Nice région Le Comté de Nice en question
 
 
 

Le Comté de Nice en question

1814-1860

 

Notes sur la suppression administrative de la province niçoise

 

 
 
 
Pour citer : Michel Bottin, « Le Comté de Nice en question », in Actes du colloque réuni à Nice en septembre1988, 1388, La Dédition de Nice à la Savoie, Publications de la Sorbonne, Paris, 1990, pp. 443-451.
 
 
 
Le rattachement de Nice à la France en 1860 a provoqué une dégradation très nette du statut administratif de la Ville de Nice. Celle-ci était en effet avant 1860 une capitale régionale à part entière ; elle devient après cette date un simple chef-lieu de département[1].
Très nette, et globalement négative, cette brutale rupture administrative de 1860 concerne toutefois davantage la Ville de Nice que sa province, « son Comté ». Il en effet difficile, au plan provincial, d'opposer sans nuances un avant et un après-rattachement. Certes, il y a aussi en ce domaine une réelle perte d'avantages traditionnels en 1860, mais cet épisode n'apporte que des éléments partiels d'explication. Il faut analyser le processus d’érosion administrative de la province niçoise plus en amont
Le processus de dégradation des privilèges et l'érosion de l'identité provinciale est en effet déjà engagé bien avant. La suppression du port franc en 1851 en est la manifestation la plus éclatante. Il est clair que l'entité provinciale "Comté de Nice" est déjà mise en question sous la Restauration sarde. Progressivement et souvent de façon dissimulée, s'est mise en place depuis 1814, une politique d'érosion des privilèges et des avantages accumulés depuis plusieurs siècles.
Il faut préalablement en rappeler les données. Fondés, selon les points de vue, sur l'aspect contractuel de la Dédition de 1388 ou encore sur la situation géographique particulière d'une province qui a pendant longtemps été le seul débouché maritime des Etats de la Maison de Savoie, ces avantages se sont multipliés, par couches successives. Ils sont de nature économique et administrative.
Sur une première strate, médiévale, celle des privilèges de la Ville de Nice -au demeurant antérieurs à 1388- se sont ajoutés après le traité du Cateau-Cambrésis (1559) et la réorganisation de ses Etats par le duc Emmanuel-Philibert, d’importants privilèges douaniers et économiques : de multiples dérogations à la tratta foranea (le droit payé à l’exportation) dès 1562 et surtout le report sur la ligne de crête des Alpes de la dogana (le droit payé à l'importation) en 1599.
La création du port franc en 1612 contribuera à accentuer ces avantages ; conçu à l’origine comme une simple franchise portuaire pour attirer les bâtiments gros porteurs débarquant des marchandises et les mettant en vente, le port franc de Nice-Villefranche deviendra progressivement la clé de voûte du particularisme économique provincial. C'est cette situation, mélange de défauts d'application, de mesures règlementaires et d'interprétations laxistes, qu'entérinera l'édit de 1749, d'ailleurs repris sans modification en 1814. Le Comté de Nice était devenu une zone de franchise de fait.
Le second aspect du statut privilégié de la province est de nature administrative : il se fonde sur la création en 1614 d'une cour souveraine avec compétences judiciaires, administratives et réglementaires. Petite cour sans doute, mais mesure d'une portée considérable : le Sénat de Nice devenait aux côtés des sénats de Chambéry et de Turin -l'ancienne et la nouvelle capitale- la troisième cour souveraine des Etats de la Maison de Savoie ; en l'absence d'institutions représentatives du type états provinciaux, le Sénat de Nice -au demeurant plus docile que les parlements français- devenait le palladium de l'identité provinciale. Ce particularisme administratif s'enrichira d'un élément supplémentaire avec l'érection en cour souveraine, en 1701, d'une ancienne juridiction commerciale et maritime, le Consulat de Mer, jusque-là dans la dépendance du Sénat.
Ainsi, à l'époque même où les intendants de Victor Amédée II s'engageaient dans leur entreprise de réduction des privilèges municipaux - ceux de la ville de Nice en particulier- la province se trouvait dotée d'une nouvelle institution propre à défendre ses intérêts économiques et maritimes.
Ce particularisme provincial sera progressivement remis en question entre 1814 et 1860. Il suffit d'en rappeler les étapes.
