Misc Dédition 1388
      
 
 
 
Il y a six cents ans Nice choisissait la Maison de Savoie
 
Le colloque international de 1988
 
 
 
 
        Le colloque réuni en septembre 1988 pour commémorer le VIe centenaire de la dédition de Nice à la Maison de Savoie en 1388 fait partie des événements majeurs de la recherche historique contemporaine niçoise. Il est le fruit de l’association de trois centres de recherches de l’Université de Nice ( le Centre d’Etudes Médiévales, le Centre d’Histoire du droit et le Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine) et de deux dépôts d’archives ( les Archives départementales des Alpes-Maritimes et les Archives municipales de Nice). On doit remercier pour l’organisation et pour l’édition, Geneviève Etienne, Rosine Clayet-Michaud, Mireille Massot, Maryse Carlin, Sylvie de Galléani, Henri Bresc et Olivier Vernier. Les 38 contributions des participants sont actuellement disponibles sur le site de l’éditeur, les  Publications de la Sorbonne.
         Voici la liste de ces études telle que je l’ai présentée en 1992 dans un compte rendu pour la Revue historique.
M.B. juin 2020
 
Pour citer : Michel Bottin, 1388. La dédition de Nice à la Savoie. Actes du Colloque international de Nice (septembre 1988), Publications de la Sorbonne, 1990, 528 p., 190 F. Compte rendu dans la Revue historique, 1992, n° 583, pp. 195-199.
 
        La dédition de Nice à la Maison de Savoie en 1388 a fait l’objet dans le passé d’assez nombreuses études d’histoire locale. Les unes mettent en valeur la division de la Provence, les autres insistent sur l’expansion de la Maison de Savoie vers la mer. La commémoration du VIe centenaire de cet événement offrait l’occasion d’élargir le champ de vision et de procéder à quelques réévaluations.
        C’est l’objectif que s’étaient fixé les organisateurs du colloque international réuni à Nice en septembre 1988 par le Centre d’Etudes Médiévales, le Centre d’Histoire du droit et le Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine de l’Université de Nice, les Archives départementales des Alpes-Maritimes et les Archives municipales de Nice. Les actes de ce colloque, rassemblés dans le pré­sent ouvrage, sont ainsi souvent marqués par le souci de dépasser les approches de l’histoire locale et d’engager « une réflexion en profondeur » (J. Favier, Pré­face). Deux thèmes ont été abordés : l’événement et son contexte d’une part, la portée et les interprétations de la dédition, du Moyen Age à l’époque contem­poraine d’autre part.
 
