 1860.

 

[130] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 36, ancienne cote 6 J 21 fonds Levrot,  26 janvier 1861, lettre de Carlone à Pietri.

 

[131] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 19 août 1860.

 

[132] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 24 août 1860.

 

[133] Sur ces grands travaux, Michel Bottin, « De la digue sarde à la RN 202 : la vallée du Var, voie de communication », Un espace à percevoir, les Alpes d’Azur, T. 1, La communication, voies et moyens, Syndicat intercommunal touristique des Alpes d’Azur (SITALPA), La Documentation française, Paris,1995, pp. 41-50.

 

[134] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 29 août 1860. Le Messager de Nice du 30 août 1860 avec un article de Carlone sur  les mécontents qui reprochent les promesses.

 

[135] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 36, lettre de Pietri à Carlone, 23 septembre 1860.

 

[136] Henry Salomon Avigdor, 1823-1871, dirigeant à Paris de la banque niçoise « Avigdor, aîné et fils », député de Novi en Ligurie à la chambre des députés à Turin en 1850, chargé d’affaires à Paris de la Principauté de Monaco et de la République de San Marin qui le titrera duc d’Aquaviva. Il se convertit au catholicisme peu avant les élections législatives de décembre 1860. Son frère Moïse Jules (dit Jules) fut un des principaux dirigeants de L’Avenir jusqu’à sa mort en 1855. Il s’opposa particulièrement à la suppression des franchises commerciales. Il était député de Nice à Turin. Charles-Alexandre Fighiéra, « Famille Avigdor », Les Niçois dans l’histoire, dir. Michel Derlange, Privat, Toulouse, 1988.

 

[137] Sur cette cette candidature, Michel Bottin, « Nicolas Rapetti », op. cit.

 

[138] Léo Imbert, «  Louis Lubonis, gouverneur provisoire de la province de Nice », op.cit., p. 173. Jacques Basso, Les élections législatives dans le département des Alpes-Maritimes de 1860 à 1939. Eléments de sociologie électorale, LGDJ, Paris, 1968, p. 12. Noter que Le Messager fait campagne pour Lubonis.

 

[139] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 36, janvier 1860 (jour illisible), lettre d’Henry d’Avigdor à Carlone.

 

[140] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 36, 23 janvier 1860, lettre d’Henry d’Avigdor à Carlone.

 

[141]11444 voix à Lubonis et 4657 à Avigdor ; 16168 votants sur 32272 inscrits. Léo Imbert, «  Louis Lubonis, gouverneur provisoire de la province de Nice », op. cit., p. 159.

 

[142] Clerico 462 voix, Bounin 435 et Carlone 118. Arch. dep. Alpes-Maritimes, 3 M 199.

 

[143] Michel Bottin, « Nicolas Rapetti. Du collège de France aux embûches politiques niçoises », op. cit.

 

[144] 231 voix contre 437. Arch. dép. Alpes-Maritimes, 3 M 199.

 

[145] Il prend ses fonctions le 24 janvier

 

[146] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 36, ancienne cote 6 J 21 fonds Levrot,  26 janvier 1861, lettre de Carlone à Pietri.

 

[147] Ibidem.

 

[148] Henri Courrière, L'Etat, la nation et la petite patrie. La vie politique à Nice et dans les Alpes-Maritimes de 1860 à 1898 : genèse d'un département français, thèse, Université de Nice, 2008

 

[149] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 16 juillet 1860.

 

[150] Voir particulièrement Ernest Hildesheimer, « La question de la cour d’appel et de l’organisation judiciaire  Nice en 1860 », Nice Historique, pp. 65-74.

 

[151] Noël Blayau, Billault,op. cit., p. 246.

 

[152] Dès le 7 février. Mémoires du Baron Haussman, T. 2, Paris, 1890, p. 228.

 

[153] Ibidem, p. 157.

 

[154] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone,  16 juillet 1860.

 

[155] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone,  28 juillet 1860.

 

[156] Cf. supra.

 

[157] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Rapetti à Mazon, 4 décembre 1860.

 

[158] Ibidem.

 

[159] Pietri sera nommé le 20 mars 1863 préfet de Gironde pour y conduire une mission de quelques mois. Malade il renonce à ses fonctions au mois de juillet suivant et décède à Paris le 28 février 1864. Jacques Charbonnier, Un grand préfet du Second Empire, Denis Gavini, Mouans-Sartoux, Giovanangeli Editeur, 1995, p.145.

