Recherches sur les "Alpes maritimes"
 

Pour une approche institutionnelle de l’histoire de l’espace niçois

Les études ici rassemblées éclairent, chacune à leur manière, la question du statut juridique, administratif et politique de Nice à travers l’histoire. Pour certains Nice n’est qu’une cité. Pour d’autres c’est un chef lieu de département ou une capitale provinciale. Pour d’autres encore, mais ils me semblent plus rares, c’est une capitale de niveau régional. Peut-être est-elle même les trois à la fois.

Dans tous les cas on a quelque difficulté à savoir si c’est une grande ville ; on hésite à la définir comme capitale provinciale parce que l’espace est fracturé par la très mythique frontière du Var ; on s’interdit de la considérer comme une capitale régionale parce qu’avec les Alpes au nord et à l’est, l’influence marseillaise à l’ouest, il n’y a pas d’espace régional pour Nice. Et si nous étions prisonniers de certaines approches historiques qui enferment Nice dans ses limites urbaines ou dans « son » Comté ?

 Et encore, même la "nissardité" du Comté n'est pas certaine pour tous! Nombreux sont ceux qui pensent que la montagne de Nice ce n’est plus Nice. L’histoire réduite au village occulte bien des réalités.

Ne parlons pas de la dimension régionale de Nice ; elle est particulièrement mal servie par les historiens qui ont beaucoup de mal à passer le Var. La remarque vaut pour les historiens "rive droite" et "rive gauche". A ce point de rétrécissement il paraît encore plus inimaginable que Nice ait pu autrefois avoir une quelconque influence en Ligurie. On comprend ceux qui, désemparés par la complexité de la situation, préfèrent parler de Côte d’Azur et d’ « Azuréens ». Mais est-ce une solution ? La voie proposée ici est celle de l’analyse institutionnelle, tant pour rechercher le centre de l’espace niçois que pour en tracer les périphéries.

 

 

 

 « De la Division  de Nice au Département des Alpes-Maritimes : les mutations administratives de l’espace régional niçois. 1814-1860 », in Nice au XIXe siècle. Mutations institutionnelles et changements de souveraineté, Centre d’Histoire du droit, Nice, 1985, pp. 7-35.

 

 

 

L’analyse institutionnelle montre que Nice est  avant 1860 une capitale régionale étendant son influence au Comté de Nice et à la Ligurie occidentale. Son rattachement à la France en 1860 fait apparaître un ensemble de déclassements administratifs.

 

L’ouvrage : Nice au XIXe siècle. Mutations institutionnelles et changements de souveraineté », Centre d’Histoire du droit, Nice, 1985.

 

L’étude ci-dessus  a été réalisée dans le cadre d’un colloque organisé par le Centre d’Histoire du droit de l’Université de Nice à l’initiative de P-L Malausséna et de Maryse Carlin en 1985 : Nice au XIX siècle. Mutations institutionnelles et changements de souveraineté. Les actes ont été publiés par le Centre d’Histoire du droit-Université de Nice en 1985. L’ouvrage compte 22 contributions.

Ce colloque est une « première » à deux titres. D’abord parce que c’était la première fois que ce thème était abordé. La période avait été jusque là passablement délaissée par les historiens au profit de périodes plus accessibles…ou si on préfère plus riches en archives en français.

Ensuite parce qu’il marque le début de la collaboration entre historiens du droit de Nice et nos collègues piémontais. Six d’entre eux avaient fait le déplacement. On notait également la présence de plusieurs archivistes et collègues de la Faculté des Lettres

L’ouvrage n’a pas été réédité. Le sommaire peut présenter in intérêt pour le chercheur.

 

Sommaire

Administration et société

 

Michel Bottin, « De la Division  de Nice au Département des Alpes-Maritimes : les mutations administratives de l’espace régional niçois. 1814-1860 », pp. 7-35.

Marco Carassi, « Finances locales et institutions centrales de contrôle : les sources des archives du royaume de Sardaigne pour l’histoire de la province de Nice au XIXe siècle », pp.37-46.

Rosine Cleyet-Michaud, « Intendance, Préfecture : d’une administration à l’autre à travers les sources d’archives », pp. 47-54.

Henri Costamagna, « Administration communale et provinciale à Nice. 1814-1847 : mutation ou continuité ? », pp. 55-68.

Mireille Massot, « La survivance d’une pratique financière : les cens de la Ville de Nice et leur liquidation au XIXe siècle », pp.69-80.

Denis Andréis, « Les changements au village. Saint-Martin d’Entraunes de la fin du XVIIIe siècle à 1860 », pp. 81-94.

Pierre Bodard, « L’Eglise de Nice à l’heure du changement de souveraineté. Printemps 1814 », pp. 95-120.

Paul-Louis Malausséna, « Les congrégations religieuses du Comté de Nice et la loi d’incamération de 1855 », pp. 121-134.

Jeanine Malausséna, « L’administration sanitaire à Nice au XIXe siècle. Du Magistrat de Santé au Conseil d’Hygiène et de Salubrité », pp.135-148.

Elise Mongiano, « Politique et police à Nice dans les fonds des Archives d’Etat de Turin. 1814-1860 », pp. 149-164.

Frédéric Muyard, « Un des aspects du Port franc : le droit d’asile. 1815-1835 », pp. 165-172.

Luc Thévenon, « 1792-1825. Quel développement urbain pour Nice ? », pp. 173-190.

 

Droit et justice

 

Gilbert Accolla, « Mutations territoriales de l’Etat et survie des institutions anciennes : la distinction alpes-bandites et l’application de la loi du 8 juillet 1963 », pp. 191-202.