        1. La dédition de Nice à la Savoie s’inscrit dans le contexte politique d’une époque extrêmement troublée. R. H. Bautier, L'occupation de la Provence orientale par le Comte Rouge et la dédition de Nice, p. 13-14, analyse dans une large introduc­tion les différents paramètres de la décennie 1377-1388 : mort du pape Grégoire XI, début du Grand Schisme avec Urbain VI à Rome et Clément VII en Avignon, mort du roi de France Charles V et ouverture d’une régence troublée et enfin, mort de la reine Jeanne de Naples en 1382, prélude à une succession disputée. L’importance de ce dernier événement, apparemment mineur comparé aux deux autres (Grand Schisme et minorité de Charles VI), est soulignée par R. H. Bau­tier qui met en valeur le caractère « impérial » de l’aventure politique des Ange­vins de Naples : Anjou, Provence, Sicile (maintien des revendications après les Vêpres siciliennes), Naples, Achaïe, côte dalmate, Hongrie ( cf. P. Engel, Char­les II de Duras, roi de Hongrie et son parti, p. 199-206), positions piémontaises (Coni, Mondovi, Asti) et appuis importants à Rome et Florence. Nice, placée à la jonc­tion du domaine provençal et des premières avancées en Italie du Nord était une pièce maîtresse. La querelle successorale qui s’engage entre les héritiers de la Reine Jeanne (Charles de Duras son neveu, héritier officiel, soutenu par Urbain VI et, après une volte-face de la reine, Louis d’Anjou frère du roi de France Charles V, soutenu par Clément VII) et qui aboutit à la sécession de Nice, met un terme aux projets italiens de la Seconde Maison d’Anjou et affaiblit les posi­tions de la Troisième Maison d’Anjou désormais confrontée aux ambitions de la Maison de Savoie en Piémont et en proie aux divisions partisanes à Naples même (S. Fodale, Le parti duraciste à Naples, p. 207-214).
        Faisant preuve d’une remarquable efficacité, la Maison de Savoie a su, ainsi que l’explique B. Demotz, Un Etat fort au XIVe siècle : le comté de Savoie, p. 175-180, rallier les populations déroutées par le conflit dynastique angevin, d’abord dans leurs possessions piémontaises, ensuite dans la région niçoise.
        La Dédition niçoise résulte directement du choix politique de Jean Grimaldi de Beuil, seigneur fortement possessionné dans le haut pays niçois et sénéchal de Provence pour Lasdilas de Duras. E. Hildesheimer, La Maison de Savoie et Nice en 1388, p. 25-35, procède à un rappel général des faits ; M. Bourrier et C. Bourrier-Reynaud, A quoi furent fidèles les Grimaldi de Beuil ? p. 269-278, analysent le jeu politique du seigneur de Beuil entre Duras et Savoie ; E. Genta et G. Mola di Nomaglio, Mobilité des familles nobles dans les Etats de Savoie. Une famille presque oubliée : les Grimaldi de Carignany p. 397-402, permettent de faire un point généa­logique sur les différentes branches de cette famille d’origine génoise.
        La dimension provençale du conflit dynastique fait l’objet de cinq études ; la guerre de l’Union d’Aix y tient une large place. A. Venturini, La guerre de l'Union d’Aix, p. 36-142, reprend l’ensemble du dossier politique et étudie lon­guement « l’interaction entre le Schisme et la guerre dynastique ». Pour l’auteur, la guerre de l’Union d’Aix ne peut se réduire à une opposition Duras/Anjou. Elle a en outre une dimension « pan-provençale », trop souvent effacée dans une bibliographie avantageant la Provence occidentale. L. Stouff, Une ville de Provence entre Charles de Duras et les Angevins. L'entrée des Tuchins à Arles le 24 juillet 1384, p. 143-158, analyse les turbulences politiques d’une ville blessée par la guerre civile et soumise aux pressions et exactions des Tuchins. N. Coulet, Les Aixois dans l’Union d’Aix, p. 159-174, étudie la situation particulière d’Aix, « chef de l’Union » et l'évolution du patriciat, de Duras vers Anjou. Le rôle majeur des Etats de