D'abord, à partir des années 1820, avec l'abolition de tous les règlements qui faisaient de Nice-Villefranche le passage obligé pour les marchandises importées en Piémont ou transitant par le Piémont vers le centre de l'Europe. Ensuite, à partir de 1848, avec la volonté très ferme de faire entrer Nice et sa province dans le droit commun : les manifestations les plus éclatantes de cette nouvelle politique furent la suppression des privilèges séculaires en matière de prix du sel, la transformation du Sénat en simple cour d'appel et bien sûr l'abolition de la franchise portuaire en 1851. Mais c'est sans doute le report de la ligne douanière au Var-Estéron en 1854 qui marque le mieux cette entrée en droit commun. Le déclassement du Consulat de la Mer en simple tribunal de commerce en 1855 ne fera qu'accentuer un peu plus le ressentiment des Niçois face à ce qui pouvait leur apparaître comme une entreprise systématique de démolition.
Les causes de cette érosion sont connues ; elles tiennent d'une part aux revendications de Gênes -province de Piémont-Sardaigne depuis 1814- contre les avantages douaniers niçois, d'autre part au bouleversement constitutionnel et politique provoqué par le Statuto de 1848 et la dynamique unitaire italienne du Risorgimento. Dans de telles conditions pourquoi le Comté de Nice aurait-il bénéficié d'une place à part ?[2]
A ces deux explications, les plus apparentes et les plus communément avancées, on peut en ajouter une troisième, fondée sur les transformations de l'administration locale sarde.
C’est l'objet de la présente étude.
Une telle démarche permet de mettre en valeur les pressions et les remises en question que subit la province traditionnelle au cours de la période. Le cas du Comté de Nice, pour les raisons énoncées ci-dessus, est exemplaire. Son identité provinciale est mise en question.
Il y a là assez de nouveautés pour souligner la dégradation de l’identité provinciale. Mais ce n’est pas tout. Il faut ajouter les changements qui altèrent son unité
On ne peut ne peut en effet considérer comme nul et non avenu le fait que le Comté de Nice ait été transformé en 1793 en département français -le 85e- et que Puget-Théniers ait été érigé en chef-lieu de district -puis d'arrondissement en l'an VIII-. On objectera qu’il s’agit d’une simple division administrative. Sans doute. On ne peut cependant complètement écarter le fait que la mesure portait atteinte à l'unité provinciale. Il en restera quelque chose après 1814. Ainsi, à l'érosion de l'identité administrative provinciale s'ajoute une remise en cause de l'unité administrative de la province.
La volonté affirmée en 1814 par le régime sarde de restaurer la situation anté-révolutionnaire est assurément plus forte que celle manifestée en France à la même époque. Tout com'dinans. Tout comme avant. La maxime piémontaise est plus qu’un souhait, elle est un programme de gouvernement. C’est dans cette optique que le Comté de Nice se vit reconnaître la plupart des avantages existant avant 1792, lors de l'arrivée des Français. Plus généralement, c'est aussi à partir de ce principe que fut reconduite l'organisation administrative locale, fondée sur la petite province traditionnelle. Il faut voir là un rejet très net de l’institution départementale et des pratiques administratives françaises, au demeurant en vigueur en Piémont et en Ligurie sous l'Empire.
Il faut voir au-delà de ce discours de continuité. La réalité est plus complexe.
Les résistances de la province traditionnelle jusqu’en 1841
En effet, dès 1814-1817 apparaît un premier élément significatif de l'impossible restitutio in integrum : l'appellation "Comté de Nice" disparaît des actes de la pratique administrative au profit de celle de "province de Nice", plus neutre[3].
La province reste néanmoins l'élément de base de l'organisation administrative : la réforme du 10 novembre 1818 qui divise les Etats de Terreferme en sept divisions dirigées chacune par un gouverneur nanti de pouvoirs militaires, mais aussi civils, et d'un intendant général chargé de coordonner l'administration des provinces de la division, ne met pas en cause la place de la province traditionnelle ; l'intendant particulier qui en a la charge conserve d'importantes prérogatives : il peut par exemple correspondre directement avec Turin, surveiller les responsables de services extérieurs en poste dans son intendance (eaux et forêts, genio civile), faire l'inventaire des besoins de sa province, élaborer le budget provincial [4]. Les instructions pour les intendants du 3 décembre 1818 sont tout à fait explicites : l’intendant et le cadre provincial y apparaissent toujours comme les éléments de base de l'administration locale[5].