Marie-Louise Carlin, « Le recours au prince : un moyen de régler les litiges nés des mutations législatives », pp. 203-218.

Geneviève Etienne, « Changements de souveraineté et mutations dans le notariat du Comté de Nice. 1814-1860 », pp. 219-240.

Enrico Genta, « Problèmes niçois et savoyards devant le Conseil d’Etat de Charles-Albert dans les premières années de son activité », pp. 241-248.

Carlo Montanari, « Nice dans un projet inédit des Royales Constitutions sous la Restauration », pp. 249-272.

Isidoro Soffietti, « Osservazioni del Senato di Nizza sul projetto di codice di procedura penale Carloalbertino », pp. 273-282.

Olivier Vernier, «  Nationalité et changement de souveraineté à Nice en 1860 : du droit d’option aux naturalisations »,  pp. 283-300.

Jean-Yves Coppolani, «  Les juridictions administratives à Nice de 1814 à 1860 », pp. 301-336.

Ernest Hildesheimer, « La justice dans le Comté de Nice sous le régime sarde et le passage à l’organisation judiciaire française. 1814-1860 », pp. 337-354.

Gian-Savino Pene Vidari, « La juridiction commerciale à Nice au XIXe siècle », pp. 355-366.

 

 

 

 

« Le Comté de Nice en question », in 1388, La Dédition de Nice à la Savoie, Publications de la Sorbonne, Paris, 1990, pp. 443-451.

 

 

Les compétences, et l’identité, des provinces traditionnelles des Etats de Savoie sont remises en cause à partir de 1841 au profit d’une structure régionale, la « division ». Les vecchie provincie deviennent de simples circondari. L’évolution des réformes administratives de la période 1814-1860 est abordée à travers l’exemple du Comté de Nice.

 

L’étude a été réalisée dans le cadre d’un colloque organisé à Nice à l’occasion de la commémoration du Ve centenaire de « La dédition de Nice à la Savoie » par le Centre d’Histoire du droit, le Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine, les Archives de la Ville de Nice et les Archives départementales des Alpes-Maritimes en septembre 1988. L’ouvrage compte 36 contributions. J’en ai fait le compte rendu dans la :

Revue Historique, n°583, 1992, pp. 195-199.

 

 

 

        

 « Roger Aubenas et l’Histoire du Comté de Nice », in Nice

Historique, 1990, pp. 5-9,  avec O. Vernier.

 

 

 

 

Pourquoi inclure ce travail sur Roger Aubenas dans ce thème « Nice-Cité-Province-Région » ? En quoi les études de ce maître de l’Histoire du droit des pays de droit écrit sont-elle concernées par cette problématique ? Tout simplement parce que, avec le recul, Roger Aubenas apparaît comme un pionnier de l’histoire de Nice et des territoires avoisinants. Cela ne veut pas dire qu’avant sa nomination à Nice comme professeur personne, à Nice et dans le département, ne faisait de la recherche historique. Ce serait oublier les très grands mérites de plusieurs historiens et l’immense travail des sociétés savantes comme l’Académia Nissarda ou la Société scientifique et littéraire de Cannes et de l’Arrondissement de Grasse.  Je ne parle ici que de la recherche universitaire. Sur ce point force est de constater que l’absence d’université à Nice jusqu’au milieu des années 60 est à l’origine d’un déficit de connaissances. Ailleurs les capitales provinciales ont bénéficié très tôt de l’investissement d’universitaires aux côtés des érudits locaux contribuant à façonner la dimension historique de ces espaces. Nice est restée en panne. Le déficit à hypothéqué l’émergence d’une réalité régionale plus nette. Dépassant par exemple les frontières du Comté de Nice pour les uns ou les limites du Pays de Grasse pour les autres.

Il faut toutefois apporter quelques correctifs à cette présentation. L’Institut d’Eudes juridiques de Nice, antenne de la Faculté de droit d’Aix jusqu’à son érection en Faculté en 1962 a  permis de tracer un sillon de recherches historiques de première importance pour la connaissance de l’espace niçois. Et c’est à Roger Aubenas qu’on le doit. Il a utilisé les ressources archivistiques locales comme un véritable laboratoire d’Histoire du droit mais aussi d’histoire sociale et politique, du moyen âge à l’époque contemporaine, de la rive droite du Var à la rive gauche. Ce provençal savait que Nice  était une terre provençale. Franchir le Var dans un sens ou dans l’autre ne lui posait aucune difficulté. On remarquera par exemple qu’un de ses meilleurs disciples, le professeur Paul-Louis Malausséna, niçois de souche et rédacteur en chef de Nice Historique, soutint sa thèse sur un sujet « grassois », La vie en Provence orientale aux XIVe et XV siècles. Un exemple : Grasse à travers les actes notariés, 1967. La liste de mémoires et de thèses dressée par Olivier Vernier, et qu’on peut consulter ci-dessous,  éclaire très bien cette précocité et cette ouverture.

 

http://www.nice-historique.org/vwr/?nav=Index&document=784

 

 

 « Genèse d’un espace administratif régional : Nice. 1560-1614 », in Recherches régionales, Côte d’Azur et contrées limitrophes, 1992, pp. 2-12.

 

 

L’avènement du duc Emmanuel-Philibert marque pour Nice le début d’une nouvelle époque. Le duc,  qui a passé une partie de son enfance et de sa jeunesse à Nice, veut faire de cette cité, et de la rade de VIllefranche, une place forte imprenable et un port militaire de premier plan. Il veut aussi faire de Nice la base de l’expansion territoriale des Etats de Savoie en Ligurie occidentale tout en caressant des espoirs de domination sur la Provence. Son fils Charles-Emmanuel I poursuivra dans la même voie.