Provence est bien mise en valeur par M. Hébert, Les Etats de Provence à l’époque de la Dédition niçoise (1381-1388), p.181-198. L’auteur distingue les assemblées générales, les réunions angevines et celles de l'Union. Leur fréquence, liée à l’éloignement du pouvoir, permet de distinguer deux conceptions différentes du rôle des Etats : l’une, celle de l’Union d’Aix, accorde aux Etats de réels pou­voirs, l’autre, défendue par les partisans des Angevins, plus « française », ne tolère pas de limitation du pouvoir royal. On peut se demander avec M. Hébert si la sécession niçoise conduite par Grimaldi n’était pas également motivée par le désir de résister à cette conception centralisatrice. La qualification juridique du lien unissant les Niçois au souverain angevin puis savoyard apporte d’indispensables éléments de compréhension. J.-P. Boyer, Aux origines du pays, le roi Robert et les hommages de 1331 en Provence, p. 215-228, s’appuyant sur les travaux de Gérard Giordanengo en matière de droit féodal, analyse la politique féodale des Angevins à l’époque du roi Robert. Efficace tant que le roi peut protéger, cette pratique de l’hommage peut devenir un facteur de sécession lorsque le pouvoir est affaibli et contesté, comme cela est le cas lorsque éclate la querelle dynastique. M. Carlin et P.-L. Malausséna, Les problè­mes posés par la dédition au regard du droit féodal et du droit savant, p. 249-258, posent la question en ces termes : le seigneur « naturel », Ladislas de Duras est empê­ché ; Louis d’Anjou n’est qu’un usurpateur. L’« universitas » de Nice peut dès lors légitimement rechercher un autre protecteur. Le droit savant en offre la possibilité : les canonistes affirment qu’un prince n’est « légitime que dans la mesure où il est accepté par ses sujets ». Les Bartolistes, derrière Balde, insistent aussi sur la nécessaire acceptation. La sécession est donc possible ; le protecteur sera le comte Amédée VII de Savoie. La soumission au nouveau souverain se forme dans un cadre féodal : en outre, le comte renforce le lien, le justifie même, en arborant les insignes du Vicariat impérial, montrant par là qu’il agissait, en Terre d’Empire, dans le cadre de la légalité impériale. Cette position sera évidemment contestée par Louis d’Anjou, avec autant plus de force qu’au cours des années suivantes Amédée VIII multiplie les hommages avec les communau­tés provençales de l’Estéron et de la haute vallée du Var. M. R. Reynaud, La Maison d’Anjou-Provence et la perte de Nice (1380-1419), p. 259-268, précise que les Anjou « mettront plus de 30 ans pour reconnaître la perte de Nice ».  Les aspects juridiques de la Dédition de Nice sont éclairés par la présentation de situations voisines : D. Ghiraldi, L’acte de dédition du Val de Lantosque : 17 octobre 1388, p. 279-298, P. Casana-Testore, Coni, Mondovi, Nice : trois déditions du XIVe siècle à la Maison de Savoie, p. 241-248, et J. A. Cancellieri, « Homines et populus Corsice ». Précisions la « Commune de Corse », Gênes et la dédition de 1358, p. 229-240. Cet ensemble de contributions permet de souligner l’importance des données juridiques comme élément de compréhension du débat politique.
        La première partie prend fin avec trois éclairages différents : A. Compan, L’idiome véhiculaire niçois à la fin du XIVe et au début du XVe siècle, p. 299-312, souli­gne que la rupture de 1388 s’effectue dans un milieu linguistique homogène. C. Astro, La dédition de Nice : ses représentations iconographiques dans l’Histoire de la Maison de Savoie. XVIe-XIXe siècles, p. 313-318, recense quelques thèmes de la propagande de la Maison de Savoie magnifiant la dédition. M. Pastoureau, La dédition de Nice : le contexte emblématique, p. 319-322, souligne « l’effervescence emblématique de la Maison de Savoie » et son influence, après la dédition de Nice, sur Gênes et l’Italie.
 