Une telle confirmation montre clairement que l'on a écarté toute influence française : la division a une nature différente du département, et la province ne saurait être assimilée à l'arrondissement, simple découpage du département.
Les nouveautés à partir 1842
Ainsi la position de la province traditionnelle n'est pas vraiment remise en cause avant 1841 malgré les critiques de plus en plus fortes émises par les partisans d'un cadre plus large, de type divisionnaire. L'exposé des motifs des patentes royales du 26 août 1841 portant réforme de l’administration locale, fait même l'éloge de la province et réaffirme les pouvoirs de l'intendant en matière de comptes provinciaux.
Tout bascule avec les réformes des 25 août 1842 et 31 août 1843 :
Le premier accroît considérablement les pouvoirs de surveillance de l'intendant général sur l'ensemble des services administratifs de la division et surtout impose un compte unique pour l’ensemble des comptes de la circonscription ; un Congresso presso l'intendante generale composé de notables nommés était chargé de conseiller l'intendant général pour l'élaboration du budget divisionnaire.
La deuxième réforme aggrave ces dispositions l'année suivante et met en place des conseils provinciaux-ce qui peut paraître positif pour la province traditionnelle-mais consolide la position du congrès divisionnaire au plan des compétences et du personnel, celui-ci étant composé de membres choisis parmi les notables conseillers provinciaux. Une séparation des conseils aurait assurément davantage favorisé la défense de l'identité provinciale.
Une dernière hésitation apparaît dans les lettres patentes du 27 novembre 1847 (art. 149) qui définissent la province, mais aussi la division comme corpi morali non sans bien insister sur le fait que l’intendant général est le capo de la division (art. 161).
Enfin la loi communale et provinciale du 7 octobre 1848 lève toute ambiguïté et tranche en faveur de la division, désormais seule à détenir la personnalité civile. L'affaire est entendue : la province est presque dans la même situation que l'arrondissement français, qui n’a pu obtenir la personnalité civile, finalement accordée au département après un long débat par la loi du 10 mai 1838. On observera cependant que la loi de l'an VIII accordait fort peu de pouvoirs à l’arrondissement -même pas un embryon de prérogative budgétaire[6]- alors que la provincia était tout de même en 1814 le rouage de base de l'administration locale sarde.
Les adversaires de la petite province traditionnelle sont parvenus à leurs fins. La loi Rattazi d’octobre 1859 sanctionne le vieux débat : la division administrative prend le nom de province et la vecchia provincia celui de circondario, simple découpage de la nouvelle province. A la tête de celle-ci on trouvait un gouverneur nanti de pouvoirs tout à fait comparables à ceux du préfet français et à la tête du circondario un intendant plus proche d'un sous-préfet que d'un intendant de l’époque de Charles-Félix.
Vues de Nice, ces réformes peuvent être appréciées diversement. D'une part elles ont indubitablement favorisé la ville de Nice en faisant de la capitale du Comté un chef-lieu de division, comprenant outre la province de Nice (120 000 h. environ) les provinces de San Remo et d’Oneglia (60 000 h. chacune). La nouvelle organisation administrative divisionnaire se superpose ainsi aux structures préexistantes, telles le Sénat ou le Consulat de Mer, contribuant à faire de Nice une véritable capitale régionale concentrant tous les services extérieurs de l'Etat. Sur ce plan, il est évident que le gain administratif était considérable.
Il en va autrement pour la province. L'évolution administrative générale décrite ci-dessus a contribué à fondre la province "Comté de Nice" dans un ensemble régional largement ouvert sur la Ligurie. Or les provinces d'Oneglia et de San Remo occupent dans cette division une place comparable à celle du Comté de Nice. Cette ouverture administrative impose au gouverneur, à l'intendant général et plus tard au Congrès divisionnaire, une prise en compte des intérêts ligures. Or ceux-ci sont en plusieurs domaines opposés ou concurrents : c'est le cas par exemple en matière de commerce maritime ou d'oléiculture. De facto, la structure divisionnaire contribuait à affaiblir les moyens de défense du particularisme niçois.