Ces ambitions ouvrent de nouvelles perspectives de développement, imposent de grands travaux civils et militaires, favorisent l’installation d’une nouvelle société et la mise en place d’une administration de niveau régional capable de gérer non seulement les affaires du Comté de Nice mais aussi celles de tous les territoires périphériques jusqu’en Ligurie.

 

Cette question a fait l’objet d’une communication au colloque organisé à Cuneo en octobre 1988 sur le thème La centralità dei luoghi periferici e le capitali secondarie. Aspetti del potere locale nell’equilibrio europeo sous le titre « Nizza capitale provinciale tra Provenza e Stato Sabaudo. Genesi d’un polo amministrativo. 1560-1914 ».

 

http://www.cg06.fr/cms/cg06/upload/decouvrir-les-am/fr/files/rr118-1992-01.pdf

 

 

 

 

« Le Roi, la Constitution, l’Unité. Les événements de 1848 vus par L’Echo des Alpes-Maritimes », Charles-Albert et les réformes de 1848, in Nice Historique, 1997, pp. 3-8.

 

 

http://nicehistorique.org/vwr/?nav=Index&document=787

 

 

 

 

« Léo Imbert, Rédacteur en chef, 1936-1955. Le temps des choix », Numéro spécial de la revue Nice Historique à l’occasion de son centenaire, in Nice Historique, 1998, pp. 59-65.

 

 

La revue Nice historique a, jusqu’aux années 30, essentiellement travaillé à dégager les éléments d’une histoire de Nice. C’était le projet de son fondateur Henri Sappia pour qui « si Nice a plusieurs historiens, elle n’a pas son histoire ».

 La montée des prétentions territoriales italiennes sur Nice dans l’entre-deux guerres fit de cette histoire un enjeu politique. L’Académia Nissarda devait, à travers sa revue, faire un choix et s’engager plus avant dans la définition des fondamentaux de cette histoire. Celle-ci n’était pas italienne et la présence cinq fois centenaire de la Maison de Savoie dans cette histoire ne fondait pas l’ « italianité » de Nice.

Son histoire était provençale, avant 1388 comme après, sous les princes de Savoie. C’est cette orientation qui s’affirme avec la nomination de Léo Imbert comme rédacteur en chef de la revue. Elle ne cessera d’être confortée jusqu’aux années 50 et même au-delà. On remarquera que la revue restera très « niçoise », évitant  autant que possible de franchir la frontière du Var-Estéron et de s’intéresser à la Provence orientale. A Nice Historique la Provence niçoise, à Provence historique le reste. L’alliance des deux revues en 1953 dans un numéro commun, suite de l’organisation à Nice du IIIe Congrès de la Fédération historique de Provence, marque le point d’orgue de cette affirmation provençale. Mais c’était plutôt Provence historique qui passait le Var. Nice Historique l’invitait en quelque sorte sur ses terres.

 

http://www.nice-historique.org/vwr/?nav=Index&document=788

 

 

 

 

 

« Les aspects juridiques de la médiation de Paul III entre François I et Charles-Quint en 1538 », in Actes du Colloque sur Les Guerres de Rivalité et la Trêve de Nice. François I et Saint-Paul, Vence, 2000, pp.33-44.

 

 

La Trêve de Nice est, dans l’histoire du XVIe siècle, un événement considérable. On connaît bien les problèmes soulevés par la rivalité entre Charles Quint et François I. On connaît moins les aspects religieux et internationaux de cette rencontre de Nice autour du pape Paul III. Ils concernent d’une part la mise en place d’une grande coalition contre les Turcs et d’autre part l’organisation d’un concile pour aborder la question protestante.

Cette étude est présentée dans ce thème pour souligner l’importance considérable de ce grand rendez-vous diplomatique des puissances européennes. Le choix de Nice a été fait en fonction de considérations pratiques : sécurité du site et capacité d’accueil du lieu. Les commodités de la rade de Villefranche ont évidemment joué un rôle déterminant. La Trêve de Nice permet ainsi de souligner le rôle et l’importance de la cité au milieu du XVIe siècle. Ce n’est qu’un aspect très fragmentaire de la question. Un recensement des événements diplomatiques niçois aux XVe et XVIe siècles permettrait de vérifier l’importance de cette position. On y trouverait en bonne place les deux séjours du pape Benoît XIII et de la cour pontificale en 1406-1406.

 

Cette étude a fait l’objet d’une communication dans le cadre du colloque organisé à Saint-Paul-de-Vence en novembre 1998 par l’Association des Amis du Musée d’histoire de Saint-Paul, En marge de la médiation pontificale de 1538. François I et sa cour à Villeneuve et à Saint-Paul.

 

Extrait pp. 41-44

 

« Le rassemblement diplomatique

            « L’ampleur de la rencontre n’a pas échappé aux contemporains : le déplacement des personnalités, le nombre et la qualité des observateurs, ont fait de Nice pendant quelques semaines une scène diplomatique peu commune. Les minces résultats politiques de la trêve ont jeté une ombre sur l’ampleur du rassemblement.

