Miscellanea L autre Nice

Retour à l'accueil

 

 
L’autre Nice
 

 

Pour citer : Michel Bottin, « L’autre Nice », présentation de Nice Historique. Le quartier anglais de la Croix de marbre, octobre-décembre 2012, pp. 269-271.

 

          Newborough. Un nom anglais pour un quartier de Nice. C’est d’abord de cette manière que les premiers hivernants britanniques établis sur la rive droite du Paillon de part et d’autre de la route de France, face à la mer, ont marqué dès le XVIIIe siècle le territoire de leur villégiature. Il en gardera longtemps l’empreinte. Au milieu du XIXe siècle Alexandre Dumas constate encore qu’« il y a deux villes à Nice, la vieille ville et la ville neuve, l’antica Nizza et la Nice New, la Nice italienne et la Nice Anglaise ».

          Séparée de Nice par le Paillon la petite colonie britannique vit en effet en marge de la cité. L’entrée de la ville par le Pont-Vieux est à plus d’un kilomètre. Les Niçois, intrigués, observent cette société venue d’un autre monde. Quelques-uns la fréquentent : les propriétaires qui louent pour l’hiver, les domestiques et quelques artisans. Rares sont ceux qui l’habitent. Incapables de prononcer correctement le nom anglais du lieu, ils en feront Nieubourg.

          Nieubourg est un faubourg très différent des autres. Sa création ne s’inscrit pas dans la logique de l’expansion urbaine de Nice au XVIIIe siècle. La ville, qui vient d’être libérée de ses servitudes militaires après la destruction de la forteresse et des défenses urbaines sous Louis XIV, s’étend alors dans quatre directions : vers l’embouchure du Paillon, autour de la rue Saint-François-de-Paule ; vers La Bourgade, en face du Pont-Vieux ; vers le nord, dans l’espace situé devant la Porte Pairolière ; vers l’est et le nouveau port de Limpia. Nieubourg a une autre histoire.

          C’est cette profonde originalité que ce numéro de Nice Historique met en évidence. Les nombreuses études sur l’établissement des Anglais à Nice pourraient laisser penser que le sujet est épuisé. Les approches croisées des auteurs qui ont contribué à ce numéro renouvellent la question : Simonetta Tombaccini Villefranque présente l’histoire des personnalités et des événements marquants du quartier ; Judith Kiraly nous fait pénétrer au cœur de cette société britannique ; Véronique Thuin-Chaudron met en lumière les transformations d’un quartier qui devient au fil des années de plus en plus cosmopolite.

          Mais ces études sont bien davantage que de simples monographies sur le développement d’un quartier. Elles éclairent aussi l’attitude des Niçois face à cette profonde mutation. Et tout laisse penser que ceux-ci ont été partagés sur le sens à donner à ces transformations. D’une part parce que la spéculation immobilière provoquait une dépossession foncière ; d’autre part parce que la séparation sociale annonçait la formation d’une autre ville. La municipalité a pressenti une possible dérive. Elle a réagi. Le changement de dénomination du quartier au début du XIXe siècle va dans ce sens. Nieubourg devient « le faubourg de la Croix de Marbre ». La réappropriation historique est claire. Un modeste monument très chargé d’histoire en est le support. Cette croix porte en effet la mémoire de deux événements majeurs de l’histoire de Nice : d’une part le Congrès de 1538 qui vit Nice se transformer pendant deux mois en capitale de l’Europe à l’occasion de la rencontre entre le pape Paul III, le roi de France François I et l’empereur Charles-Quint en présence des ambassadeurs des puissances européennes ; d’autre part le siège de Nice de 1543 contre les Franco-Turcs -celui de Ségurane- au cours duquel la croix fut détruite dans l’intense bombardement qui anéantit le monastère franciscain voisin.

          Les Niçois n’avaient jamais perdu cette trace historique. La croix, plusieurs fois détruite, avait toujours été rétablie. Un autre événement en avait d’ailleurs renouvelé l’actualité. C’est devant elle, au mois de février 1814, que Pie VII, en route vers Rome après sa captivité de Fontainebleau, avait été arrêté par une foule en liesse et conduit en triomphe jusqu’à la cathédrale. Avec quelques années de recul on pouvait y voir un signe avant-coureur de la chute de l’Empire et du retour du roi. La municipalité niçoise décida en 1823 de marquer l’événement en créant une place ornée d’une colonne, face à la Croix de Marbre. Le faubourg avait maintenant sa place, une place niçoise, et Nice une nouvelle entrée urbaine. La construction du Pont-Neuf l’année suivante scelle le rattachement du faubourg à la ville. Ou, comme dirait Dumas, le rattachement de la Nice New à la ville ancienne.

 

1 -