        2. La seconde partie ouvre sur une vivante peinture de Nice au début de l’année 1405, à l’époque du séjour du pape de l’obédience avignonnaise, Benoit XIII. H. Bresc, Nice en 1405, p. 325-336, y décrit l’extraordinaire remue-ménage pro­voqué par l’installation à Nice d’une cour pontificale au grand complet. L’étude d’Henri Bresc a en outre le mérite de montrer combien le contexte politique reste marqué par le Grand Schisme : Nice favorisée par les commodités de la rade de Villefranche demeure une étape importante sur l’axe Avignon-Rome.
        L’éloignement de Chambéry explique que la maîtrise de Nice et des commu­nautés voisines par les souverains de Savoie ait été lente et progressive. L’étude de E. Mongiano, Politique et vie religieuse dans le Comté de Nice sous le règne de l’antipape Félix V (Amédée VIII de Savoie), p. 349-360, montre sur ce point le rôle que joua entre 1439 et 1449 l’antipape élu par le Concile de Bâle en matière d’admi­nistration ecclésiastique dans la région niçoise ; cette politique marque une rup­ture avec la Provence voisine soumise à René d’Anjou et adhérant à Eugène IV. L. Thevenon, Les églises des Ordres Mendiants à Nice au XIVe siècle : plans et architec­ture, p. 371-388, donne un exemple de cette évolution distincte de Nice entre 1430 et 1500.
         La dédition fondait pour les Niçois un régime juridique privilégié. G. S. Pene Vidari, Les statuts et les privilèges de Nice et la Maison de Savoie, p. 337-348, analyse l’engagement des souverains de Savoie à respecter les statuts de Nice remontant au XIIIe siècle et décrit le mécanisme qui peu à peu va opposer un droit statu­taire « cristallisé » à la dynamique législative du prince. Le règne d’Emmanuel- Philibert marque sur ce point une étape dans le processus de centralisation. G. M. Zaccone, Le juriste Ottaviano Cacherano d’Osasco, « Conservatore della Gabelle del Sale » à Nice, p. 363-370, décrit l’activité d’un de ces grands légistes, Cacheran d’Osasc, alors en poste à Nice, qui ont contribué à consolider le pouvoir savoyard à la fin du XVIe siècle. H. Costamagna, La dédition de 1388 vue par l’intentant Pierre Mellarède, p. 403-414, fournit un exemple bien choisi de l’intervention pressante du souverain à la fin du XVIIe siècle ; l’intendant, fin juriste, y apparaît comme un redoutable interlocuteur des communautés. I. Soffietti, Les sources du droit: problèmes. La législation de la Maison de Savoie et Nice, p. 415-424, achève la descrip­tion de cette évolution en montrant les reculs successifs du droit statutaire à par­tir de Victor-Amédée II et jusqu’au Code Civil de Charles-Albert « qui abroge les sources du droit étrangères aux lois de l’Etat ».
        On perçoit très nettement à l’époque de la Restauration un recul similaire du statut administratif privilé­gié, le Comté de Nice devenant une province comme les autres, de plus en plus intégrée dans une « division administrative » plus vaste : M. Bottin, Le Comté de Nice en question. 1814-1860, p. 443-452. On comprend que le souvenir de l’ancien système privilégié ait pu se transformer en programme politique. H. Barelli, Charles-Félix ou Carlou-Felis. La visite à Nice d3un symbole féodal (novembre-décembre1826), p. 453-466, explique comment ce monarque sans grande envergure a pu devenir pour les Niçois le symbole de cette résistance.
        La dédition a fourni la matière à d’amples polémiques ; celles-ci gravitent autour de deux questions. La dédition constitue-t-elle un titre suffisant pour écarter les prétentions des rois de France, héritiers des comtes de Provence ? Inverse­ment, après 1860, peut-elle, constituer une preuve d’« italianité » au profit d’un irrédentisme italien ?
        S’agissant du premier point, il est clair que les rois de France ont toujours contesté que la dédition ait effacé leurs titres successoraux et divisé la Provence. P. G. Patriarca, Les raisons de la Maison de Savoie contre les prétentions françaises (1533), p. 389-396, en propose une illustration à l’époque de François Ier. La revendication française est assez constante pour que, encore au XVIIIe siècle, il subsiste une méfiance, une incompréhension même entre les autorités françaises en poste à Nice et l’administration de la Maison de Savoie : F. Hildesheimer, Les difficultés du Consulat de France à Nice. 1713-1720, p. 425-442. Enfin, de son côté, la Maison de Savoie ne pouvait combattre ces prétentions françaises en se fondant sur le caractère contractuel de la dédition ; c’eût été fragiliser sa position vis-à-vis des Niçois. O. Vernier, La dédition chez les juristes et les historiens sous la Restauration sarde : de la relation historique à la revendication politique, p. 467-474, montre que l’historio­graphie officielle met l’accent sur « la soumission volontaire à l’illustre monar­chie qui domine la péninsule » alors que les historiens niçois dissertent, à partir d’une reconstitution mythique du Moyen Age, sur l’aspect contractuel.
        S’agissant du second point, on constate qu’après 1860 et le rattachement de Nice à la France, le thème de la dédition disparaît du discours politique et histo­riographique niçois. P. Gonnet, La célébration du cinquième centenaire de la détition, p. 489-494, constate que l’événement n’a fait l’objet en 1888 d’aucune commé­moration ; c’était, il est vrai, à l’époque de la montée des tensions entre la France et l’Italie. La parution en 1898 de l’ouvrage de l’érudit niçois installé à Turin, Caïs de Pierlas, « La Ville de Nice pendant le premier siècle de la domination des princes de Savoie » renouvelle la question. P. Bodard, Le comte Eugène Caïs de Pierlas (1842-1900) : Biographie, p. 475-488, met en valeur la qualité de l’histo­rien du Moyen Age niçois dont les travaux font toujours autorité. Les tenants du contrat puisèrent dans son œuvre de nouveaux arguments. Paradoxalement, les adversaires y trouvèrent aussi de quoi alimenter leur critique : la dédition était un acte imparfait, trop marqué par les détours politiques tortueux du sei­gneur de Beuil, pour que l’irrédentisme italien puisse s’en prévaloir.C’est ce qu’explique A. Ruggiero, La dédition est-elle un contre-argument pour les auteurs atta­chés à démontrer dans les années Trente que Nice était française ? p. 495-508, qui analyse cette résistance aux progrès de l’historiographie mussolinienne. P. Isoart et J. Basso, Nice, la Provence et la France dans le discours politique (1860-1940), p. 509-522, soulignent la puissance de cette historiographie pro-italienne mais montrent aussi que les historiens pro-français se trompaient de débat en persévérant à démon­trer la nullité, au plan juridique, de la dédition de 1388. Le plébiscite de 1860 a tourné la page et fonde une nouvelle appartenance. Les auteurs notent toute­fois qu’il subsiste quelque chose de la dédition dans le discours politique, puis­que les hommes politiques, même les plus républicains, n’hésitent pas à s’appuyer sur la dédition pour défendre une identité niçoise : « La dédition avait bien par ses conséquences forgé un tempérament politique local ». C’est sur cette dualité 1388/1860 que conclut M. Chabrolin p. 523-524, qui souligne que c’était la pre­mière fois que la dédition niçoise faisait l’objet d’une telle approche collective.
 
 
 
 
 
 
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