            « La présence du pape est un événement majeur. La médiation aurait pu en effet être réalisée à partir de Rome au moyen de représentants. C’est en tout cas ainsi qu’opère habituellement la diplomatie pontificale. La présence du Paul III donne à la rencontre de 1538 un caractère tout à fait exceptionnel, à la hauteur des enjeux. Faute de pouvoir espérer réunir à Rome les deux souverains, Paul III choisit d’aller à leur rencontre. Dès le mois de février 1538 après le Consistoire où fut présenté la ligue contre les Turcs, il engageait François I à se rapprocher de la Lombardie ou de Bologne en vue d’un « abouchement »[1]. En avril le pape était lui-même à Plaisance. C’est alors que le choix se porta sur Nice, lieu déjà pressenti par Clément VII comme le plus approprié pour une telle rencontre[2]. Il ne faut évidemment pas voir dans ce déplacement l’inauguration d’une nouvelle diplomatie destinée à faire du pape un médiateur itinérant. Seules l’urgence et l’importance des enjeux expliquent cette décision exceptionnelle.

            « On ne pourra toutefois pas s’empêcher de penser que la présence du pape peut aussi s’expliquer par les insuffisances de la diplomatie qui n’a pas réussi à rapprocher les positions. Le pape se déplace parce qu’il entrevoit encore trop d’incertitudes. Les mutations des pratiques diplomatiques de l’époque éclairent cette situation. La complexité croissante des relations internationales a conduit les puissances à modifier leurs systèmes  de représentation diplomatique : l’intervention occasionnelle par ambassadeurs personnels est remplacée par la nomination de représentants à poste fixe. Le mouvement, parti d’Italie à la fin du XVe siècle, a touché la plupart des Etats européens au début du XVIe siècle[3]. La diplomatie pontificale a suivi une évolution similaire : à côté des légations temporaires et personnelles apparaissent des institutions stables, les nonciatures. Les premiers nonces sont ceux de Vienne et de Paris, respectivement nommés en 1513 et 1514[4]. Mais le nouveau système, encore hybride, n’offre pas encore toutes les garanties : le statut des nouveaux ambassadeurs et nonces est encore imprécis ; les techniques de transmission des informations, excepté dans le cas de Venise, ne sont pas encore totalement sûres ; enfin on n’a dans bien des cas pas encore rompu avec la pratique des représentations exceptionnelles. Autant dire que les intrigues de cour trouvent dans ces incertitudes un terrain fertile. Plusieurs incidents diplomatiques dus à des défauts de transmission d’informations ont failli, dans les semaines qui précèdent l’entrevue de Nice, faire échouer l’opération.  Il fallut toute l’expérience du cardinal Rodolfo Pio di Carpi, légat en France depuis  le mois de décembre 1537, mais précédemment nonce à Paris de janvier 1535 à juillet 1537,  pour rétablir la situation[5].

            « Le déplacement des  deux souverains en vue de rencontrer le pape est également un événement, politique certes, mais aussi diplomatique. Il faut ici dépasser les analyses traditionnelles qui mettent l’accent sur  les difficultés qui marquent le séjour de Paul III, François I et Charles Quint et sur l’échec d’une rencontre à trois. On pourra ainsi toujours disserter sur la part d’improvisation ou de précipitation qui empêcha le souverain pontife de séjourner en ville, dans le château, l’obligeant à s’installer hors les murs dans un monastère franciscain[6]. La question, finalement secondaire, illustre le climat de méfiance, particulièrement les craintes du duc de Savoie de perdre sa dernière possession territoriale au cas où l’affaire tournerait mal. Plus grave apparaît l’impossibilité de réunir, même une seule fois les deux souverains.  Ici encore la réunion de Nice a toutes les apparences d’un échec, même si elle doit être considérée comme le prélude de leur rencontre à Aiguesmortes le mois suivant[7].

 

            « L’absence de rencontre « au sommet » entre le pape, l’empereur et le roi a conduit les historiens à porter un jugement restrictif sur l’événement. Pourtant, ce qu’on a coutume d’appeler la « Trêve de Nice » fut un véritable congrès rassemblant les cours et les diplomates de l’Europe catholique. Qu’on en juge, le roi de France, la reine Eléonore - sœur de l’empereur -, le dauphin et une bonne partie de la cour, entourés d’une armée de gentilshommes établis à Villeneuve, Charles Quint accompagné d’une trentaine de galères ancrées à Villefranche et transportant des dignitaires espagnols et italiens, les ambassadeurs de Venise, de Gênes et d’ailleurs, le pape rejoint par les cardinaux. Pendant deux semaines Nice devint la capitale de l’Europe catholique. L’événement préfigure d’une  certaine façon les grandes rencontres internationales qui de la Paix de Westphalie au Congrès de Vienne rythment l’histoire européenne. »

 

 

 

 

Nouvelle histoire de Nice, dir. Alain Ruggiero, Chapitre V « La ville baroque. 1580-1691 » pp. 109-128 et Chapitre VI « Nice ville ouverte. 1691-1792 » pp. 129-141, Editions Privat, Toulouse, 2005.

 

 

Les Editions Privat avaient fait paraître en 1976 une Histoire de Nice et du pays niçois sous la direction de Maurice Bordes. Cet ouvrage était une première universitaire pour l’histoire de Nice et de sa province. Il a été, et il reste toujours, très utile tant pour le chercheur averti que pour le curieux. Trente ans plus tard ce même éditeur fait paraître une Nouvelle histoire de Nice sous la direction d’Alain Ruggiero. L’histoire de Nice avait-elle changé à ce point pour qu’une nouvelle publication ait paru nécessaire ?