La situation de la ville de Nice, partagée entre sa fonction traditionnelle de capitale du Comté et sa nouvelle situation de capitale régionale est d'ailleurs ambiguë. Sans chercher à forcer le paradoxe, on peut penser que la croissance des services divisionnaires à Nice même, a contribué à favoriser une "italianisation" progressive de l'administration. Même si les positions niçoises restent fortes, il apparaît que plus on s'avance dans la période plus s'affirme la présence d'agents ligures ou piémontais dans cette administration. Le Calendario generale del Regno laisse clairement apparaître cette évolution.
L’unité en question
Le Comté de Nice est une entité provinciale composite issue de la Dédition de 1388. Son unité vient moins d'une culture ou même d'un dialecte commun -sur ce plan il existe des différences non négligeables entre les différentes parties de la province-que d’une histoire commune et des liens étroit unissant chaque communauté à Nice. Cette unité est progressivement mise en question à partir de la fin du XVIIIe siècle.
         Il faut y voir la conséquence, d'une part des modifications de frontières intervenues au cours de la période, d'autre part de la pénétration de l'influence française dans toute la partie ouest de la province.
Les rectifications frontalières
En ce qui concerne le premier point, il apparaît que les frontières de la province ont été soumises à de fortes variations. C'est d'abord le cas, à la suite de la rectification de la frontière franco-sarde opérée par le traité de Turin de 1760 : la simplification du tracé a eu pour conséquence un important échange de communautés d’habitants : Gattières, Dosfraires, Bouyon, Les Ferres, Conségudes et une partie de Roquesteron devenaient français ; Guillaumes, Daluis, Auvare, Saint-Léger, La Croix, Puget-Rostang, Cuébris, Saint-Antonin et La Penne étaient rattachés au royaume de Piémont-Sardaigne.
Ces changements n’ont pas seulement des conséquences administratives. D'une part le transfert fragilise et relativise une frontière déjà perméable ; d'autre part, résultant d'une démarche essentiellement diplomatique et sans adhésion formelle des populations concernées, du type plébiscite, il n'est pas de nature à fonder de la part des communautés rattachées, une appartenance "niçoise" très solide. Accentués par 22 ans de présence française entre 1792 et 1814, les effets de cette fragilisation frontalière subsisteront sous la Restauration sarde.
A la frontière est de la province, l'organisation des relations frontalières est bouleversée par trois changements ; d'abord par l'entrée en 1814 de Vintimille et de sa partie de Riviera dans le royaume de Piémont-Sardaigne ; ensuite par le transfert en 1818 de Dolceaqua et des communautés voisines -traditionnellement administrées dans le cadre du Comté de Nice- dans la nouvelle province de San Remo ; enfin par le rattachement, à la suite de l'insurrection contre le prince de Monaco en 1848, de Menton et de Roquebrune aux Etats sardes, sous administration de l'intendant général de Nice. Ce sont là autant de transformations plus propices à relativiser l'appartenance provinciale qu’à en renforcer l’unité.
L’influence française
Mais c’est sans doute le second point -les progrès de l'influence française dans la partie ouest et en particulier nord-ouest du Comté- qui montre le mieux l'effritement de l’unité administrative. Il faut y voir une conséquence directe du traité de rectification des limites de 1760 et des nouveaux découpages administratifs de la période 1793-1814. C’est dans le nord-est de la province autour de Puget-Théniers que le bouleversement administratif provoqué par le traité de 1760 a été le plus fort. Jusque-là avancée - presque enclave- sarde en territoire provençal, le bourg de Puget se trouvait très avantagé par l'échange de communautés. Le rattachement au Comté des villages de Guillaumes, Auvare, Puget-Rostang, La Croix, Saint-Léger et Daluis -au nord de Puget- et de La Penne, Saint-Antonin et Cuébris -au sud-restituaient en quelque sorte à Puget-Théniers sa zone d'influence naturelle, sans les contraintes frontalières qui, peu ou prou, limitaient son influence depuis 1388.