 

[160] Lettre de Billault à Pietri du 8 mai 1860. Noël Blayau, Billault,op. cit., p. 318.

 

[161] Contra, Paul Gonnet, La réunion de Nice à la France, Editions du Cabri, Breil-sur-Roya, 2003, pp. 137, sq.

 

[162] Michel Bottin, « Le préfet de l’an VIII. Variations sur l’article 3 de la loi de pluviôse », in Actes du Colloque organisé par la Préfecture des Alpes-Maritimes sur le Bicentenaire de la Loi de Pluviôse an VIII, Recherches régionales, Côte d’Azur et contrées limitrophes, n°156, 2001, pp. 1-7.

 

[163] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 28 juillet 1860.

 

[164] La Commission administrative du Var que préside Carlone.

 

[165] Ancien intendant général de Nice.

 

[166] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 4 août 1860.

 

[167] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 9 août 1860.

 

[168] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 17 août 1860.

 

[169] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 4 août 1860.

 

[170] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 21 juillet 1860.

 

[171] Ernest Hildesheimer, « La réunion de Nice à la France », op. cit., p. 99.

 

[172] La littérature contemporaine. 1827-1849. Continuation de la France littéraire. Dictionnaire biographique, par Félix Bourquelot, TVI, Paris, 1857, entrée Pillet Léon-François-Raymond.

 

[173] Le Mousquetaire. Journal de M. Alexandre Dumas du 7 septembre 1854, p.1.

 

[174] Ernest Hildesheimer, « La réunion de Nice à la France », op.cit., p.94.

 

[175] D’Artagnan. Journal d’Alexandre Dumas, 30 mars 1868, p. 2.

 

[176] Ernest Hildesheimer, « La réunion de Nice à la France », op.cit., p. 112.

 

[177] Cf. infra.

 

[178] Ernest Hildesheimer, « La réunion de Nice à la France », op.cit., p. 112.

 

[179] Ernest Hildesheimer, « La réunion de Nice à la France », op.cit., p. 132. Juge est l’auteur d’un Mémoire sur l’annexion de Nice à la France, Imprimerie Canis, Nice, 1860, 64 p.

 

[180] Ibidem, p. 133.

 

[181] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 26 juillet 1860.

 

[182] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 18 juillet 1860.

 

[183] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 26 juillet 1860.

 

[184] Sous-préfet de Puget-Théniers. Jacques Charbonnier, Un grand préfet du Second Empire, Denis Gavini, op. cit., p. 154, note 40.

 

[185] Joseph Marie Pietri sera préfet de police en 1866 après Boitelle jusqu’à la chute du Second Empire. Il est élu sénateur de la Corse sous la IIIe République.

 

[186] Mazon parle probablement de l’homélie. Si cela est bien le cas il s’agit de l’Abbé Gaspard Deguerry, curé de l’église de La Madeleine, 1797-1871, fusillé par les Fédérés dans la prison de La Roquette.

 

[187] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 18 juillet 1860.

 

[188] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, 31 mars 1860, cession de L’Avenir à Canis.

 

[189]Ernest Hildesheimer, « La réunion de Nice à la France », op.cit., p. 102.

 

[190] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 17 août 1860.

 

[191] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 6 juillet 1860.

 

[192] Avant l’annexion, les annonces légales étalent publiées par Il Nizzardo. Ernest Hildesheimer, « Les débuts de la presse à Nice », Nice Historique, op. cit.

 

[193] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 26 juillet 1860.

 

[194] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 4 août 1860.

 

[195] Histoire générale de la presse française, op. cit., p. 318.

 

[196] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 28 juillet 1860.

 

[197] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, date illisible.

 

[198] Directeur général de l’imprimerie, de la liberté de la presse et du colportage au ministère de l’Intérieur.

 

[199] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 20 août 1860.

 

[200] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 22 août 1860.

 

[201] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 27 août 1860.

 

[202] Allusion à Saint Germain qui a obtenu à la préfecture un poste de traducteur, cf. infra.

 

[203] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 17 août 1860.

 

[204] Ibidem.

 

[205] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 21 août 1860.

 

[206] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 4 août 1860.

 

[207] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 4 août 1860.