Trois considérations peuvent le justifier. D’abord les nouvelles recherches accumulées depuis trente ans ; ensuite la nécessité d’écrire les développements de l’histoire contemporaine jusqu’à la fin des « années Médecin » ; enfin la volonté de faire une histoire de la Ville et non du Comté. L’optique est donc différente et cela rend les deux ouvrages complémentaires. Le second ne se substitue pas au premier. Il le complète. Il faut avoir les deux dans sa bibliothèque.

La publication de 1976 conserve en particulier beaucoup d’intérêt pour l’histoire moderne XVI-XVIIIe siècles en raison de l’importance des développements qui y sont consacrés… mais Maurice Bordes était moderniste. Les trois chapitres de la période, par José Gentil Da Silva, Henri Costamagna et Maurice Bordes lui-même, couvrent 115 pages sur  un total de 464 . Dans la Nouvelle histoire de Nice les trois chapitres, « Nice au XVIe siècle » (P-L Malausséna), « La ville baroque. 1580-1691 » (M.Bottin) et « Nice Ville ouverte » (M.Bottin) ne comptent que 50 pages sur 330.

Mais peut-être les choses sont-elle mieux ainsi. L’obligation de centrer les développements sur la ville produit un résultat différent et permet au lecteur d’avoir non pas une nouvelle histoire mais une histoire différente. Cela illustre bien la complémentarité des deux ouvrages.

 

Extrait de « La ville baroque. 1580-1691 », pp.109-110

 

« Equilibres institutionnels

         « Ce demi-siècle émaillé de conflits qui influencèrent directement la vie des Niçois est riche d’enseignements. La place de premier plan qu’y occupe Nice est directement liée à la  puissance de ses défenses. Elles protègent autant qu’elles attirent. Pour les Niçois elles constituent la suprême assurance, ravivant toujours le souvenir glorieux du siège de 1543. Ces épreuves ont ainsi forgé une forte identité communautaire. Aucune ne fut l’occasion d’une division. L’influence bénéfique des institutions doit être soulignée.

         « L’organisation municipale mise en place au XVe siècle a  montré toute son efficacité. Son équilibre fondé sur la répartition des fonctions de façon égale entre les quatre classes -gradi-, nobles, marchands, artisans et laboureurs a favorisé la cohésion sociale. Ses techniques électives tempérées par le tirage au sort ont limité les brigues et les inévitables calculs politiques.

         « L’administration ducale a également œuvré en faveur de cette cohésion. Son histoire est à Nice profondément marquée par les aventures politiques du comte de Beuil, Annibal Grimaldi, maître d’une puissante seigneurie de la montagne niçoise. Nommé gouverneur en 1591 il fut un des principaux acteurs des événements de 1600, se comportant comme un vice-roi et traitant directement avec le roi de France. Démis de ses fonctions lors d’un séjour de Charles-Emmanuel à Nice en 1614 il poursuivit ses intrigues. Il fut finalement condamné à mort pour trahison et félonie en 1617. Par cet acte le duc brisait toute velléité sécessionniste

         « La création d’une cour souveraine en 1614, le Sénat de Nice, à l’instar de celles qui existaient déjà à Turin et à Chambéry, fait apparaître une autre facette de cette politique. Elle apportait à Nice le poids politique d’une institution de haut rang et faisait de Nice, capitale de son Comté, une capitale régionale étendant son influence bien au delà sur tout le ressort de la cour: Vallée de Barcelonnette, Marquisat de Dolceaqua, Principauté d’Oneglia et les nombreuses possessions de la Maison de Savoie disséminées en Ligurie jusque dans les environs de Savone. C’est dans ce cadre territorial qu’exercera au siècle suivant l’intendant général de Nice.

« Juge d’appel pour tout son ressort, le Sénat exerce également d’importantes attributions administratives et réglementaires: enregistrement et mise en œuvre de la législation ducale, police des métiers, surveillance des frontières, homologation des statuts communaux, surveillance de l’administration judiciaire. Son ministère public joue dans tous ces domaines un rôle majeur. Enfin, expression la plus achevée de cette autorité, le Sénat produit par ses arrêts motivés -decisiones- une jurisprudence qui fait de l’institution un véritable législateur délégué.

« Sa docilité politique, comparée à l’attitude des cours françaises, est connue. Elle est la conséquence directe de l’absence d’inamovibilité des fonctions des magistrats dont les cursus professionnels s’inscrivent dans de véritables carrières. Ce statut met par ailleurs en lumière l’ouverture de la cour aux problèmes généraux de l’Etat: les Niçois n’y sont jamais majoritaires et il faudra attendre le XIXe siècle pour voir l’un d’entre eux  nommé à la tête de la cour. La défense des intérêts locaux est toujours tempérée, voire freinée, par la présence de collègues savoyards ou piémontais.

         « Dès sa création le Sénat apparaît ainsi comme un organe régulateur et modérateur de la vie niçoise. Son autorité au cours des événements difficiles du début du siècle,  particulièrement lors de l’affaire de la trahison du comte de Beuil puis pendant la guerre civile, lui vaudra d’obtenir la confiance durable de Niçois. Il restera, bien davantage que le gouverneur, le véritable représentant de l’autorité souveraine.

 

Extrait de « Nice, ville ouverte.1691-1792 », pp. 132-136

 

« Les effets du réformisme piémontais

 

         « Le règne de Victor-Amédée II correspond à une puissante affirmation de l’Etat dans tous les domaines. Modernisation, centralisation et rationalisation sont les facettes d’une politique qui est davantage mue par un paternalisme d’Etat que par les idées du despotisme éclairé. Son fils Charles-Emmanuel III la poursuit de 1731 à 1773; il conserve les conseillers de son père, leur laissant davantage de liberté d’initiative. La puissance de ces ministres s’affirme, Zoppi, le Niçois Caissotti, le marquis d’Ormea, Bogino. Dans plusieurs domaines, le port, la route de Tende, les opérations d’urbanisme, l’essor de Nice au cours de la deuxième moitié du siècle est lié à leur action.

