EMS Les rachats du droit de Villefranche
 
 
 
 
  L’extinction par rachat du droit de 2% de Villefranche
au XVIIIe siècle
 
 
 
 
       Le duc de Savoie, puis roi de Sardaigne, perçoit du XVIe à la fin du XVIIIe siècle un droit de 2% ad valorem, dit « droit de Villefranche », sur les marchandises transportées par les navires passant au large de la côte dont il est maître, entre l’embouchure du Var et Monaco. Ce type de perception est rare et doit être juridiquement justifié. Les juristes de la Maison de Savoie ont développé une efficace argumentation allant dans ce sens. Mais au XVIIIe siècle les nouvelles théories sur la liberté des mers et sur la limitation de la mer territoriale placent le gouvernement sarde en position délicate. La pression exercée par les puissances maritimes aurait dû aboutir à la suppression pure et simple de l’imposition. Turin réagira autrement ; d’abord en augmentant le niveau de contrôle des bâtiments concernés ; ensuite en proposant au Etats les plus critiques … de racheter le droit ; le tout sur fond d’arrangements diplomatiques. Le débat juridique
M.B. Mars 2020
 
Extrait de Michel Bottin, Aspects internationaux du droit de Villefranche au XVIIIe siècle, Mémoire pour de DES d’histoire du droit, Nice, 1971, pp. 15-17. Le Mémoire
 
 
           …/… Le droit de Villefranche a donc connu une fin tout à fait différente de celle du droit de Monaco. Le droit de mer du souverain de Savoie a été racheté par plusieurs pays. Cela revient à dire que les navires de ces pays pourront désormais passer au large de Villefranche sans payer la taxe de 2% ad valorem des marchandises transportées dite « droit de Villefranche ». Les autres pays continueront d’y être assujettis.
Ces opérations de « rachat » se font dans un cadre juridique complexe. Le droit international en vigueur n’est peut-être pas favorable. Nous sommes au XVIIIe siècle. Plus au moyen âge. Comment un État moderne peut-il « vendre » à d’autres États modernes le droit de passer gratuitement dans une mer ouverte ?
 La réponse est peut-être plus diplomatique que juridique. La démarche qui consiste à « racheter » un droit de mer devient compréhensible. Surtout lorsqu’elle s’inscrit dans un cadre contractuel.
 
Il faut distinguer la politique intérieure du royaume sarde de sa politique étrangère.
 
a) Une politique intérieure traditionaliste
Alors que la plupart des pays européens en cette seconde moitié du siècle deviennent ce qu’on appelle des « monarchies éclairées », le royaume de Sardaigne conserve jusqu'à la fin du XVIIIe siècle le caractère absolutiste qu'il a toujours eu depuis Emmanuel-Philibert : " Vittorio Amedeo II , Carlo Emmanuele III non sono che dei continuatori: coronano l'opera dei predecessori, lavorano come questi hanno lavorato, a livellare le forze particolaristiche di frente al centralismo monarchico, a sistemare in ordinata struttura l’amministrazione » [1].
Car la Maison de Savoie a pris 1'initiative des réformes. L’œuvre législative est très importante et déjà avancée ; le rachat des droits féodaux par exemple commence en 1775.
Cependant dans toute cette œuvre politico-administrative on retrouve les fondements traditionnels que l'on trouvait déjà dans celle de Victor-Amédée II dans la première moitié du siècle : "La stessa mancanza di nuovvi lumi » [2], la même absence de Lumières.
La législation relative au droit de Villefranche se trouve ainsi mise en perspective : elle est justifiée par la présence de réformateurs qui, peu touchés par les Lumières du siècle, estiment que le fondement de la « possession immémoriale » est une justification suffisamment puissante pour défendre le droit et assurer sa survie. Cette attitude est assumée, sans doute, ni complexe.
Dès lors il y aura contradiction profonde avec les opinions de la plupart des gouvernements d'Europe. Ce facteur n'aura guère d'influence sur les premières opérations diplomatiques. Nous verrons par contre quel rôle il joua dans les derniers rachats.
 
b) Une diplomatie efficace
Le rachat du droit par des pays aussi puissants que la France ou l’Angleterre suscite l’étonnement. On peut au premier abord se demander comment au milieu de ce XVIIIe siècle, de tels pays ont pu procéder au rachat d'un droit aussi anachronique et discuter aussi longtemps avec le gouvernement d'un pays qui ne jouait pourtant pas les premiers rôles sur la scène politique de l'Europe.
De toute évidence, la question se résout ainsi : le droit de Villefranche sert de prétexte à des opérations de nature tout à fait différente que seule la diplomatie peut éclairer.
En effet si les négociateurs sardes ne négligent jamais 1’aspect financier du rachat, il existe dans chaque opération soit un aspect commercial d'impor­tance variable soit un élément d’alliance politique.
Ainsi, si le caractère diplomatique est prédominant dans les rachats opérés par la France et l'Angleterre, c'est l'aspect commercial qui 1'emporte dans les opérations réalisées avec l’Empire, le Royaume des Deux-Siciles, le Danemark et l'Espagne.
On constate alors que cette classification correspond à deux phases de la politique étrangère de la Maison de Savoie : période d'engagement diplomatique jusque vers le milieu du siècle puis phase de non engagement pendant plus de cinquante ans. Il est donc possible de distinguer deux sortes d’extinctions du droit de Villefranche :
Celles de la première phase 1753-1754, qui sont des opérations avant tout diplomatiques.
Celles de la seconde période, 1783-1791, qui ont un caractère nettement commercial mais dans lesquelles on ne peut écarter l'aspect politique purement " italien " que comportent à certaines périodes les pourparlers avec Naples ou l’Empire… / …
 


[1] P. Valsechi, « Dispotismo illuminato » dans Nuove qestioni di storia del Risorgimento, Milan, 1961, pp.149-240.

[2] Ettore Passerin d’Entrèves, « L’Italia nell’età delle riforme », dans Storia d’Italia, T. 3, p. 59.

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