Une nouvelle étape est franchie en 1793 sous la Révolution lorsque Puget devient chef-lieu de district ; cette position est consolidée en l'an VIII lorsqu'il devient chef-lieu d'arrondissement avec tous les attributs d'une sous-préfecture ordinaire : tribunal civil de première instance, conservation des hypothèques, recette particulière de finances, recette particulière des contributions indirectes, entrepôt de tabac, lieutenance de gendarmerie et centre de recrutement.
La Restauration sarde supprimera la plupart de ces avantages, maintenant tout juste une lieutenance de carabiniers et réduisant l'ancienne sous-préfecture à n'être plus qu'un simple chef-lieu de mandement[7].
Ce déclassement alimentera, tout au long de la période, une sourde revendication administrative pugétoise. Celle-ci apparaît de façon très officielle à partir de 1848. En 1851, fort de l'appui de 23 communes des environs, Puget réclame le retour de plusieurs services administratifs dont le tribunal. Le Conseil provincial de Nice rejettera les arguments pugétois fondés, en particulier, sur l'éloignement de Nice. Par contre au cours de la même session il se prononcera en faveur de l'établissement d'un tribunal de première instance à Menton et à Sospel[8]. La décision n'en sera que plus mal perçue par Puget et les communes des environs.
La revendication pugétoise ne doit cependant pas être uniquement analysée à partir des seules structures administratives. L'influence française a progressé dans la partie nord-est de la province beaucoup plus vite qu'ailleurs : les communautés francophones du Val d'Entraunes, les effets des rattachements de 1760, la rapide progression de l'influence révolutionnaire, les faveurs administratives de la Convention, sont autant d'éléments qui distinguent cette partie du Comté, volontiers francophone et peut-être un peu trop francophile, du reste de la province. On comprend mieux ainsi les réticences de la Restauration sarde.
Le phénomène francophone est pourtant une assez forte réalité pour devoir être pris en compte par l'administration : ainsi la Regia Università de Turin dans une circulaire du 10 mars 1827 adressée au Riformatore di Nizza -l'équivalent de l'inspecteur d'Académie- ne pouvait guère faire autrement que de définir la place du français à côté de l’italien dans la province. "Dans ce département de réforme, précise le texte, l'italien doit être seul considéré comme langue nationale à l'exception des pays situés à droite de la Tinée du côté de la France, dans lesquels le français sera considéré comme langue nationale"[9].
 Il n’est donc pas étonnant de constater qu'une bonne vingtaine d'administrations municipales des environs de Puget emploient le français pour tous les actes officiels ou même, ce qui est encore plus significatif, que les services administratifs de l'Etat sarde en place à Puget fassent de même... jusque dans leur papier à en-tête[10].
Fondée sur les précédents de la Révolution et de l'Empire, alimentée par la revendication pugétoise de l'époque sarde, la partition administrative de la province de Nice sera réalisée en 1860 peu après le rattachement à la France : elle aboutissait à la création d'un arrondissement peuplé d’à peine 18 000 habitants, ayant pour chef-lieu un petit bourg de 1300 habitants. La création, ou le rétablissement, selon le point de vue auquel on se place, prenait en compte cette faiblesse puisque le chef-lieu se voyait privé de quelques-uns des attributs appartenant aux sous-préfectures plus importantes, tel en particulier le tribunal de première instance. La mesure explique, a posteriori, les réticences de l'administration sarde. La suppression, en 1926, de l'arrondissement de Puget-Théniers, laisse penser, avec un peu de recul, qu'une telle création n'était pas une nécessité administrative absolue. Tout au plus le résultat d'une volonté particulière d'une vingtaine de communautés du haut Comté de manifester leur différence. C'est à ce titre que la revendication pugétoise illustre l'altération de l'identité et de l'unité provinciales.
Conclusion. La disparition du Comté de Nice ?
Ainsi disparaissait le Comté de Nice. Et avec lui, une mémoire politique qui remontait à l388 et à la Dédition au duc de Savoie. Les Sardes ont réduit ses pouvoirs en le transformant en circondario ; les Français l’ont rendu méconnaissable en le divisant en deux arrondissements. Il en reste un mythe historique et culturel et celui-ci est assez fort pour nourrir une identité niçoise ouverte et enracinée. Sur ce plan, le Comté de Nice est toujours vivant. Il n’était question ici que d’éclairer la disparition du cadre administratif provincial qui portait autrefois le nom de Comté de Nice.
 