         « Le succès de cette politique a été favorisé par la faiblesse des contre-pouvoirs. A la différence de la France, les cours souveraines des Etats de la Maison de Savoie disposent de capacités très limitées d’opposition. La suppression de la Chambre des Comptes de Chambéry en 1720 témoigne de la capacité du roi à briser les résistances. Par ailleurs la faiblesse des institutions représentatives, telle que celles qu’on pouvait trouver en France en pays d’états, a beaucoup facilité la mise en œuvre des réformes, particulièrement fiscales. On a vu comment cette politique de centralisation a réussi en 1698 à briser les résistances de la Ville de Nice.

         « L’offensive anti-féodale décidée en 1720 participe de cette politique. Elle aboutissait à une révision générale des titres. La noblesse piémontaise fut particulièrement touchée.  Des centaines de fiefs furent réinféodés à de nouveaux seigneurs, la "nobiltà del 22", la noblesse de 1722, comme l'appelèrent les Piémontais. Les services et droits pesant sur les habitants étaient pratiquement supprimés ou soumis au rachat par les habitants. Il ne subsistait plus que les attributions judiciaires, le seigneur, ou plutôt le juge qui exerce la justice en son nom, apparaissant comme le responsable d’un premier degré de juridiction modernisé. La réforme eut à Nice moins de conséquences brutales qu’en Piémont, mais tout au long du siècle plusieurs vagues d’inféodation contribuèrent à modifier la physionomie de la noblesse locale dans le sens d’une allégeance plus marquée et d’une préoccupation plus forte du service public.

« Le cas des inféodations du terroir de la Ville de Nice est particulièrement représentatif de cette situation. De 1734 à 1784 quinze fiefs comportant honneurs et droits de justice furent créés et inféodés, pour la plupart à des Niçois: La Madeleine pour l’avocat Gallea préfet du tribunal de Nice, Carras pour Jean-François Maistre un Niçois alors président de la Chambre des Comptes de Turin, Saint-Antoine pour le sénateur Pierre-Flaminius Trinchieri, Magnan supérieur pour la veuve du sénateur Dani, La Buffa, ou Nieubourg, pour Honoré Saint-Pierre consul des Deux-Siciles, etc. Nice qui se trouvait hors du champ du droit féodal, à la différence de la plupart des autres bourgs et villages de la province, se voyait rabaissée au rang d’une communauté ordinaire.

         « La publication des Royales Constitutions en 1723, révisées en 1729, est une autre approche significative de cette modernisation : on y réglait dans un code, compilation de lois anciennes et récentes des souverains de la Maison de Savoie, les aspects majeurs de l’activité des pouvoirs publics,  justice, procédure, administration religieuse, économie…Le texte sera révisé en 1770. On peut y voir une œuvre pionnière en Europe qui reflète parfaitement les préoccupations du pouvoir sarde au XVIIIe siècle.

         « La réforme de l’enseignement de 1729 exprime bien cet interventionnisme. Elle excluait les congrégations enseignantes, particulièrement les Jésuites et les Doctrinaires, de l’enseignement et mettait en place une structure centrale, le Magistrat de la Réforme,  secondé dans les provinces par des conseils locaux. Les religieux pouvaient à titre individuel être professeurs mais dans le cadre fixé par la réforme : enseignement religieux maintenu, développement des matières nouvelles, remplacement du latin par l’italien.

         « Une volonté semblable de mainmise de l’Etat sur l’enseignement touche le Collège des Jurisconsultes. Il perdit la collation des grades en 1719 et dut aligner ses enseignements sur ceux de Turin, seul habilité à les délivrer.  La réforme de 1729 réduisait la durée des études à trois ans et modifiait l’accès aux fonctions enseignantes par la mise en place d’un concours de recrutement. La poursuite des études se faisait à Turin dans le Collège des Provinces nouvellement créé. La réforme de 1729, enfin, créait à Nice une école médico-chirurgicale selon le même principe : trois années à Nice et la suite du cursus à Turin.

         « La réforme municipale de 1775 est le couronnement de cette politique de centralisation. Le Regolamento  dei publici uniformisait dans un véritable code municipal de 398 articles les cadres administratifs municipaux et fixait un certain nombre de pratiques coutumières. Beaucoup plus complète que la réforme municipale mise en œuvre en France par le contrôleur général Laverdy, ce véritable code de l’administration du territoire définissait l’organisation des administrations municipales, les règles de gestion des biens communaux, les cadres fiscaux et cadastraux, la tutelle de l’intendant et la tenue des budgets. Les conseils des communautés" n’étaient plus que des organes consultatifs chargés de certains services et étroitement encadrés par une législation qui ne laissait que fort peu de libertés" conclut Maurice Bordes.

         « A Nice la réforme fut appliquée avec quelques inflexions pour tenir compte de l’organisation en classes : un Conseil de 21 membres divisé en trois classes, et non plus quatre, administre la ville. Le premier conseiller de chaque classe porte le titre de consul mais c’est le premier consul noble qui exerce la réalité des pouvoirs appartenant au syndic dans les autres communautés. La  réforme favorisa l’accès à la direction des affaires de l’aristocratie locale : Thaon de Revel, Peyre de Chateauneuf, Ricci des Ferres… Elle permit aussi au pouvoir d’intervenir plus directement dans l’administration municipale grâce à l’action combinée de l’intendant général et du gouverneur.

