EMS Avenir de Nice en débat
 
1859
Débats sur l’avenir de Nice
 
 
 Pour citer : Michel Bottin, « L’avenir de Nice en débat », Présentation de Nice Historique 2009, n°4, Vers un nouveau destin. Nice à la veille de 1860.
 
L’avenir de Nice en débat
        En 2010 Nice célèbre le 150eme anniversaire de sa réunion à la France. C’est l’occasion de se remémo­rer un événement déterminant pour son avenir. C’est aussi l’opportunité pour les historiens de porter un regard actualisé ou renouvelé sur ce changement. Nice Historique se devait d’être au rendez-vous de cette commémoration, non pas pour faire un bilan, positif ou négatif, de ces cent cinquante années mais pour retourner à l’acte fondateur. Plusieurs études à paraître au cours de l’année 2010 porteront sur ce thème. Ce numéro de Nice Historique en une sorte d’introduction. Il souhaite éclairer la situation de Nice immédiatement avant l’annexion.
        A ceux qui croiraient encore que Nice était une belle endormie, havre d’insouciance pour les uns, conservatoire d’archaïsmes pour les autres, les contributions qui suivent apportent leur lot de mises au point. La ville a beaucoup changé depuis l’Empire et la Restauration. Elle est devenue une grande cité cosmopolite de près de 50.000 habi­tants où se mêlent Nissarts, Piémontais, Français, Italiens de tous les Etats de la péninsule et hivernants de toutes nationalités. Un vent de libéralisme y souffle depuis 1848 et la publication du “Statuto” constitutionnel. Une vigoureuse presse d’opinion nourrit le débat public. Et les sujets de mécontentements de manquent pas !
       L’isolement de la province et les difficultés des communications occupent toutes les conversations, surtout depuis la réforme douanière de 1848-1851 qui supprime les avantages du port franc et reporte la frontière douanière des Alpes sur le Var-Estéron. Le commerce de Nice avec la France en a été consi­dérablement perturbé. Un sentiment de frustration s’est installé. Il a été d’autant plus fortement perçu que les grands travaux promis se font attendre : les améliorations de la route du col de Tende ne sont plus prioritaires ; l’endiguement de la rive gauche du Var est bloqué du fait des mauvaises prévisions financières de l’adjudicataire ; la progression des travaux routiers dans les vallées du Var et de la Tinée est très ralentie par la faillite de l’entrepreneur ; l’enclavement ferroviaire est mal ressenti même si on annonce l’arrivée prochaine du train : côté sarde, une ligne Nice-Gênes est projetée depuis 1857 mais rien n’est encore commencé à la veille de l’annexion; côté français la ligne de chemin de fer P.L.M. atteint Toulon en 1858 et le chantier se pour­suit vers Draguignan. Le train à Nice, c’est pour bientôt, mais ce sera en provenance de la France !
        Santa Rosa, l’ami de Cavour, Niçois d’adoption, ancien député d’Utelle, a parfaitement compris l’enjeu politique de ces équipements. Mais l’inertie est grande. Les députés de la province ne peuvent, ou ne savent, se faire entendre à Turin, que ce soit dans les ministères ou au sein de la Chambre des députés. Le parti français de Nice animé par Carlone puise dans ces contradictions et dans ces échecs l’essentiel de ses arguments en faveur d’un rattachement à la France.
        Ajoutons le mécontentement du clergé local face aux mesures anti-catholiques de Cavour et de Rattazzi : suppression de fêtes religieuses, fermetures de monastères, interventions en matière scolaire, etc. En comparaison, la situation du clergé français paraît très avantageuse, au plan du soutien financier comme à celui des conditions d’évangélisation. Il y a là de quoi alimenter le malaise.
        Ajoutons encore la “piémontisation” croissante des administrations publiques, forte réalité dans une ville qui est chef-lieu d’administration régionale pour le Comté et pour la Ligurie occidentale.
      Ajoutons certains signes de transferts de services vers Gênes pouvant laisser penser que la position admi­nistrative de Nice n’est peut-être pas aussi forte qu’on le croyait.
     On n’omettra évidemment pas les états d’âme du commerce local handicapé par les nouveaux droits de douane, particulièrement le commerce de l’huile, principale activité économique de la province : il est très spécialisé dans l’importation des huiles d’Italie du Sud et la réexportation en France et en Europe du Nord et ne cesse de perdre des parts de marché face à Marseille.
    On ajoutera enfin, mais la liste n’est pas exhaustive, la nette impression que la province est trop imposée compte tenu de la faiblesse de son économie rurale.
     Ainsi se développe un syndrome où se mêlent les craintes et les espoirs, les arrière-pensées et les vaines proclamations. L’opinion publique niçoise cherche sa voie. Les chancelleries, elles, observent une situation qui pourrait très vite devenir un problème au cas où la question de Nice serait invitée dans le débat sur l’unification de l’Italie.
 
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