 
 
 
 
 
 


* Cette étude a été mise en ligne par les Presses de la Sorbonne : Lire

Le texte qui suit a fait l’objet de quelque retouches formelles.

[1] Sur cette question, Michel Bottin, "Nice, de la capitale administrative au chef-lieu de département : les mutations administratives de l'espace régional niçois", in Nice au XIXe siècle. Mutations institutionnelles et changements de souveraineté, Université de Nice, Centre d'Histoire du droit, 1985, pp. 7-35.

[2] Pour l'ensemble des problèmes administratifs de la période on pourra se reporter à Nice au XIXe siècle, op. cit. ; plusieurs études y sont consacrées. En ce qui concerne les problèmes douaniers et économiques, Michel Bottin, "Port franc et zone franche. Les franchises douanières du pays niçois", in Recherches régionales, 1976, no l, pp. 1-22.

[3] Arch. dép. des A-M., Fonds sarde. 5 I à VII.

[4] De multiples exemples pour la période 1819-1842 dans Arch. dép. des A-M  , Fonds sarde. 31.1 et 32 I à IX à propos des intendances d'Oneglia et de San Remo.

[5] Sur l'ensemble de ces questions, Petracchi (A.), Le origine dell'ordinamento communale e provinciale italiano, 3 vol. Venezia, 1962, et Porro (A.), Il prefetto e l'amministrazione periferica in Italia. Dall'intendente subalpino al prefetto italiano (1842-1871), Milano, Giuffré, 1972 et Bottin, "Nice, de la capitale" cit., notes 28 et 31.

[6] Michel Bottin, "L'autorisation budgétaire", in Histoire du droit des Finances publiques, vol. III, sous la direction d'H. Isaïa et J. Spindler, à paraître, Economica.

[7]  Les délibérations du Conseil délégué de la Commune de Puget-Théniers des 15 juin et 15 octobre 1848 présentent un exposé sommaire de l’Histoire administrative du bourg. Arch. dép. des A-M, Fonds sarde 459. I.

[8] Arch. dép. des A-M., Fonds sarde 459.1. Se sont prononcées en faveur de Puget-Théniers : les communes de Puget, Rigaud, Saint-Léger, Ascros, Auvare, La Croix, Puget-Rostang, La Penne, Guillaumes, Daluis, Sauze, Beuil, Entraunes, Saint-Martin d'Entraunes, Péone, Châteauneuf d'Entraunes, Roquesteron, Cuébris, Saint-Antonin, Villars, Touët-de-Beuil et Lieuche. Se sont opposées : Saint-Etienne, Isola, Saint-Sauveur, Roure, Saint-Dalmas, Roubion, Toudon, Bonson, Tourette-Revest, Sigale, Gilette, Pierrefeu, Clans, La Tour, Tournefort, Massoins, Thiery, Pierlas, Ilonse, Bairols et Malaussène.

[9] Cité par André Compan, in Introduction aux œuvres de Rancher, Nîmes, 1954, p. 18. Le texte précise en outre qu'à Nice "sont considérées comme langues nationales à la fois l’italien et le français".

[10] Cf. par exemple, Arch. dép. des A-M, Fonds sarde 240.1, le papier à en-tête de l'administration des "Insinuations et domaines. Province de Nice du Bureau de Puget-Théniers" (1827).

 


 
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