 

 

 

 

 

 

« La Corografia, ouverture de la Storia delle Alpi marittime », Introduction à la Chorographie des Alpes maritimes. Une description de Nice et des Alpes du sud au XVIIe siècle, par Pierre Gioffredo, texte traduit de l’italien, annoté et commenté par Hervé Barelli, Nice, Editions Nice-Musées, 2007, pp. 9-27.

 

 

L’historien Pierre Gioffredo a composé à la fin du XVIIe siècle une monumentale Storia dellle Alpi marittime complétée par une Corografia   introductive qui fixe le cadre géographique de l’étude. J’ai abordé l’étude de ce texte à l’occasion d’un colloque organisé par le Centre d’histoire du droit en avril 1999, Du Comté de Nice aux Alpes-Maritimes. Les représentations d’un espace politique et culturel dans l’histoire. J’ai complété l’étude pour la Revue d’Histoire des Alpes (Voir le thème « Frontière » à l’entrée L’histoire transfrontalière est-elle possible ?).

La publication ci-dessus apporte de nouveaux éléments en comparant la version connue à une version manuscrite plus élaborée conservée à la Bibliothèque du Chevalier de Cessole à Nice. Ce texte, signalé par Paul-Louis Malausséna, alors conservateur de cette bibliothèque, présente un intérêt majeur. Il permet en particulier d’écarter toute remise en cause de la paternité du texte. On ne peut plus considérer que la Corografia de Gioffredo a été recomposée au début du XIXe siècle pour des besoins politiques.

Cette étude trouve sa place ici, dans ce thème « Nice Cité-Province-Région », parce qu’elle fait fonction d’introduction à la Corografia, elle même introduction géographique de la Storia. Or cette Storia delle Alpi Marittime est une histoire régionale, plus exactement même une histoire eurorégionale. Et comme l’érudit travail de Gioffredo gravite autour de Nice de façon à présenter, par delà les découpages frontaliers, un ensemble cohérent on peut trouver dans cette étude des éléments de réflexion pour une histoire régionale de Nice.

Il faut enfin souligner l’intérêt de la traduction de la Corografia et de la Storia par Hervé Barelli. C’est un travail considérable qui ouvre au chercheur des pistes nouvelles et qui permet d’entrer dans la réflexion de ce grand historien qu’est Gioffredo.

 

Extrait pp. 26-27

 

« Leçons du passé pour éclairer l’avenir

 

            « La Storia accompagnée de la Corografia parut donc en 1839. L’œuvre commençait une nouvelle vie. On remarquera combien cette édition était tardive. Elle intervenait à une époque où les frontières s’étaient durcies. Les approches subtiles et nuancées de Gioffredo qui avait défini un espace totalement transfrontalier ne pouvaient plus être comprises par le public. Comment un contemporain de Charles-Albert pouvait-il entrer pleinement dans une œuvre écrite à l’époque de Victor Amédée II ? La remarque vaut d’ailleurs plus encore pour la Corografia que pour la Storia. Cet espace Alpes maritimes relevait, au moment où triomphe la notion de frontières naturelles, de la plus pure spéculation. Les analyses géographiques étaient actuelles à la fin du XVIIe siècle. En 1839 elles ne présentaient plus qu’un intérêt historique.

« Tout eut été différent si l’édition avait été réalisée dès le XVIIIe siècle. La connaissance de l’histoire de Nice et de son espace régional en eut été bouleversée. L’œuvre servirait encore aujourd’hui de matrice régionale à l’image du rôle fondateur joué par les grandes histoires régionales comme celle de Bouche pour la Provence ou de Dom Devic et Dom Vaissette pour le Languedoc, de Guichenon pour la Savoie ou de Nicolas Chorier pour le Dauphiné.

« A l’inverse l’histoire de Nice telle que l’écrivent les historiens du XIXe siècle a une dimension strictement locale, provinciale, limitée au Comté de Nice. Aucun auteur ne perçut cette dimension régionale. Le texte lui-même poussait à cette orientation. Le très volumineux index (148 pages) que les éditeurs composent, tant pour la Corografia que la Storia, faisait la part belle à Nice. Ils précisaient d’ailleurs sans détour dans la préface que « la Storia tende a convergere nella sola città di Nizza Marittima, alla quale come a capitale e a centro si referiscono poscia tutte gli avenimenti che seguitarono»[8]. On comprend que l’édition n’ait pas fondamentalement modifié la situation.

« L’œuvre de Gioffredo ne fut guère utilisée que comme une simple histoire locale sans qu’on cherche à restaurer sa dimension régionale. Il y a donc deux façons de lire Gioffredo, celle de l’histoire locale, urbaine ou provinciale, et celle de l’histoire régionale. Henri Sappia[9], infatigable restaurateur de l’histoire de Nice au début du XXe  siècle a souligné cette ambiguïté et remis la Storia à sa place, celle d’une histoire régionale. Gioffredo écrit en effet une autre histoire. Lucide et critique, Sappia considère même que Durante et ses successeurs se sont complètement trompés : ils « ont pensé suivre ses traces sans s’apercevoir que le but de notre grand historien était absolument différent de celui qu’ils se proposaient d’atteindre » [10].