 

[208] Ibidem.

 

[209] Ibidem.

 

[210] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 9 août 1860.

 

[211] Ibidem.

 

[212] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 22 août 1860.

 

[213] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 23 août 1860.

 

[214] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 27 août 1860.

 

[215] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 29 août 1860.

 

[216] Jérôme Victor Grégoire Antoine (dit Victor) Tiranty (1814-1880), fils naturel de Victor (1765-1836) et d’Angélique Salietti devenue sa seconde épouse après le décès en 1822 de Anne Marie Giuge. Charles-Alexandre Fighiera et Ernest Hildesheimer, « Le Levensan Victor Tiranty avant, pendant et après la Révolution française », Nice Historique, 1989, pp. 55-63. Hyginius, un des frères de Jérôme Victor est le père de Philippe Tiranty. Paul-Louis Malausséna, « Hommage à Philippe Tiranty », Nice Historique, 1984, pp. 84 sq.

 

[217] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 6 juillet 1860.

 

[218] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 11 juillet 1860.

 

[219] Ibidem.

 

[220] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 16 juillet 1860.

 

[221] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 6 juillet 1860.

 

[222] Ernest Hildesheimer, « La réunion de Nice à la France », op.cit., p.132.

 

[223] Ibidem, p. 133.

 

[224] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 6 juillet 1860.

 

[225] Maxime Sauvan, né le 28 décembre 1809 à La Colle-sur-Loup, président du Comité français lors de l’annexion, conseiller général. Il est le père d’Honoré Sauvan, maire de Nice et sénateur.

 

[226] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 21 juillet 1860.

 

[227] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 28 juillet 1860.

 

[228] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 21 juillet 1860.

 

[229] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 29 août 1860.

 

[230] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 4 août 1860.

 

[231] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 9 août 1860.

 

[232] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 9 août 1860.

 

[233] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 17 août 1860.

 

[234] Alain Ruggiero, « 1838 : La faillite de la maison de commerce Gioan, un événement à éclaircir », Cahiers de la Méditerranée, vol. 62, 2001.

 

[235] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 24 août 1860.

 

[236] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 25 août 1860.

 

[237] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 29 août 1860.

 

[238] A l’automne 1861 Gioan posera sa candidature comme receveur municipal de la ville de Nice, poste laissé vacant par le décès de son titulaire. La majorité des conseillers municipaux se prononcera en sa faveur, preuve que l’ancien secrétaire bénéficiait d’une bonne réputation auprès des élus municipaux. Il restait à obtenir la signature du ministre. Mais Carlone entrevoit alors des manœuvres hostiles. Le 11 novembre 1861 il demande à Pietri de suivre l’affaire (Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Mazon à Carlone, 11 novembre 1861). Les soupçons étaient fondés. Le sénateur découvre en prenant contact avec Achille Fould, le tout nouveau ministre des Finances, que « les concurrents de M. Gioan sont vigoureusement appuyés ». Il demande à Carlone de faire signer aux conseillers municipaux une lettre de recommandation en faveur de Gioan pour affermir la candidature. (Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Pietri à Carlone, 27 novembre 1861). La démarche sera finalement inutile et le 6 décembre 1861 il peut annoncer à Carlone que la candidature de Gioan est acceptée (Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, lettre de Pietri à Carlone, 6 décembre 1861).

 

[239] C'est-à-dire qu’il n’a pas voté pour Lubonis.

 

[240] Arch. dép. Alpes-Maritimes, 7 J 34, 17 décembre 1860, lettre de Juge à Carlone.

 

[241] Jean-Bernard Lacroix, Hélène Cavalié et Jérôme Bracq, Napoléon III et les Alpes-Maritimes. La naissance d’un territoire, op. cit., p.72.

 

[242] Cf supra.

 

[243] Sur l’audience savoyarde, Christian Sorrel, « Audience des notables savoyards aux Tuileries (21 mars 1860) », op.cit. Cf. infra.

 

[244] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 7 août 1860.

 

[245] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 9 août 1860.

 

[246] Arch. dép. Ardèche, 52 J 384, lettre de Carlone à Mazon, 27 août 1860.

 

[247] Ibidem.

 
[248] Marc Ortolani, « Le voyage de Napoléon III à Nice, une consécration symbolique de l’annexion », Nice Historique, 2010.
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