            « L’autorité d’un pareil jugement aurait dû provoquer une réaction et orienter les historiens niçois vers une histoire régionale de Nice. La lecture de la seule Corografia eut suffit. Il est vrai qu’elle était écrite en langue italienne ! L’ouvrage n’a ainsi pas eu l’influence qu’il aurait dû avoir. Pour les auteurs et pour le public, l’Abbé est devenu le père d’une histoire de Nice, non pas d’une histoire de la cité capitale des Alpes maritimes mais capitale de son seul Comté. On ne compte plus les auteurs contemporains qui présentent Gioffredo sous cette approche réductionniste. Il est rarissime qu’on le présente d’une autre façon. Pouvait-il en être autrement ? Sappia lui-même, pourtant clairvoyant, n’aurait pu dans le contexte politique difficile des relations franco-italiennes du début du XXe siècle aborder des questions concernant des territoires italiens. La démarche aurait pu paraître trop italophile et fort peu patriotique.

            « Ces questions sont aujourd’hui d’un autre temps. On peut relire Gioffredo autrement. C’est à cela que nous invite la traduction réalisée par Hervé Barelli. »

 

 

 

« Les évolutions institutionnelles du département des Alpes-Maritimes. Considérations sur l’organisation administrative d’une marche », in Cahiers de la Méditerranée, n°77, décembre 2008, pp. 137-149.

 

 

Le département des Alpes-Maritimes est différent des autres départements à bien des égards. Il est né de la conquête révolutionnaire en 1793 ; il a fait ses premiers pas dans la guerre entre les Français et les austro-sardes ; il a connu six formes géographiques successives ; sa dernière transformation territoriale ne date que de 1947 ; 45 ans séparent le « premier département des Alpes-Maritimes » du « second » (1815-1860) ; il entre en 1860 dans un espace administratif totalement formé y trouve difficilement sa place ; son appartenance régionale a été incertaine, entre Provence et Alpes ; son chef-lieu, Nice est la seule grande ville qui n’est pas chef-lieu de région ; il est frontalier avec l’Italie mais aussi avec la principauté de Monaco ; etc.

Le législateur de 1789 a voulu que tous les départements soient juridiquement égaux. Depuis, le temps a creusé quelques inégalités. Par exemple certains chefs-lieux de départements sont chefs-lieux de région. Il y en a d’autres, mais force est de constater que le département des Alpes-Maritimes présente une exceptionnelle accumulation de différences. Peut-être parce qu’il est une marche.

 

Conclusion de l’étude :

 

« Le département des Alpes-Maritimes apparaît à la lumière des analyses qui précèdent comme une marche administrative. On fera remarquer que c’était déjà le cas du Comté de Nice vis-à-vis du Piémont tant avant 1792 qu’entre 1814 et 1860. Dans chacune des deux situations le caractère périphérique apparaît comme une donnée essentielle. Mais la similitude s’arrête là. Tout est différent lorsque on prend en compte  le nombre et l’importance des services administratifs établis sur cette marche. Dans cette optique la situation de Nice comme centre administratif est plus favorable dans le cadre savoisien que dans le cadre français parce qu’on y trouve des services de niveau régional[11], ce qui n’est pas le cas pour le département des Alpes-Maritimes. Dans la première situation l’administration de marche a pour fonction de traiter de façon spécifique un espace de transition vers d’une part la Ligurie et d’autre part la Provence. L’œuvre normative régionale accomplie par le Sénat de Nice en est la meilleure illustration[12]. Dans la seconde situation il s’agit d’administrer un territoire ordinaire, semblable à tel ou tel département intérieur. L’espace niçois perd ici sa fonction de marche. Adossé à la frontière le département des Alpes-Maritimes cumule alors tous les inconvénients de la marginalité administrative. »

 

Texte en ligne

http://cdlm.revues.org/index4376.html



[1] Michel François, op.cit., p.165.

[2] Ibidem, p. 167.

[3] Henri Legohérel, Histoire du droit international public, Que-sais-je ?, 1996, p . 19.

[4] Mgr Charles Lefebvre, Marcel Pacaut, Laurent Chevailier, Histoire du droit et des institutions de l’Eglise en Occident, T.XV, vol.I, 1563-1789, Les sources du droit de la seconde centralisation romaine, , Paris, 1976, p.193. Les légats disparaissent au profit des nonciatures après le Concile de Trente mais dès le premier tiers du XVIe siècle Sixte IV et Alexandre VI  disposent de représentants permanents. Paul III donne à ces nominations un caractère plus nettement ecclésiastique ; il choisit ses nonces exclusivement parmi les évêques afin de mieux plaider la cause du concile.

[5] Cf. Michel François, op.cit., p.165 sq.

[6] Cf. note 20.

[7] Pour le récit de l’entrevue de Nice, Honoré Bouche, La chorographie ou description de la Provence et l’histoire chronologique du même pays, Aix, 1664, T.2, p.592, Pietro Gioffredo, Storia delle Alpi Martime, Turin, 1839, col. 1337-1353, d’après son manuscrit rédigé vers 1670. Témoignages italiens rassemblés par A. Segre, «  Documenti ed osservazioni sul congresso di Nizza », Academia dei Lincei, T X, 1901.

 

[8] Constanzo Gazzera à la page VI de la préface de l’édition en 7 volumes.

[9] Olivier Vernier, « Henri Sappia, l’ inventeur de Nice Historique » ,Nice Historique, 1998, pp. 11-23.

[10] Nice historique, 1900, p.7.

[11] Michel Bottin, « Genèse d’un espace administratif régional : Nice.1560-1614 », in Recherches régionales, Côte d’Azur et contrées limitrophes, 1992, pp. 2-12.

[12] Bénédicte Decourt Hollender, Les attributions normatives du Sénat de Nice au XVIIIe siècle. 1700-1792, Montpellier, 2008.

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